Les monstres de sucre continuaient à gratter, rugir et frapper contre la porte efficacement bloquée par la commode, mais pour l'heure, Apache ne s'en préoccupait qu'à moitié, plutôt focalisé sur l’état de santé de son compagnon d'infortune.

Le pauvre gisait inconscient au sol, immobile et livide comme un mort. Le cœur du punk se serra alors qu'il lui tapotait doucement la joue à répétition, espérant à toute force que le Dandy lui revienne, l'inquiétude grimpant en flèche.
Et puis, heureusement peu de temps après, le soulagement jaillissait, presque douloureux, en même temps que le chasseur inspirait un peu brutalement et que les sourcils du plus jeune se fronçaient.
Bordel, il était en vie !

"M... Matt ?" Encore dans les vapes, mais bien vivant, le récolteur avait ouvert les yeux même s'ils naviguaient encore dans le vide, et puis, après quelques secondes, les mirettes avaient fini par s'accrocher à celles de l'iroquois qui se senti incapable de ravaler un sourire, alors que l'autre grognait d'inconfort et de douleur.

"Ça va ?" Question bête, mais difficile à retenir.
"N... Non... arrête ça, putain..." Il essaya de repousser la main du punk qui de toute manière avait arrêté de lui tapoter les joues, et lâcha un terrible gémissement de douleur.

"Reste tranquille..." Conseil avisé, peut être, mais l'Hérissé devait bien l'admettre, il se sentait complètement démuni et dépassé par la situation. Ils avaient besoin d'un soigneur, d'un vrai ! Et vite. Merde à toute ces conneries ! Merde à la mission ! Skunk était dans un état critique. Du moins, c'était l'impression qu'il en avait !
Il fallait à tout prix le sortir de ce bourbier. Ça urgeait !
"... C’était quoi ce plan... j’te déteste, bordel...
- Désolé pour ça..!" Accompagné d'une grimace mi inquiète mi rigolarde. Pas qu'il se foutait de sa gueule, loin de la, mais le soulagement de l'entendre pester et même de le frapper à l'épaule du poing, même si avec quasi aucune force, avait de quoi réchauffer le cœur.
Comme quoi...
En plus, fallait pas se mentir, sans doute qu'Apache allait devoir réitérer pour les sortir de cet Enfer.

Le raffut à la porte d'entrée attira l'attention de l'anarchiste qui se retourna, avisant que les monstres ne se fatiguaient pas, loin de la, continuant de bourriner encore et encore, redoublant même d'efforts pour défoncer le bois épais.

"Où est-ce que... où..."

Du sucre soufflé parvenait même à s’immiscer par en dessous de l'entrée, la commode souffrant de petits soubresauts à chaque attaques données.
A croire que les créatures commençaient à s'organiser pour joindre leurs forces et frapper toute en même temps, pour se donner plus de puissance.
L'angoisse montait et Apache ravala sa salive avec un peu de mal. La situation se corsait... Et il n'imaginait pas encore à quel point.
La main de Skunk qui agrippait son blouson ré attira son attention vers lui.

"Oh chier
- Bouge pas ! J'vais trouver une solution !
- Ce... la cheminée..." Le chasseur cligna des yeux, dans l’incompréhension. "l’Esprit... Clumsy...
- Hein ? Quoi ? Qu'est ce qu...
- Apache, la cheminée!" Le punk se retourna, plissant les yeux pour mieux discerner ce qu'essayait de lui désigner le blessé.

Et effectivement... Sous les yeux du révolté qui s'agrandissaient au fur et à mesure d'horreur, une espèce de forme profondément noire se mouvait autour des flammes du foyer.
"Oh bordel de merde..." Le punk se redressa, se plaçant entre la chose et le Dandy, en naïf rempart.
A la porte, ça tambourinait toujours furieusement, et le son du bois qui craquait s’entremêlait maintenant aux rugissements et autres grognement menaçants.

Le noir angoissant s'épanouissait lentement, léchant le sol devant la cheminée, offrant une vision d'improbable et d’inexplicable; une ombre qui persistait à la chaleur d'un feu, s'avançait plutôt que de disparaître à la lumière orangée des flammes. Et puis, bientôt, les surplombait même, s'élevant devant le brasier pour former un corps.
Devant les yeux terrifiés des deux ados se créait lentement mais sûrement une nouvelle créature, toute de ténèbres.
Un corps dérangeant, deux jambes trop raides, deux bras trop longs suivi de mains aux doigts effilés et maigres, une tête ronde, sans visage, et qui pourtant semblait les fixer.

Apache avait envi de hurler ! Mais à la place, il restait silencieux, pétrifié. Son cœur battait si fort qu'il en avait mal à la poitrine. Il ne pouvait plus bouger devant la chose terrifiante qui se tenait devant eux !
Mort de trouille.
L'esprit leva doucement un bras vers eux, ses longs doigts aux airs aiguisés jouant dans l'air, s'agitant doucement, leur faisant signe de s'approcher.
A pleurer d'horreur !

L'anarchiste tremblait si fort, c'était comme s'il faisait moins 30° dans la pièce !
Pourtant, une impression d'inéluctable qui s'imposait à lui.
Il ne savait même pas trop pourquoi ! Comme un constat inébranlable. Évident !
Il avait pas le choix !
Alors, il fit un pas vers la chose, puis un deuxième.

Devant la lumière rouge et or du feu de cheminée, la créature parait d’autant plus sombre et froide. Ses bras démesurés se déploient et projettent des ombres interminables qui viennent ramper sur les deux Perdus. Même les marshmallows se replient dans un désordre de “pouics!” paniqués, pour aller se masser en un tas tremblotant dans un coin de la pièce.

Tout dans cette chose est une erreur. Clumsy avait tort, ce n’est pas juste un Esprit, même pas un qui serait maléfique. C’est quelque chose de tordu, difforme, malmené. Skunk n’y connait rien en magie, mais chaque fibre de son corps sent que cet être n’est pas tel qu’il devrait l’être, qu’on l’a torturé, modifié de force. C’est un spectacle épouvantable, qui insulte l’âme et donne envie de pleurer, de hurler, de fuir, oh oui, fuir vite et loin.

Le Dandy ne fait rien de tout cela. Comme Apache, il reste figé, les yeux écarquillés d’horreur, tremblant tel un jeune daim pris dans les phares d’une voiture. Et quand les longs doigts pointus de la créature leur font signe d’approcher, bien malgré lui, Skunk sent qu’il pousse sur son bras blessé pour tenter de s’asseoir. La souffrance lui fait monter les larmes aux yeux, mais il n’arrive pas à renoncer à son geste.

Puis Apache fait un pas vers le monstre. Et ce faisant, il s’interpose entre la créature et Skunk.

A l’instant même où l’horreur quitte le champ de vision du Dandy, ce dernier relâche la pression sur son bras et retombe à plat dos avec un long râle, haletant comme s’il venait de battre le record du monde d’apnée. Un flot de sueur se déverse sur son visage et le long de ses vertèbres martyrisées, ses tremblements redoublent d’intensité. Mais dans sa tête, soudain, la lumière est revenue. Il reprend conscience de tout, l’Esprit vicié devant la cheminée, les créatures de sucre qui continuent de brutaliser le bois en chocolat de la porte, Apache qui...

“APACHE !”

Pur réflexe, Skunk étend son bras valide pour tenter de rattraper l’Hérissé. Mais ses doigts ne font que glisser maladroitement sur l’une des chevilles du métis, sans y trouver la moindre prise pour l’empêcher de faire un autre pas vers le monstre.

Con de punk et son putain de pantalon trop serré, merde!

Gémissant de fureur, de douleur et de trouille, Skunk essaie de se tourner, de glisser sur le sol pour retenter sa chance. Mais il a trop mal, il est trop lent. Son dos est complètement bloqué, à présent, il ne peut même plus pivoter sur lui-même.

“Ne le regarde pas! FERME LES YEUX !”

Mais le punk ne peut pas faire cela, n’est-ce pas ? Skunk le voit faire encore un pas en direction de la cheminée et cette fois ce sont des larmes de frustration qui lui brouillent le regard : non, non, ce n’est pas juste, pas comme ça, pas après tout ce qu’ils ont traversé pour en arriver là...

Fébrile, le Récolteur examine les alentours, en évitant soigneusement de regarder dans la direction de la créature sombre - il ne voit que l’ombre de ses griffes, qui s’étendent à présent en direction d’Apache comme une terrible main tendue... ou comme des serres prêtes à se refermer sur leur proie.

Réfléchis réfléchis réfléchis vite vite vite VITE!

