Cette scène avait un quelque chose d'infernal, malgré le déni qui s'était installé dans l'esprit du pirate depuis des siècles... quelque chose avait un peu fragilisé sa vision du monde où il était coincé. Sans y prendre garde, il avait renoué avec des souvenirs plus anciens que leur arrivée. Peut-être les dernières racines à la raison.

Les matelots s'en donnaient à coeur joie, une petite fête après la mise à mort d'un enfant. D'une âme perdue, plutôt. Apparemment, malgré tout, la poussière que les collègues de l'Inquisiteur convoitaient ne montrait pas de trace. Lorden était plus passif, mais il ne comptait tout de même pas porter secours à ce qui n'était pas humain.

Mais... quelque chose changea.

Tous sous le coup de la surprise observaient la nouvelle facette de la situation.

- Qu'est-ce que c'est que ce foutoir ?

- Tu l'as cassé bordel !

- Non ! Il est encore là l'moucheron.

Pierre s'inquiéta pour la possession de la créature, et décida presque aussitôt de s'en aller chercher un bocal qui avait contenu du poisson. Après avoir failli trébucher à plusieurs reprises, il s'empressa d'attraper ce qui avait été Vijendra pour le coincer dans l'objet.

- Héhé, faut pas qu'il parte comme ça. On va s'en faire une salière de poussière.

Et ils étaient hilares.
Allan avait aussi ri, l'alcool le rendait un peu plus sympathique, mais lentement quelque chose alourdissait son esprit. Ou sa conscience ?

- Vous allez le laisser étouffer ?

- Noooon, r'garde.

Et Paul perça quelques trous dans le couvercle avec son poignard.

- Il mérite de mourir, ça va attirer des démons de garder un déchet maudit.

Après tout, toute l'Île était contre eux. Selon Allan, ça impliquait aussi des spécimens plus féroces que ceux qu'ils peuvent torturer un petit moment.

- Raaaah flippe pas. Regarde, ça nous faire une toute petite lanterne !

Et Joseph prit le contenant pour le secouer.

Les pirates observaient leur nouveau centre d'intérêt, Pierre venait de décidé qu'il en serait le gardien. C'était à lui. Joseph et Allan n'y virent aucune objection, mais Paul ronchonnait un peu. Les tintements de la fée étaient ignorés, des sons trop légers parmi les hurlements de rires. Joie qu'Allan et Joseph ne partageaient pas totalement. Oh certes, le second matelot avait pu bien s'amuser mais il était aussi le plus éclairé des trois. Quant à l'Inquisiteur, celui-ci avait détourné le regard pour le plonger dans l'horizon. Là où s'étendait la plage... Il pouvait prendre le temps de boire un peu, de se laisser aller aux jeux de ses camarades, mais même l'esprit tournant il imaginait déjà des démons plus puissants être attirés par les peines d'un congénère maudit.

Sans même imaginer une vengeance, non, juste un prédateur attiré par les pleurs.

- Allez ! On l'emmène ma m'tite luciole.

Et sur ces mots, Pierre marchait de travers jusqu'à la taverne. Paul suivait de près, s'accrochant d'une épaule à l'autre de son compagnon afin de tapoter sur le bocal. Pas besoin de préciser que les gestes étaient tous très approximatifs, le rhum restait aux commandes.

Joseph et Allan emboitèrent le pas.

Ils n'avaient plus assez de rhum, et il fallait bien partager leur jouet.

C'est donc dans un claquement de porte aromatisé d'éthanol que Paul ouvrait la marche en disant à qui voulait bien entendre ses histoires qu'ils avaient fait rétrécir Vijendra.

- LES GAAAARS R'GARDEZ LA BELLE PRISE D'PIERRE ET MOI !

- C'est MA LUCIOLE !

Répliqua rapidement Pierre, mais il était de bonne humeur pour brandir le bocal en laissant des larmes de rire glisser sur ses joues.

- C'est Vijendra, il a rétréci comme un membre dans l'grand froid.

Rajouta Joseph, celui-ci était plutôt fier de faire référence à ce que les fées n'ont pas, tout en prenant place à une table au centre où déjà quelques matelots étaient installés. Les quatre aussi tanguants que le Jolly Roger sur l'océan, se firent servir des chopes de rhum qui commençaient à leur manquer.

Allan était bien trop rond pour pouvoir rouler des yeux, et s'amusait autant que le public qui venait voir la petite bête de foire.

- En tout cas, les fées ça sait pas faire de beaux bûchers...

Appuyé sur son poing, la joue tenait chaud à la main de l'Inquisiteur aux yeux vitreux, tirant une moue faussement boudeuse.

