Sujets similaires

Au Port, il y avait une librairie. Cette librairie était installée dans une sympathique masure qui comportait deux étages. Le rez-de-chaussée était massif : c'était là qu'on trouvait les rayons pleins de livres, de plans et autres rouleaux plus ou moins précieux qu'Henrik - le propriétaire des lieux - collectionnait, cataloguait, reliait et vendait. C'était aussi là qu'on trouvait l'arrière-boutique, dans laquelle se trouvait les salles de travail du libraire ainsi que des appartements qui auraient tout aussi bien pu être ses quartiers principaux.

On accédait à l'étage par un escalier en colimaçon qui se trouvait dans le hall de la maison, du côté par lequel on accueillait les clients. C'était ici que se trouvait l'atelier du scribe, apprenti du libraire dont la tâche était de recopier textes comme illustrations afin de permettre aux livres d'être diffusés à plus grande échelle. Henrik détestait vendre un ouvrage dont il n'avait pas au moins une copie de rechange sous la main. Il n'était pas seulement question de faire de l'argent : on tentait de réunir autant d'œuvres littéraires qu'il était possible d'en avoir dans cet établissement, qui à son échelle cherchait à promouvoir les cultures locales mais aussi celles de l'Ordinaire. On tentait de ne pas oublier. On tentait même de reconstituer.

Ironiquement, le public n'était en théorie pas autorisé dans la "salle du haut", surtout depuis que Vijendra était revenu sur le Port et que de nombreuses rumeurs souvent peu flatteuses couraient à son sujet. Henrik tentait comme il le pouvait de protéger son apprenti malgré les conditions désastreuses de son retour.

Le scribe d'Henrik est revenu... Oui, c'est lui qui avait disparu. Il n'est plus que l'ombre de lui-même, méconnaissable. Même son visage est différent. Est-ce que c'est vraiment le même ?

Il paraît qu'il s'est perdu dans l'Ordinaire durant la mission pour dégeler Peter Pan... T'as vu ses grandes oreilles ? Il les cache sous des capes mais on les remarque quand même. Il paraît que c'est une fée.

Comment ose t-il revenir ici ? Il pense qu'il peut faire comme si de rien n'était ? Je l'aimais bien Vijendra mais hors de question que je fricote avec des créatures qui squattent chez nous sans autorisation, c'est le bon moyen de se créer des ennuis.

T'as vu Clochette aujourd'hui ? Il s'est toujours pas envolé ? Hahaha la fois où il courait après sa cape à cause d'un coup de vent... C'est San qui a été la décrocher du volet avec une échelle. A sa place je lui aurais dit de se faire pousser des ailes et de se débrouiller tout seul. Qu'il se casse, il a plus rien à faire ici.

C'est qu'on ne le voit plus beaucoup dehors alors qu'il n'arrêtait pas de papillonner partout avant. Il doit bien comprendre qu'il n'est plus le bienvenu ici.

Dire qu'avant il passait ses nuits à la maison close, quelle blague... T'as entendu la rumeur ? Il paraît que Maëlle l'a largué. Mais alors d'une violence... Haha. J'aurais bien voulu être là pour le voir. En même temps il espérait quoi ? C'est pas les œillades tendres qui l'intéressent, Maëlle. Il est hors compétition le sac de paillettes... C'est vraiment ridicule.

Le bureau du scribe était une pièce calme, lumineuse, apaisante. On pouvait y sentir de bonnes odeurs de papier. Il y avait aussi celle des encres fraîches. L'Infortuné s'accrochait à ces sensations familières ainsi qu'à l'impression qu'il avait d'être chez lui dans cet endroit. C'était littéralement devenu son chez lui, d'ailleurs : on avait donné son ancienne maison à quelqu'un d'autre. Henrik lui avait installé une couche dans un coin de la pièce. Vijendra vivait ici, désormais. Il allait de plus en plus rarement dehors. Il n'avait pas entendu toutes les rumeurs, mais il était capable de sentir l'hostilité des pirates à son égard. Certains le harcelaient un peu - de la part de matelots du Jolly Roger, il devait avouer qu'il n'était pas si étonné que ça. La plupart des autres lui jetaient des regards noirs. Lui qui était ami avec tout le monde au préalable ne trouvait plus que quelques portes qui lui restaient ouvertes.