Les créatures de sucre chargent encore, la porte de la chaumière tire fort sur ses gonds déjà tordus, la commode glisse un peu. Encore quelques coups et les deux Perdus auront un second énorme problème. Comme si celui qui se tenait juste à côté n’était pas...

... Une minute. La créature est vraiment juste à côté de la porte. Pile dans son alignement, même. Et Apache commence à y être aussi, mais peut-être pas encore, pas tout à fait...

... Oh et puis merde.

Galvanisé d’angoisse, Skunk ramène sa jambe à lui, puis balance de toutes ses forces sa semelle contre l’un des pieds de la commode. La douleur dans son dos est horrible, le meuble s’écarte à peine de la porte.

Mais c’est suffisant.

Cette fois, sans la résistance de la barricade improvisée par Apache, la charge des animaux de sucre arrache le battant à ses gonds. Les éclats de chocolat valsent dans toute la pièce tandis que la masse mugissante des assaillants s’engouffre dans la chaumière, à toute vitesse, emportée par son élan.

Et l’énorme amas de sucre vient violemment percuter la créature sombre.

La chose toute faite de ténèbre s'était avancée, grandissant devant le jeune punk qui ne parvenait pas à la lâcher des yeux, comme hypnotisé. Submergé en fait. L'impression de tomber dans le vide. Une chute abyssale dans le rien. Dans le noir. Rien que le noir, à perte de vie.
Il n'entendait pas les appels du Dandy, ou si peu. Comme s'il était loin... Loin, quelque-part. Dans une autre réalité.
La main de la chose se rapprochait, inexorablement, ses longs doigts noueux se rapprochant du visage de l'adolescent, effleurant sa joue, et un froid puissant et profond lui tordit brutalement le cœur, à l'en faire grimacer de douleur. Mais impossible. Toujours impossible de se détourner.
Piégé dans le noir.

Quand soudain !

DU BLANC !

Du blanc ???
Du sucre ! Partout !
La porte avait littéralement éclaté et les monstres s'étaient précipités tous en même temps à l’intérieur, se désintégrant avec violence, projetant une quantité de sucre affolante dans la pièce !
Apache avait été projeté au sol, mais sans trop de mal ! Bien au contraire, le choc l'avait libéré de l'emprise de la chose qui clairement ne lui voulait pas que du bien !

Complètement sonné, cependant, il peinait à sortir de la brume dans laquelle il avait été plongé.
Il parvint tout de même à se relever, secouant la tête, les cheveux couvert de sucre.

"Bordel..."

Il cligna des yeux une énième fois, puis se passa une main sur le visage.
Autour d'eux, la pièce était dans un état déplorable.
Du sucre absolument partout. La porte éclatée.
Aucune trace de la chose.
Le feu de cheminée avait été soufflé.
L'impression nette qu'ils étaient de nouveau seuls dans la maison.
Les monstres s'étaient disloqués...
Et l'esprit... Partit ?

Apache ravala sa salive, pas vraiment à l'aise pour autant.

"Faut qu'on se tire." Il fit au Dandy, se dirigeant vers lui et s'accroupissant à ses cotés. Difficile de savoir si c'était pour se mettre à sa hauteur, ou juste pour souffler. Sans doute les deux à la fois.
Il en pouvait plus.
Et son expérience avec... cette chose, lui avait drainé tout le peu d’énergie qu'il lui restait, lui laissant à la place un malaise profond.
"On peut pas rester la..." Ça pouvait revenir. Et il jetait des coups d’œil un peu nerveux autour de lui, l'air de rien.

"Tu peux marcher ?" Il avait posé la question tout en tirant une gueule qui voulait tout dire. Ça disait qu'il était parfaitement conscient qu'il y avait peu, TRÈS peu de chance que l'autre lui réponde à l'affirmative.
"J'vais te porter." Cette fois avec une mine plus déterminée.

Du blanc explose dans toute la pièce et Skunk a juste le temps de se protéger les yeux avant d’être recouvert d’une généreuse couche de sucre. Il en sent la texture dans sa bouche, ça s’infiltre dans ses oreilles, dans son col. C’est extrêmement désagréable. Mais franchement, à ce stade, il note à peine l’inconfort. Il est beaucoup plus conscient du brutal silence qui s’installe alors dans la petite chaumière.

Encore un peu tremblant, le Dandy écarte prudemment ses mains de son visage, en faisant tomber un peu de sucre collé sur sa frange humide de sueur. La lumière colorée de l’extérieur se déverse par la porte ouverte et éclabousse l’intérieur de la chaumière, révélant le chaos poudreux qui drape même le plafond. Sonné, Skunk hasarde un regard vers la cheminée. Et il n’ose qu’à moitié comprendre que le feu est éteint, que plus aucune chose sombre ne dégouline du manteau.

Que ça a marché. Sa foutue idée a marché.

“Bordel...”
“Bordel...”

Ils l’ont dit en même temps. Skunk tourne brusquement la tête, en se tordant un peu le cou pour mieux voir, et quelque chose dans sa poitrine semble faire un salto en voyant Apache en train de se relever. Le métis a l’air épuisé, sa peau a pris une teinte terne, de grandes cernes mangent ses yeux sombres. Mais il est vivant, vivant et en un seul morceau.

Skunk ne se rend compte qu’il sourit que lorsqu’il croise le regard d’Apache. Il se reprend aussitôt, mais sans parvenir à effacer le soulagement qui lisse ses traits livides.

Ça a marché. Il n’arrive pas à croire que ça a marché.

“Faut qu'on se tire. On peut pas rester là...”

“Un jugement d’une grande sagesse.”

Skunk parle lentement, en détachant mal les mots, un peu comme s’il était ivre - et bon sang, qu’est-ce qu’il préférerait que ce soit le cas. En réalité, il est vidé, lui aussi. L’adrénaline retombe avec le danger et à présent il ne sent que trop bien à quel point il a peur et mal partout. Il ne souhaite rien d’autre que quitter cette horrible Machine, pour ne plus jamais y remettre les pieds.

“Tu peux marcher ?”

Le Dandy lève les yeux et affronte le regard sombre d’Apache, qui s’est accroupi près de lui. Une part de lui est tentée de répondre un truc cynique et cinglant du genre “à ton avis, Einstein?”. Mais honnêtement, il est un peu trop à bout pour être agressif, encore moins envers un garçon qui vient de lui sauver la vie et à qui il a failli arriver... il ne sait pas quoi, mais quelque chose d’horrible, juste devant ses yeux. Alors Skunk se contente de regarder son compagnon d’infortune en silence, d’un air las que le punk interprète facilement :

“J'vais te porter.”

“Que… Hors de question !”

Rien que sous l’effet de l’indignation, Skunk semble un peu revenir à la vie : le porter, encore ?! Une fois, dans le feu de l’action, bon, c’est une chose. Mais deux fois, et à la suite ? Outrage ! Scandale !

“Non. Marcher, ça risque d’être compliqué, mais je peux me lever, je suis sûr que je peux me lever !”

Il n’est pas sûr du tout de pouvoir se lever.

“Il me faut juste... Si tu m’aides, ça ira. J’ai encore une béquille, ce... ça va le faire.”

Skunk tente de paraitre décidé, mais il lui est difficile de dissimuler son appréhension : peut-être qu’il peut vraiment se hisser sur ses jambes, oui, mais il anticipe déjà que ça va le faire hurler... Embarrassé, il jette un regard aux alentours, et tente :

“Écoute, pendant que je... me prépare... Est-ce que tu sais où est le sac, dans tout ce bordel ? Au point où on est en est, autant remplir un bocal avant de partir...”

"J'vais te porter.
- Que… Hors de question !"
La réponse avait été rapide, claire, presque comme une effusion, et Apache se surpris lui même à être surpris.
A quoi il s'attendait en fait ?
Il le connaissait pas depuis si longtemps, mais assez pour savoir d'avance que se faire porter ne faisait pas partit de ses petits plaisirs.

"Non. Marcher, ça risque d’être compliqué, mais je peux me lever, je suis sûr que je peux me lever !" Allons bon. Vraiment ? Le punk se contenta de lever un sourcil circonspect sans pour autant rien ajouter.
"Il me faut juste... Si tu m’aides, ça ira. J’ai encore une béquille, ce... ça va le faire."
Non ça n'allait pas le faire. Clairement, non.
Le chasseur fit une moue de travers, reflétant son embêtement.
A la fois, un peu envie de mettre le Dandy face aux faits, et qu'il les accepte, et à la fois pas envie de le foutre plus mal qu'il ne l'était déjà.
L'anarchiste pouvait parfois faire preuve d'une certaine insensibilité, sans doute plus lié au fait qu'il n'était qu'un ado plus qu'à autre chose, mais pour le coup, il n'eut aucune difficulté à se projeter, se mettre à la place du récolteur. Si c'était lui qui devait se faire aider et porter par Skunk, il en mènerait franchement pas large.