- Ouais, mais il a tellement flippé en voyant l'gosse griller !

Précisa Paul, il avait cependant souvent tendance à exagérer les choses... restait à savoir s'il disait vrai.

Ils apportaient de quoi jouer à la Taverne, les festivités étaient ouvertes à tous.

Note : Les actions décrites à partir d'ici se déroulent 3 jours après les précédents événements.

Le Printemps - ou du moins, ce qui s'en rapprochait - pointait timidement le bout de son nez, se faisant plus présent et plus agréable plus le temps passait.
Flammèche voulait s'assurer que rien de l'affreuse et interminable période qu'ils venaient de subir ne subsiste. Décidant alors d'agir en conséquence, la Fée des Feux ratissait méticuleusement l'Île, mètre carré par mètre carré, afin de s'assurer que plus rien d'anormalement blanc et froid n'ait survécu au dégel.

Une telle tâche lui prenait énormement de temps, mais d'après elle, cela en valait la peine. Elle avait toujours été une Fée de Terrain, de toute façon.
Certains Conseillers étaient malheureusement bien plus compétents qu'elle - notamment Obéron pour ne citer que lui - et étaient donc bien plus aptes à gérer le reste de la communauté qu'elle.
Oh, cela attristait tant l'Impétueuse ! N'y aurait-il pas un petit quelque chose qui puisse lui donner un petit coup de pouce et ainsi la rendre toujours plus courageuse, plus utile, même lorsqu'elle s'éloigne un peu de ses fonctions ?

Comme par exemple... tiens, ces trois humains sur la Plage. Ils font autant de bruit qu'une dizaine d'enfants réunis ! Peu importe ce qu'ils fichaient, mais apparemment, cela était bien drôle.
Et un humain qui rit d'une façon si bête n'est jamais une bonne nouvelle. Surtout lorsqu'ils sont trois, et que leur attention semble portée sur "quelque chose" plutôt que sur leurs blagues idiotes.

Alors, par curiosité, et aussi - et surtout - par inquiétude, Flammèche les suivit.
Elle se remerciera sans doute plus tard d'avoir eu une si bonne idée.

Le "quelque chose" en question s'avère être un bocal dont elle n'arrive pas à déterminer le contenu, bien qu'il ne ressemble clairement pas à quelque chose de commestible comme quelques prunes, ou un avocat.
Craignant qu'il ne s'agisse d'un petit animal - ou pire, d'une des leurs ! - la Conseillère des Feux prit le propriétaire supposé du bocal en filature, s'épuisant à voleter longtemps derrière lui.
Il faisait des tours et des détours avec son trésor de verre, l'exhibant aux yeux des passants, s'en vantant tout haut.

Cela devenait de plus en plus suspicieux.

La féérique demoiselle se hâte dans les allées du Port, restant à une distance respectable de sa cible afin de ne pas se faire repérer. La situation commençait étrangement à lui peser, et c'est avec une certaine appréhension qu'elle voulait connaître le contenu du bocal de verre.
Finalement, l'homme finit par entrer dans une bâtisse, fermant la porte derrière lui. Prenant alors de la hauteur en espérant trouver un trou, ou quoi que ce soit d'autre, qui lui permettrait d'entrer, Flammèche se presse par une fenêtre restée entrouverte.
Quelle erreur de débutant que de ne pas verrouiller ses portes et fenêtres lorsque l'on se trouve sur une telle Île...

Tapie derrière les rideaux effilochés de ce qui semblait être la chambre de l'individu, l'Impétueuse attend sagement son heure, rongeant son frein. Sa mauvaise impression de malaise ne la quittait pas et lui donnait presque des sueurs froides.
Si c'était bel et bien une Fée qui se trouvait là-dedans...

Comme elle aurait préféré se tromper.

L'homme, visiblement fatigué d'avoir passé sa journée à boire et rire bêtement tel un adolescent avec ses deux compagnons, finit par se coucher sans même prendre la peine de se changer.
Il s'affala sans aucune grâce sur son lit miteux, puis contempla longuement le bocal et son contenu, tout en lui parlant tout bas. Flammèche ne s'attarda pas; il devait s'agir d'idioties, vu son état.
Par contre, elle pensait vraiment qu'il allait poser son trésor... et non qu'il allait décider de s'endormir avec.

La petite Fée des Feux ne put se retenir de plaquer ses deux mains sur son visage, les faisant glisser sur sa peau en étirant ses traits, réprimant un gros soupir las.
Les humains étaient vraiment irrécupérables ! Certains adultes étaient même plus idiots que les enfants, à n'en pas douter.

