Concentré sur sa tâche, Skunk ne prête pas attention aux soupirs et protestations d’Apache : déjà qu’en temps normal il n’a pas l’énergie de gérer les états d’âme des autres, ce n’est pas maintenant, alors qu’il est lui-même épuisé et au bord de la crise de nerfs, qu’il va apprendre à rassurer quelqu’un. Au fond, le Dandy n’essaie même plus de trouver une solution intelligente à toute cette merde : il se cramponne juste à l’idée qu’il a trouvée, en espérant qu’elle fonctionne. Et si elle ne fonctionne pas... il verra bien. Entre l’angoisse de trouver du sucre dans la plaie d’Apache et des larmes dans ses yeux sombres, Skunk n’a plus la force de voir au-delà des deux prochaines minutes.

Il est d’autant plus surpris d’entendre soudain le punk lui parler calmement, presque avec patience :

“Tu penses pas qu'on devrait plutôt économiser l'eau qu'il nous reste ?”

Skunk relève la tête et dévisage le métis, l’air de ne pas comprendre de quoi parle ce dernier.

“On sait pas combien de temps on va encore rester coincés la dedans... Et puis... Ça fait déjà plus si mal. C'est moche mais en vrai c'est pas grave. C'est juste impressionnant à voir."

“Oh arrête tes conneries...”

Le Dandy a un geste sec pour montrer le chantier imprégné d’hémoglobine qui ravage la chair d’Apache.

“C’est dangereux, les plaies de l’avant-bras. Tu te rends pas compte, là-dedans il y a tous les nerfs et les tendons qui gèrent ton poignet, ta main... Et au moins une grosse artère, qui peut si bien te tuer que les gens font exprès de l’ouvrir quand ils veulent se foutre en l’air.”

L’adolescent déglutit et jette un regard effrayé à la balafre, comme si ses mots allaient déclencher une hémorragie aussi brutale que massive. Mais, maigre bonne nouvelle, pour l’instant cela n’a pas l’air d’être le problème : la blessure se contente de suinter doucement, en filets réguliers qui vont lentement imprégner le revers du sac du Récolteur.

“En plus, à mon avis... Cette saloperie de sucre va revenir. C'est dans l'air. Ce putain de sucre est dans l'air et du coup il se glisse partout jusque là dedans. Tu l'sens pas ? Au fond de ta gorge ? L'air est sucré !”

Skunk se tasse un peu sur ses talons et se mord la lèvre, l’air perdu. Ce que dit Apache est loin d’être idiot, le Dandy s’en rend bien compte. Il y a un vrai risque que ce soit vrai. Et puis, les mots du punk trouvent un écho désagréable dans l’avertissement de Clumsy, que Skunk répète encore, à voix basse :

“La Machine change les gens...”

Les yeux fixés sur la plaie avec un mélange d’horreur et de fascination, le Dandy frissonne, autant d’appréhension que parce que la pression qui retombe le laisse dangereusement froid et vide. Ses doigts se crispent sur la gourde tandis qu’il lutte contre une panique inédite, autrement plus insidieuse que la précédente : la réalisation lugubre mais nette que non, ici, toute son intelligence ne sert à rien. Il ne peut rien arranger. Il n’y a pas de bonne idée à avoir, pas d’éclair de génie qui va métamorphoser leur situation. Ils sont juste deux Garçons Perdus égarés dans les tréfonds de ce faux paradis douceâtre, blessés, seuls, sans aucune aide à attendre de l’extérieur. Et tout qu’ils peuvent faire, à présent, c’est chercher la sortie. Vite. Avec ou sans sucre.

Même si Skunk sait très bien ce qu’il va lui arriver, s’ils survivent à cet enfer pour revenir sans leur butin.

La pensée du cachot l’étrangle d’un coup, et pour ne pas gémir Skunk se mord la lèvre inférieure jusqu’au sang. Mais avant qu’il perde le peu de contrôle qu’il lui reste, Apache lui procure la plus efficace des diversions... en recommençant à triturer le sucre qui dépasse de sa plaie. Brusquement, la plainte coincée dans la gorge de Skunk devient un râle presque plus indigné que terrifié :

“Mais j’y crois pas, laisse ce putain de truc tranquille, MERDE!”

Apache parvient quand même à retirer la plus grande des plaques de sucre de son avant-bras, avec un petit bruit humide qui donne à Skunk envie de vomir. Bien plus blanc que son col de chemise, le Récolteur referme tant bien que mal la gourde de ses doigts tremblants, en gardant obstinément les yeux baissés :

“Bon d’accord, on va repartir. Mais arrête de tripoter la plaie, tu vas vraiment finir par arracher quelque chose d’essentiel. Et c’est ton bras droit, en plus, putain...”

Il retire de sa poche intérieure un autre mouchoir, soigneusement plié, qu’il tend à Apache :

“Tiens, il est propre. Avec ça, le rembourrage que j’ai dans le sac et une ceinture, on devrait réussir à faire un bandage digne de ce nom, le temps de sortir d’ici.”

Il soupire, jette un coup d’œil dépité aux jolies fleurs en bonbons qui oscillent autour d’eux. Puis son regard clair se porte plus loin, vers cet horizon désespérément large qui les encercle. Sur une colline au-delà des derniers arbres de la forêt, on distingue un peu de blanc : du sucre, enfin ? Ou une énième déception ?

Découragé, Skunk reporte son attention sur Apache :

“... Il y a peut-être une autre explication à la présence du sucre dans ta plaie ? Comment est-ce que tu t’es fait mal, en fait ? C’est le crocodile qui t’a mordu ?”

"Oh arrête tes conneries..." Qu'il lui avait balancé, le Skunk. Et peut être bien qu'il avait raison. Tout ça, c'était des conneries. Apache eut un reniflement, pas vexé pour un franc par ce que pas tant convaincu par sa propre parade.
"C’est dangereux, les plaies de l’avant-bras." Le punk fit une moue, la mine incertaine. "Tu te rends pas compte" Le Dandy continua, visiblement motivé à le convaincre du bien fondé de son inquiétude. "Là-dedans il y a tous les nerfs et les tendons qui gèrent ton poignet, ta main..." Le chasseur l'écoutait, et tout en ce faisant, ses yeux revenaient à son bras charcuté, la bouille pas fière. "Et au moins une grosse artère, qui peut si bien te tuer que les gens font exprès de l’ouvrir quand ils veulent se foutre en l’air."
Ouais.
Ca, bizarrement, ça lui parlait.
Et d'ailleurs, le punk agita doucement la tête à la positive, silencieusement. Le récolteur avait réussi son coup, l'anarchiste abdiquait.
C'était que le plus jeune, il avait l'air d'en connaître un rayon sur le sujet.
Genre; l'anatomie.
Il avait dit des mots compliqués comme "tendons" ou encore "artère".
C'était pas que c'était des mots qu'Apache n'avait jamais entendu, mais juste, pour lui, ça évoquait vaguement un truc qu'on savait pas trop comment ça fonctionnait, ou ça se plaçait et à quoi ça servait.
Le Dandy, lui, il avait l'air de savoir.

Il avait l'air de savoir plein de choses.

Et c'était stylé.

"Mais j’y crois pas, laisse ce putain de truc tranquille, MERDE!"
Mais trop tard, le punk avait réussi à décoller arracher le plus gros morceau de sucre. A la fois ça faisait mal, c'était dégueu et ça soulageait !

"Bon d’accord, on va repartir." L'anglais avait refermé la gourde, les arguments du révolté ayant visiblement fait mouche. "Mais arrête de tripoter la plaie, tu vas vraiment finir par arracher quelque chose d’essentiel. Et c’est ton bras droit, en plus, putain..."
Apache avait soufflé un rire étouffé.
"Ok ok, j'y touche plus." Ou au moins il allait essayer. Retirer la plus grande plaque de sucre lui avait fait ressentir une certaine satisfaction, mais si sa théorie était la bonne, le sucre se reformerait tôt ou tard, et l'envie de l'arracher reviendrait avec.

"Tiens." Le récolteur tendit un mouchoir à l'Hérissé qui le prit sans hésitation. "Il est propre.
- Merci.
- Avec ça, le rembourrage que j’ai dans le sac et une ceinture, on devrait réussir à faire un bandage digne de ce nom, le temps de sortir d’ici.
- Ok !" Et une fois de plus, il agita la tête à la positive.
Mieux qu'un soigneur, ce mec !

