Rappel : Sinner n'est pas encore chef au moment de la Boum
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Ah... Quelle soirée ça avait été. Ou quelle soirée ça aurait pu être, plutôt, si ça s'était pas terminé en eau de boudin majeure. La fête continuait, à l'intérieur, mais Sinner n'avait plus trop le cœur d'y participer. Le cul posé quelque part à l'entrée de la Cabane à Manger, dans un coin relativement isolé, il roulait plusieurs clopes d'avance - signe de nervosité. Finalement, il en leva une devant son nez et eut l'occasion de constater qu'il commençait à voir double, à force de s'enfiler consos sur consos à mesure qu'il terminait ses précédentes boissons. C'est qu'il buvait toujours assez vite. Pis un verre vide, c'était triste. Et rien avoir dans la main c'était encore pire. Bref. Il était à moitié (?) torché. Peu importe. C'était son état normal lorsque c'était la fête, qui s'en souciait ? Pas lui.

Un coup de zippo au bout de la cigarette et paf, la magie s'opérait. Il tira une longue première bouffée de tabac qu'il garda longtemps avant de la soupirer dans l'air du soir. L'arrière de sa tête toucha la paroi de bois. Le regard éteint du diplomate se perdit dans l'immensité étoilée qu'on pouvait à nouveau voir entre les branches et les feuillages, depuis que la couverture nuageuse associée au Givre s'était barrée. Pas sûr que ça soit une bénédiction ou une malédiction. Y avait des bons souvenirs qui finissaient par faire trop mal. Quelle connerie d'associer un truc aussi commun que le ciel de nuit à quelque chose d'aussi spécifique que ce à quoi il pensait... Il aurait bien baffé son cerveau. Enfin parfois il essayait, genre en se foutant un coup sur la boîte crânienne pour essayer de le remettre droit, mais c'était pas exactement comme ça que ça marchait.

Pas sa préoccupation première, en plus. Tout de suite, il était pas tranquille. Inquiet. On aurait pu se dire qu'il était vraiment pas sapé pour tirer ce genre de gueules ni pour rester tout seul dans son coin à déprimer, mais on ne se le dirait probablement pas. Sinner avait l'habitude d'attirer l'attention voire de choquer par ses tenues. Son humeur n'y faisait pas grand chose.

Il avait forcé sur sa dernière décoloration, revigoré par le dégivre et plein de l'envie de se faire aussi platine qu'il aimait l'être. Ses cheveux étaient presque blancs. Pour l'occasion, il s'était fait pas mal de mèches, toutes plus ou moins réunies sur les tifs à l'avant de son visage. Certaines étaient les unes à côté des autres ou bien se mélangeaient : y avait du rouge, du noir, du violet, et même plusieurs touches d'un rose assez vif. C'était pas un jour pour les couleurs pastel. Ca allait probablement mettre un moment à partir, mais tant pis. Il pouvait se passer de "faire semblant d'être Glitter" pendant quelques temps, et puis si jamais fallait vraiment, il pouvait couper les quelques cheveux qui voulaient pas revenir à la normale. Sous ses yeux on trouvait le trait noir habituel, sur lequel il avait un peu forcé et qu'il avait stylisé en pointe, histoire que ça fasse pas juste comme tous les autres jours. C'était avant qu'il se dise que ça suffisait pas. C'était l'occasion ou jamais de s'éclater : smoky eyes ombrageux et violet à lèvres pour rappeler l'une des couleurs qu'il avait mis dans ses tifs. Là, il avait été beaucoup plus satisfait du résultat. Ses oreilles pleines de trous étaient ornées d'autant de boucles et d'anneaux noirs qu'il pouvait en mettre, sans oublier les croix inversées dont ses lobes ne se séparaient que rarement. Quant aux autres piercings il avait tout mis : septum, arcade sourcilière. Et le dernier qu'on voyait que s'il tirait la langue, mais celui là il l'enlevait jamais.