Patientant jusqu'à entendre les ronflements irréguliers de son "hôte", la Conseillère se décida finalement à sortir de sa cachette. Elle observa un moment l'homme, profondément assoupi, qui bavait sur son oreiller. Il dormait sur le côté, la tête calée sur un bras, l'autre étant occupé à tenir le contenant de verre.
En voletant discrètement jusqu'au fameux bocal, quelle ne fut pas sa surprise de se rendre compte que son contenu brillait très faiblement ! Ce n'était décidément pas un avocat... mais bien une Fée.

La colère s'empara de Flammèche, mais fut stoppée net par sa raison. Mieux valait éviter de s'enflammer - litteralement - dans un moment pareil. L'odeur de brûlé, quand la fleur sur sa tête partira en fumée, pourrait réveiller le Pirate.
Après une grande inspiration, elle reprit lentement son calme, expira doucement. Posant ses mains à la surface de la prison de verre, elle reconnut le Faux Fé qui leur avait donné bien du mal jusque maintenant. Il avait donc bel et bien fugué...

Et voilà qu'il se retrouvait confronté à la dure réalité des choses.
Voilà comment les perfides humains traitaient les Fées.

- Hey ! Hey. Si tu m'entends, fais-moi un signe, n'importe quoi ! Tout va bien, maintenant... je vais trouver un moyen de te sortir de là.

Tinta Flammèche d'un ton rassurant, ses mains effleurant la surface de verre. Elle ne voulait pas brusquer le prisonnier, qui avait déjà l'air dans un sale état.
Elle avait beau ne pas tenir les Fausses Fées en grande estime, celle-ci lui faisait vraiment trop de peine. Et qui sait, peut-être que se retrouver dans une telle situation le fera haïr les humains du plus profond de son petit être.
C'est qu'elle ne savait même pas toutes les atrocités qu'il avait pu endurer jusque maintenant.

Ah, le pauvre, il était si pitoyable ! Il lui faisait tant de peine ! Flammèche s'était retenue de toutes ses forces pour ne pas lâcher une petite larme alors que le Faux Fé avait désesperément tenté de coller sa main à la sienne, usant de ses dernières forces sans y parvenir pour autant.
Elle n'était même pas sûre de savoir si ce qu'elle ressentait actuellement était de la tristesse, ou bien de la colère, face à cette révoltante situation. Les humains n'avaient donc aucune pitié, même envers ceux qui furent pourtant des leurs avant la récente expédition...

La Conseillère réfléchit à toute vitesse. Arriver à enlever le bouchon de la prison de verre sans se faire prendre avait déjà très peu de chance d'arriver.
Mais si en plus elle devait rentrer à la Citadelle avec un poids mort dans les bras... sachant qu'elle n'avait pas Freesia avec elle... non, c'était tout bonnement impossible.
Il ne lui restait donc plus qu'à dépêcher des renforts sur place. Mais ce sera sans elle... bien courageuse et pleine de ressources est la Fée qui réussira à faire deux aller-retours du Port à la Citadelle en une journée, sans compter son temps de vol supplémentaire entre les deux trajets.

Expirant un grand coup, la Fée des Feux tourne le dos au captif. Il est inutile de glisser quelques mots à quelqu'un d'inconscient.
Repassant par là où elle était entrée, Flammèche prend de la hauteur pour se rendre sur le toit de la bâtisse. Là, elle rassemble ses forces pour y créer quelques Feux Follets, qu'elle laisse léviter sur place afin d'indiquer la position du prisonnier à secourir.

Puis, sans attendre davantage, la féérique demoiselle se hâte jusqu'au Palais.
Elle ne fait guère attention au vent qui fouette sin visage à cause de la vitesse, ni à la fatigue qui commence lentement mais sûrement à se faire plus présente.
Et elle tente d'ignorer du mieux qu'elle peut ses ailes, qui lui font un mal de chien. Si elle ne se pressait pas autant, elle n'aurait probablement pas bronché. Mais là, elle file dans les airs, vole aussi vite qu'elle le fait en temps de crise.

En "temps de crise"...
Ça lui rappelle la Canicule. Ah, l'Impétueuse en avait fait des bornes pour s'occuper des feux de forêt intempestifs, à ce moment-là.
Et dire qu'elle n'était encore qu'une simple Fée des Feux parmi tant d'autres, à cette période ! Maintenant qu'elle était montée en grade, ce n'est pas la fatigue ni la douleur qui l'arrêteront en plein chemin.
Obéron se donne mille fois plus de mal qu'elle.

Alors elle peut le faire !

Elle doit le faire !


Et elle l'a fait !

- Laissez-moi passer ! Ne posez pas de question, je suis pressée, ouvrez vite !