Il y eut un petit temps de rien.
Un petit temps de calme qui faisait du bien, pendant lequel le révolté avait appliqué le tissu sur sa plaie, la planquant enfin sous un quelque chose, appuyant un peu fort, espérant calmer le saignement.
Au final, ça pissait pas tant le rouge que ça, et recouvrir la blessure l'aiderait sans doute à moins y penser, à moins avoir envie d'y refoutre les doigts.

"... Il y a peut-être une autre explication à la présence du sucre dans ta plaie ?" L'attention du punk revint au plus pâlichon. "Comment est-ce que tu t’es fait mal, en fait ?"
Apache ouvrit la bouche, prenant une inspiration, comme s'il allait répondre. "C’est le crocodile qui t’a mordu ?" Et il resta quelques secondes comme ça. Sans rien dire, pour au final refermer la bouche, détournant le regard.
"Euh... Ouais." Il répondit finalement, juste avant de se mordre la lèvre inférieure.
Ça, ça s'appelait mentir.

Mais quoi ?
Revenir sur le bordel d'un peu plus tôt ? Est ce que ça valait vraiment le coup ? Ils s'étaient déjà engueulés la dessus, c'était pas la peine de remettre le couvert.
Le problème, c'était que la fausse info allait brouiller les pistes, et ça, le chasseur en était conscient, il tenta donc de rattraper ça.
"Enfin j'sais pas. J'sais plus." Il haussa les épaules. "J'crois que j'me suis fait ça en me prenant un arbre ou... J'sais pas."
Ouais, voila.
"Il m'a un peu secoué dans tout les sens alors..."
Mieux valait rester vague.

Et puis d'un seul coup, le punk se retourna pour de bon vers le Dandy, lui offrant une mine à la fois souriante et intriguée.
"Mais t'en connais un rayon toi sur comment soigner des trucs ! C'est hyper cool !" Changeons de sujet ! Oui voila ! "Tu ferais un bon soigneur j'suis sur !" C'était pratique d'avoir ce genre de connaissances.
Vraiment pratique.

"Et t'en fais pas, on va se tirer de la bientôt, et avec le sucre qu'ils veulent. Comme ça ils nous feront plus chier." Pour au final se relever. "Enfin... Peut être."
Yaura toujours un con de chef pour les emmerder. Fallait pas se leurrer.
Leur ramener ce qu'ils voulaient c'était juste gagner du temps qu'existait pas.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le mensonge d’Apache n’est pas très subtil. Entre la bouche entrouverte et le silence bien trop long qui précèdent la réponse, le regard fuyant et la morsure de lèvre qui l’accompagnent... Clairement, le punk ne serait pas très bon au poker (sujet développé en d’autres lieux). Il enchaîne des “ouais”, des “j’sais pas” et autres “j’sais plus”, en semant un peu partout des “euh” si typiquement français que Skunk doit retenir un sourire en les entendant.

Mais aussi mauvais bluffeur que soit Apache, le Dandy est un interprète encore plus mauvais. Oh, il note bien qu’il y a quelque chose de bizarre dans la réaction du punk, oui. Mais pourquoi évoquerait-il un mensonge ? L’Hérissé n’a aucun intérêt à lui cacher les circonstances de sa blessure - sauf peut-être si elles sont un peu embarrassantes ? Mais pourquoi serait-il embarrassé alors qu’il a été assez fou et courageux (rayez la mention inutile) pour sauter sur le dos d’un tel monstre ?

Que Apache ne sache pas trop comment il s’est fait mal, finalement, c’est logique, presque un peu rassurant dans tout ce chaos ambiant. Alors non, Skunk ne cherche pas plus loin. Pas un instant il ne soupçonne la concession que l’autre garçon lui fait, la gentillesse gratuite dont ce drôle de punk fait preuve à son égard en lui cachant la vérité. Il se contente d’accepter l’approximation d’un haussement d’épaule, tout en fouinant dans les poches latérales de son sac pour y piocher un chiffon.

“J'crois que j'me suis fait ça en me prenant un arbre ou... J'sais pas. Il m'a un peu secoué dans tous les sens alors...”

“A ta décharge, il faut dire que c’était un sacré rodéo.”

Skunk échange un regard avec le punk, avant de hasarder :

“C’était sans doute une très mauvaise idée... mais elle était remarquablement exécutée.”

Il esquisse un sourire, qui fane aussitôt dans une grimace contrariée, avant que le Dandy ne recommence à fouiller son sac : mais quand est-ce qu’il apprendra à faire des compliments normaux, merde ?...

Pourtant Apache ne semble pas lui en tenir rigueur. Bien au contraire, même : lorsque le punk enchaîne, son ton parait enthousiaste :

“Mais t'en connais un rayon toi sur comment soigner des trucs ! C'est hyper cool ! Tu ferais un bon soigneur j'suis sur !”

Skunk redresse brusquement la tête et ses yeux pers se plantent dans les iris sombres du métis. Cela ne dure qu’une seconde, mais il y a une très nette vague d’hostilité et de méfiance qui passe sur les traits du Dandy - “il se fout de ma gueule”. Puis, d’un coup, il note le sourire d’Apache, son expression ouverte et intriguée, et l'agressivité de Skunk devient une surprise un peu déstabilisée :

“... Tu n’es pas sérieux ?”

Le Récolteur baisse les yeux sur l’épais morceau de tissu qu’il vient de retirer de son barda, avant de concéder avec une gêne trop perceptible pour être de la simple modestie :

“J’ai quelques bases. En anatomie, en biologie, en chimie. Et j’ai lu... Je suis tombé sur un manuel de survie, à la bibliothèque.”

Hors de question d’avouer qu’il n’est pas juste “tombé dessus”, mais qu’il l’a avidement cherché, juste pour savoir à quel point ce qu’on voyait dans Indiana Jones était possible. Et un peu “au cas où”, comme il se renseignait sur beaucoup d’autres choses jugées absurdes et inutiles.

S’il avait su.

“J’en ai retenu un certain nombre de réflexes. Mais ça ne fait pas de moi un Soigneur. Comme tu l’as sans doute remarqué, je ne suis pas très...”

Il s’interrompt, soudain conscient d’en dire trop : c’est déjà assez dur que Apache ait été témoin de sa stupide crise de panique provoquée par un peu de vomi et de sang, Skunk n’a aucune envie d’avouer devant le punk à quel point il est ridiculement incapable de gérer ce genre de trucs dégueulasses.

Mais bon. Il a quand même noté que le Chasseur trouvait ses connaissances “hyper cools”. Alors, un peu malgré lui, il laisse un tic tirer sur son épaule et son dos douloureux, avant d’ajouter :

“Mais tant mieux si c’est utile. Tiens, file-moi ta ceint...”

Alors qu’il dépose la seconde couche de tissu sur le bras d’Apache, Skunk baisse les yeux et s’interrompt quand il aperçoit les hanches du punk. Cette fois, c’est presque un vrai sourire qui s’affiche sur son visage, et un infime petit rire passe ses lèvres :

“Une de tes ceintures. Sérieusement Apache, tu as vraiment besoin de tout ça pour maintenir un pantalon pareil ? Il colle plus à ta peau que ces foutues plaques de sucre.”

Encore une fois, aussitôt après avoir parlé, Skunk a un infime moment de doute. Mais encore une fois, le punk prend bien la plaisanterie. Il a l’air d’aller mieux : il a repris des couleurs, ses yeux sont secs et il a de nouveau ce côté un peu débonnaire et je m’en foutiste que le Dandy trouve un peu agaçant... mais aussi assez rafraîchissant, finalement.

“Et t'en fais pas, on va se tirer de la bientôt, et avec le sucre qu'ils veulent. Comme ça ils nous feront plus chier. Enfin... Peut être.”

Apache se relève, l’air confiant, et Skunk lui accorde un petit geste approbateur de la tête : il n’y croit pas trop, hélas. Mais vu le contexte... eh bien, il n’est pas contre un peu de rafraîchissant.

“Peut-être, oui. Pendant un jour ou deux, si on a de la chance.”

Il soupire, jette un nouveau coup d’œil aux reflets blancs, un peu plus loin. Puis, doucement, il demande :

“... Est-ce que tu peux m’aider à me lever ?”

Un silence.

“... S’il te plaît.”

Et le mensonge passa crème comme une lettre à la poste.

"A ta décharge, il faut dire que c’était un sacré rodéo."
Un échange de regards alors que le sourire du punk s'agrandissait.
"C’était sans doute une très mauvaise idée... Mais elle était remarquablement exécutée."
Et cette fois Apache lâcha un petit éclat de rire alors que l'autre replongeait dans son sac, comme embarrassé par un truc ou rattrapé par une réalité. Peut être un peu des deux.