Il n'osait plus beaucoup sortir car sans se l'avouer, il avait peur. Il avait cru que l'attitude des gens resterait la même. Après tout, il restait qui il avait toujours été, non ? Quelques changements dans son apparence ne modifiaient pas son identité et n'effaçaient pas la vie qu'il avait mené ici. Tu sais que c'est faux, tu ne te sens même plus toi-m... Non. Stop.. Ces changements n'invalidaient pas les relations chaleureuses qu'il s'était évertué à créer. Ce n'est pas pour rien qu'ils te regardent comme ça et qu'il sont indispon... Non. Stop..

C'était... le matin, sans doute, encore. La vague à l'âme, l'Infortuné n'avait pas encore réussi à sortir du lit. Il était dans le coin du mur, assis dans une position fœtale, vêtu avec plus de sobriété qu'il ne l'aurait jamais été avant. Il avait l'une de ses épaisses capes noires sur les épaules. Même à l'intérieur il la gardait, quand bien même la capuche n'était pas rabattue sur son crâne. Vijendra observait tristement ce qu'il pouvait voir des rues depuis la petite lucarne qui était à la tête de son lit. Il gardait cette lucarne toujours ouverte, au cas où Prisme vienne lui rendre visite (... avec des nourritures dont il ne pouvait se passer mais auxquelles il préférait éviter de penser). Le nez à la fenêtre, il se disait que cela faisait.. longtemps... très longtemps... qu'il faisait jour et qu'il voyait des gens passer, s'arrêter, former des petits groupes, parler, repartir...

Combien de temps ? Absurde. Le temps n'existait pas ici. Rien ne servait de compter. C'était normal que ça lui paraisse long. Excessivement long. Ils sont lents. Je me sens complètement décalé. J'ai l'impression que des jours ont passé alors qu'il n'est sans doute même pas midi. Ce n'est pas norm... Non. Stop.

Il soupira. Il s'ennuyait. Il fallait qu'il se mette au travail, de toute façon. Il avait assez procrastiné. Il avait sans doute perdu... Une demi-journée ? Il faisait déjà beau et chaud. Il pouvait le voir grâce à la lumière qui traversait la sorte de velux sous lequel se trouvait son pupitre. Cela devait certainement dire qu'on approchait du zénith et qu'il avait bullé trop longtemps.

En réalité, il faisait juste très beau aujourd'hui. C'était encore le tout début de journée. Vijendra aurait été très choqué de l'apprendre.

L'elfe se força à ramper jusqu'à sa zone de travail. Il soupira d'aise lorsque la chaleur du velux lui brûla la peau. Il aimait tellement être ici... Sans plus attendre, il cligna des yeux plusieurs fois et s'efforça de chasser son cafard. Cela irait mieux quand il travaillerait... Ses activités de copiste, qui demandaient à ce qu'il se concentre beaucoup, lui permettaient toujours de trouver l'apaisement. Il jeta un coup d'œil sur les pages vierges qu'il lui fallait remplir, puis sur le modèle juste au-dessus. Le livre à recopier était surélevé à l'oblique grâce à une cale en bois prévue pour.

Un autre coup d'œil rapide à la bibliothèque sur sa droite. Y avait-il une commande urgente qui aurait justifié qu'il modifie ses priorités et change de sujet plutôt que de continuer ce qu'il avait déjà commencé ? ... A priori non. Donc, il continuait. Vijendra chercha silencieusement sa plume et déboucha les encres dans lesquelles il aurait tôt fait de la tremper. Il calligraphierait chacun des caractères avec le soin qu'il prenait toujours à bien faire son travail. Et s'il croisait une illustration au détour d'une page, ça n'en serait que plus intéressant pour lui.