Tinta-t-elle le plus fort qu'elle put en arrivant aux portes du Palais. Les gardes présents, comprenant son empressement, ne réfléchirent pas plus d'une seconde et lui ouvrirent juste assez vite pour la laisser filer à pleine vitesse à l'intérieur.
Jamais les couloirs ne lui avaient parus si étroits. Oh, si on la voyait voler ainsi en slalomant dangereusement, on lui reprocherait probablement son impolitesse et son manque de savoir vivre.
On aurait dit une folle !

Flammèche ne se posa qu'une fois arrivée non loin des Quartiers de la Reine.
Là, elle continua à pieds sans perdre de son empressement, tout en recoiffant nerveusement sa chevelure maltraitée par le vent et la vitesse. Son souffle était court, mais elle tenait bon.

- Il est tard, je sais, mais il faut que je voie Sa Majesté de toute urgence ! Une Fée s'est retrouvée dans une situation très critique.

Fit vivement la Conseillère des Feux avant même que le garde devant la porte des appartements de leur Souveraine ne l'apostrophe en la voyant arriver.
Ce n'est évidemment pas Crépuscule... logique, vu ce qui lui est arrivé lors de l'expédition. Ah, si elle avait pu s'y rendre elle aussi, rien de tout cela ne se serait produit... du moins, c'est ce dont elle préfère se persuader.

L'Impétueuse mit à profit son temps d'attente devant la porte pour reprendre son souffle et se recoiffer une nouvelle fois, constatant par ailleurs la disparition de la fleur qui ornait ses cheveux. Celle-ci au moins n'aura pas fini carbonisée.
Lorsqu'elle fut finalement invitée à entrer, c'est par une autre porte, donnant directement au Salon, qu'elle entra. Penétrant dans le cocon privé de la Reine des Fées, la Conseillère des Feux s'annonça d'une courbette qui faillit la déséquilibrer, tant ses jambes tremblaient à cause de la fatigue et de l'adrénaline.

- Votre Majesté, je suis navrée de vous déranger si tard, mais je venais vous annoncer qu'une des nôtres a été capturée, au Port ! Il s'agit...

Une pause, pour trouver le nom du Faux Fé emprisonné en faisant croire qu'elle reprenait son souffle. Inspiration, expiration.
Elle a trouvé, elle continue :

- ... Il s'agit d'Éclipse ! Un Pirate l'a enfermé dans un bocal de verre et le prend pour son ours en peluche. Il lui a probablement fait d'autres choses. Malheureusement, je n'ai pas pu le sauver seule...

Nouvelle pause, pour réellement reprendre sa respiration, cette fois.
Allez, encore un effort ! Ah, se montrer si fatiguée devant sa Souveraine ne devrait pas être permis.

- C'est soudain, mais il faut absolument envoyer une équipe sur place, au plus vite ! L'état d'Éclipse est vraiment inquiétant, j'ai peur qu'il ne réussisse pas à tenir jusqu'à l'aube...

Et si jamais il était déjà trop tard ? Si jamais il ne survivait pas par sa faute, parce qu'elle aurait pris trop de temps ?
Cette éventualité faillit lui couper le souffle un instant. Mieux valait ne pas y penser. Elle avait fait de son mieux. Elle n'avait rien à se reprocher.

- J'ai laissé des Feux Follets au niveau du toit de l'habitation dans laquelle il se trouve... ce n'est pas grand chose, mais c'est tout ce que j'ai pu faire...

Conclut finalement la Fée des Feux, dont le regard, toujours levé vers Mab, brillait de détresse et de fatigue.
Ah, comme elle avait dû être malpolie, de faire un si long monologue sans pause ! Mais elle n'en pouvait plus.
Le plus rageant dans l'histoire, c'est qu'elle savait qu'elle ne pourrait pas retourner sur les lieux. Si elle avait pu, les humains du Port auraient probablement eu à gérer une maison incendiée en pleine nuit.

Le Sigisbée contemple avec un sourire attendri sa reine, étendue dans ses draps de pétales et de mousse fraiche, lui faire la récitation d'un poème de son cru. La fatigue est toujours présente, mais son beau visage animé par les mots sautillant qui dévalent joyeusement de sa bouche  montre que peu à peu, la vie coule à nouveau dans ses veines. La langueur de ces doux moment restaure sa lumière, à lui comme à elle.
Son coeur de fée se gonfle de bonheur et de quiétude d'être ainsi le compagnon privilégié de ces instants légers. Des instants volés, précieux, intimes. Des instants qui ne concernent qu'elle et lui.

Mon aimée,
Tu es si belle...