Il avait un body qui faisait partie de ses fringues préférées. Le genre de truc sans manche moulant qu'on zippait à l'avant et dont le col remontait un peu. Noir, dans une matière brillante qui faisait des bruits caractéristiques quand on bougeait. Il l'utilisait souvent comme base des diverses tenues qu'il se confectionnait. Ce soir aussi. L'un de ses ras de cou en cuir se trouvait au dessous du col légèrement ouvert. Le serpent sur son bras gauche dépassait, de même que la cicatrice sur son bras droit. De longs gants en résille noire lui montaient jusqu'au dessus du coude. Sur ses deux mains, des mitaines courtes dans la même matière noire et brillante que son haut. Par dessus, une collection de bracelets de force plus ou moins cloutés ou ornés de chaînes - de quoi lui occuper une bonne moitié de chaque avant-bras. Un nombre conséquent de bagues sur ses doigts, toujours dans ses couleurs : argent ou noir. Son vernis noir, d'ailleurs, évidemment toujours au rendez-vous. Histoire que les couleurs tranchent un peu, il avait déchiré une bande de tartan d'une quelconque fringue à lui - qui était de toute façon déjà déchirée - pour la glisser entre les bracelets en cuir noir d'un de ses bras. C'était pas propre, ça avait un côté déglingos, donc forcément ça lui plaisait encore plus. Pas sûr que ça plaise à Pit s'il le voyait mais oh... Il allait s'en remettre, hein, le blondinet. Un peu comme de son haleine saveur tabac(s). Par dessus encore, une sorte de blouse trop large en matière transparente, violette aussi. Le truc lui couvrait pas les épaules mais les lui cernait lâchement, c'était là tout l'intérêt. Les manches étaient remontées jusqu'au coude. Les longs pans évanescents flottaient autour de sa silhouette. Tout un jeu de couches superposées. Puis une ceinture pleine de chaînes qui formaient des arcs cachant la naissance d'un pantalon noir assez large pour qu'on puisse se demander deux minutes si c'était pas plutôt une robe, surtout dans la pénombre. Quelques sangles accrochées à des mousquetons dans la continuité des chaînes de sa ceinture : Du cuir noir. D'autres chaines. Encore des lanières de tissu déchiré violet faites maison. Sinner avait décidé que c'était sa couleur, ce soir (même si ce n'était que l'une de celles qu'il avait dans les cheveux). Là-dessous, des bottes épaisses, assez stylées, qu'il avait depuis un bout de temps. On les voyait pas - si ce n'est la semelle juste un peu compensée - mais Sinner s'en foutait pas mal. Ca aussi ça faisait "skouik" quand il marchait. Il aimait bien. Pareil : personne n'allait vérifier s'il avait mis des collants (spoiler : c'était bien le cas).

Assez bourré pour se perdre dans sa tête, il revenait sur les événements de la soirée avec aux lèvres un sourire un peu triste. Il était venu assez tôt. Première fiesta après le dégivre ? Comment aurait-il pu manquer ça ! Ca lui avait trop manqué.

... Mais pas autant que certains des visages qui étaient arrivés comme des boulets de canon au beau milieu du truc, fringués comme des dieux démons. Il y avait des interactions qui n'avaient pas attendu cette période pour casser, mais voir quelqu'un de loin, c'était toujours mieux que pas le voir du tout. Connerie de Givre. Connerie de camp dans lequel il avait choisi de suivre sa frangine. Et quelle façon de mettre fin à cette interminable période ! Période qui, l'air de rien, avait été un peu solitaire.

20/20 sur le look, 20/20 sur la musique, et pareil pour les tensions que ça avait attisé dans la salle. Sinner avait pris son pied, et pas qu'un peu. Il se souvenait pas de la dernière fois qu'il avait passé un aussi bon moment. Qu'est-ce qu'il avait pu se marrer dans son coin, à observer les gueules et les réactions des uns et des autres, quand il était pas trop occupé à mater la scène sans vergogne.

... Pas de manière forcément très équitable pour les musicos, qui en valaient pourtant tous la peine. Mais il leur avait tout de même fait honneur à tous et toute.

L'euphorie n'avait pas été l'unique sentiment par lequel Sinner s'était laissé transporter. Elle s'était mêlée d'une nostalgie lancinante qui à deux ou trois reprises lui avait donné envie de chialer. Quel con il faisait. Pourquoi ça faisait toujours aussi mal ? Ca aurait pas dû. Le Temps inexistant s'était comme arrêté pour lui au plus mauvais moment. Là où il aurait dû foncer tête la première pour entrer dans la "danse", il était resté dans un coin de mur à boire comme un trou du début à la fin.

Méga soirée quoiqu'il en soit. En tous les cas jusqu'à ce que ça parte en steak dans les grandes largeurs. Figé, il s'était contenté d'observer. Intervenir n'aurait servi qu'à foutre plus de merde encore. Mais ce qu'il avait vu... C'était du grand n'importe quoi. Il avait la haine. Le feu qui brûlait dans son ventre, dans sa gorge. L'envie de gerber, un peu, aussi. Une terreur glaciale s'était emparée de lui quand on avait lancé Apache sur deux autres gars entre lesquels il s'était fait coincer en sandwich. Il s'était rapidement relevé, donc ça l'avait rassuré, à cela près qu'on en avait vraisemblablement pas fini avec lui. Il était parti. Et Sinner se sentait mal. Pas tranquille.

Trop de trucs déplaisants en trop peu de temps. Du sang (heureusement, il avait pas tourné de l'œil), de l'acharnement quasi-gratuit, et une conclusion qui n'en était pas une. Est-ce qu'il l'inventait, cette sensation de danger, à cause de tout ce qui avait eu lieu avant ? Sans voir qu'il n'était pas le seul à fixer la porte avec une sensation de malaise prégnante, il avait rapidement baissé les yeux sur son verre dont il avait fait tourner le fond presque vide. Et il s'en était remis un autre par dessus. Et il était resté là trop longtemps, sans même voir qui arrivait ou qui repartait. Tout lui était passé au-dessus, jusqu'à ce que ça chante dans sa langue natale.