Cadeau:

Intermède entre deux catastrophes 00fde0105e142d615ed5016544fdd461

Le pas franc et souple, la silhouette enveloppée dans le drapé transparent de ses ailes, la chevelure longue et chatoyante, Obéron ne passe pas inaperçu sur les pontons crasseux du Port Débauché. Sa démarche gracieuse s'accompagne de la douce mélopée des bijoux qui tintinnabulent et de la mousseline violine qui bruisse. Une musique enjôleuse. Alors que les ruelles sinueuses hument les embruns, la sueur et l'urine, le Sigisbée laisse derrière lui une fragrance florale de printemps et d'herbe grasse nourrie de soleil. Il marche pieds nus et pourtant, la fange semble elle-même refuser d'engluer ses orteils.
Plusieurs fois, il demande poliment son chemin, plongeant son interlocuteur dans un ébahissement rêveur : son timbre mélodieux caresse les tympans comme une bise agréable, son sourire découpe un croisant de lune laiteux sur son beau visage tanné et le calme qui émane de sa personne désarme même les plus rustres. En quelques mots échangés, ils se sentent comme bercés par cette apparition irréelle. Tout pirates, mécréants et femmes de petite vertu qu'ils soient, l'être humain est sensible à la douceur.
C'est donc sans encombre - et en égrainant quelques badauds déboussolé sur sa route- que le fae parvient à destination.

Une Bibliothèque.
(le concept de Librairie n'est pas à sa portée. Les livres sont comme des rires d'enfants qui au lieu de faire naitre des fées, finissent, séchés entre deux pages blanches, en herbiers de mots. Ce sont des artefacts précieux que nul n'oserait vendre !)

Obéron pousse la porte et une clochette annonce sa venue. Cela le fait sourire comme la fée friponne du même nom. L'endroit est désert, mais le Sigisbée remarque l'escalier en colimaçon. Il l'emprunte avec le naturel de ceux qui sont à leur place partout. Lorsqu'il découvre la pièce mansardée et la personne qu'il cherchait attablé à son étude, le Soulagement emplit tout l'espace de son noble coeur. Il déplie ses ailes, rependant un peu de poussière irisée sur le sol.

- Bonjour, Vijendra, amorce-t-il avec une Joie sincère teintée de Tendresse. Comment te portes-tu ? Je n'ai guère eu de nouvelles depuis les dernières apportées par Verglas.

Vijendra travaillait à son ouvrage depuis quelques temps déjà lorsque de tranquilles pas annoncèrent l'arrivée d'une personne à l'étage. Persuadé qu'il s'agissait d'Henrik, le libraire, venu lui apporter quelques nouvelles ou travaux supplémentaires à réaliser, l'elfe ne s'en inquiéta pas le moins du monde.

Il eut en revanche la bonne idée de reposer sa plume et de redresser le nez avant que celui qu'il pensait être son maître n'arrive jusqu'à lui. S'il n'avait pas été si prompt à cesser son travail pour accueillir le nouveau venu, la surprise qui l'attendait aurait certainement risqué de lui faire avoir un geste malheureux par lequel il aurait gâché la copie sur laquelle il bûchait actuellement.

Car ce n'était pas Henrik qui s'approchait de lui, mais quelqu'un qu'il ne se serait certainement jamais attendu à voir ici, et encore moins sous cette forme. Les traits de l'ancien pirate s'affaissèrent et ses yeux s'agrandirent comme des soucoupes tandis que la silhouette d'Obéron se dégageait de l'escalier en colimaçon.

"Bonjour, Vijendra"

Il avait eu la délicatesse de l'appeler par son nom humain. Vijendra n'en avait jamais accepté aucun autre, même durant le bref séjour à l'Archefleur qui avait suivi sa transformation. L'Infortuné était tout bonnement incapable d'être dans de mauvaises dispositions à l'égard d'Obéron, envers lequel il se sentait infiniment redevable. Et coupable, car il était parti comme un voleur, ce qui n'était pas une façon de remercier le Sigisbée pour ses efforts ni pour sa gentillesse. Aurait-il utilisé le mot que la Reine avait choisi pour qu'il y construise sa nouvelle identité que Vijendra n'aurait pas osé broncher.

Mais il appréciait le geste. Son humeur ne s'en trouvait que plus adoucie, ce qui pouvait rendre la discussion à venir plus difficile pour lui. Une boule d'angoisse se forma dans sa gorge. Il détourna vivement les yeux, comme si on l'avait pris la main dans le sac en train de faire une bêtise dont il n'était pas fier.