Malheureusement, ce soir, la paix de leur conciliabule est destiné à être brisé.

-Majesté, êtes-vous éveillée ?
-Je suis debout. Que se passe-t-il ?
-La Haute-Conseillère des Feux cherche à vous parler. C'est urgent.
-Faites-la entrer dans le salon. Elle murmure à sa destination: Reste ici, s'il te plaît.

Le Sigisbée hoche la tête, silencieux comme une ombre. Il se glisse près de la porte entrouverte pour mieux entendre la conversation. Les paroles qui s'ensuivent figent son palpitant dans une cosse glacée. Une poigne ferme s'est saisi de ses entrailles et les presse pour en sortir toute la sève. Il n'est plus qu'angoisse. Angoisse et inquiétude.
D'une certaine manière, il est responsable de ce qui arrive à Eclipse.
Si il avait fermement insisté pour le reconduire auprès de son peuple, s'il avait écouté Verglas et opté pour une manière plus musclée d'agir, les conséquences ne seraient pas si dramatiques. Cependant, Obéron n'a jamais agit ainsi avec ses élèves : il les laisse apprendre de leurs expériences, positives comme négatives, et les aident à tirer leurs propres conclusions, les encadrant avec toute la bienveillance nécessaire. Il connaissait les risques encourus par l'attitude du renaissant. Il l'a laissé faire à sa guise, surveillant néanmoins ses faits et gestes.

Pas assez,
de toute évidence.

La colère de Mab crépite dans l'air, électrique. Elle risque d'y perdre toutes les forces si patiemment restaurées ces derniers temps. Le Bras-droit royal passe lestement par la fenêtre de la chambre de sa majestée, il contourne le bâtiment et fait son sont arrivée par l'une des arches balconées du couloir, à la grande surprise des gardes royaux. Il prend l'air le plus digne possible, coiffe sa longue tignasse échevelée, lisse ses ailes et s'avance vers la porte de la reine.

- Annoncez-moi, je vous prie. Je suis attendu.
- Bien entendu, votre florale seigneurie. Trois coups à la porte. Le Haut-conseiller des Flores demande audience. Il dit qu'il est attendu.
- Je le suis. Obéron pousse cavalièrement la porte et s'incline. Il s'apprête à mentir avec un aplomb qu'il est loin d'éprouver. Pardonnez-moi pour cette intrusion tardive ma reine, j'ai eu vent de très mauvaises nouvelles concernant... Il s'interrompt fait mine de remarquer Flammèche et s'incline. Je vois que d'autres ont été plus prompts que moi. Bonsoir Haute-conseillère des Flammes. J'imagine que vous veniez prévenir qu'un de ses sujets est victime de maltraitance. Si nous devons monter une équipe de sauvetage en urgence, je tiens à la mener. Eclipse est mon élève.

Et, si Obéron avait su la valeur de ce terme, il aurait dit : "Mon fils". Car si Mab aime les fées comme ses sujets, Obéron les aime comme un père.

- Ne cherchez pas à m'en dissuader. Ce soir, Eclipse sera délivré! Flammèche, me ferait vous l'honneur de faire partie de cette escouade ?

Oh, elle aurait tant voulu lui dire, elle aurait DÛ lui dire de se calmer pour lui éviter de se faire du mal... mais sa Reine ne lui aurait probablement pas accordé d'attention.
C'était prévisible, qui d'autre que leur Souveraine serait plus impacté de l'annonce d'une telle nouvelle ? Elle qui est si proche et attachée à son peuple... mais cet attachement peut parfois lui faire du mal.

À ce moment-là, Flammèche eut comme l'impression d'avoir fait une grosse bêtise. L'air qui crépitait dangereusement autour d'elle l'avait figée sur place, et elle en aurait probablement été tétanisée si elle ne se sentait pas plus inquiète pour Mab qu'autre chose.
Elle a vu que cet excès de colère ne lui avait pas fait du bien. Mais elle s'était tut, pour éviter de la contrarier davantage avec une telle remarque.

Cela ne l'empêche pas de changer tout au tout lorsque sa Reine la remercie, la complimente. La main de celle-ci, posée sur son épaule, finit par l'achever, et le petit cœue de la la Conseillère des Feux rate un battement.
Elle sent qu'elle a vraiment chaud... oh, elle doit probablement être toute rouge. Mab l'a touchée. Oh là là... Oh là là ! Quel honneur. L'Impétueuse ne sait plus quoi dire, et peine à contenir son enthousiasme soudain. Alors, elle hoche légèrement la tête, lèvres à peine pincées afin d'éviter de servir à sa Reine un grand sourire des plus idiots.
Un peu de tenue, voyons.