"Despacito
Quiero respirar tu cuello despacito
Deja que te diga cosas al oído"

... Et ça avait été encore pire que si ça avait été en anglais. Pas d'humeur à entendre ça. De toute façon pas fan du style.

"Qué mierda... me voy.", qu'il avait grogné/murmuré pour lui-même avant de sortir dehors sans transition et de s'installer où il était maintenant, un peu en retrait.

Il souriait plus du tout. Il tirait même bien la gueule. Mais tant qu'il y avait du tabac... Une taffe de plus crachée contre l'image de ce ciel trop insouciant à son goût. Ses tripes allaient bien finir par se desserrer. Peut-être pas ce soir, par contre.

Plus tard, faudrait qu'il vérifie que tout allait bien. Il y avait au minimum cette chute, qui avait été sacrément impressionnante. C'était plus fort que lui. C'était ses viscères qui parlaient, avec leur mémoire qui était pas aussi ravagée que la sienne. Leur mémoire qui le foutait constamment dans la merde.

Résumé:

Quand l’adolescente assise sur la table croise son regard, quelque chose à l’arrière de la tête de Skunk hurle un peu : est-ce qu’il vient d’adresser la parole à quelqu’un qu’il ne connait pas ? On dirait bien qu’il vient d’adresser la parole à quelqu’un qu’il ne connait pas. A une fille qu’il ne connait pas. Et il l’a fait volontairement. Spontanément. Spontanément !

Oh, ça va mal finir.

Mais l’avantage d’être plus que généreusement ivre, c’est que cette sensation de désastre imminent reste lointaine, ensevelie sous des litres d’inconséquence artificielle. Si bien que, quand son interlocutrice finit par lui répondre, au lieu de paniquer, Skunk se contente de ciller mollement, surpris par la manière dont elle formule ses scrupules :

“Je suis pas sûre que j’ai le droit.”

“... Pourquoi ? Tu es mineure ?”

Il glousse un peu, très satisfait de sa propre blague. La fille semble hésiter, mais cela ne l’empêche pas de vider ce qu’il reste de son gobelet pour mieux le tendre au Dandy. Ce dernier, ravi, s’applique très fort pour la servir ; par un sombre miracle, il y parvient sans en foutre partout ni faire déborder le verre. Par contre, il ignore avec superbe le “juste un peu” de l’adolescente et n’écarte la bouteille qu’après avoir rempli le gobelet.

Ils boivent en même temps, après que Skunk ait fait un petit geste pour trinquer tout seul de son côté. C’est toujours aussi odieusement fort et dégueulasse et il avale un peu de travers, mais rien à voir avec l’autre Perdue, qui se met à tousser et cracher aussitôt que le breuvage touche ses lèvres. Le Dandy rigole, sans hostilité :

“Ça arrache, n’est-ce pas ?”

Il fait un grand sourire éméché à la fille, avant de reprendre une gorgée d'un air crâneur. Son estomac proteste, il sent qu’il approche du fameux verre de trop - celui qui risque de le faire vomir. Mais ce soir-là, Skunk n’a pas envie d’être raisonnable ; il est à une fête, une vraie fête, avec d’autres gosses, et ça se passe bien, quoi... Owl a l’air détendu, Lacerate lui a fait un putain de compliment, il parle à (une fille) quelqu’un presque normalement... Il mérite que cela dure encore un peu, non ? Juste encore un peu.

Alors il reste planté là, entre son pote et l’adolescente inconnue, bien droit dans son trop beau costume, les bras croisés de traviole, à siroter son cocktail démoniaque. La salle est un peu floue, les sons distants et assourdis, mais ce n’est pas désagréable. Non, vraiment pas désagréable.

“J’aime bien cette chanson.”

Skunk hoche la tête, distrait :

“Elle est adéquate.”

Il jette un coup d’œil à la fille en se demandant vaguement s’il ne l’a pas déjà croisée, tout de même. Mais ses interrogations se dissipent lorsqu’il réalise qu’elle pleure.

Pourquoi est-ce qu’elle pleure ?

Le temps d’un réflexe nauséeux, Skunk se demande s’il a dit ou fait quelque chose de mal. Mais il n’en a pas l’impression, pas cette fois ? Après tout, la fille avait l’air perturbée avant qu’il lui adresse la parole, c’est même pour cela qu’il lui a proposé de l’alcool. Mais qu’est-ce qu’il est censé faire de plus, du coup ? Est-ce qu’il doit lui parler ? Demander ? Plaisanter ? Faire comme s’il n’avait rien vu ?

Le Dandy cligne des yeux deux fois de trop et scrute les alentours d’un air perdu, comme s’il s’attendait à trouver quelqu’un de plus compétent à qui déléguer le problème. Puis, sans réfléchir davantage, il lâche :

“Est-ce que tu... Personne ne t’accompagne ?”

Résumé: