Te porter volontaire pour t’éloigner, c’est une habitude. Tu as été un peu surprise, lorsqu’un autre perdu t’as rejointe, qu’il est devenu apparent que non, tu n’allais pas voyager seule. Parfois, tu te retrouves avec des compagnons autres que tes carnets remplis de dessins, de petits morceaux de nature. Du moment que l’autre est capable de se débrouiller, ça ne te pose pas franchement de problème. Certes, tu n’auras pas la liberté de l’errance, de suivre ta radio qui te balade d’un bout à l’autre de l’île. Une mission reste importante pour que l’île continue à tourner, même si pour le coup on demande uniquement d’aller vérifier que le Puits continue à fonctionner correctement—visiblement quelqu’un n’en est pas revenu, égaré dans des souvenirs, ou bien simplement perdu en chemin.

La formulation est juste assez floue pour que tu ne sois pas certaine que ça soit une mission de sauvetage, et qu’au final tu te dises qu’on veut juste que tu sois certaine que le Givre n’est pas déréglé le Puits. Alors tu te prépares, sac à dos, hache et toutes les armes que tu te trimballes, juste pour te sentir mieux, pour avoir de quoi te défendre fasse à tout. Quoique peut-être pas en ce qui concerne tes souvenirs. Ah, c’est que tu enfonces tes talons dans le sol et refuses de te retourner pour les accepter. Un soupir passe tes lèvres, tandis que vous quittez l’Arbre, un truc léger ; tu as encore des blessures de ta dernière sortie, lacération bandée à l’épaule, deux doigts maintenus ensemble d’un côté. Rien qui serait capable de t’arrêter. Sous ta veste légère, dénuée de manches, t-shirt ample qui glisse un peu, tu sais que l’on voit tes bandages. Tu t’en fiches, ça n’aura pas d’incidence sur ton efficacité. Et puis, être moins couverte, ça te permet de montrer ta plus grande fierté ; tes tatouages.

Tu n’as pas grand-chose à dire, solitaire endurcie qui se permet tout de même un signe de tête, accompagné d’un simple « Cloud, tu es familier avec le lieu ? » et c’est une phrase ma foi bien longue. C’est suffisant, non ? D’aller droit au but. D'ailleurs, tu ne le connais pas, ton compagnon.

Pas encore.
Quoique le dernier avec qui tu as été en mission, dans l'Ordinaire, tu ne l'as jamais revu.

Il s'en fout des missions, Cloud. Sûrement parce qu'il n'est plus à ça près et que ça ne lui fait ni chaud ni froid d'aller risquer sa peau à l'autre bout de l'Île. D'habitude on ne le choisit jamais parce qu'il est tout cassé, parce qu'il est faiblard et parce qu'il est d'une lenteur exaspérante. Il y a aussi le fait qu'il ne peut pas se déplacer sans sa cargaison de beuh et qu'il y en a que ça rend dingue. Mais Peter Pan fait ce qu'il veut et pourrait tout autant piocher les noms dans un chapeau que ce serait pareil. Sauf qu'il ne sait pas lire.

Quand on vient le chercher, il est posé dans l'Atelier, presque invisible sous sa fumée, les mains occupées avec un quelconque bidule à rafistoler. Il faut lui répéter trois fois avant qu'il ne comprenne, mais il ne s'étonne pas, rien ne l'étonne plus vraiment. Dans ses affaires il ne prend que deux gourdes d'eau et un vieux pull, certain qu'il n'aura pas faim et que même s'il avait faim ce ne serait pas un problème. Quand il se lève de sa chaise, il est déjà bien fatigué. Le Nuage flotte derrière lui alors qu'il le quitte le temps de rejoindre sa coéquipière. Il ne connaît pas cette fille comme il ne connaît pas grand monde à force de rester terré dans sa bulle.

Cloud allume un joint d'emblée et emboîte le pas de Goner. Elle a l'air dégourdie, elle l'est forcément plus que lui. Il n'a même pas besoin de se rappeler des détails de la mission parce qu'elle a l'air de savoir ce qu'elle fait. Il l'observe à la dérobée, elle et tous les détails qui criblent sa peau. Ils restent longtemps en silence, traversant la rivière enchantée puis s'enfonçant dans la jungle qui s'épanouit entre le château des singes et l'ossuaire. Le Transparent ne pense à rien, on dirait qu'il va s'envoler avec son t-shirt immense - ou c'est lui qui est trop maigre.

Cloud, tu ... le lieu ?

Il ne s'est pas vraiment attendu à ce qu'elle lui adresse la parole alors il n'a pas eu le temps de faire attention exactement aux mots. Mais il ne se plaint pas et répond assez vaguement, la voix voilée :

Non, c'est où ?

Cloud ne quitte même pas son indolence et tire une taffe avant de s'enquérir, avec un sourire pour que ça passe mieux :

Désolé, toi c'est qui ?

Il n'en sait rien parce qu'il n'entend jamais la moitié de ce qu'on lui dit et parce qu'il se garde bien de le dire. Leurs pieds à présent s'ensevelissent dans le sable doré du désert. Le soleil brille plus fort que jamais et les éblouit. Il n'a pas la moindre idée d'où peut se trouver le puits, il n'a fait que suivre le mouvement jusqu'ici et de toute façon, maintenant, il est focalisé sur Goner pour ne plus rater le wagon de ses paroles.

La voix ne t’arrête pas ; tu la laisses couler, par habitude. En général, tu évites bien d’entamer des conversations, par manque d’envie de les refermer. Par toi-même, tes erreurs ont une importance moindre, elles n’ont de conséquences que pour ton corps qui est toujours rafistolé avec les moyens du bord par manque de soin. Des doigts bandés tapotent contre la radio accrochée à ta taille, espérant presque un quelconque signal pour t’orienter ailleurs. Bien sûr, c’est toujours dans ces moments là qu’elle reste muette.

« Goner. Puit, » tu lâches, sans te soucier qu’il retienne ou non. Du moment que Cloud ne va pas se jeter la tête la première au fond de votre destination, ça ira. Le sable est en train de s’infiltrer dans tes chaussures, l’une après l’autre, et ce n’est rien comparé à la soif qui se fait une place dans ta gorge au fur et à mesure que le soleil vous tape dessus. Pas le moment d’ouvrir la flasque, pas pour l’instant. Tes mains ne tremblent pas encore, tu ne te sens pas acculée dans un coin de ta propre tête.

L’envie reste tapie, malgré tout.

Tu as remarqué l’odeur qui accompagne Cloud, la reconnaissant sans peine. Ce n’est pas bien dérangeant, ça te ramène à des avions qui passaient trop près par-dessus un quartier mal placé, des soirées dans des baraques toutes identiques de la cuisine aux photos sur les murs. Tu t’en fous, de ton passé, et du sien. Il a une tête d’amoché aussi, mais ça court les rues par ici.

Tu te tournes vers lui, le détaillant, pour ensuite reprendre la route. Vous ne devez plus être très loin.