"Les mauvaises idées bien exécutées c'est mon truc !"
Une réponse qui sonnait peut être un peu étrange, mais qui reflétait du vrai, du moins; au moins pour la première partie.

Et à sa réflexion quand à ses capacités et connaissance, Skunk se redressa brusquement, un peu comme un suricate qui venait de détecter un danger dans l'air, les yeux écarquillés et remplis de scepticisme qui allaient avec. Le punk cligna des yeux, mais ne les baissa pas.

"... Tu n’es pas sérieux ?" Le chasseur fronça les sourcils, un chouilla interloqué.
"Bein si ! Quand même !"
Mais l'autre n'avait pas l'air aussi convaincu.
"J’ai quelques bases. En anatomie, en biologie, en chimie." Il expliqua. "Et j’ai lu... Je suis tombé sur un manuel de survie, à la bibliothèque."
Le français hocha la tête, prenant acte de l'information.

"J’en ai retenu un certain nombre de réflexes. Mais ça ne fait pas de moi un Soigneur. Comme tu l’as sans doute remarqué, je ne suis pas très..."
Il se stoppa, n'allant pas plus loin. Peut être par ce qu'il n'avait pas envie. Ou peut être par ce que la suite était sensé être évidente.
Apache laissa alors son esprit voguer un peu plus en arrière, se remémorant ce qui ne datait pas tant. Un Dandy qui perdait ses moyens, victime d'un genre de crise que le français n'avait pas su identifier, vomissant tout ce qu'il avait dans le bide, les yeux éclatés de larmes, prostré, haletant.

"Mais tant mieux si c’est utile. Tiens, file-moi ta ceint..." Les yeux noirs de l'anarchiste revinrent au récolteur, attendant visiblement la suite sans la deviner cette fois.
Un sourire fendit alors la mine du plus jeune, lui tranchant la bouille alors que ses lèvres laissaient échapper un rire.
"Une de tes ceintures.
- Aah !
- Sérieusement Apache
- Bein quoi ?
- Tu as vraiment besoin de tout ça pour maintenir un pantalon pareil ?" Le punk pouffa de rire. "Il colle plus à ta peau que ces foutues plaques de sucre.
- J'aime toujours moins bien quand ça sert à quelque-chose !" Son idéologie d'anar lui suintait de partout et se reflétait particulièrement dans son look, il fallait dire.

C'était marrant, comme ces deux la apprenaient à se connaître. Et bien que d'un premier coup d’œil ils ne semblaient pas si près de s'accorder, ils se trouvaient finalement de la sympathie l'un pour l'autre. Avec leurs défauts, leurs différences et leurs points commun.
Apache souriait, tout en discutant avec ce drôle de type en costard. Il le trouvait sympa. Intéressant même.
Pas comme les autres.
En décalage certain, et pas comme on aurait imaginé en le voyant.
En fait, ils étaient peut être un peu pareil... Mais différemment.

Le Dandy resserra la ceinture autour du bras du chasseur, assurant le pansement de façon solide.

"Et t'en fais pas, on va se tirer de la bientôt, et avec le sucre qu'ils veulent. Comme ça ils nous feront plus chier. Enfin... Peut être.
- Peut-être, oui. Pendant un jour ou deux, si on a de la chance." Et ça fit sourire une fois de plus l'anarchiste.

Il l'avait.

Il avait vite capté comment ça fonctionnait par ici.

Pour Apache, dire que les chefs faisaient chier, c'était l'évidence qui crevait les yeux. Mais en vérité, il était bien seul à se trimballer avec des discours comme ça.
La grosse majorité des enfants auraient plutôt dilué la réflexion, la teintant de nuances pales et sans saveur.
Le goût fade d'un genre de centrisme.

Tout les chefs sont pas comme ça.
Il y en a des biens ! Qui font du bon travail.
Ils sont utiles.

Mais le Dandy, lui, non.

Il acquiesçait, simplement. Sans même relever.
C'était naturel.
Évident.

Et c'était pas rien.

Vraiment pas rien.

"... Est-ce que tu peux m’aider à me lever ?... ... S’il te plaît."
- Bien sur camarade."

Et ni une ni deux, Apache se rapprocha, tendant son bras gauche, assurant de l'autre, tachant de l'aider sans le brusquer, sans lui faire mal. Doucement.

Une fois le Dandy sur pied, le regard noir de l'anar vogua un peu plus loin, vers la ou il avait vu le clair du plus jeune se diriger un peu avant.
Lui aussi, il avait du coup remarqué le blanc qui semblait scintiller par la bas.

"C'est peut être notre chance !"
Par ce que ouais, de la ou ils étaient, ça ressemblait bien à du sucre.
"Hey mais..."
Le français plissa les yeux, se concentrant un peu plus encore sur ce qu'il voyait.

"C'est pas genre de la fumée ?"

Des nuages de fumée, au loin... Comme provenant d'une cheminée !

Pour la troisième fois, Skunk sent son ventre se nouer à l’idée de se relever. Parce qu’en dépit de tous ses efforts de dissimulation, il a toujours vraiment très mal. Et parce que si sa blessure d’égo n’est plus aussi vive, elle n’a pas disparu : bien que Apache lui ait très clairement affirmé qu’il ne risquait pas de “l’insulter de tafiole” à cause d’une blessure, Skunk ne peut pas s’empêcher de se sentir minable et fragile d’en être arrivé là pour une simple mauvaise chute.

Alors oui, lorsqu’il se résout à ramener ses béquilles à lui et à demander l’aide du punk pour se remettre sur ses jambes, il essaie de le faire le plus dignement possible. Il va même jusqu’à rajouter un “s’il te plaît”, dont il n’est pourtant guère coutumier - tout comme Apache n’aime pas les phrases à l’impératif, Skunk n’aime pas demander leur avis aux autres, même indirectement.

Jamais il n’aurait pensé que le Chasseur pouvait lui répondre “Bien sûr camarade.”

... Camarade ?

C’est ironique, ou... ?

Ebahi, Skunk fixe Apache, en clignant des paupières trop de fois à la suite. Il en oublie presque sa trouille d’avoir mal, si bien que l’effort qu’il fait ensuite pour se relever avec l’aide de son aîné... disons, ne se passe pas beaucoup plus mal que les deux occasions précédentes. Le Dandy parvient à se hisser sur ses pieds sans émettre plus qu’une infime plainte, même s’il lui faut quand même quelques secondes pour que sa tête arrête de tourner et que ses jambes acceptent de le soutenir. Il en profite pour essuyer son front en sueur sur sa manche, puis ses mains sur ses revers de pantalon, tout en jetant un coup d’oeil intrigué à son compagnon d’infortune.

Punk. Métis. Gay. Et quoi, communiste, en plus ? Franchement à ce stade ça ne s’appelle plus chercher les ennuis, mais se marier avec pour entretenir une relation longue et passionnée.

Cependant, le Dandy ne trouve pas cela déplaisant. Après tout, il a toujours vécu environné de gens qui se revendiquaient “normaux”, et qui n’ont fait que lui pourrir consciencieusement la vie. Il est très pour laisser sa chance au bizarre, au neuf, à l’intéressant. Cela ne pourra pas être pire, n’est-ce pas ?

Dit celui qui regrette d’avoir suivi Peter Pan...

Mais bon. Skunk décide qu’il ne relancera pas l’Hérissé sur ce “camarade”. Pas par gêne. C’est juste que là tout de suite, le Dandy n’a pas l’énergie pour se lancer dans une discussion politique, et encore moins une où il risque de devoir annoncer à Apache que l’URSS n’existe plus ; on ne sait jamais, des fois que ce soit important pour lui...

Béquilles calées sous ses aisselles douloureuses, le Dandy emboîte le pas au punk, qui commence à descendre la colline fleurie vers le relief blanc qu’ils ont repéré. Concentré pour ne pas glisser sur le glaçage vert, Skunk ne redresse la tête que lorsque Apache l’interpelle... et lui aussi distingue sans peine les étranges nuages qui s’élèvent dans le ciel, un peu plus loin.

Le Récolteur s’arrête pour observer cette nouveauté. La fumée est anormalement grise, dans ce monde de couleurs vives : un feu ? Un vrai feu, comme ceux de l’extérieur ? Mal à l’aise, le Perdu jette un regard aux alentours, sans distinguer d’indice supplémentaire. Il n’y a même plus de flèches pour les guider.

“... De toute façon ça vient de derrière la colline. On va bien voir.”

Plus inquiet qu’il en a l’air, Skunk pioche sa flasque dans sa poche et la porte à sa bouche, juste pour une gorgée.