Au bout d'un petit temps de réflexion hésitante, l'Hérissé prit une inspiration pour dire quelque-chose, mais fut interrompu derechef.

"Écoute" Apache referma la bouche. "Pendant que je... me prépare... Est-ce que tu sais où est le sac, dans tout ce bordel ? Au point où on est en est, autant remplir un bocal avant de partir..."
Le chasseur soupira un peu fort.
Ok, c'était clair, il lui demandait un peu de temps.
L'iroquois imaginait qu'ils en avaient bien un petit peu ?
Il jeta un œil derrière eux, avisant le tas de sucre immobile. Tout était silencieux dans la bicoque.
Petit instant de rien, perdu dans ses pensées, et puis, son attention revint à Skunk.

"Ça va j'ai compris. Ouais j'vais le chercher" Il abdiqua, un peu à contre cœur tout en se redressant. Laisser le Dandy tout seul ici l'emmerdait un peu, mais au fond, l'impression que le danger était écarté.
"Si ya le moindre soucis, tu gueule fort ok ?" En guise de précaution. "J'reviens." De toute manière, le sac n'était pas loin, il se souvenait d’où il l'avait laissé.
Après un dernier soupir, il quitta son camarade, se dirigeant à grandes enjambés vers la sortie, ses pompes repoussant le sucre sur son passage.

Une fois à l’extérieur, il prit une longue bouffée d'air qui lui paru salvatrice.
Il était vraiment temps de se tirer d'ici.
Ses yeux fatigués se fixèrent au loin, sur l'étrange truc qui ressemblait à une tour. Sans doute la dernière possibilité qu'ils leurs restaient à explorer, en espérant que ce soit cette fois la bonne.
Il avisa vite fait la distance qui les séparait de l'endroit, et se dit que la route serait longue avec Skunk dans les bras, aussi poids plume soit-il.

Pas grave.
Il pourrait le faire.

Il retroussa sa manche droite, jetant un œil au bandage improvisé. Ca ne faisait plus vraiment mal, mais il sentait comme une raideur dans son membre.
Moyennement curieux, mais ne pouvant s’empêcher de regarder en dessous, il souleva un peu le pansement et grimaça.
Comme il le pensait, le sucre s'était reformé tout à la surface de l'entaille et avait commencé à se propager sur le reste de son avant bras, y gagnant du terrain.
Ca allait être sympa de tout arracher...

De sa main libre, il sortit son couteau fauché, tapotant de sa lame sur la blessure.

Poc poc poc.
Son mate. Et aucune sensation en retour.
Pas bon signe.
Est ce qu'il devrait s'occuper de ça maintenant ou plus tard ?
Une hésitation pour un soupire.
S'il devait porter Skunk sur autant de route, mieux valait que ses deux bras soient utilisables.
Il replaça le pansement et la manche de son blouson déchirée par dessus et se mit en quête du sac, le repérant rapidement dans un autre amas de sucre.

Skunk ne s’attendait pas à ce que le punk abdique aussi facilement. Comme le Dandy lui-même l’a fait remarquer avec sa délicatesse habituelle, Apache est visiblement beaucoup plus malin qu’il en a l’air ; il a bien dû comprendre que son compagnon d’infortune n’est pas en état de se relever, encore moins de marcher. Pourtant, malgré sa réticence et sa lassitude perceptibles, l’Hérissé se redresse et consent à laisser Skunk seul, le temps d’aller chercher le sac.

“Si ya le moindre soucis, tu gueules fort ok ?”

Le Dandy hoche la tête, avec une docilité qui laisse deviner sa reconnaissance. Il suit le punk du regard jusqu’à ce qu’il soit sorti de la petite chaumière. Puis, à son tour, il ferme les yeux et lâche un profond soupir : quelle merde, bon sang...

“Allez, allez... Courage.”

Il n’a pas beaucoup de temps avant que Apache revienne. Et au-delà de cela, le punk a raison, il ne faut pas qu’ils trainent dans cet endroit : la chose sombre a été repoussée, mais Skunk ne se fait aucune illusion sur le fait qu’elle peut, qu’elle va revenir. Il n’a pas le temps de récupérer, il faut qu’il bouge maintenant, tout de suite.

Le Dandy serre les dents, tend son bras fonctionnel, balaie un peu le sucre pour tenter d’obtenir un appui solide sur le plancher en chocolat. Puis, lentement, péniblement, il entreprend de se traîner jusqu’à la commode renversée par la charge des sculptures animées. Son dos lui fait mal quand il pousse sur ses pieds pour avancer, mais tant qu’il reste à plat, avec son avant-bras blessé bien bloqué contre sa poitrine, cela reste tolérable. Encouragé, l’adolescent persévère et trace sa douloureuse progression dans le tapis de sucre.

Lorsqu’il atteint enfin son objectif, il est complètement trempé de sueur et se sent nauséeux, mais c’est quand même avec une certaine satisfaction qu’il évalue la hauteur de la commode couchée : celle-ci a souffert de l’impact, mais sa structure en nougat semble avoir globalement tenu le coup. Skunk inspire un grand coup, lève la main pour s’agripper au bord supérieur du meuble. Puis, mis en confiance par sa progression au sol, il tire pour s’asseoir.

Et il comprend qu’il n’y arrivera pas.

Pourtant il s’obstine. Il lutte contre la douleur, contre ses muscles raides qui paralysent sa taille, contre les vertiges qui lui flanquent la nausée et lui font tourner la tête. Gémissant de souffrance et de hargne, il parvient à se redresser, assez pour plier les jambes, basculer sur ses genoux. Il retombe assis entre ses talons, haletant, tremblant, le cœur au bord des lèvres. Il laisse sa tête peser contre la commode en sucreries. Et puis, sans prévenir, il fond en larmes.

C’est trop dur. Il ne peut pas, il ne peut plus. Et plus que la douleur physique, ce sont la détresse et l’angoisse qui lui font mal, qui l’étranglent et font couler ces larmes acides sur son visage : il a peur, soudain, horriblement peur, et il n’arrive même pas trop à formuler pourquoi. Il sait juste que s’il ne parvient pas à se relever, s’il ne peut pas marcher, s’il ne peut pas se débrouiller tout seul...

Apache ne va pas le laisser, n’est-ce pas ? Ou peut-être que si ? Le punk lui-même est blessé, épuisé. Il ne sortira jamais d’ici en traînant un littéral boulet. Il va s’en rendre compte. Il va s’en rendre compte, et il va prendre une décision logique, la seule qui s’impose.

D’ailleurs il met longtemps, non, pour ramener un simple sac ? Si ça se trouve, il est déjà parti.

Il est sûrement déjà parti.

Un sanglot passe les lèvres de Skunk, qui se bâillonne avec sa main valide et serre les paupières pour tenter de juguler ses pleurs. Il va crever là, il s’en rend bien compte à présent. La créature sombre va revenir, et ce sera terminé. Juste parce qu’il est trop faible, inadapté, incapable.

Seul.

“Pouic ?...”

Skunk tressaille et baisse les yeux, pour découvrir que les marshmallows ont prudemment quitté leur refuge dans un coin de la pièce et qu’à présent ils se rassemblent près de lui. L’un d’eux, peut-être toujours le même, s’est approché jusqu’à toucher sa jambe. Lorsque le Perdu le remarque, le petit être rose émet un autre “pouic ?” soucieux, avant de bondir jusqu’à l’épaule du garçon. Le bonbon reste prudemment à l’écart de son visage baigné de larmes, mais Skunk ne le prend pas mal : même dans son état, il se souvient que la guimauve fond dans l’eau. Et sans doute qu’il surinterprète, mais malgré cette distance de sécurité, il a l’impression de déceler de la sollicitude dans l’attitude du marshmallow.

Skunk laisse échapper un rire nerveux : avoir envie de se faire réconforter par un foutu bonbon... Il est vraiment pathétique.

Mais il doit bien avouer que la proximité de la guimauve et ses délicats petits bruits interrogateurs lui font du bien. Pas beaucoup. Mais suffisamment pour qu’il reprenne un peu le contrôle de sa respiration.

“... Désolé.”

Il effleure le marshmallow du revers de la main, et esquisse un sourire quand le petit être lui répond en se frottant contre ses phalanges.

Puis il entend des pas, à l’extérieur.

Apache ? Qui revient ?

Ignorant le creux un peu trop douloureux dans sa poitrine, Skunk se redresse, inspire à fond. De sa manche, il s’essuie les yeux et la figure. Il insiste, avec une brutalité excessive, en espérant que ses conjonctives rougies passeront pour des signes de fatigue ou une irritation dûe au sucre. Puis il reste là, à genoux, l’épaule contre la commode, à attendre le verdict du punk avec une résolution mortifiée.

Apache se dirigea vers le sac qui traînait dans un gros amas de sucre avant de se pencher pour le récupérer, l'attrapant par la hanse. Mais lorsqu’il le ramena à lui, sa bouille se fondit en une grimace de travers.

"Et merde... C'était sûr."
Non seulement le sac était dans un état déplorable, mais lorsqu'il le secoua, ce fut tout un petit orchestre de bouts de verre cassés qui se mit à jouer.
Un coup d’œil circonspect à l’intérieur et la grimace se renforça.
Le punk fini par le renverser, le secouant pour le vider pour de bon de tout les débris de bocaux éclatés.
Ce fut à ce moment la que l'attention de l'iroquois fut attiré par un des petits marshmallows de tout à l'heure.
"Hey ! T'es encore la toi ?" L'adolescent avait posé la question avec un sourire, sans bien sûr espérer de réponse. Pourtant, la guimauve animé semblait bien décidé à communiquer, se jetant encore et encore contre sa chaussure, clairement déterminé à attirer son attention.

"Quoi ? Tu veux quoi ?" Pas vraiment énervé, mais la fatigue se faisait sentir, et la petite chose fit mine de partir dans une direction, avant de revenir mettre des petits coups de tête contre le pied du punk.
C'était limpide.
Il fallait le suivre.
Il fallait rentrer.
Revenir vers le récolteur.

Apache lâcha un soupire, ses yeux quittant un instant le marshmallow pour balayer le sucre, la mine à la réflexion.
Il y avait pas 36 solutions et pas non plus 100 ans pour se décider.
Alors, ni une ni deux, faisant patienter encore un peu le bonbon qui pourtant insistait, le chasseur se débrouilla pour remplir le sac défoncé d'autant de sucre possible, l’entraînant du plat de la main jusqu'à l’intérieur, en foutant jusqu'à ras bord. Ensuite, il se mit à faire des nœuds bien serrés bien solides un peu partout la ou le sac avait été déchiré, se servant des lambeaux pour les renforcer plus fort encore.
Le final fut un drôle de paquet, vachement pas esthétique et dont s'échappait de la poussière de sucre d'un peu partout, qu'il cala sur son épaule grâce à l'unique hanse qui lui restait. Il se mit alors enfin en route vers la ou voulait l'emmener la guimauve mouvante; soit: la maison de pain d'épice.

Une fois revenu, Apache repéra vite son collègue qui s'était déplacé mais qui ne se tenait, sans vraiment de surprise, toujours pas debout.
Le punk se pinça les lèvres, se les humectant l'instant d'après. Il allait falloir faire preuve d'un peu de diplomatie sur ce coup la. Et le truc, c'était que la diplomatie, bein c'était pas le sien, de truc.

"Euh..." Ça commençait bien tiens. "J'ai réussi à récupérer une tonne de sucre !" Il fit avec un air qui sonnait un chouilla artificiellement enjoué. "Avec ça au moins t'es sur qu'ils te casseront plus les couilles, les autres..!" Ouais. Mission accomplie ! Ha ha ! Génial ! Putain c'était nul... Mais l'anarchiste espérait réconforter au moins un peu son compagnon d'infortune qui se trouvait dans un état lamentable.
Le pauvre avait vraiment pas eu de chance.
Il posa le sac boule sur un meuble avant de s'approcher doucement du Dandy, pas trop sur de comment aborder la suite.

"Allez t'inquiète. On rentre maintenant." Sa voix s'était faite plus douce. Compréhensive au possible.
Mais en vrai, qu'est ce qu'il en savait, qu'ils allaient trouver la sortie ?

Rien.

Il en savait foutrement rien.
Mais il fallait garder le moral, pas laisser tomber, justement. Sinon c'était sur qu'ils en sortiraient jamais, de ce foutoir.
Le truc, c'était qu'Apache, lui, il était la depuis bien plus longtemps que Skunk.
Il avait l'habitude des situations inextricables qui se résolvaient parfois comme de par magie.
Quand on pensait que tout était fichu, et que d'un coup, un machin sortie de nul-part faisait qu'on survivait !
Que l'aventure continuait.
Comme dans un rêve dont on ne se réveillait jamais.
Ou un cauchemar.
Ça dépendait des points de vu, et des situations.

Il s’accroupit aux cotés de Skunk, ses genoux claquant, témoins de la fatigue physique.
"Ça va aller." Il ajouta doucement, avec un sourire. "Après ça on ira se murger... Je connais une planque ou on peut faucher de quoi picoler jusqu'à l’éternité !"

C’est bien Apache qui revient, oui. Skunk a presque le temps de s’en sentir un peu soulagé. Mais le silence avec lequel son compagnon d’infortune le salue, en le voyant toujours au sol, balaie tout sursaut d’espoir. Tête baissée, le Dandy attrape son avant-bras blessé pour le serrer contre sa poitrine et se recroqueville contre la commode, comme s’il s’attendait à prendre un coup. Peut-être pas physiquement, non, tout de même pas. Mais le punk peut lui faire mal de manière bien plus rapide et efficace, en quelques mots, que Skunk anticipe avec un désespoir épuisé.

Apache va l’abandonner là. Maintenant, le Récolteur en est sûr.

“Euh... J'ai réussi à récupérer une tonne de sucre ! Avec ça au moins t'es sur qu'ils te casseront plus les couilles, les autres... !”

Skunk cille un peu trop de fois, un peu trop vite, seul indice extérieur qu’il a entendu la fanfaronnade du punk. Il ne rate pas sa saveur complètement surjouée, artificielle, qui le déstabilise et l’empêche de vraiment se réjouir : Apache est mal à l’aise, même lui peut le percevoir. Mais pourquoi? Pourtant, il a bien ramené du sucre, il avoue même l'avoir fait dans l'intérêt du Dandy. Est-ce que c'est juste que le punk n'assume pas trop de se montrer sympa, ou est-ce que c'est plus grave que cela ? Est-ce qu'il est fâché, au fond, de remplir malgré lui cette mission qui va contre ses valeurs ? Est-ce qu'il en veut à son cadet de l'avoir entraîné dans une telle galère ?...

Insensiblement, Skunk resserre son étreinte autour de son bras mordu. Il se fait mal. C’est volontaire.

Me laisse pas.
Me laisse pas.
S’il te plaît je suis désolé je sais que je suis nul et chiant et inutile mais me laisse pas.
J’ai essayé...

“Allez t'inquiète. On rentre maintenant.”

La voix de l’Hérissé a soudain pris un ton délicat, précautionneux, que Skunk ne lui connait pas... ou pas à ce point, disons. Le Dandy y retrouve pourtant des échos d’autres paroles, d’autres moments. Leur émerveillement commun devant le colibri de bonbons, par exemple. Ou ce moment où Apache lui a dit de prendre son temps, après sa crise de panique.

Et ce “c’était pas ce que tu voulais dire” indulgent, une éternité plus tôt, dont Skunk se rappelle pourtant avec une précision absolue.

Apache s’accroupit face à lui. Lentement, le Dandy accepte de relever la tête pour croiser son regard sombre. Et noter son sourire.

“Après ça on ira se murger... Je connais une planque ou on peut faucher de quoi picoler jusqu'à l’éternité !”

Skunk reste juste un peu trop longtemps immobile, comme s’il n’avait pas compris les mots du punk. Puis, timidement, il esquisse un sourire lui aussi. Oh, c’est juste un truc pas bien vaillant, qui tremble sur ses lèvres bleuies de froid. Mais il a le mérite d’exister. Et d’être sincère.

“Si... si tu me prends par les sentiments...”

Le Dandy se redresse un peu, en soufflant longtemps pour maîtriser la douleur qui lacère ses vertèbres. Puis, sans regarder son compagnon en face, il lâche avec lassitude :

“Est-ce que... Peux-tu m’aider à me lever ? J’ai le dos bloqué.”

Il se mordille la lèvre inférieure, fort, pour ravaler le regain d’angoisse qui remonte soudain dans sa gorge comme une envie de vomir.

“Si tu dois en plus porter le sac, je... je peux essayer de marcher à côté de toi. Si tu... Si je peux m’appuyer sur tes épaules, et avec ma béquille, je ne te gênerai pas trop.”

