Le bruit des gouttes d’eau contre le toit sort San de ses pensées, qui était jusque-là plongée dans l’esquisse d’une nouvelle idée qui lui passait par la tête. Elle n’avait pas grand chose à faire, aujourd’hui : le verni posé sur l’une de ses nouvelles commandes devait sécher, et il n’y avait pas foule au vue de la mauvaise météo.

Assise sur la chaise qui se trouvait derrière le comptoir, la birmane avait disposé son support de dessin sur ses jambes. Elle est cependant sortie de ses pensées lorsque la porte de la boutique s’ouvre à la volée, faisant sonner la petite cloche disposée au-dessus.
Une voix familière s’élève, et San redresse la tête par réflexe. La silhouette détrempée se tient toujours devant la porte.

- Pas de souci. Vous voulez une serviette ?

Elle ne formule cette proposition que parce que l’inconnu lui parait très poli. San attrape une serviette qui se trouve à coté d’elle et finit par se relever, rajustant les plis de sa tenue de travail aux allures de kimono. En portant son regard vers l’inconnu, elle fronce les sourcils. Si la voix lui était familière, ce n’était pas pour rien : elle l’avait déjà vu, mais il fallut un court instant pour que ses souvenirs se rassemblent. C’est que les noms des connaissances qu’elle ne fait que croiser lui échappent...

- Vijendra ?

Mais oui, c’est bien lui. Du moins, c’est l’apparence qu’il avait lorsqu’ils étaient en expédition pour récolter des rires dans le Monde Ordinaire. San se souvient très bien avoir été intimidée par lui - comme elle l’était pour n’importe quel Pirate, avant de se raviser. Vijendra ne paraissait pas spécialement méchant, et il était sans doute d’une compagnie agréable si on appréciait les gens bavards.

San pose son matériel de dessin sur le comptoir puis le contourne pour rejoindre Vijendra, qui se tient toujours près de la porte. En se rapprochant davantage, quelque chose lui parait vraiment étrange. Son teint. Ses oreilles. Mais elle n’ose pas le formuler clairement.

- ... Vous allez bien ?

Elle lui tend la serviette.
Est-ce que c’était vraiment la bonne question à poser ?

La situation est très délicate, et San doit bien avouer qu’elle ne sait pas quoi dire, ni quel geste faire. Maintenant qu’elle y songe, c’est vrai qu’elle n’avait pas vu Vijendra sur le chemin du retour après la récolte des rires. Il était revenu en retard, et l’Artisane se souvenait très bien des paroles de la Reine des Fées : un retour différé condamnait les retardataires à garder à tout jamais l’apparence d’une fée.

Vijendra n’avait clairement pas sa place au Port. San ne pouvait qu’imaginer les moqueries ou les obstacles auxquels il faisait face depuis son retour. Il aurait été bien mieux auprès des Fées... Mais la réalité pouvait être dure à accepter, et la Pirate était très bien placée pour le savoir. Combien de temps lui avait-il fallut pour accepter qu’elle avait grandi, qu’elle ne pourrait plus jamais retourner au Grand Arbre ?

Un très long moment.
Et quoiqu’on aurait pu lui dire à ce moment-là, San n’aurait pas été d’accord.

Ça ne servait donc à rien de le contredire, ni d'en discuter. En revanche, Vijendra lui faisait de la peine, et elle se doutait bien que cette situation le faisait souffrir, encore plus après la maladresse de sa question. Elle change donc très vite de sujet.

- Je m’appelle San, maintenant. Elle lui adresse un sourire chaleureux. Inutile de s’excuser. Venez vous installer devant le comptoir, je vais vous chercher une chaise.

La birmane contourne le comptoir et récupère la chaise sur laquelle elle était assise. Elle en profite pour ranger son croquis, et pour réaligner correctement les petites figurines représentant des animaux en bois qui sont toujours posées sur le comptoir. Vijendra jette un coup d’oeil à la boutique, et ses remarques, bien qu’elles soient simples, vont tout droit dans le cœur de San. Elle y est d’autant plus sensible qu’elle a en partie construit cet endroit seule, de sa propre initiative. C’est probablement la chose la plus ambitieuse qu’elle ait fait de sa vie, et elle ne regrette rien.

- Oui, j’ai terminé les travaux il y a peu. Il n’y a pas grand monde avec la météo d’aujourd’hui, et j’ai des commandes en cours. Je pourrais vous faire visiter si vous voulez.

Quoique ça ne l’intéresse peut-être pas. San pose la chaise devant le comptoir, et glisse un tabouret pour elle. Elle retourne ensuite au seuil de l’arrière-boutique, afin de récupérer une bouilloire et de la placer sur une minuscule cuisinière dont le feu crépite encore à l’intérieur. Par chance, il lui restait encore des feuilles de thé noir.

- Je vais faire du thé, commente-t-elle en récupérant deux tasses.

Elle ne dit rien de plus. A vrai dire, ça l’embêterait un peu que Vijendra tombe malade après s’être pris une pluie torrentielle sur le coin de la figure. Il ne lui manquerait plus que ça. L’eau bout enfin, et la birmane laisse le thé infuser, avant de déposer deux tasses fumantes sur le comptoir et d’en glisser une vers le Pirate... ou l'ancien Pirate.

- J'en serais ravi ! Tous ces schémas... C'est superbe. Mais ça a l'air drôlement compliqué ! J'ai rarement vu ce genre de tracés sur l'Île. Où est-ce que vous avez appris à faire tout ça ?
- Merci beaucoup, répond San dans un grand sourire. J’ai appris à dessiner pendant le Givre grâce à un historien du Port. Je vous avoue que j'esquisse un peu ce qui me passe par la tête...

Il faut dire que les plans de San n’avaient aucune ressemblance avec les plans types. Elle faisait beaucoup de chose à sa propre sauce, et certains l’avaient rapidement compris tandis que d’autres gardaient une certaine forme de perplexité. Mais le plus important était le résultat, non ?
Il était bien gentil, en tout cas. San comptait donc lui faire visiter sa boutique dès qu’il finit sa tasse. Cela lui permettrait peut-être de se changer les idées. Elle voyait bien que Vijendra n’était plus le même qu’avant : plus effacé, tout comme elle l’avait été il y a quelques temps déjà.

Elle a un pincement au cœur lorsqu’elle remarque l’émotion qui gagne le visage de son interlocuteur, puis ses yeux trop brillants. A vrai dire, elle ne se doute pas que c’est sa gentillesse qui le touche à ce point : San a toujours été comme ça. A l’écoute, sans forcément donner des conseils. A simplement être là. Et à être trop maladroite lorsqu’elle tente de rassurer par les mots. La parole n’est pas son fort, l’air de rien, d’autant plus dans ce genre de situation. La birmane n’est loquace que lorsque la conversation devient toute trouvée et fluide. Là, ce n’est pas forcément le cas.

- Vous avez assez chaud ? Je peux augmenter le feu de ma cuisinière si vous voulez.

C’est probablement la technique la plus maladroite qu’elle ait utilisé - d’autant que les cheveux pas tout à fait noirs de Vijendra sont déjà secs... Pour autant, San ne le montre pas. Elle ne montre jamais grand chose, si ce n’est son air calme et statique. Même si au fond, elle ne sait pas trop quoi faire. Au final, son regard tombe sur les figurines disposées sur le comptoir.

- Vous pouvez vous servir, si vous voulez, reprend-t-elle en faisant un geste de la main vers ses alignements de bestioles en bois en tout genre - lion, panthère, oiseau, ou chimères. Je ne les vends pas, et elles me servent uniquement de décoration. Ça me permet de m’entrainer à la sculpture en bois.

Elle saisit le premier qui lui passe sous la main : un petit oiseau aux ailes déployées. Il n’est pas terrible, aux yeux de San. Les ailes ne sont pas assez précises, les plumes pas assez détaillées... Mais bon, ce n’est qu’un entraînement. Elle le montre quand même à Vijendra.

- Je sculpte un morceau de bois au couteau pour réaliser ce genre de figurines. C’est parfois laborieux... Elle lui montre sa main libre, parsemée de petites égratignures dues aux coupures et aux échardes. Mais ça prend forme à force. Enfin, je crois, rajoute-t-elle dans un petit rire.

Elle repose la figurine, et boit une gorgée du thé brûlant et visiblement trop dosé. Au contact de ses lèvres avec le liquide, la birmane grimace un peu. Elle ne s’est toujours pas fait aux subtilités du dosage des feuilles de thé...

San sourit - encore une fois - à Vijendra. L’accueillir ne le dérange pas, au contraire. Elle avait bien senti qu’au fond, ce devait être quelqu’un d’aimable et de gentil. C’était rare sur le Port, mais San avait passé beaucoup de temps à fuir les gens lorsqu’elle travaillait encore auprès de Moriko. Doucement, elle réapprenait à parler aux autres, parfois à se confronter à eux.

- Oh vous en faites plein de différentes... J'aime bien. Est-ce que vous choisissez le bois en fonction de l'animal que vous souhaitez représenter ?

A la question de Vijendra, elle hausse les sourcils. Son idée n’est vraiment pas bête, et elle n’y avait jamais pensé.

- Ce serait une bonne idée... Mais je ne reçois pas toujours le bois que je veux, faute de moyens. Mes fournisseurs m’apportent ce qu’ils trouvent. Vu que je m’entraîne, j’utilise un bois de piètre qualité et je garde le bon pour mes commandes.

Elle boit une nouvelle gorgée de thé, puis garde la tasse entre ses mains. L’empathie soudaine de Vijendra pour sa main la surprend un peu. Il faut dire que c’est une facette de sa personnalité qu’elle ne connaissait pas, et à laquelle elle ne s’attendait pas.

- J’ai l’habitude, ne vous en faites pas, je ne sens quasiment plus rien à force. Et j’ai de l’alcool pur pour me désinfecter au cas où...

Si San baisse les yeux vers les caisses rangées sous le comptoir, elle s’inquiète une nouvelle fois de l’état de Vijendra lorsqu’elle repose son regard sur lui. Il a l’air dans ses pensées, encore une fois. Si elle ne dit rien, la birmane mourrait à nouveau d’envie de lui dire de rester chez les Fées. C’est un peuple communautaire et soudé, bien plus que les Pirates. A fuir aussi longtemps sa forme féérique... l’Artisane n’est pas psychologue, mais elle sait que ce ne serait pas du tout bon pour le bien-être mental de l’ancien Pirate. Mais que peut-elle dire ? Elle n’est en rien légitime pour lui faire une remarque, et ne peut que rester là, à le regarder souffrir.

- J'ai hâte de voir vos prochaines réalisations... Vous me les montrerez ? C'est déjà très bien fait je trouve ! Ca doit être plus difficile de sculpter que de dessiner, je n'ai jamais essayé...

Vijendra n’a pas l’air convaincu de ce qu’il dit, mais San ne doute pas de sa sincérité.

- Bien sûr. Vous pouvez repasser quand vous voulez, vous serez toujours le bienvenu. C’était sincère - on ne peut plus sincère. Et la birmane espérait que ça se voie. Si l’envie vous prend, je pourrais vous donner un cours de sculpture hors de mes heures de travail. Je devrais ouvrir un cours, si ça intéresse d’autres Pirates, rajoute-t-elle sur un ton taquin.

L’attention de San est quelque peu dévié par la proposition de Vijendra. A la fois perplexe et intéressée, elle pose sa tasse de thé quasi vide sur le comptoir, et pose son regard sur l’Infortuné.

- Industriel ?

C’est qu’elle ne connait pas du tout ce terme - enfin, si. Elle connait le mot, elle l’a déjà entendu. Mais dans le contexte d’un dessin, elle ne voit pas du tout ce que cela signifie. Et ça attire encore plus sa curiosité.

- Ce serait avec plaisir. Vous travaillez tous les jours à la librairie ? Je pourrais passer récupérer les dessins dès que possible. Est-ce que vous voulez un paiement pour mon emprunt ?

Par réflexe, la birmane glisse sur son tabouret et se redresse, partant poser sa tasse vide à côté de sa cuisinière. Malgré l’âpreté du thé, elle se ressert une tasse et revient vers le comptoir pour consulter son registre de commandes. Elle est presque étonnée d’être un poil en avance sur ses tâches à faire. Tant mieux, à quelque part.

- Le thé est trop chaud pour vous ? Demande-t-elle en constatant que Vijendra n’a pas encore entamé sa tasse. Il est peut-être un peu fort... J’ai encore beaucoup de mal à doser convenablement.