Flammèche n'eut même pas le temps de se calmer seule que quelqu'un d'autre le fit à sa place.
Ainsi entra son collègue Obéron, le Haut-Conseiller des Flores, à peine eut-il été annoncé.

- ... Je vois que d'autres ont été plus prompts que moi. Bonsoir Haute-conseillère des Flammes. J'imagine que vous veniez prévenir qu'un de ses sujets est victime de maltraitance.

- Bonsoir, Haut-Conseiller des Flores. C'est en effet le motif de ma venue, en tant que témoin direct.

Étrangement, la simple présence du Sigisbée lui enleva comme un poids, et elle ne savait pas vraiment si elle s'en réjouissait tant que ça. C'est qu'il avait la sale tendance, à ses yeux, d'éclipser autrui une fois qu'il se montrait.
Obéron semblait parfois savoir plus de choses, plus vite les autres - sauf cette fois, et toc. C'était un petit quelque chose qui le rendait à la fois fantastique, et suspect... suspectivement fantastique... ou fantastiquement suspect.
D'où tenait-il ses sources ?

L'Impétueuse ne l'avouera jamais, mais elle l'admirait beaucoup, et ne cessait d'essayer de faire mieux que lui, ce qui, en soi, n'était pas chose aisée.
Il semblait tellement parfait... mais cette fois, c'est elle qui marquait un point en l'ayant devancé. Ça avait un petit quelque chose de profondément satisfaisant.

Enfin, c'est pour dire qu'Obéron était officiellement entré dans la danse et prenait sans attendre les commandes des opérations avec son aisance habituelle.
C'est comme si tout allait s'arranger, d'un coup, et que l'on avait plus besoin de l'autre petite Conseillère, qui avait comme l'impression de se retrouver relayée au second plan.
Ça y est, c'est officiel, il venait de lui voler la vedette.
Tant pis, hein...

- ... Ce soir, Eclipse sera délivré! Flammèche, me ferait vous l'honneur de faire partie de cette escouade ?

... Ou pas.

- Évidemment ! Je me sens responsable du cas de notre congénère, et j'aimerais vraiment participer activement à son sauvetage.

S'empressa de répondre l'intéressée, qui finalement, ne se sentit plus si inutile que cela. Cependant, il y avait un souci. Pouvait-elle encore forcer assez longtemps et puiser dans ses dernières réserves pour se rendre sur place une dernière fois ? Ce n'était pas tant sa magie, le problème, mais ses ailes qui la faisaient souffrir.
Cependant, la Fée des Feux avait fait la promesse de revenir. C'était elle qui avait découvert Éclipse. C'était comme si elle avait seulement fait son devoir à moitié... et rien que d'y penser, elle s'en voulait terriblement. Elle pouvait faire plus... elle devait faire plus.
Pour son honneur.

- Après tout, je lui ai promis que j'allais faire quelque chose pour lui... mais paradoxalement, je ne me vois pas faire tout ce chemin à nouveau. C'est un coup à ne plus réussir à voler pendant un bon moment... et naturellement, Freesia n'est pas avec moi.

Fit-elle, un peu honteuse. Voilà ce qu'il en coûte de congédier son Lapillon en lui demandant sagement d'attendre son retour au sein de l'Archefeu.
Maintenant, elle avait désespérément besoin de son compagnon... ah, elle aurait dû y penser, quelle idiote.

- Mais je suis prête à faire mon maximum pour y aller. La situation est grave, mieux vaut être assez nombreux pour que cette mission de sauvetage soit un succès total. Après tout, il nous faut non seulement libérer Éclipse de sa prison, mais aussi l'emporter, et prévoir une riposte si son géolier se réveille...

Énuméra Flammèche tout en fixant sa Reine, ses prunelles brillant de détermination. Elle voulait participer à l'expédition, elle le devait, et ferait tout pour y parvenir.
Sinon, elle ferait une bien mauvaise Conseillère... du moins, c'est ce qu'elle pensait. C'est quelle avait une image bien particulière de ce rôle.

La reine semble s'apaiser quelque peu et le Sigisbée se rassénère. Mab ne s'évanouira pas de nouveau. Son esprit et toute son âme sont désormais dirigés vers Eclipse. Royale en toutes circonstances, Mab donne quelques ordres tout à fait pertinents. Son sens inné de la gouvernance la rend plus magnifique et noble encore, sachant que tout cela est fourni au débotté pendant sa convalescence.