Ses yeux clairs glissent sur le visage du punk avec une crainte perceptible, puis ils vont examiner le sac rafistolé que Apache a laissé près de l’entrée. Et comme Skunk réalise seulement à cet instant ce par quoi il était censé commencer, il ajoute :

“Oh, et concernant le sucre, je... je suis ton obligé.”

Il hésite, semble chercher une précision supplémentaire.

“... Ta compréhension est très appréciable.”

Le Dandy était à bout.
Au bout du rouleau et à bout de souffle.
Les yeux rougies par des larmes qu'Apache n'avait pas vu couler mais qu'il devinait sans mal, le teint pale, les lèvres tremblantes, la douleur et la fatigue marquaient son visage de gosse, lui faisant prendre quelques années tout en lui en faisant perdre d'autre. L'impression qu'il était plus vieux mais plus jeune à la fois.
L'épuisement et la fragilité qui se peignaient dans ses yeux verts dont la couleur ressortait d'une manière étonnante du fait du rouge et des larmes.
Et puis, comme une petite étincelle dans la nuit, une esquisse de sourire se dessina sur les lèvres du récolteur.
Ce n'était pas grand chose, mais le punk ne le rata pas. Sensation nette d'une main tendue qui avait été saisi.


"Si... si tu me prends par les sentiments..." En réponse, l'anarchiste pouffa d'un rire soufflé, alors que l'autre se redressait lentement, très progressivement, ses muscles se tendant perceptiblement du fait de la douleur.
Une fois sortit de la, il le traînerait illico à l'infirmerie, surtout. La murge attendrait.
Ou alors ils se feraient ça directe sous le nez de l'autre crétin de Soul.

"Est-ce que... Peux-tu m’aider à me lever ? J’ai le dos bloqué.
- Bah ouais bien sur." C'était répondu tout naturellement.
"Si tu dois en plus porter le sac, je... je peux essayer de marcher à côté de toi. Si tu... Si je peux m’appuyer sur tes épaules, et avec ma béquille, je ne te gênerai pas trop.
- Tu m'gène pas..." Les yeux humides et un peu perdus du Dandy se baladèrent jusque vers la boule sac de sucre.
"Oh, et concernant le sucre, je... je suis ton obligé."
Le punk cligna des yeux, fronçant les sourcils.
"... Ta compréhension est très appréciable.
- Euh..." Apache hésita. C'était un peu bizarre, mais dans le contexte, il avait l’impression de comprendre qu'il le remerciait.
"Beiin ok... De rien !" Il lui fit un sourire sincère. "Allez !" Sa voix s'était faite un peu plus forte, le ton se voulant encourageant pour la suite. "On va pas moisir ici ! Accroche toi !"
Et comme il l'avait déjà fait une fois, le révolté tacha d'aider Skunk à se relever, tout doucement, sans le saisir avec trop de poigne, trop de force, pour éviter de le blesser.
"T'es sur que ça va aller ?" Il demanda, pas si rassuré. "Par ce que sinon..." Il savait déjà ce que l'autre allait dire, mais bon. Il avait vraiment l'air d'être dans le mal ! Est ce qu'il allait vraiment réussir à marcher ?
Et si oui, pour combien de temps ?
Est ce que ça ne valait pas mieux le coup de tout de suite passer au plan "J'te prend sur mon dos ?" Quoi qu'il en fut, le punk tentait sa chance.
Le Dandy était dans un tel état, ça crevait les yeux qu'il allait l'empirer en s'acharnant à marcher.

“Tu m'gènes pas...”

Ce n’est qu’une petite phrase, très banale, lâchée machinalement par Apache. Mais Skunk s’en sent ému de manière parfaitement démesurée. Il ne sait même pas ce qu’il ressent, juste que cela lui laisse une sensation de chaud dans la poitrine et qu’il a en même temps envie de sourire et de pleurer. Il y a quelque chose, dans ces quelques mots, quelque chose que le Dandy ne comprend pas et qui pourtant le percute de plein fouet, quelque chose qui vient déposer un baume apaisant sur une plaie profonde, que Skunk a oubliée (à laquelle il a renoncé) et qui pourtant continue de lui faire mal, loin sous la surface.

“Tu m'gènes pas...”

Le Dandy ose croiser le regard d’Apache, qui essaie de l’encourager à se relever. Encore une fois. Malgré tout.

Alors, dans un silence résolu, Skunk hoche la tête, serre les mâchoires et se cramponne comme il peut aux revers du punk, même si sa main gauche refuse toujours de se fermer.

Oh, comme il regrette de ne plus avoir de rhum...

Le seul point positif de cette situation de cauchemar, c’est que le Récolteur est tellement à bout qu’il arrive à ne plus se préoccuper de la propreté d’Apache. Le métis est pourtant couvert de plaques de sucre, poisseux de gélatine et de glace au lait, et en temps normal Skunk se taperait une crise d’angoisse rien qu’à le voir s’approcher à moins de deux mètres. Mais la triste réalité, c’est que le Dandy lui-même est dans un état repoussant, dégoulinant de sueurs froides qui font coller le sucre, avec des vêtements maculés de taches roses, vertes, blanches... Franchement, il va le payer cher, mais il vaut mieux qu’il reste dans le déni aussi longtemps qu’il le peut. Il est déjà bien assez dangereusement près de l’effondrement total et définitif.

Et en parlant d’effondrement... C’est la quatrième fois que Apache l’aide à se remettre debout, et le Dandy comprend très vite que cela risque d’être la dernière. Il a à peine la force de pousser sur ses jambes, qui tremblent et vacillent alors même que le métis soutient quasiment tout son poids. L’Hérissé tente d’être précautionneux, mais Skunk doit quand même fermer les yeux avec force pour contenir les larmes de douleur qui menacent de recommencer à couler. Il se fait tellement violence pour ne pas gémir qu’il en a la tête qui tourne.

L’instant est tout à la fois bref et interminable. Quand le Dandy parvient enfin à se hisser en position verticale, il doit s’asseoir sur la commode renversée pour ne pas tourner de l’œil. Il reste là un moment, les yeux clos, haletant, pâle comme un cadavre. L’air froid s’infiltre dans la petite chaumière par la porte défoncée et il grelotte dans sa chemise trempée. Son bras le brûle, et de la nuque jusqu’aux reins, son dos n’est plus qu’une cathédrale de souffrance, complètement figée. La voix d’Apache lui parvient encore, mais elle lui semble venir de très, très loin :

“T'es sûr que ça va aller ?”

Il y a un instant de silence. Puis, d’un coup, sans rouvrir les yeux, Skunk se met à rire. Un rire affreux, aigre, chargé de désespoir, qui ressemble à des pleurs. Les marshmallows s’approchent avec de petits bruits inquiets, y compris celui toujours perché sur son épaule, mais le Perdu ne s’en rend pas compte.

Non, ça n’ira pas. Il ne peut plus marcher. Il ne peut vraiment, vraiment plus marcher.

Il a le temps de se dire qu’il est foutu. Puis, à la seconde où il se sent vaciller au bord de la rupture, il entend la proposition d’Apache.

“J'te prends sur mon dos ?”

Lentement, Skunk reprend le contrôle de sa respiration et parvient à interrompre ses hoquets hystériques. Il rouvre les yeux et pose un regard épuisé sur le garçon qui lui fait face, ce drôle de gugus avec son épée dorée, ses clopes puantes, ses crêtes rouges, son piercing à la langue, ce couillon qui attaque les Sentinelles à la bouteille de bière et les crocodiles géants à l’opinel, cet improbable punk qui sait lire, se dit homo, appelle les gens “camarade”...

Ces yeux si noirs, qui le regardent avec inquiétude et compassion. Encore. Toujours. Malgré tout.

Un instant, fugitif comme un battement de cils, Skunk a envie de prendre Apache dans ses bras.

Mais il ne le fera pas, bien sûr. Il ne le fera jamais.

A nouveau, le Dandy acquiesce en silence, de l’air défait d’un garçon vaincu. Puis il désigne vaguement le sac plein de sucre, avant d’émettre d’une voix cassée :

“Commence par l’ajuster sur ton ventre. Je grimperai ensuite.”

Il observe le punk quelques secondes, avant d’ajouter :

“Et je sais qu’il fait froid, mais... Tu devrais ôter ton blouson. Avec les piques, je vais avoir du mal à t’aider en m’accrochant à tes épaules. Et je ne voudrais pas l’abîmer davantage.”

Non.
Non ça n'allait pas. Clairement pas.
Tout dans l'attitude de Skunk hurlait que ça n'allait pas. Du teint trop pale, lèvres quasi grises aux grelottements fiévreux. Du rire dissonant sur fond de sanglots aux yeux trop brillants rouges gorgés de larmes.
Ça n'allait définitivement pas.