La bêtise était faite depuis longtemps, et il n'en regrettait pas les effets : Vijendra avait eu besoin de rentrer. Son atelier était son ancre. Sans lui, et sans son travail de copiste, son esprit aurait chaviré pour de bon. L'elfe n'aimait en revanche pas la manière dont il s'y était pris, sur un coup de tête. C'est à dire en fuyant, courant au nez de son instructeur - Verglas ce jour là - dès sa première transformation en elfe réussie. Ca avait été un coup de chance et l'Infortuné serait probablement incapable de le refaire une seconde fois. Il ne maîtrisait toujours pas la technique, mais c'était là une chose à laquelle il ne voulait pas penser. De toute façon, il n'avait aucune intention de se laisser redevenir minuscule un jour. Il n'avait donc pas besoin de plus que ce qu'il avait déjà.

"Comment te portes-tu ? Je n'ai guère eu de nouvelles depuis les dernières apportées par Verglas."
"... Je suis désolé." répondit trop rapidement Vijendra, ce qui en disait long sur les émotions qui le traversaient. Ce n'était pas que pour l'absence de nouvelles qu'il donnait qu'il était désolé. Il avait l'impression de passer son temps à déranger le Sigisbée : il avait fallu qu'il le sauve, puis Vijendra lui avait causé des soucis en partant, et maintenant voilà qu'il prenait la peine de venir le voir en personne. Il devait pourtant avoir beaucoup à faire...

Comment te portes-tu ?
Une question à laquelle l'elfe n'avait pas l'intention de répondre, car il refusait de mentir. La réponse qu'il avait à fournir n'aurait fait que donner plus d'arguments aux diverses fées qui tentaient de le convaincre de rentrer au Royaume.

Qu'était-il donc en train de faire ? Ce n'était pas une façon d'accueillir son invité surprise. Il y avait des gens avec lesquels Vijendra aurait eu moins de scrupules à se comporter tel l'animal farouche régissant à l'instinct qu'il était un peu devenu depuis... depuis.

... Mais là, non. Hors de question qu'il se montre si malpoli. Il en avait déjà trop fait (ou trop peu fait). Alors il prit une inspiration large mais aussi discrète que possible tandis qu'il se réinstallait correctement devant son pupitre, droit plutôt que ramassé sur lui-même, puis il fit un énorme effort pour oser regarder le Sigisbée dans les yeux. Il essaya d'afficher un sourire avenant. L'expression était douce comme Vijendra l'était toujours, mais elle avait l'aspect d'un ciel couvert au travers duquel ne se dégageait qu'une modeste éclaircie. Rien à voir avec les expressions solaires qui avaient été l'apanage de l'Infortuné lorsqu'il était encore humain.

"Je suis heureux de vous voir, Seigneur Obéron, je ne m'attendais pas à vous rencontrer aujourd'hui."

Jusqu'à là, tout était vrai, même si l'angoisse que le Sigisbée essaie à son tour de convaincre Vijendra de rentrer était toujours présente. Elle frémissait sous sa peau, prête à le faire frémir tout entier.

"... Êtes-vous venu ici comme ça ?" demanda t-il, perplexe. Puis il faillit se mordre la langue car cette question en disait presque trop long sur son quotidien. La dernière fois, Verglas ne s'était "grandi" qu'après être entré par sa lucarne. Voir Obéron arriver sous sa forme d'elfe en passant par les escaliers de la librairie était très perturbant pour l'Infortuné, qui ne sortait jamais dehors que très caché. Obéron s'était-il changé en bas, ou bien avait-il traversé le Port sous cette forme ? Dans le dernier cas, il n'avait pas dû passer inaperçu...

Cadeau:

-... Je suis désolé.

Obéron bat des cils, un instant incapable de comprendre pourquoi le tout jeune fae s'excuse. Il réalise alors que sa référence à Verglas pouvait sonner comme un reproche. Aussitôt, il prend les mains d'Eclipse et les presse dans les siennes, infusant de cette chaleur tranquille qu'il dégage au naturel.

- Allons bon ! Pourquoi ? Il n'y a aucun motif de désolation. C'est à moi de m'excuser pour la maladresse de mes mots. Je ne souhaitais nullement te faire ressentir de la Culpabilité. Tu es tout à fait libre de ne pas donner de nouvelles si, pour l'heure, tu ne t'en sens pas l'envie.
- Je suis heureux de vous voir, Seigneur Obéron, je ne m'attendais pas à vous rencontrer aujourd'hui.

Le Sigisbée caresse tendrement la joue de son protégé avec un sourire radieux.