Mais ce n’est pas du rhum qui touche ses lèvres.

Le Dandy sursaute, ne veut pas avaler, n’ose pas recracher, et du coup s’étrangle à moitié. Il part dans une grande quinte de toux, qui lui déchire le dos. Tout en s’efforçant de retenir les larmes réflexes qui lui montent aux yeux, Skunk jette un regard abasourdi à sa flasque. Puis, d’une main tremblante, il la penche juste assez pour en faire couler un liquide translucide, bien trop poisseux pour être de l’alcool.

“C’était du rhum. Juste avant, ce... c’était du rhum. Et ça sent toujours le sucre de canne, mais ce... regarde, c’est du sirop, c’est devenu du putain de sirop!”

Les yeux clairs du Récolteur cherchent ceux d’Apache. Puis, précipitamment, il range sa flasque et recommence à avancer, aussi vite que ses vertèbres laminées le lui permettent.

Il a peur, et cela commence à vraiment se voir.

“... Allez viens, on avance, faut qu’on se casse de cet enfer. Vite.”

De la fumée, ouais
Et comme on disait; Pas de fumée sans feu !
En plus, celle la, elle était grise, ce qui laissait comprendre que quelque-chose brûlait bien, au loin, quelque part la bas, derrière cette colline blanche.
Ce n'était à priori pas de la vapeur d'eau... Le "à priori" ayant toute son importance puisqu'ici, la logique n'était que trop rarement de mise.

Ils allaient bien voir, comme avait dit le Dandy, et juste après ça, le plus jeune avait sorti sa fameuse flasque, la même qu'il avait tiré de sa poche quand il avait fait son genre de crise, se souvenait Apache en la regardant.
Jusque la, il avait pensé à un style de médicament. Un genre de potion que prendrait Skunk pour se calmer, ou un truc comme ça.
Et en vérité, il ne s'était pas trompé. Juste qu'il n'aurait pas imaginé les choses sous cet angle la !

Le récolteur s'était figé, les joues gonflées pleine de ce qu'il venait de s'envoyer, visiblement pas décidé à avaler.
Apache cligna des yeux, un peu inquiet.
"Euh.. Ça va ?"
Et puis, il manqua de s'étrangler avant de se mettre à tousser comme si on venait de le forcer à avaler une lampé d'huile de foie de morue !
"Hey ! T'as avalé de travers ?" Le punk tenta tout en se rapprochant, pensant quand même à éviter de lui taper dans le dos ! Il était déjà bien assez fracasse comme ça, et la potion semblait être passée tant bien que mal.

Les yeux bleus clairs de son comparse, encore brillants du fait de la mauvaise expérience, s'étaient braqués sur la flasque, l'incriminant du regard, la fusillant, même ! Et juste après ça, il pencha la main, laissant s'échapper un genre de mélasse translucide qui fit grimacer le révolté.

"Ehw... C'est quoi ?
- C’était du rhum.
- Hein ???
- Juste avant, ce... c’était du rhum.
- Oh merde..." Juste après la surprise, les neurones de l'anarchiste s'étaient activés, reliant A + B sans trop de difficulté.
"Et ça sent toujours le sucre de canne, mais ce... regarde, c’est du sirop, c’est devenu du putain de sirop!
- Fait chier..." C'était clair. C'était comme pour son bras.

Le regard des deux garçons s'accrochèrent pendant quelques secondes de rien.
Et puis, le Dandy rangea précipitamment sa flasque, reprenant brusquement la marche, plus rapidement, même si clairement il galérait toujours.

"... Allez viens, on avance, faut qu’on se casse de cet enfer. Vite."

Pendant un petit temps, Apache laissa l'autre prendre de l'avance. Juste le temps de prendre un longue inspiration.

C'était la merde, pas vrai ?

Ouais.

Ils étaient vraiment dans la mouise.

Et le punk reprit la marche à son tour, rattrapant sans mal son compagnon d'infortune.

Ils marchèrent un moment.
Pas que la route soit difficile, mais l'état du Dandy les ralentissait forcément, bien qu'il fasse tout les efforts possibles pour maintenir une certaine allure.
Ce qui, inévitablement, allait l'épuiser.

Apache gardait cela en tête.

Le récolteur n'allait pas pouvoir tenir comme ça pendant des siècles, et c'était sans compter que sa condition avait des chances de se dégrader.
L'iroquois du macadam était une bille dans tout ce qui concernait les soins, mais il était capable de comprendre que quand on se faisait mal, si on ne se reposait pas et que, même au contraire, on s'agitait et forçait, ça ne pouvait qu'empirer les choses.
Bref.
Il gardait un œil attentif sur son compagnon sans pour autant lui faire remarquer quoi que ce soit de particulier.

Inutile de lui foutre la pression pour rien.

Skunk avait prouvé qu'il était loin d'être un crétin.
Donc les réflexions qu'Apache était en capacité d'avoir, il les avait sans doute eu aussi.
Peut être même plus vite. Et sans doute même les avait-il poussé plus loin.
Il se contentait donc de marcher à coté de lui, tranquillement, sans jamais le distancer.
Commentant ce qu'ils croisaient, de temps en temps.

"Ça se rafraîchit, nan ?" Qu'il avait fait.

Ça sonnait comme un truc qu'on balançait juste pour casser le silence. Détendre l'atmosphère. Faire la conversation.
Mais en fait, non.
C'était une vraie remarque.

Une légère brise s'était levée, et autour d'eux, plus ils progressaient, plus la température chutait, jusqu'au point que le punk resserra son blouson autour de lui, en remontant la fermeture éclaire.

Ils n'étaient plus très loin, mais il y avait encore un peu de route avant d'atteindre la fameuse colline toute blanche. Pourtant, autour d'eux, le paysage commençait déjà à changer.
Accompagnant le froid environnant, de plus en plus piquant, bientôt, les garçons mirent les pieds dans la fameuse masse blanche qui recouvrait les hauteurs d'un peu plus loin, et la mine d'Apache, sans doute en même temps que celle du Dandy se fracassa.

"C'est..." Le chasseur se pencha, pour en avoir le cœur net, passant le doigt sur ce qui jonchait maintenant le sol pour ensuite le mettre dans sa bouche, avec sans doute une confiance un peu trop naïve au goût de l'autre.
"De la glace."

Et donc pas de sucre.

L'Hérissé lâcha un gros soupire, mélange de déception et de frustration, lequel se matérialisa en un petit nuage blanc.

Non seulement maintenant ils se gelaient les miches, mais en plus, ils avaient toujours pas trouvé ce foutu sucre à la CON !!!

Skunk refuse de se plaindre. C’est un principe. Mais c’est tout particulièrement vrai ce jour-là, et encore plus à ce moment précis, alors qu’il lutte pour maintenir un certain rythme de marche malgré ses béquilles improvisées qui lui mordent les bras et la douleur brûlante qui remonte le long de sa colonne vertébrale. Il est épuisé, sa tête tourne, il a envie de de vomir. Il se sent terriblement crasseux, avec sa frange collée sur son front par la transpiration, sa chemise détrempée de sueurs froides, sa veste et son pantalon auréolés de gélatine et de pâte d’amande. Et en plus Apache continue de lui jeter de petits regards en coin, comme si le punk s’attendait à le voir s’effondrer d’une minute à l’autre. Rien ne va, absolument rien ne va.

Mais Skunk refuse de se plaindre. Parce que ce serait la honte. Parce que ce serait être faible. Mais surtout, oh surtout parce qu’il sent bien le désespoir grandissant qui lui noue la gorge et lui pique les yeux, parce qu’il y résiste de plus en plus mal, et qu’il sait très bien que le moindre mot peut rendre cette vague insurmontable et le faire craquer.

Or il ne doit pas craquer, pas maintenant. Ils doivent sortir de là au plus tôt, avant que le sucre n’envahisse le bras d’Apache ou ne leur inflige des changements encore plus lugubres et irréversibles. Quant à l’objectif de leur mission... Skunk doit bien admettre qu’il est devenu secondaire, qu’il ne saurait retarder leur fuite. Qu’il vaut mieux rentrer les mains vides que ne pas rentrer du tout. Peu importent les conséquences.

Mais cela aussi, le Dandy ne se sent pas assez courageux pour vraiment y penser.