Lors-qu’Apache lui fit la proposition de le prendre sur son dos, le Dandy se calma, rouvrant les yeux pour les poser sur le punk qui ne pu s’empêcher une légère grimace d'appréhension.
C'était vraiment pas facile comme situation.
Plus dur pour le récolteur que pour le chasseur.
Ils se connaissaient même pas si bien qu'il allait devoir se faire porter. C'était sur que c'était loin d'être idéal. Un coup à se prendre un méchant coup à l'égo ! Il n'appartenait qu'au punk de tacher de dédramatiser la situation au max, que l'autre ne se sente pas trop mal.
Par ce que ça n'allait pas.

Ça n'allait tellement pas, que Skunk fini par acquiescer, acceptant la proposition.
L'Hérissé se sentit à la fois soulagé qu'il consente à ce qu'il le prenne sur son dos, et en même temps un peu inquiet.

C'était grave.
C'était sûr.
Mais à quel point ?
Il espérait fort que le pauvre Dandy n'ai aucune séquelle de cette sale aventure excessivement sucrée.
Faites des missions qu'ils disaient !


"Commence par l’ajuster sur ton ventre. Je grimperai ensuite." Le récolteur édicta, en parlant du sac à sucre. "Et je sais qu’il fait froid, mais... Tu devrais ôter ton blouson. Avec les piques, je vais avoir du mal à t’aider en m’accrochant à tes épaules. Et je ne voudrais pas l’abîmer davantage." Apache acquiesça doucement de la tête, avec un sourire discret. C'était marrant comme le Dandy se préoccupait de l'état de son perfecto. C'était rare que quelqu'un y donne de l'attention comme ça, et ça fit bêtement plaisir au punk. Ce blouson, il était important pour lui, et c'était pas désagréable que quelqu'un d'autre y prête un genre d’intérêt, malgré l’écart immense entre leurs style respectifs.

"Ok, bouge pas." Un peu con, dit comme ça. C'était pas comme s'il allait piquer un sprint dans la minute, mais c'était dit plus machinalement qu'autre chose, alors que l'anarchiste s'éloignait, retirant effectivement son blouson, le nouant à sa taille, et récupérant le sucre juste après, plaçant le sac devant lui.
En temps normal, sans aucun doute que le révolté aurait au moins un chouilla pesté à ce qu'on lui dise quoi faire comme Skunk l'avait fait, mais il fallait croire qu'il était capable de faire la part des choses de temps à autres.

Il revint vers l'autre garçon, la mine déterminée.

"Allez ! C'est parti !" Et il se plaça devant le Dandy, dos à lui, fléchissant les genoux et tendant les mains en arrière pour choper les jambes de l'autre garçon. "Accroche toi !"

Skunk ne connait pas encore assez bien Apache pour réaliser à quel point il est incroyable que le punk exécute aussi facilement les consignes qu’on lui a données. Mais d’un côté, ce n’est pas plus mal : cela évite que le Récolteur réalise lui aussi à quel point son compagnon d’infortune est lessivé, inquiet, à bout... Et que plus globalement, oui, la situation est vraiment grave.

“Ok, bouge pas.”

Skunk émet un bref ricanement sans joie.

“Ça va être difficile, mais je vais faire un effort.”

Il adresse à Apache un rictus narquois, qui reste cependant dépourvu de mépris ou d’hostilité. Au fond de lui, le Dandy sait que c’était juste une tournure rhétorique et qu’il n’aurait même pas dû la relever. Mais les traits d’esprit, même faiblards et inutiles comme celui-là, cela a toujours été l’une de ses ultimes défenses, l’un de ses derniers faux-semblants. Cela donne l’impression, aux autres comme à lui-même, qu’il a du recul sur les choses, qu’il est calme, fort, sûr de lui. Qu’il ne vient pas de s’effondrer en pleurs à peine une minute auparavant et qu’il a très envie de recommencer.

Ça ne va pas du tout.

Skunk soupire et baisse les yeux. Ses ongles se plantent nerveusement dans le nougat de la commode renversée, ce qui fait remonter une nouvelle brûlure le long de son bras gauche. Tout à la fois craintif et curieux, le Dandy lève un peu son membre blessé, essaie de fermer la main et de bouger le poignet, contemplant la douleur qui traverse son avant-bras à chaque geste : tout fait mal, mais rien ne semble vraiment hors service. Un peu rassuré, le Perdu relève alors la manche de sa veste et de sa chemise. Il entrevoit un affreux camaïeu de violet et de rouge répandu sous sa peau, grimace et rabaisse le bras sans insister davantage. De toute façon, il ne peut rien y faire. Et ce n’est clairement pas celle de ses blessures qui risque de lui coûter le plus cher.

“Allez ! C'est parti !”

Skunk relève la tête avec un sursaut, surpris par la soudaine présence d’Apache devant lui : il n’a pas vu le Chasseur se déplacer. Confusément, le Dandy comprend qu’il a eu une sorte d’absence, que ce monde délirant qui lui sert de réalité commence à se dérober sous ses pieds.

Non, vraiment, ça ne va pas du tout.

Sous les encouragements pressants des marshmallows, le Hérissé se met alors dos au Récolteur, dont il attrape les jambes d’un geste assuré. Beaucoup trop assuré.

“Accroche toi !”

“Wow wow doucement !!! D... doucement...”

Apache n’a encore rien fait, pourtant. Mais le simple contact de ses mains sous les genoux de Skunk déclenche chez ce dernier une brutale bouffée de panique. Le Dandy ne comprend même pas pourquoi ; il se dit que c’est juste parce qu’il va (forcément) encore avoir mal, que c’est une appréhension tout ce qu’il y a de plus logique, de plus normale. Ou à la rigueur, que c’est parce qu’il a un peu honte de se faire trimballer par son pote, comme le boulet qu'il est.

Mais quand le punk recule pour permettre à son cadet de s’accrocher à lui, Skunk comprend que c’est plus compliqué que cela. Un instant, il reste figé sur place, en appui sur ses bras tétanisés, à fixer stupidement la nuque d’Apache. Quelque chose bloque, dans sa tête ou dans son corps, il ne sait pas vraiment, et d’un coup il doit se retenir de toutes ses forces pour ne pas repousser ces paumes posées sur ses cuisses, ce dos beaucoup trop proche. Pourtant le Hérissé l’a déjà touché, il l’a aidé plusieurs fois à se relever ; mais là, ce... c’est...

“Pouic ?...”

Le Dandy glisse un regard sur le côté, vers le marshmallow qui s’attarde sur son épaule et semble le dévisager d’un air interrogateur. Skunk essaie de déglutir, mais le stress laisse sa gorge douloureusement sèche : c’est vrai, bon sang, qu’est-ce qu’il fabrique ? Il ne se passe rien. Il ne se passe rien...

Et puis, ce n’est pas comme s’il avait le choix.

Après un laps de temps bien trop long, Skunk finit par glisser ses bras par-dessus les épaules du punk, avec une lenteur terrifiée qui n’a rien de naturel. Il lui faut encore plusieurs grandes inspirations avant qu’il ose se hisser sur le dos du métis. Dans l’effort, il ne laisse échapper qu’un infime gémissement, mais ensuite sa tête retombe quand même un peu trop brutalement sur son propre bras, aussi loin qu’il le peut du visage d’Apache.

A travers sa chemise, Skunk devine la chaleur du corps du Chasseur, les mouvements réguliers de sa respiration. Il sent les bras qui raffermissement leur prise autour de ses jambes. Il perçoit l’odeur du punk, dont un vague relent de cigarette qui n’est qu’à peine perceptible dans tout cet air poisseux de sucre.

Comme Skunk le redoutait, c’est trop. Juste trop.

Il réalise vaguement qu’il ne se rappelle plus la dernière fois qu’il a eu un contact aussi franc et prolongé avec un autre être humain, encore moins avec un garçon. Il y a bien eu quelques bagarres, mais rien qui compte comme une véritable proximité, volontaire, amicale. Même avant, dans l’Ordinaire, Skunk a la sensation que ce genre de choses ne lui arrivaient que très peu.

Mais quand bien même, c’est juste un autre Perdu qui le prend sur son dos, merde... Ce n’est même pas si intime comme contact, ce n’est rien d’extraordinaire, pourquoi est-ce qu’il panique à ce point, pourquoi est-ce qu’il trouve ça ingérable alors que ce n’est même pas si désagréable, qu’est-ce qu’il fout putain, qu’est-ce qu’il fout ?!