- Moi aussi, je le suis. Il arbore une expression subtilement espiègle, offrant là un des rares indices sur le fae qu'il fût avant le Baiser Obscure : naïf, folâtre et ivre de danse comme de fêtes. Les Surprises ont parfois du bon ! Nous sommes des fées après tout.

Vijendra semble toujours paré d'atours anxieux, le front ceint d'un plissement inquiet..

-... Êtes-vous venu ici comme ça ?
- Ma visite n'est motivée par aucun motif caché, si là est ta question. Je ne me ferais jamais juge de tes choix. Mon rôle est simplement de les accompagner et de veiller sur toi. Je m'enquiers juste de ton bien être, voilà tout. Cette Bibliothèque est fort agréable, déclare-t-il en promenant un regard circulaire sur les rayonnages. Le Palais en possède une qui ferait sans doute ton bonheur tant elle recèle de trésors et de raretés, mais je comprends l'attrait intime de celle-ci. On dirait un cocon de papillon ou bien une coquille d'escargot : petits mais chaleureux et rassurants. Ses doigts caressent le vélin à peine enluminé. Est-ce là ton pupitre ? questionne-t-il, animé par une Curiosité candide et bienveillante.

Surpris, l'elfe abandonna ses mains à celles de son protecteur et laissa un regard arrondi courir sur le visage opposé tout au long de l'explication qui suivit. Vijendra était très à fleur de peau, tout le temps. Il n'en fallait pas plus pour que les larmes lui montent aux yeux, sa culpabilité en quelque sorte accrue par ce qu'il considérait comme un trop de gentillesse lui étant adressé. Il n'en méritait pas tant, lui semblait-il.

Sa reconnaissance à l'égard d'Obéron pouvait-elle encore enfler ? Cette forme grandie lui permettait de ressentir ses émotions de façon plus compacte, moins fuyante, moins séquentielle, et subitement il ne savait plus qu'en faire, il avait l'impression qu'il allait exploser, tiraillé entre les griefs qu'il se vouait et l'admiration sans bornes qu'il avait pour son sauveur.

"Je suis heureux de vous voir, Seigneur Obéron, je ne m'attendais pas à vous rencontrer aujourd'hui.
- Moi aussi, je le suis.

Vijendra faisait de son mieux pour garder la face, même si c'était compliqué. C'est encore un sourire comme une timide éclaircie entre deux grosses averses qui vint tirer ses lèvres, mais qui s'éteignit presque aussitôt faute à ce qu'il y eut ensuite :

"Les Surprises ont parfois du bon ! Nous sommes des fées après tout."
".. Je... Hm."

Je ne suis pas une fée, répondait-il inlassablement dès qu'on lui laissait entendre le contraire. Face à Obéron, l'elfe n'osait pas formuler ces mots. Il se contenta de les penser très fort tout en baissant les yeux puis en les détournant.

C'était comme s'il craignait que "le pire" devienne réalité sous prétexte de l'admettre. Et ne pas opposer cette phrase magique aux propos de ses interlocuteurs, au moins par la pensée, ça aurait justement été comme de l'admettre. Alors il n'avait pas eu le choix. Il avait fallu qu'il le crie dans sa tête.

-... Êtes-vous venu ici comme ça ?
- Ma visite n'est motivée par aucun motif caché, si là est ta question. Je ne me ferais jamais juge de tes choix.

... Oh. Vijendra perdit le peu de contenance qui lui restait : Obéron avait compris ses propos de travers, et voilà que survenait un quiproquo particulièrement embarrassant, même s'il faisait surgir des informations bonnes à connaître. Partagé entre gêne, soulagement, et une nouvelle pointe de reconnaissance particulièrement aiguisée, l'elfe sentit ses épaules se détendre en même temps que de l'eau venait encore à ses yeux. Vijendra décida de ne pas relever. S'il voulait vraiment savoir comment le Sigisbée était parvenu à traverser le Port sous cette forme et sans avoir d'ennuis, il le lui demanderait plus tard, et de façon moins ambiguë, de sorte à être certain d'avoir été compris.

Mon rôle est simplement de les accompagner et de veiller sur toi. Je m'enquiers juste de ton bien être, voilà tout.

C'était vraiment trop d'honneurs, et Vijendra n'était pas très à l'aise à se dire qu'il avait bien peu de bonnes nouvelles à partager.

Cette Bibliothèque est fort agréable, le Palais en possède une qui ferait sans doute ton bonheur tant elle recèle de trésors et de raretés...