-Obéron, pensez-vous qu'il est possible que Philomèle porte plusieurs des nôtres pour un aller-retour ? Il est inutile de penser qu'Éclipse sera en état de voler, lui non plus.
- Absolument! Je sais d'avance qu'elle ne m'aurait pas laissé partir sans insister pour me suivre. Il se tourne avec délicatesse vers la Haute-Conseillère des Flammes. Considérez ses plumes comme vôtre, Flammèche.

Leur souveraine leur distribue ses dernières consignes dont les maitres-mots sont : discrétion, rapidité, efficacité et prudence. Le Sigisbée hoche la tête et laisse la politesse à Flammèche de passer devant. Il se fend d'un baise-main discret à la reine, dont personne ne peut être réellement témoin dans la précipitation. En arpentant les couloirs pour descendre à la cour, il fait demander une épée à Pistil. Il hait l'usage des armes et pourtant il n'en demeure pas moins un bretteur honorable. Sous l'effet de sa magie, ses vêtements de gentilhomme tissés de pétales et de feuilles nervées se meuvent en écorce plus solide. C'est dans cette armure végétale qu'il foule le pavé extérieur et pépie dans la langue des oiseaux. Aussitôt, Philomèle vole à tir d'ailes pour atterrir auprès d'eux.
Le Haut-conseiller des Flores pivote vers son homologue des Flammes afin de lui tendre une aide courtoise pour l'installer douillettement sur l'hirondelle. Il prend place dans son dos et s'adresse à l'escorte qui leur a été allouée.

- Fées-chevaliers, nous sommes prêts. Comme nous l'a rappelé sa Majesté, seul l'exfiltration d'Eclipse compte : soyons discrets, prompts et sur nos gardes. La vie d'un des nôtres en dépend.

Ils décollent dans un grand bourdonnement et déplacement d'air.

Tiens bon, Eclipse!
Nous arrivons.

Pendant un instant, Flammèche crut que sa Reine allait lui interdire de participer à l'expédition, au vu de son état. Apparemment, la petite Fée des Feux sut la convaincre du contraire grâce à sa détermination flamboyante.
Ah ! Elle sentait son cœur se gonfler de courage. Il ne fallait en aucun cas décevoir Mab ! Après tout, le simple fait qu'elle laisse finalement partir sa fidèle Conseillère n'est-il pas la preuve la plus flagrante de la confiance qu'elle lui accorde ?
Ils devaient réussir !

- Obéron, pensez-vous qu'il est possible que Philomèle porte plusieurs des nôtres pour un aller-retour ? Il est inutile de penser qu'Éclipse sera en état de voler, lui non plus.

- Absolument! Je sais d'avance qu'elle ne m'aurait pas laissé partir sans insister pour me suivre. Considérez ses plumes comme vôtre, Flammèche.

- C'est très aimable de votre part, à tous les deux. Veillez à bien récompenser Philomène après coup; la soirée sera bien chargée pour elle aussi !

La reconnaissance que l'Impétueuse éprouvait envers Obéron et son compagnon à plumes ne fit que renforcer sa détermination et mener à bien cette mission de sauvetage.
Tout devait être parfait !

Les ordres étaient clairs et simples : s'occuper d'Éclipse était la priorité, tout en évitant du mieux possible les interactions avec l'humain. La discrétion était bel et bien la clé, évidemment.
Pour Flammèche, ce n'était pas un problème : elle l'avait fait une fois, elle pouvait bien le refaire. Qui plus est, ils seraient bien accompagnés. Les chances étaient à coup sûr de leur côté !

"Soyez prudents."

Furent les derniers mots de leur Souveraine avant qu'elle ne leur indique la porte de la main. Ce fut Flammèche qui la franchit la première, remerciant la galanterie de son collègue par un petit signe de tête.
Voilà qu'une véritable délégation de Fées se trouvait maintenant dans la cour du Palais, Philomène atterrissant à leurs côté à peine fut-elle appelée, comme si elle attendait son heure depuis le début.
Et une nouvelle fois, le Conseiller des Flores aida sa petite collègue à s'installer sur l'hirondelle. Cette fois, ses remerciements furent accompagnés d'un rougissement léger, qui se dissipa au décollage.

Maintenant, elle devait se concentrer sur leur mission !

❦ ❦ ❦ ❦ ❦ ❦ ❦ ❦ ❦ ❦

Flight of the Order of the Phoenix

Le voyage paraissait beaucoup moins long qu'à vol de Fée. Ou alors, l'Impétueuse appréciait-elle plus le paysage qui défilait sous ses yeux, et qui lui permettait de se repérer ?
Tout à l'heure, elle ne faisait que voler aussi vite qu'elle le pouvait sans se soucier du reste, après tout. Et puis, on ne peut pas dire que Freesia soit une monture très rapide. Ses ailes avaient beau être grandes, un Lapillon restera toujours moins rapide qu'une Hirondelle.