Alors il continue d’avancer, les dents serrées, en ignorant ses propres pas de plus en plus irréguliers. Quand l’air se rafraîchit, il referme les deux boutons de sa veste sans mot dire, bien qu’elle ne lui apporte guère de chaleur avec son col largement ouvert sur sa chemise humide. Il ne prête plus qu’une attention distraite aux arbres qui deviennent des sapins en chocolat poudrés de sucre glace, au sentier de bonbons qui est à présent pavé de meringue et jalonné de petit cailloux en guimauve. Et lorsqu’ils atteignent enfin le bas de la colline blanche, qu’Apache se baisse pour (encore) goûter le décor, les mots de l’Hérissé semblent parvenir à Skunk depuis très loin :

“C’est... De la glace.”

Le Récolteur sent sa poitrine se serrer, mais il ne dit rien. Le punk soupire, l’air terriblement déçu, et Skunk se fait la réflexion que son drôle de compagnon a vraiment l’air de s’être impliqué dans cette foutue mission, finalement. Pourtant, s’ils échouent, ce n’est sans doute pas lui qui va prendre le plus cher. C'est à se demander...

Qu’est-ce qu’Apache a dit déjà, juste avant? “On va se tirer de là bientôt, et avec le sucre qu'ils veulent”?

“T'en fais pas.”

Les larmes lui montent aux yeux si vite que Skunk a juste le temps de détourner la tête à l’opposé de l’autre garçon, avant d'essuyer son visage d’un geste agressif qu’il maquille tant bien que mal en tentative de recoiffage. Il pousse un peu d’air dans sa poitrine concassée d’angoisse, le relâche d’un soupir vacillant. Puis, d’une voix sur laquelle il force pour l’empêcher de trembler :

“On avance.”

C’est tout ce qui importe. Avancer. Tenir. Trouver la sortie.

Se taire, et ne pas penser à la suite.

L’air fermé, Skunk s’oblige à poursuivre le long du chemin qui s’enroule en pente douce autour de la colline blanche, vers la fumée. L’adolescent en oublie même de se demander quel parfum a la glace : il a décidé qu’il déteste ce monde, et que plus rien dans ces lieux de cauchemar ne sera capable de susciter son intérêt.

Enfin. Cela, c’est ce qu’il se dit, jusqu’à ce que l’une de ses béquilles heurte l’un des cailloux en marshmallow qui parsèment le sentier... et que le soi-disant caillou s’écarte soudain avec un petit bruit indigné, qui ressemble à celui d’un jouet à mâchouiller pour les chiens.

“POUIC !”

Surpris, Skunk sursaute, trébuche. Il se rattrape de justesse, d’un geste brusque qui lui déchire les reins et lui tire un cri de douleur. Et comme si c’était un signal, toutes les autres guimauves du chemin se redressent, toujours avec ce ridicule petit son :

“Pouic ? Pouic ? Pouic ? Pouic ? Pouic ?”

Haletant et blafard, Skunk baisse la tête pour observer cette étrange assemblée. Il lui faut quelques secondes avant de comprendre que les deux minuscules ronds noirs cerclés de blanc qu’il voit apparaitre sur les marshmallow sont des yeux. Des yeux qui le dévisagent...

... Avec une certaine curiosité?

“Euh... A... Apache?...”

"On avance."

Cela avait été dit avec une certaine détermination mêlée à de la résignation, dans le fond de la voix.
Ils n'avaient pas le choix, après tout, pas vrai ?
Et clairement, le Dandy était à bout.
La solution à leur galère, qui pour le plus jeune s'était changé en calvaire, ils allaient devoir la trouver fissa, sous peine du pire.

Alors, encore, ils avancèrent.
Le punk avait quelques pas d'avance sur le récolteur, et malgré la situation quelque peu stressante, voir carrément catastrophique, cela ne l'empêchait pas de se pseudo substituer au rôle de Skunk, récoltant un peu tout ce qui lui tombait sous la main pour mieux le fourrer dans sa bouche.
Fallait pas se priver ni se laisser abattre après tout ! Quitte à y rester, autant en profiter à fond. Voir se rendre malade.
Telle était l'idée.

Alors qu'ils avaient commencé à longer la colline enneigée de glace au lait, l'Hérissé se stoppa soudain pour se retourner rapidement, interpellé par le gémissement de son camarade.
Mais son inquiétude se dissipa comme de rien, remplacé par une surprise sans nom.
Le Dandy, qui avait l'air d'aller bien, ou en tout cas pas plus mal que ce que son état le lui permettait, se trouvait désormais entouré par une multitude petites boulettes roses claires qui sautillaient dans tout les sens autour de lui, lâchant des pouic-pouics à qui voulait les entendre !

"Euh... A... Apache?..."
Le chasseur l'avait rejoint sans dire un mot, vu qu'il avait encore la bouche pleine, ses yeux noirs écarquillés, assez choqué par ce qu'il voyait.
Et puis, il eut un haut le cœur. Ses joues gonflées donnèrent l'impression bizarre de... Remuer... Pour qu'enfin, l'iroquois n'ouvre grand la gueule pour recracher un des marshmallows qui pouicait comme jamais ! Très visiblement outré et encore tout trempé de la salive du garçon dont la mine défaite laissait deviner son dégoût.

"C'est quoi c'bordel encore..? Ces bidules sont..." Les petites choses excitées s'étaient mise à sautiller de plus belle, maintenant non plus seulement autour de Skunk, mais aussi autour de l'anarchiste. "Vivants ?"
Ça en avait tout l'air !
Et nombreux avec ça !
Pourtant, ils n'avaient pas l'air bien méchant. Pas vindicatifs, non. Plutôt curieux, certains s’arrêtant même de sautiller à l'occasion pour mieux renifler(Si on pouvait considérer que c'en était capable) les chaussures des deux garçons .

Interloqué, partageant finalement la curiosité des marshmallows, le punk plia les genoux, s'accroupissant pour mieux appréhender les petites choses, tendant une main, cherchant à en choper une !
Mais ni une ni deux, les bonbons s'étaient éloignés, sautillants groupés serrés, s'accumulant autour du Dandy tout en braillant des petits pouics effrayés.

"C'est bon c'est bon ! J'vais pas vous manger !"
Les pouics s'intensifièrent, clairement pas convaincus.
Alors, le punk abdiqua, se redressant. "Ok Ok..." Les deux mains relevées, cherchant à montrer patte blanche. "C'était un accident. J'savais pas que... euh.. 'Fin voila quoi !"
Les pouics semblèrent s’atténuer.
"Puis ça va j'ai pas avalé."
Nouvelle vague d'indignation, et Apache ne pu retenir un petit rire, mi goguenard, mi attendri.
Et oui.
Un punk anar qui faisait la conversation avec des marshmallows, sur l’île de Jamais, c'était une réalité.
Il y avait de quoi être déboussolé.

"Ils sont mignons ces ptits trucs." Il avait ajouté, relevant la tête vers le Dandy avec un grand sourire. "Ils ont l'air de bien t'aimer !"
Fallait dire, le récolteur, lui, n'avait pas tenté de les boulotter !

Encerclé par les marshmallows, Skunk n’ose pas bouger. Certes, ils n’ont pas l’air bien méchants, ces petits pouics de guimauve, mais ils sont nombreux : le Dandy en a déjà une bonne vingtaine autour de lui et d’autres continuent d’affluer, descendant le chemin en sautillant pour approcher leurs deux visiteurs. Skunk, jamais très confiant en sa bonne fortune, ne peut s’empêcher d’évoquer de très désagréables images de piranhas.

L’adolescent lève les yeux vers son compagnon de route pour partager son appréhension. Mais en voyant la tronche de hamster boulimique du punk, le Dandy oublie instantanément ce qu’il voulait dire.

“Mais enfin, Apache...”

Skunk n’a même pas le temps d’achever son reproche d’aristocrate agacé que l’Hérissé passe à l’offensive et recrache sans grâce tout le contenu de sa bouche, y compris et surtout l’une des fameuses guimauves, dont les pouics outrés se mêlent à la plainte scandalisée du Dandy :

“C'est dégueulasse, t’as essayé de le bouffer ?!”

“C'est quoi c'bordel encore...? Ces bidules sont... Vivants ?”

“Visiblement, oui... Putain mais c’est pas croyable un ventre pareil, t’as pas encore réalisé que n’importe quoi peut être vivant, ici ?!”

Un concert de pouics fait écho aux paroles de Skunk, alors que les guimauves fuient en bonds désordonnés devant Apache qui s’est accroupi à leur niveau.

“C'est bon c'est bon ! J'vais pas vous manger !”