Skunk enfouit silencieusement son visage dans le creux de son coude gauche, en espérant y étouffer sa respiration trop hachée et rapide. Ses bras se crispent autour des épaules du Hérissé, tremblants de l’effort que le Dandy fait pour se retenir sans pour autant céder à l’angoisse et trop resserrer sa prise. Le Récolteur tente de se concentrer sur ce geste, de canaliser toute son attention pour se faire le plus léger possible, pour ne pas trop peser sur l’avant-bras blessé d’Apache. Pour ne pas totalement perdre les pédales, surtout pas pour une raison aussi pitoyable.

Dans un suprême effort de volonté, il parvient même à parler, d’une voix qui se résume cependant à un murmure exténué :

“Ce... c’est bon. On p... on peut y aller.”

Plusieurs couinements enthousiastes saluent sa phrase et les marshmallows s’empressent de bondir vers la porte, visiblement pressés de guider les deux garçons en dehors de la chaumière.

Avec un soupir, Skunk ferme les yeux. Il espère vraiment que la sortie n’est pas loin.

"Accroche toi !
- Wow wow doucement !!! D... doucement...
- Ok, ok." Apache n'avait rien fait de particulier. N'avait pas tenté de chopper Skunk sans son assentiment, de le brusquer. N'avait pas fait de gestes qui auraient pu faire penser qu'il allait agir sans attendre que l'autre soi prêt. Mais il supposa sans mal que vu l'état de son compagnon d'infortune, il était bien normal que celui la soit au moins un brin stressé à l'idée d'être trimballé. Il n'arrivait déjà même plus à se tenir debout, alors il n'avait pas de difficulté à deviner la douleur que cela devait être de se faire porter. "Prend ton temps. C'est cool." Et c'était dit sincèrement.

Il resta donc la.
Immobile.
Patient.

Et derrière lui... Ça ne bougeait pas vraiment.

Alors il attendait.
Sans rien dire.
Sans bouger.

Le temps inexistant s'étirait.

Et alors qu'il commençait à se poser des questions, son attention fut attirée à ses pieds par quelques marshmallows qui se dandinaient en pouic pouicant. Qui s'amusaient à se grimper l'un sur l'autre, imitant la scène future qui se préparait. Ça fit sourire le punk, et permis qu'il ne remarque pas tant l'attente qui se faisait longue, l'air de rien, sans que rien n'arrive.
Longue, trop longue. Trop silencieuse pour que ce ne soit du qu'au fait de l'appréhension de la douleur.
Les bonbons firent gagner du temps au blessé, adoucissant la situation comme le sucre qu'on laissait fondre dans un café trop noir, trop amère.

Les bras tremblants et hésitants du Dandy finirent par passer par dessus les épaules du punk, qui, interpellé, se re focalisa sur sa future tache. Le récolteur se hissa lentement, non sans mal, laissant filer un petit gémissement qui, bien que discret et plus ou moins contrôlé, ne passa pas inaperçu au vu de la promiscuité des deux garçons.
Mais l'Apache ne dit rien. Le moindre commentaire serait malvenu. Il n'avait qu'a le laisser faire à sa manière et à son rythme, et l'accompagner au mieux qu'il pouvait. Ce qu'il fit.

La respiration trop courte et saccadée de Skunk, l'iroquois la lia à la douleur et à la fatigue qu'il devait ressentir. Il ne se rendit pas compte du malaise que l'autre vivait, dans son dos, comment il avait enfoui son visage contre son bras, tentant d'échapper à une réalité trop rude, loin des merveilles que le tyran avait du lui promettre en l'emmenant sur son île magique de Jamais.
La ou le rêve pouvait se changer en cauchemar, à chaque coins de NeverLand, à chaque missions, à chaque rencontres... Tout pouvait basculer.
Et tout avait basculé.
Ce que le chasseur calcula, c'était que, comme il le pressentait, le Dandy ne pesait pas bien lourd. Mais malgré tout, son poids fut suffisant pour lui arracher une grimace de souffrance, alors qu'il sentait la peau de son avant bras droit lui tirer douloureusement.
La pression exercée dessus avait clairement ré ouvert la plaie, sa chair s'arrachant du sucre qui s'était reformé et s’immisçait dedans, alors que personne ne l'y avait invité.
Mais le punk prit sur lui.
C'était largement supportable.

"Ce... c’est bon. On p... on peut y aller.
- Ça marche ! Accroche toi bien." Et dans un reflex un peu malheureux mais difficilement évitable, Apache remonta un coup sa prise pour mieux l’assurer, secouant un coup le pauvre Skunk sur son dos. "Désolé pour ça..!" Il lâcha avec une mine de circonstance.
L'instant d'après, les marshmallows se mirent à sauter dans tout les sens, visiblement très déterminés à les aider à se sortir de ce bordel.

"Ok les gars, j'vous suis c'est ça ?"
Les bonbons pouic pouiquèrent en fanfare, démultipliant les cabrioles. Ils avaient beau être dénués de parole, ils arrivaient parfaitement à se faire comprendre.

Alors, enfin, Apache se mit à marcher, suivant les guimauves amicales qui à la fois les accompagnaient et leur indiquaient le chemin à prendre; petite procession mignonne, bienveillante et sucrée.
Le punk et sa charge; sucre en poudre ballottant devant lui et copain sur le dos, passèrent rapidement la porte de la maison malmenée, continuant sur la route désignée.

Est ce qu'il était si malin de faire confiance à des bonbons dans cette zone ou ceux la pouvaient parfaitement être des ennemis ?
Il était clair que non.
Mais ce n'était pas vraiment comme si le punk avait le choix, présentement. Il n'avait décidément aucune idée de comment les tirer de ce bourbier refileur de diabète, alors quoi ?
Mieux valait tenter le tout pour le tout.
Et puis jusqu'ici, les marshmallows avaient plus ou moins démontré un statut d'allié.
Il fallait parfois mettre de coté l'appréhension et foncer, et ça tombait bien, c'était ce qu'Apache faisait de mieux.

Il tachait de ne pas trop secouer le Dandy, tout en avançant. Gardant une prise ferme sur ses jambes pour ne pas a avoir à la remonter trop souvent, causant des turbulences douloureuses.
Il marchait aussi à pas mesurés. Trottiner était tentant mais jamais le pauvre Skunk ne le supporterait !
Le chasseur préférait garder ça en cas de force majeure.

"Ça va ? Tu tiens l'coup ?" Il demanda au bout d'un moment, et devant lui, vers la ou les guimauves les menaient, un grand arbre apparaissait de plus en plus nettement, faisant faire une embardée au cœur de l'adolescent français. "On y arrive bientôt !" En vérité, il n'en savait rien. Mais à ce stade de la mission, Apache se raccrocherait à n'importe quoi pour donner du baume au cœur du blessé. Le faire tenir. Juste encore un peu. Un tout petit peu.
C'était bientôt terminé.
Il le sentait.

Il le fallait.

Skunk divague un peu. Le monde lui semble cotonneux, distant. Ses sensations et émotions sont comme engourdies. Un manque de précision et une perte de contrôle qui, en temps normal, lui feraient très peur. Mais ce jour-là, il les accepte avec reconnaissance : il a vraiment besoin d’une pause, aussi malsaine soit-elle.

Il a cédé quand Apache l’a remonté sur son dos, pour assurer sa prise. Un réflexe compréhensible mais pas très heureux, auquel Skunk ne s’attendait pas : la douleur lui a arraché un glapissement qu’il n’a pas pu retenir, une petite plainte pathétique de chien qui se prend un coup de pied, et tout s’est assombri. Il a vaguement entendu que Apache s’excusait, mais il n’a pas répondu. Il s’est juste recroquevillé sur le dos du punk, oubliant le bras blessé de ce dernier, oubliant tout ce qu’il pouvait oublier sans perdre connaissance.

Est-ce qu’il a déjà eu mal à ce point ? Il n’en a pas l’impression. Pourtant, il en a pris des coups dans sa courte vie, mais ce n’étaient que de petits passages à tabac de cours de récré ou une baffe parentale par-ci par-là. Rien de bien dramatique, n'est-ce pas ? En tout cas, rien de comparable à ce qu’il vit maintenant, dans ce monde qu’on lui a vendu comme bien meilleur.

Confusément, Skunk se rend compte qu’il aimerait rentrer chez lui, sans pour autant savoir ce que cela veut dire, “chez lui” ; peut-être son lit, dans cette petite chambre aux murs nus dont il ne se rappelle déjà presque plus ? Il s’y sentait chez lui, parfois, non ? La nuit, avec un livre ouvert et une porte fermée.