- Dirigez-vous vers les Feux Follets ! Nous nous poserons sur le rebord de la fenêtre à gauche, en-dessous du toit de cette bâtisse.

Indiqua la Conseillère des Feux en désignant du doigt les deux petites boules de feu lévitant toujours au-dessus du toit, prévieux indicateurs de position qui n'étaient encore que de simples points lumineux, comme deux yeux qui vous fixent, un peu plus loin.

Après arbres et prairies, c'était maintenant une véritable jungle de bois et de pavés qui se dessinait sous eux, alors qu'ils arrivaient à destination.
Le petit groupe se posa sur le toit en question, puis descendirent de leurs montures. Flammèche s'avança de manière à avoir tout le monde en face d'elle, puis expliqua la situation en détails :

- Bien. Éclipse se trouve dans une prison de verre fermée d'un bouchon percé de trous. La prison est gardée par un homme qui l'a calée sous son bras et qui, je l'espère, est encore assoupi.

Un regard derrière elle, comme si elle s'attendait à entendre les ronflements de l'individu depuis la fenêtre entrouverte.
Vu son état et la forte odeur d'alcool qui émanait de lui, ce serait malheureux qu'il soit encore debout.

- À partir de maintenant, je passe la main à mon collègue. Bonne chance à tous.

Ajouta la Fée des Feux en faisant quelques pas en arrière, laissant le passage libre de la fenêtre entrebaîllée.

Malgré son visage composé, ses manières attentionnées, Obéron est gagné par une angoisse sourde, intense, celle de ne pas arriver à temps cette fois-ci. Il ne pipe mot, se laissant porté par le vol gracieux de l'hirondelle et les indications de son homologue enflammée. Lorsque les toits des habitations humaines agglutonées sur le port se découpent en masses noires sur le rideau de la nuit, constellés par les tâches orangées des lanternes, le Sigisbée déglutit.

Faites que tu sois en vie !
Ne meurs pas, Eclipse, je t'en prie.

Flammèche leur fait un rapport de haute voltige et d'une grande précision. Obéron se penche à la fenêtre pour se faire une idée visuelle de ce résumé. Horrifié, il constate que le renaissant est nu. A cette distance, il ne peut pas distinguer précisément ses blessures, mais la lueur de fae est si faible qu'il y a fort à parier qu'il est dans un état désastreux. Aussitôt, son cœur s'étreint avec force. Son expression de peine douloureuse teinte le lilas de son aura de bleu ardoise et de nuances d'indigo.
Il prend une profonde inspiration.
Ses traits abandonnent leur affliction pour retrouver une assurance souveraine.

- Flammèche, restez sur le dos de Philomèle et préparez-vous à accueillir le rescapé pour un décollage imminent. Halo, vous aurez pour mission de détourner l'attention du pirate si jamais il se réveille. Je ferais bourgeonner le bouchon de liège pour qu'il sorte de ses gonds, pendant qu'Autan créera une bise pour soulever le corps d'Eclipse et le sortir du bocal.  Nous allons nous engouffrer par cette brèche. Il désigne la jointure entre le verre de la fenêtre et le bois de son cadre. Gour, vous surveillerez cette sortie tout en protégeant la Haute-Conseillère des Flammes.

Il regarde chaque membre de l'escouade.

- Avez-vous tous bien compris ?

Les trois soldats assènent un "Oui, Haut-conseiller", chuchoté à l'unisson.

- Alors allons-y !

Halo entre, suivi du Sigisbée et d'Autan. Ils s'approchent en voletant le plus discrètement possible. Autan se pose en faction sur le sommet de l'oreiller, surplombant  l'humain qui ronfle comme un sonneur, prêt à agir à tout instant. Obéron s'adresse silencieusement au prisonnier, lui faisant un sourire chaleureux et bienveillant, tout en posant un index sur sa bouche. Les paumes au contact du liège, celui dont le printemps est la saison, puise en la matière végétale inerte et transformée, la vie qui lui fait défaut. Un parfum florale, inévitable, se dégage du fae alors que du bouchon pousse de minuscules tiges vertes prêtes à fleurir. Les bourgeons remuent si fort qu'il font levier sur la paroi du bocal. Le bouchon saute avec un petit "pop" discret mais qui met tous les sens de l'équipée en alerte.

Moment en suspension où chacun retient son souffle...

Le pirate gigote vaguement mais ne semble pas se réveiller. Obéron fait signe à Autan d'agir. Il faut désormais évacuer, et le plus rapidement possible.