- Eh bien... J'admets que ça m'intrigue, pour la technique. Je dessine beaucoup dans mon travail mais comme je vous le disais je n'ai aucune notion en sculpture. Mais euh... Peut-être avec de l'argile, plutôt ? Vous faites des sculptures en argile ou pas du tout ?

Décidément, Vijendra est vraiment gentil. San s’en rend bien compte ; il répond aimablement à tout ce dont elle lui parle, et il l’écoute sans broncher. En revanche, à la fin de sa question, elle lui adresse un sourire d’excuse.

- Je n’ai jamais essayé, mais ça pourrait être intéressant.

Dommage qu’elle n’ait pas la place - pour l’instant, du moins. Si son affaire continue de bien marcher, il y a fort à parier qu’elle doive agrandir son échoppe.
A nouveau, elle écoute attentivement Vijendra. San ne peut cacher sa surprise : elle ne voit que vaguement de quoi il parle, lorsqu’il évoque la manufacture des produits du Monde Ordinaire. La birmane est bien loin de se visualiser toute l’industrialisation qu’il y a autour. Fascinée, elle hoche la tête en signe d’affirmation. Ses yeux pétillent déjà, rien qu’à l’idée de ce qu’elle pourrait découvrir dans ces plans...

- Je serai très curieuse de les étudier. Je passerai à la librairie dès que je le pourrais. Merci beaucoup de votre proposition, en tout cas.

Au final, Vijendra finit bien par lui dire qu’il aimerait du sucre. Heureusement qu’elle l’a prévenu ; ce serait vraiment malpoli de faire boire un thé aussi mauvais à quelqu’un. La jeune femme retourne donc vers sa cuisinière, afin d’y récupérer des morceaux de sucre taillés grossièrement et disposés dans un petit bol en bois de sa fabrication. Elle le dépose à côté de la tasse de Vijendra, et se rassoit à côté de lui.

- J’espère que ça vous ira. San marque une pause, avant de rajouter : Vous avez peut-être faim ? Je peux vous faire à manger, si vous le souhaitez.

Il n’y avait pas grand chose dans son garde-manger, mais c’était déjà mieux que rien. Dehors, l’averse semblait s’être calmée, et l’Artisane n’entendait plus que de rares grosses gouttes qui s’écrasaient sur le toit de son atelier. A cette pensée, elle tourne la tête en direction de l’arrière-boutique : la dernière fois qu’il y a eu une averse pareille, elle avait oublié de fermer la fenêtre... et avait dû reprendre en partie sa commande. Elle pousse un soupir de soulagement en apercevant la petite fenêtre de l’arrière-boutique fermée à double-tour. Au moins, elle ne l’a pas oublié, cette fois-ci...

San retient un sourire en voyant Vijendra noyer le sucre dans sa tasse de thé... ou le thé dans son sucre. Il fallait vraiment qu’elle s’améliore sur le dosage, afin de faire bonne impression à ses invités.

- Je serais ravi que vous me fassiez visiter. Si c'est toujours d'accord !

La birmane a toujours le regard tourné vers l’arrière-boutique. A la proposition de l’Infortuné, elle tourne la tête vers lui et lui adresse un regard un peu surpris. Sans savoir pourquoi, d’ailleurs. C’est elle qui l’avait invité en premier à lui faire visiter, après tout...

- Oui, bien sûr ! Mais il n’y a pas grand chose à voir. Mon échoppe n’est pas très grande pour l’instant.

C’est qu’elle ne sait pas trop contenir son enthousiasme, surtout dans ce genre de situations. L’Artisane ne cherche pas non plus à se reprendre, jugeant qu’elle se trouve bien assez en confiance lorsque Vijendra est dans les parages. San fait quelques pas en direction de la cuisinière, et invite le Pirate - ou l’elfe - à la suivre. Il n’y a que deux mètres, entre la cuisinière et l’entrée de l’arrière-boutique. La pièce est assez grande pour contenir trois à quatre personnes, pas plus : en revanche, la hauteur de plafond est bien plus impressionnante que pour la pièce principale.

- Voici l’arrière-boutique. En temps normal, elle n’est pas accessible aux visiteurs.