Nouvelles protestations parmi les marshmallows, qui se regroupent autour du Dandy et derrière ses jambes pour continuer à invectiver le punk (sans doute à raison), tandis que ce dernier se lance dans de plates excuses. Le tableau est improbable, parfaitement ridicule... et bêtement réjouissant. Même Skunk se laisse aller à un vague sourire, malgré la fatigue et la douleur, malgré sa trouille et son désespoir - ou peut-être grâce à eux, finalement : il n’a plus rien à perdre, autant qu’il profite du peu de joie que lui accorde cet enfer sucré.

“Ils sont mignons ces p’tits trucs. Ils ont l'air de bien t'aimer !”

“Oh sans doute parce que, en bon ancien Diplomate, je n’ai pas tenté de les dévorer, moi...”

Le Dandy tente un sourire railleur, mais dès qu’il baisse les yeux, il lui devient difficile de dissimuler le plaisir enfantin qu’il éprouve à voir les petits bonbons dodus sauter autour de lui et se frotter contre ses chevilles.

“Je suppose que s’ils avaient dû nous attaquer, ils l’auraient fait quand tu as voulu manger l’un d’eux... Ils n’ont pas l’air très hostiles.”

Les marshmallows bondissent de plus belle, avec force pouics approbateurs, et cette fois Skunk ne peut retenir un petit rire fatigué :

“Ok pour le terme technique : ils sont mignons.”

Il a bien trop mal au dos pour envisager de s’accroupir, mais à tout hasard, il baisse la main aussi bas qu’il le peut, paume vers le haut. A son grand délice, l’une des guimauves accepte aussitôt l’invitation et atterrit d’un bond au creux de ses doigts. Skunk remonte la créature à hauteur de ses épaules, pour que Apache et lui puissent la voir de plus près ; le Dandy tente de rester sobre et digne, mais ce n’est pas évident face à ce marshmallow tout doux qui pivote dans sa paume pour les dévisager d’un air curieux.

“Salut, toi.”

Le bonbon répond d’un pouic poli et d’un petit saut, visiblement pas pressé de quitter son perchoir. Encouragé, Skunk demande :

“Est-ce que toi et tes amis, vous sauriez où trouver...”

Hésitation. Le Dandy cherche fugitivement le regard du punk. Puis il baisse les yeux, l’air soudain résigné.

“... Une sortie ?”

Un pouic assuré lui répond immédiatement, vite soutenu par les bonds enthousiastes du reste de la bande de bonbons. Skunk ne se sent vraiment pas aussi soulagé qu’il le devrait, mais il adresse tout de même à Apache une prudente esquisse de sourire : on dirait que leur chance commence enfin à tourner...

"Oh sans doute parce que, en bon ancien Diplomate, je n’ai pas tenté de les dévorer, moi..."
En guise de réponse, Apache fit un sourire de travers, faussement désolé, tout en haussant les épaules.
Le Dandy avait sourit lui aussi, d'abord de façon un peu moqueuse, et puis sa mine s'était radoucie alors qu'il baissait les yeux sur les petites boulettes sucrées pastels qui s'agitaient à ses pieds, clairement attendri.
Apache ne su pas dire si c'était la rencontre positive avec les marshmallows amicaux qui lui réchauffait le plus le cœur, ou si c'était de voir son compagnon arborer une autre expression que celle crispée de la douleur.
Quoi qu'il en fut, le soulagement faisait du bien.

"Je suppose que s’ils avaient dû nous attaquer, ils l’auraient fait quand tu as voulu manger l’un d’eux... Ils n’ont pas l’air très hostiles."
La petite colonie de marshmallows s'agita plus fort, les pouics se faisant plus aiguës, joyeux et approbateurs, et le punk ne pu retenir un rire soufflé.
"Et on peut même communiquer avec eux !
- Ok pour le terme technique : ils sont mignons.
- A croquer !" Vague de désapprobation pouicante ! "Ooh ça va j'rigole !!" Les bonbons accueillirent la vanne avec circonspection. "Oooohh, c'est trop mimi, on dirait même qu'ils froncent les sourcils !"
En effet, si on y regardait de plus près, certains avaient de petits renfoncements au dessus des yeux qui laissaient deviner une expression colérique qui s'y dessinait.

Skunk baissa la main, et sous le regard brillant de l'iroquois, un marshmallow y sauta, se calant sur sa paume que le garçon remonta à leur hauteur.
La petite chose, dévisagée par les yeux curieux des deux garçons semblaient tantôt effrayée lorsqu'elle se tournait vers Apache, tantôt curieuse quand son attention revenait au Dandy.

"Salut, toi."
Le bonbon fit un pouic qui sonna bizarrement poli aux oreilles de l'anarchiste.
"Est-ce que toi et tes amis, vous sauriez où trouver..." Il y eut un échange de regard entre le récolteur et le chasseur. "... Une sortie ?"
Les yeux des deux garçons perdus se re-focalisèrent sur la petite chose, qui, contre toute attente, dans un pouic assuré, leur confirma que OUI ! Il fut par ailleurs soutenu par toute la bande de pouiceurs restée un peu plus bas.

Les yeux noirs de l'Apache remontèrent illico à ceux plus clair de son comparse, sa mine se peignant d'une surprise joyeuse mal contenue.
"C'est trop bien !!" Ils étaient sortie d'affaire ? Vraiment ?

Bien qu'une partie d'entre eux continuaient clairement de se méfier du punk, la joyeuse petite bande de sucreries se mit à sauter dans tout les sens autour des deux aventuriers, les invitant à les suivre sur le sentier.
"Si c'est ça je jure de plus jamais manger de marshmallows de ma vie." Et la promesse ne sembla pas tomber dans l'oreille de bonbons sourds, car déjà les bidules se firent plus excité encore, pouicpouicant plus fort et plus joyeux encore.
Entraînés dans la joyeuse cacophonie, ils continuèrent donc, tous ensemble leur chemin sur le sentier qu'ils avaient déjà commencé à emprunter; direction la fameuse fumée.

Ils ne leur fallut pas bien longtemps pour qu'une petite maisonnette leur apparaisse.
Le genre mignonne, toute en rondeurs et toute colorée, et avec une cheminée qui crachait la fameuse fumée
Plus on s'en approchait, plus la matière dont elle était faite sautait aux yeux. Et dans le décors ou ils évoluaient, elle ne dénotait guère.

"Une maison en pain d'épice..." Apache eut un petit rire. "Bon bein j’espère qu'il y a pas une horrible sorcière qui nous y attend alors !"
Autour d'eux, les guimauves pouicairent comme pour le contredire, ce qui le fit sourire un peu plus fort. Pourtant, il ne se priva pas de ressortir son couteau, le tenant bien en main alors qu'ils s'approchaient de la porte d'entrée.
S'il y avait sorcière, il la serinerait sans se faire prier. Fallait pas déconner.

Alors qu’ils poursuivent le long du sentier, Skunk retombe vite dans son silence résigné : la souffrance, le froid et la fatigue ne lui laissent guère de souffle en réserve, et il n’a de toute façon pas trop envie de commenter leur apparente bonne fortune, qui les guide vers l’indispensable sortie alors qu’ils n’ont pas trouvé ce foutu sucre.

Cependant, les facéties de leurs petits guides bondissants tirent quand même au Récolteur quelques sourires bienvenus, comme lorsqu’il se rend compte que certaines des guimauves se font un jeu de toucher le Monstrueux Apache Mangeur de Marshmallow : derrière le punk, l’un des bonbons semble prendre son élan, puis il se jette en avant d’un air bravache, effleure le pantalon en cuir du métis et retourne aussitôt au milieu de ses congénères, qui saluent le héros de longues séries de pouics admiratifs.

Et c’est sans compter les bêtises de sa propre escorte : lorsqu’il a fallu que le Dandy reprenne ses béquilles, sur une impulsion subite, il a approché de son épaule le marshmallow qui reposait toujours sur sa paume. Le bonbon a brièvement hésité, avant de se transférer d’un bond sur le col de l’adolescent. D’autres ont trouvé cela inspirant, et depuis ils ne cessent de sauter le plus haut possible derrière-lui pour tenter d’atteindre ses épaules.

Pas celles d’Apache, néanmoins : un marshmallow a essayé, mais il s’est tragiquement empalé sur les pointes du blouson du punk. La victime, élastique et aussitôt décoincée, s’en est apparemment sortie sans mal, mais les autres bonbons ont jugé plus raisonnable de s’en tenir au Perdu qui porte une simple veste de costume.

C’est si adorablement stupide que Skunk en oublierait presque à quel point il a mal.

Et ce qu’il ne dira jamais, c’est qu’il a bien noté que le premier marshmallow qu’il a mis sur son épaule y est resté, confortablement logé dans son revers de veste, au creux de sa clavicule. Et que le Dandy se réjouit bêtement de chaque minute que la petite créature passe là.