Nouveau point de tension dans son dos. Si Obéron lui proposait une visite de la Bibliothèque du Palais, Vijendra devrait refuser. Pour s'y rendre, il faudrait qu'il se laisse devenir minuscule. Il n'était pas sûr d'être en mesure de retrouver sa forme grandie ensuite et donc de pouvoir retourner sur le Port. De toute façon, il était hors de question qu'il laisse ses cordes vocales se muer en clochettes. Et il ne voulait plus jamais sentir la présence d'ailes dans son dos. Il était humain, et il entendait bien le rester.

...mais je comprends l'attrait intime de celle-ci. On dirait un cocon de papillon ou bien une coquille d'escargot : petits mais chaleureux et rassurants. Est-ce là ton pupitre ?

Il se laissa surprendre par la dernière question autant que par la soudaine proximité d'Obéron. Vijendra se rendit compte qu'il s'était tassé sur lui-même et qu'il fixait sans ciller le volume auquel le Sigisbée s'intéressait justement.

Il se redressa maladroitement et tourna son visage dans la direction de son interlocuteur.

".. Oh ! Oui... Parfaitement. C'est ici que je travaille. Je... Je pose l'ouvrage original ici et le manuscrit vierge à cet endroit puis je me charge de faire la copie la plus conforme possible, sauf quand Henrik a autre chose en tête. Il est arrivé qu'il veuille une version pratique d'un livre, plus compacte, sans illustration... Ou tout à l'inverse il est possible de rajouter des illustrations à un récit qui n'en avait pas. Après, c'est assez rare ! La plupart du temps je m'occupe vraiment juste de recopier ce que je vois..."

Pris au dépourvu, Vijendra n'avait pas remarqué qu'il n'avait pas pensé à expliquer qui était le fameux Henrik. Il était pourtant plutôt content de lui : il parvenait à faire la conversation au Sigisbée, ce qui considérant son état de nerf était déjà une petite victoire.

Cadeau:

Sujet: Re: Intermède entre deux catastrophes Lun 20 Mar 2023 - 22:19

-.. Oh ! Oui... Parfaitement. C'est ici que je travaille.
- Et en quoi consiste ce "travail" ? demande ingénument Obéron.

Le concept de travail lui ést étranger de par sa nature de fée, quand bien même il croule sous les responsabilités et les besognes. Il ne les considère simplement pas comme telles.

- Je... Je pose l'ouvrage original ici et le manuscrit vierge à cet endroit puis je me charge de faire la copie la plus conforme possible, sauf quand Henrik a autre chose en tête. Il est arrivé qu'il veuille une version pratique d'un livre, plus compacte, sans illustration... Ou tout à l'inverse il est possible de rajouter des illustrations à un récit qui n'en avait pas. Après, c'est assez rare ! La plupart du temps je m'occupe vraiment juste de recopier ce que je vois...

Du bout de son index gracieux, le Sigisbée redessine les contours d'une lettrine élégante et les agréments en arabesque apportés au frontispice de celle-ci. Le travail est minutieux, d'une grande précision et il serait bien incapable de définir laquelle de ces deux pages est la copie.

- Ton travail est remarquable ! C'est si délicat ! Je suis curieux de voir un livre dont tu aurais enjolivé les illustrations... Lui souffle-t-il avec un soupçon d'espièglerie dans les fossettes de son sourire, comme s'il sollicitait de lui dévoiler un secret bien gardé.

Parfois, lors de circonstances devenues trop rares, il retrouve cette essence propre aux faes, cet enthousiasme juvénile et curieux, dépourvu d'autres intentions que d'en étancher l'appétence.
D'aussi près, il est difficile de passer outre son parfum floral, baigné de brises ensoleillées.

- Savais-tu que notre Prince est lui même artiste à ses heures ? Il a un don certain pour la couleur, selon moi. Il faudra que tu le rencontres un jour... Je suppose qu'Henrik est le Bibliothécaire, le maitre de ces livres.

Obéron glisse une main apaisante entre les omoplates de Vijendra.

- N'hésite pas à me faire savoir si je gêne ton ouvrage. Je ne souhaite nullement te porter préjudice à la tâche. Ma visite impromptue bouscule peut-être tes habitudes et c'est à moi de m'en incommoder.