Elle tend la main vers l’une de ses dernières grosses commandes, disposée sur des planches au centre de la pièce : une commode assez large, munie de quatre tiroirs solides. En vérité, il ne s’agit pas vraiment d’une commande : plus d’un cadeau imprévu pour Eileen et Asher, qui ne sont pas au courant. Autour de la commode s’étend un grand établi et des monticules de planches et de manches taillés pour de futurs outils. Sur une table, au fond de la pièce, s’empile encore une fois du bois taillé, représentant des silhouettes plus ou moins grossières. Juste au-dessus se trouve un panneau à outils.

- Faites attention à ne pas vous cogner, reprend San en s’avançant vers la fenêtre de la pièce, afin de vérifier si elle est bien fermée. Depuis le Dégel, je reçois beaucoup de commandes d’outils ou d’échelles.

Le monticule de manches en bois et de débuts d’échelles parlaient pour elle. Fort heureusement pour elle, son passif de Chef des Artisans au Grand Arbre lui avait donné le loisir de confectionner à tout va des outils et des échelles.

- Je suis ici la plupart du temps, et ma chambre se trouve au deuxième étage. Je m’essaie plus sérieusement à la sculpture en bois par ici, reprend-t-elle en pointant la table coincée au fond de la pièce, où se trouve les formes de bois taillées. Ça ne ressemble pas à grand chose...

Voire à rien du tout, pense-t-elle en jugeant du regard le lion en bois dont l’expression n’est que très peu travaillée.

- Quant aux manches en bois, j’attends de recevoir le métal de chaque outil afin de le fixer et de pouvoir vendre ces outils à ceux qui me l’ont demandé. Il n’y a pas beaucoup de forgerons sur le Port, malheureusement...

San s’arrête, et adresse un regard à Vijendra. Un peu désolé, peut-être : c’est qu’elle a vraiment tendance à s’emporter, et les histoires des commerçants n’intéressent pas forcément les habitants du Port.

San était tout aussi ravie que surprise de découvrir un Pirate plus loquace, comme l’avait été Vijendra lors de leur première rencontre. Elle n’ose pas l’interrompre, se contenant de lui adresser un sourire ravi à chacune de ses interventions. Eclipse la suivait, et s’était même arrêté devant l’établi où trônait ses sculptures animales en bois.

- Vous êtes décidément très dure avec vous même. Je l'ai déjà dit mais ça ne doit pas être facile à faire et je trouve que c'est déjà très réussi. Je suis sûr que vous allez continuer de vous améliorer et que vos réalisations vont être de plus en plus précises et détaillées.
- Merci, vous êtes vraiment adorable, lâche San dans un sourire qui trahit son émotion. J’ai toujours été très perfectionniste, et ces lions ne me satisferont pas tant que je n’aurais pas amélioré ma technique de taille. C’est la même chose pour cette commode, je n’ai pas assez poncé son sommet... continue-t-elle en passant la main sur le meuble. Sous sa paume, elle sent les dernières imperfections à éliminer.

Vijendra continue son tour, et la birmane note la nostalgie qui l’étreint au fur et à mesure qu’il parle, qu’il pose ses questions... et qu’il en arrive à parler de sa vie dans l’Ordinaire. Si San cligne des yeux en entendant des mots qui lui sont totalement inconnus, elle reste impuissante face à ses yeux qui brillent soudainement. S’il est le premier à changer de sujet, l’Artisane est plus lente à réagir.

- Oh... oui, je dois en avoir une à l’extérieur, mais elle n’est pas à vendre. Vous en avez besoin pour quoi en particulier, sans indiscrétion ?

Sa curiosité la reprend, et elle embraye rapidement :

- Je n’ai jamais fabriqué de papier étant donné qu’on ne me l’a pas demandé. Mais si votre libraire me passe une commande, je pourrais tenter m’y mettre.

Si San connait la théorie de la fabrication du papier, elle n’a jamais mis en pratique ce qu’on lui a appris, ou ce qu’elle a pu observer ailleurs. Ce serait pourtant l’occasion de s’y mettre, qui sait ?

- ... Excusez-moi de revenir là-dessus, reprend-t-elle après une courte hésitation, mais vous entendez quoi par « robotique » et « intelligence artificielle » ?

Ce n’est pas la première fois qu’elle posait des questions aux autres sur des sujets trop modernes : déjà au Grand Arbre, elle se souvenait de Cyber et de son vocabulaire insaisissable.