Lentement, ils arrivent au sommet de la colline, où ils découvrent une maisonnette en pain d’épice aux reliefs décorés de bonbons - qui parlait de Hansel et Gretel, tout à l’heure?... La seule différence avec le redouté cliché, c’est que cette maison-là est légèrement de biais et complètement recouverte d’un enduit en sucre glace, comme si la construction était incapable de tenir debout par elle-même. Cela lui donne un méchant air de décor fini à la va-vite. Skunk grimace et jette un regard peu amène à la fumée grise qui s’échappe de la cheminée. Encore une fois, il la trouve juste un peu trop dense, juste un peu trop réelle pour ce monde (mais qu’est-ce qui brule, dans ce truc?...). Apache rigole :

“Bon ben j’espère qu'il y a pas une horrible sorcière qui nous y attend alors !”

Les guimauves lui répliquent d’une cacophonie de pouics difficile à interpréter, ce qui ne fait qu’accentuer le mauvais pressentiment de Skunk :

“Tu crois vraiment que c’est là-dedans que l’on va trouver la sortie?...”

Le Dandy jette un regard aux alentours. Leur position actuelle offre une jolie vue sur ce foutu pays sirupeux, mais le Perdu ne distingue toujours rien qui puisse les aider. Le seul élément qui le frappe comme anormal (enfin, compte-tenu du lieu), c’est une grande et fine tour sombre que l’on distingue à l’horizon. Même d’aussi loin, Skunk se rend compte que la surface d’obsidienne est mouvante, vivante, et que de profondes racines s’enfoncent dans le sol à sa base, pour disparaitre en quelques vagues dans toutes les directions... y compris la leur.

Le Récolteur frissonne, pas forcément à cause du froid (Clumsy a parlé d'un Esprit, non?...). Puis, à contrecœur, il s’approche de la cabane en se tenant derrière Apache, qui a dégainé son cher couteau : le punk a raison, sorcière ou non, ils n’ont pas vraiment le choix.

Mais alors que les deux garçons s’avancent vers la porte de la maisonnette, les pouics de leur escorte se font soudain sonores, clairement désapprobateurs. Le marshmallow toujours juché sur l’épaule de Skunk se met à faire des bonds dans tous les sens. Et brusquement, les guimauves se jettent entre les deux Perdus et la porte, pour former un barrage maladroit mais éloquent :

“Quoi, comment ça ? Pas par-là ?”

Frénésie de pouics affirmatifs. Le Dandy lève les yeux au ciel, l’air grincheux :

“Faudrait savoir, quand m... Oh merde. Apache. La déco du linteau.”

Soudain encore plus livide qu’il ne l’était déjà, Skunk a levé une main pour désigner le haut du chambranle. Là, parmi les ornementations en bonbons, presque invisible à première vue et pourtant impossible à ignorer une fois qu’on l’a vue, se trouve une flèche. Qui pointe, bien évidemment, vers la porte juste en-dessous.

Instinctivement, Skunk fait un pas en arrière. Son initiative est aussitôt saluée par les marshmallows, qui sautillent un peu plus fort autour des deux garçons, avant de poursuivre leur route ; visiblement, ils cherchent en fait à leur faire contourner la maison. Le Dandy échange un regard avec Apache, avant de s’avancer prudemment à la suite des bonbons sautillants.

“Je vais juste voir ce qu’ils veulent...”

Juste un coup d’œil, oui. Promis.

Mais de fait, il n’a pas besoin de plus. Car lorsque Skunk atteint l’angle de la maisonnette et découvre l’arrière de la bâtisse, ce n’est plus cette dernière qui le préoccupe.

Il y a là un parc, qui s’étend sur tout le sommet de la colline. De drôles d’allées et de haies géométriques sont dessinées dans la glace au lait. Au centre s’élève un unique sapin, immense, en chocolat noir, vers lequel les marshmallows sont en train de filer.

Mais la seule chose que voit le Dandy, c’est la décoration de cet étrange jardin : de grandes sculptures blanches, somptueuses de réalisme, grandeur nature. Il y en a au moins une quinzaine - des fauves, des centaures, des faunes, des loups...

Et elles ne sont pas en glace.

”... Sainte putain de merde...”

Skunk en aurait presque les larmes aux yeux tandis qu’il s’avance vers la sculpture la plus proche, un lion rugissant dressé sur ses pattes arrières. Il ignore complètement si Apache le suit. Il se fiche éperdument de la reprise des pouics alarmés de ses guides qui rebroussent chemin vers lui, et des frémissements terrifiés de celui qui se terre dans son col.

Il sait déjà. Mais il faut qu’il vérifie, il faut qu’il soit sûr.

Sans réfléchir, Skunk tend la main vers la sculpture.


Même si n’importe quoi peut être vivant, ici.


Et bien sûr, en un éclair, la tête du lion s’abat sur le bras du garçon et mord à pleines dents.

Skunk hurle, de stupeur presque plus que de douleur. Par pur réflexe, il lâche sa béquille et abat son poing libre sur le museau de la sculpture... qui explose en une fine poudre blanche. La créature bat aussitôt en retraite en secouant farouchement ce qu’il reste de sa tête et le Dandy ramène contre lui son bras mâchouillé, confus d’avoir mal alors que sa manche n’est pas déchirée, qu’il n’y voit aucune trace de sang : ces dents-là ne coupent pas?...

L’adolescent n’a pas le temps de réfléchir à cette énigme : un POUIIIIC déchirant venu de son col le fait tressaillir et le pousse à s’écarter, juste à temps pour éviter un coup de patte vindicatif de la sculpture de lion... et pour interposer sa béquille restante entre sa jambe et les crocs d'une sculpture de loup, qui vient de s’animer à son tour.

Comme le font progressivement toutes les autres.

“Oh sa mère la morue de caniveau!”

Ok. D’accord.

Ils ont trouvé ce putain de sucre.

Juste devant la putain de sortie.

Et il continue de jurer leur putain de mort!

"Tu crois vraiment que c’est là-dedans que l’on va trouver la sortie?..."
Apache fit une moue dubitative, se rapprochant de la maison, couteau solidement arrimé au poing. Mais alors que les deux arrivaient à hauteur de la porte d'entrée, les marshmallows s'excitèrent ! Pouicant à qui pouvait entendre et se jetant même entre les garçons et la porte, faisant barrage de leurs petits corps sucrés !

"Mais !..
- Quoi, comment ça ? Pas par-là ?"
Les guimauves semblèrent confirmer !
"Fait chier...
- Faudrait savoir, quand m... Oh merde. Apache.
- Quoi ?
- La déco du linteau."
Le punk fronça les sourcils, tournant la tête vers son cadet.
"Du quoi ?"
En guise de précision, le Dandy avait levé le doigt, désignant le dessus de la porte, au dela du chambranle, et l'iroquois suivi du regard ce qu'il indiquait, notant au passage la mine déconfite et pâlichonne du récolteur.

"Oh putain..." L'hérissé s'exclama, sa bouille se calquant sur celle de son camarade d'infortune.
"Encore une de ces flèches..."

Skunk, visiblement peu confiant envers ces indications qui semblaient vouloir les pousser dans une certaines direction, et parsemées par on ne savait qui, et surtout on ne savait quoi, avait reculé de quelques pas, mais le punk, quand à lui, n'avait pas bougé, le suivant seulement du regard.

"On fait quoi ?"
Au vu de la réaction des boulettes de guimauve quand le récolteur s'était éloigné, selon elles, mieux valait ne pas entrer dans cette baraque, pourtant, le chasseur était resté près de l'entrée, toujours sa lame à la main.
Un échange de regard entre les deux, alors que les marshmallows continuaient un peu plus loin, cherchant clairement à les faire continuer, contourner la bicoque de pain d'épice.

"Je vais juste voir ce qu’ils veulent...
- Ok. J'te rejoins." T'éloigne pas trop. Ça, Apache ne l'avait pas dit. Seulement pensé, très fort, un peu à la manière d'un souhait silencieux.
Skunk était en sale état. Se séparer n'était pas une bonne idée. Pourtant, et malgré les avertissements pouicpouicants des bonbons, la maison étrange avait piqué profondément la curiosité du punk.
Il s'était donc de nouveau retourné, faisant face à la porte.

Un marshmallow qui avait remarqué que le chasseur ne suivait pas leur direction revint sur ses bonds, donnant des petits coups de tête sur la cheville de l'anarchiste, cherchant désespéramment à attirer son attention. Mais ce fut vint, le garçon s'était hissé sur la pointe des pieds, essayant de voir quelque chose au travers de l'épais sucre qui faisait office de carreau. Mais sans succès. Tout était flou et sombre à l’intérieur.