Vijendra baissa timidement les yeux, victime malgré sa fragilité émotionnelle de l'éclosion d'un bourgeon de fierté. Il savait qu'il était bon dans son travail de scribe et il appréciait qu'on reconnaisse la valeur de sa production. Les compliments qui y avaient trait lui faisaient donc toujours très plaisir, même s'il le montrait avec moins d'emphase qu'à l'époque où il était encore...

Que... Qu'avant tout ce qui s'était passé.

"Oh, des copies de livres illustrés ? J'en ai plusieurs dans cette étagère, alors je peux vous en montrer. Merci beaucoup. J'y mets beaucoup de cœur."

Savais-tu que notre Prince est lui même artiste à ses heures ? Il a un don certain pour la couleur, selon moi. Il faudra que tu le rencontres un jour... Je suppose qu'Henrik est le Bibliothécaire, le maitre de ces livres.

Nouvelle crispation dans les épaules de l'elfe qui s'entendit répondre, fuyant, légèrement circonspect :

"Je serais ravi de faire sa connaissance..."

... Et c'était vrai, mais l'Infortuné détestait en revanche ce que cela impliquait : qu'il visite la Citadelle alors qu'il ne voulait plus jamais y retourner, ne serait-ce que parce que cela supposait qu'il devienne à nouveau tout petit. L'idée lui était insupportable, d'autant qu'il n'était pas certain de savoir se faire grandir correctement à nouveau.

Obéron avait offert à son protégé une occasion de changer le sujet de conversation et Vijendra ne manqua pas de prendre la perche tendue. Causer potentielle visite au Royaume féérique le mettait affreusement mal à l'aise (et ce n'était encore rien par rapport à ce que cela aurait pu devenir s'ils avaient continué d'en discuter).

"A vrai dire ce n'est pas une bibliothèque mais une librairie... Henrik est libraire, mais ça ne change rien à son statut de maître des livres c'est sûr. En plus il en connaît vraiment un paquet, et de toutes les époques !"

Il ne serait pas venu à l'esprit de Vijendra que son éminent visiteur puisse ne pas connaître le concept de "librairie" qu'il venait d'invoquer. Il ne donna donc pas plus d'explications, se croyant suffisamment limpide ainsi.

... Ca faisait du bien d'être touché. Ca rendait la réalité plus tangible, son être plus réel... Moins solitaire. Vijendra souffrait énormément de l'isolement comme il ne sortait presque plus de son atelier et ne causait plus à personne. Un peu de contact humain (ou féérique, bref) lui faisait énormément de bien, malgré les craintes qu'il avait de recevoir le conseil de quitter le Port. Obéron lui avait indiqué ne pas être venu pour tenter de le convaincre, mais il était évident qu'il aurait préféré le voir rentrer, et l'Infortuné n'arrivait pas à en faire totalement abstraction.

Ca restait tout de même très agréable de causer avec lui. Obéron était une personne merveilleuse, gentille, attentionnée, Vijendra l'aimait énormément, et pas uniquement car il l'avait sauvé.

"N'hésite pas à me faire savoir si je gêne ton ouvrage. Je ne souhaite nullement te porter préjudice à la tâche. Ma visite impromptue bouscule peut-être tes habitudes et c'est à moi de m'en incommoder."

"NON ! Pas du tout !" répondit-il précipitamment, avant de détourner les yeux, honteux. Il était en train de vendre la mèche au sujet d'un truc qu'il aurait probablement mieux fait de cacher. Cela risquait d'être utilisé contre lui, ce qui serait fort déplaisant malgré les intentions bienveillantes qui pouvaient motiver l'acte.

"C'est... Vous savez je travaille énormément en ce moment, je peux bien prendre une pause, ça ne met rien en péril. En plus, je ne vois pas beaucoup de monde... Ca me fait plaisir de vous parler."

Il espérait que le ton de sa voix ne paraissait pas trop suppliant... Il n'avait pas envie d'avoir l'air désespéré, au bout du rouleau à force de manquer de socialisation. Même si c'était exactement ce qu'il était.

» Un Faux entre deux Feux ~ Apache & Justice
» Naissance et Catastrophes...
» Deux Visions
» Une, deux... quelques têtes de trop.
» Un, deux, trois ... BOUM !

Rechercher

Résultats par : Messages Sujets
Recherche avancée