Le Dandy essaie un instant de s’accrocher à cette sensation, terne et un peu mitée, qui lui semble pourtant mieux que rien. Mais elle file entre ses doigts comme une poignée de poussière.

“Ça va ? Tu tiens l'coup ?”

“Mmmh.”

Skunk entrouvre les yeux, un peu ébloui par l’éclat diaphane de la glace au lait : ils sont à nouveau derrière la chaumière, dans le jardin à présent déserté par ses gardiens de sucre. Toujours escortés par la nuée de marshmallows, ils s’approchent de la forêt en chocolat qui s’étend au fond du terrain et tout particulièrement d’un grand sapin sombre, qui doit bien faire deux mètres de diamètre. Les petites guimauves se précipitent vers son tronc pour y rebondir avec force “pouics!”, qui sont repris par le marshmallow toujours logé sur l’épaule de Skunk.

“On y arrive bientôt !”

Le Dandy laisse échapper un soupir où la fatigue se dispute au soulagement : oui, on dirait bien qu’ils arrivent bientôt. Où ça, honnêtement, le Récolteur n’en sait rien. Mais tant que c’est un autre “où” que ce “ici”, tout lui convient.

Apache s’avance vers le sapin et Skunk fait l’effort de redresser un peu la tête, en se cramponnant à la lanière du sac pour ne pas perdre l’équilibre (et pour ne pas avoir à s’agripper directement à l’épaule du punk). L’arbre est impressionnant. Ses branches sont lourdes de milliers de fines épines translucides, probablement faites de sucre. Son tronc est couvert de sillons élaborés, qui ressemblent moins à de l’écorce qu’à d’élégants hiéroglyphes. D’ailleurs les marshmallows semblent en avoir repéré un en particulier, une sorte de spirale de la taille d’une main, environ un mètre au-dessus du sol ; certaines des guimauves tentent de former une pile pour le désigner, pendant que les autres sautillent autour avec une excitation perceptible.

Est-ce que cela pourrait être un piège ? Aisément. Mais sans que les deux garçons se soient concertés, Skunk est de l’avis d’Apache : de toute façon, tout ce qui importe à présent, c’est de sortir de cette foutue Machine.

Doucement, le Dandy tend son bras blessé vers le tronc :

“A... Approche-toi un peu...”

Il n’en faut pas beaucoup pour que ses doigts engourdis de froid touchent la surface lisse du chocolat noir et trouvent le centre de la spirale. Skunk y appuie sans aucune force, mais cela semble suffisant : avec un lourd déclic, bizarrement métallique, le motif s’enfonce en tournant sur lui-même... Et lentement, un grand pan du tronc coulisse sur le côté, en une porte qui dévoile que l’arbre est creux. Et que ce n’est pas un arbre.

C’est un tuyau. Exactement comme celui que les deux Perdus ont emprunté dans la bouche de la Machine, sauf que celui-ci s’enfonce dans le sol en pente douce. Les marshmallows lâchent un concert de “pouics!” ravis, et même Skunk ne peut s’empêcher d’éprouver une sourde mais brutale bouffée d’espoir.

“C’est... Est-ce que tu vois...”

La sortie.

“... Quelque chose ?”

Alors qu'il marchait, faisant tout son possible pour minimiser les secousses tout en avançant le plus vite possible, le silence sur la petite équipe pesait de plus en plus lourd, serrant le cœur de l'Apache, le saisissant d'inquiétude.

"Ça va ? Tu tiens l'coup ?
- Mmmh." Le punk n'eut droit à rien d'autre, mais s'en contenta, n'insistant pas plus. Le savoir conscient était déjà mieux que rien.
Il fallait vraiment qu'il les tire de la en vitesse. L'aventure n'avait que trop duré.

Tout ça pour du sucre !
Putain de mission à la con.

Heureusement, celle ci semblait belle et bien toucher à sa fin, alors qu'un immense sapin se dressait maintenant devant eux. Majestueux, et clairement pas comme les autres.
Les marshmallows s'agitaient, sautant dans tout les sens, indiquant la marche à suivre.
Pas d'autre choix que de leur faire confiance.
Au point ou ils en étaient de toute manière...

Le Dandy, malgré son état, tendit le bras vers le tourbillon sculpté, puis-qu’Apache avait les mains prises, dans l'impossibilité de le faire lui même.
"A... Approche-toi un peu..." L'iroquois s’exécuta, permettant à l'autre d'atteindre son but.
A peine effleuré, un mécanisme s'activa, et devant les yeux ébahis bien que fatigués du chasseur, une porte s'ouvrit en grand.

"C’est... Est-ce que tu vois... Quelque chose ?"

L'anarchiste s'approcha un peu plus, se penchant en avant pour essayer de voir quelque chose.
Pour seule réponse, il n'eut qu'une bourrasque qui le souffla tout entier, le décoiffant plus encore que ce qu'il était au naturel.

"Ouais ! C'est la sortie !" Il déclara.

Alors qu'en fait il n'avait rien vu du tout. L’intérieur du tuyau était parfaitement sombre.
Mais de toute manière, ils allaient la passer, cette porte, pas vrai ?
A quoi bon torturer son camarade déjà au bord du gouffre ?
Les guimauves animées pouic pouiquaient de concert; encourageantes !

Alors, tout doucement, Apache s'asseyait sur le rebord, faisant toujours en sorte de ne pas secouer Skunk d'une quelconque façon.
Une longue inspiration, un chouilla tremblante.

"Prêt ?" Il demanda et pour le Dandy, et pour lui. "Accroche toi bien mon pote." Le tuyau était lisse et ne se présentait pas en une pente trop raide, mais qui savait par quoi les deux allaient passer ?

"On rentre à la maison." Comme une promesse de faite, basée sur absolument rien. Un dernier regard vers les marshmallows. Un signe de tête, remerciement silencieux, et l'instant d'après, l'anarchiste se laissait glisser dans le tuyau sombre.

La lumière disparue rapidement, les garçons glissant dans le noir à une vitesse d'abord raisonnable, puis plus rapide, fendant les ténèbres ! Aucun repère autour d'eux, si ce n'était les parois qu'ils sentaient, le vent qui les giflait et l'odeur qui se chargeait de métal, remplaçant celle du sucre.

Et puis soudain, autour d'eux, une myriade de loupiote qui grésillaient, semblable à des étoiles ! Avec la vitesse, c'était comme s'ils voyageait dans l'espace intersidéral !
Le punk ne pu s’empêcher de sourire, malgré le contexte !
C'était comme un toboggan mais en mieux !
Il espérait fort que l’atterrissage ne serait pas rude, se préparant mentalement à encaisser au max pour ménager le récolteur qu'il avait dans son dos.

Il fut surpris alors qu'ils se recevaient une brève pluie d'eau, continuant de glisser à plutôt bonne vitesse, et puis, les étoiles disparurent, remplacées par une lueur pale.
Ca y était !

L'Hérissé voyait la lumière au bout du tunnel !

Contre toute attente, le tuyau se redressait légèrement sur la fin, ralentissant leur descente en douceur, et tranquillement, ils atterrirent à la sortie du conduit sans grandes secousses.

Apache avait le cœur qui battait fort, et la respiration courte. Il se rendait compte maintenant que l'appréhension avait été assez prenante pour le faire haleter.
Il cligna des yeux, toujours assit, regardant autour de lui.

"A... Attend la." Le chasseur se releva, se détachant de Skunk, le laissant tranquillement assit ou il était pendant que lui faisait le tour de la pièce des yeux, pas assez grande pour qu'il ai besoin de plus. Son regard s'accrocha très rapidement sur une lourde porte surmontée d'un panneau vert néon.



Un sourire soulagé bien qu'épuisé remonta les lèvres du punk, et sans attendre, il posa ses deux mains sur la grande clanche, appuyant dessus.
La porte s'ouvrit dans un gros bruit de métal et l'air frais de la foret souffla au visage du français.

"Putain..."

Ni une ni deux, il revint vers son ami.

"C'est bon ! On se casse !" Il n'avait pas envie d'attendre plus longtemps pour retrouver le bois. Pas envie d'attendre que la machine ne se remette en marche brusquement !
Pourtant, il allait falloir garder son calme, car l'état du Dandy n'avait aucune raison de s'être amélioré entre temps.

"Ça va ? Je t'amène à l’infirmerie ! Ça va aller ! C'est fini ! On rentre !" L’excitation était intense et le faisait babiller ! Il parvint à la faire redescendre d'un cran en inspirant profondément, reprenant sa respiration.

"Mec, on a réussi !"

Ils avaient gagné.