Pouic pouiiiiiiiiic pouiiic pouiiiiic...!!! Et la petite chose pastel revenait à la charge. Déterminée à détourner l'attention du jeune punk. Mais toujours sans succès aucun. Apache l'ignorait royalement et avait saisit la poignet de la porte, l'enclenchant.
Mais pas de chance... Ou peut être que si. C'était fermé.
Il força quelque peu, insistant, et puis, au son d'un pouic soulagé à ses pieds, il lâcha la poignet, l'air dépité.

La boulette rose s'était maintenant mise entre le chasseur et la porte, se jetant encore et encore contre l'un de ses mollets, comme dans l'espoir de le repousser tout seul, et le révolté soupira, sa bouche se tordant de réflexion et aussi, visiblement, de frustration.

Il fallait rejoindre le Dandy.
Pas le laisser tout seul.

Un nouveau soupire.

Mais, sous les pouics désespérés du seul marshmallow resté à ses cotés, au lieu de tourner les talons pour rejoindre son compagnon et toute la troupe, l'iroquois se mit à fouiller dans ses poches arrières, en sortant une épingle.

Tranquillement, comme s'il avait fait ça toute sa vie, il l'enfonça dans le trou de la serrure, se mettant à la traficoter, la langue pincée entre ses dents, témoin de sa concentration.

Un peu à gauche... Maintenant à droite... Vers le haut... le bas... Ça résistait par ici, donc... ...
De son autre main il avait de nouveau saisit la poignet, la tournant délicatement et...

Clikrik

"Et voilaaa..." Un grand sourire carnassier lui découpa le visage alors que la porte lui cédait le passage.

Soudain, un hurlement déchira l'atmosphère, et ni une ni deux, le punk se retourna.

"Merde ! Dandy !"

Il laissa complètement tomber son affaire, courant dans la direction du crie qu'il avait entendu ! La dernière petite boulette accrochée à l'une de ses chaussures.

Heureusement, il n'eut pas à cavaler longtemps ! Il se retrouva assez rapidement face à un tableau... Peu avenant !

Skunk se tenait devant pas moins de trois... Non quatre ! Cinq ??? Plus encore ! Monstres tout fait de blanc et gueules pleine de crocs en avant !
C'était la méga merde !!!!
L'une des créatures; un truc que l'Hérissé ne su reconnaître par ce qu'il avait l'air d'avoir déjà la tête à moitié défoncée, se jetait littéralement sur le Dandy !!
Sans réfléchir, le punk se remit à courir comme un dératé, fonçant tête baissés sur la bestiole et lui rentrant dedans violemment !!!
Il aurait cru avoir à faire à plus de résistance ! Alors quand le lion défiguré éclata à son contacte, Apache perdit l'équilibre, se vautrant dans la poudreuse sucrée, l'air hébété.

"C'EST QUOI CE FOUTOIR ???"

Quel con. Mais quel con.

Ah ça, pour se foutre de la gueule d’Apache qui n’a toujours pas compris comment fonctionne ce foutu pays sucré, il y a du monde. Mais pour suivre ses propres conseils, se rappeler que “n’importe quoi peut être vivant, ici”, et par conséquent éviter de se faire massacrer le bras (le gauche, en plus, évidemment) et de réveiller une meute de créatures de sucre avides de sang ?...

Mais quel CON!

Skunk est tellement contrarié par sa propre bêtise qu’il en oublie d’avoir peur. La seule autre chose qu’il enregistre encore, malheureusement pour lui, c’est qu’il a mal, horriblement mal ; entre son dos incandescent et son avant-bras broyé, la douleur est si constante, si violente qu’elle lui vide la tête et le plonge dans une espèce de stupeur cotonneuse. Ses oreilles teintent, son regard est voilé de noir et d’écarlate. S’il n’était pas submergé d’adrénaline, il aurait tourné de l’oeil depuis longtemps.

Groggy et occupé à lutter d’une main avec la sculpture de loup qui mord à pleines dents sa béquille restante, Skunk ne se rend pas compte que le lion à moitié décapité revient à la charge. Au dernier moment, bien trop tard, l'adolescent capte un mouvement du coin de l’oeil, il a juste l’instinct de rentrer la tête dans les épaules... Et il reste le premier stupéfait de voir la créature exploser sous la charge d’Apache, qui se vautre aux pieds du Dandy dans un bordel de sucre en poudre et de glace au lait.

"C'EST QUOI CE FOUTOIR ???"

Skunk ne répond pas, il n’en a ni le souffle ni le temps : quand le punk est tombé, le loup a brusquement lâché la béquille pour se jeter sur cette nouvelle proie, déjà au sol et encombrée par son sac à dos. Sans réfléchir, le Dandy balance un grand coup de pied.

La sculpture, cueillie en plein ventre, explose en morceaux. Mais le choc se répercute dans le dos de Skunk avec une brutalité inouïe, et soudain l'adolescent a l’impression que son corps se disloque, lui aussi. Il se rend à peine compte que ses jambes se dérobent, il ne sent pas qu’il tombe. Il ne réalise même pas qu’il est sauvé d’un traumatisme supplémentaire par l’interposition d’un bataillon de marshmallows, qui se jettent sous lui pour amortir sa chute.

Il a l’impression d’entendre quelqu’un hurler au loin. Il ne comprend pas qu'en fait c’est sa propre voix.

Haletant, le teint grisâtre et le regard vitreux, le Perdu reste allongé sur son matelas de guimauve, cramponné à son arme improvisée dont il ne peut pourtant plus se servir. Il est trop sonné pour voir que les sculptures semblent soudain freiner leur assaut ; peut-être qu’elles sont assez intelligentes pour redouter le sort de leurs deux comparses...

Skunk entend vaguement des “pouic!” affolés résonner autour de lui, mais il n’arrive pas à comprendre ce que veulent les marshmallows : est-ce qu’ils encouragent les deux garçons à se battre? Est-ce qu’ils les incitent à rejoindre leur objectif initial, le grand arbre au centre du parc ? Est-ce qu’ils les poussent à une retraite en catastrophe dans la maison de pain d’épice ?...

Oh et puis quelle importance, au fond ? Skunk ne peut plus se lever.

Pour lui, c’est foutu. C’est fini.

Et honnêtement, c'est peut-être pas plus mal.

Un foutoir ouais, un vrai bordel !
A peine Apache était passé à travers le monstre sucré, se vautrant au sol, qu'un autre lui avait bondi dessus sans vergogne ! Plantant ses crocs dans... Son sac à dos ! Secouant la tête avec violence, cherchant à arracher le morceau et entraînant l'adolescent malgré lui en arrière !
"Putain de..!!!" Même pas le temps de terminer son juron que le punk retrouva brusquement sa liberté, retombant en avant ! Cette fois, il ne traîna pas, se relevant en vitesse, avisant Skunk qui, sous ses yeux horrifiés, chutait après un dernier acte de bravoure guerrière !

"Dandy !!!"
Heureusement, les petite boules pastels s'étaient interposées entre le sol et le récolteur, lui évitant, en plus de déjà tout les coups encaissés, de s'éclater en plus par terre.
Skunk hurla, de douleur ou de frustration. Sans doute un peu des deux, et Apache se précipita, faisant barrage entre son camarade et les horreurs blanches qui lui faisait face.

Il y avait le loup. Babines retroussées, dents tranchantes visibles, bavant ce qui devait être du sirop.
Il y avait un tigre. Rugissant ! Les griffes acérées prêtes à tout découper !
Il y avait un ours. Immense ! Qui s'était relevé sur ses deux pattes arrières, prenant plus de hauteur encore ! Au moins trois mètres !
Même un renard. Plus petit que les autres, mais à l'air pas plus avenant ! Visiblement prêt à mordre tout ce qui passerait à porté de truffe.
Et il y en avait d'autres ! Plein d'autres. Trop d'autres !

Entre cette horde et les deux garçons ?
Un couteau tendu accompagné d'un regard incandescent !
Apache, déterminé !
Assez pour feindre une assurance qui clairement, faisait hésiter la bande de créatures dentues griffues ! Peut être que d'avoir vu leur pote le lion se faire exploser pesait aussi dans la balance. Peut être aussi que le look agressif du chasseur jouait !
Quoi qu'il en fut, l'iroquois savait pertinemment qu'il ne s’agissait la que d'un bref gain de temps, sans doute tout juste de quoi prendre une décision, n'importe laquelle, et se tirer de la fissa !

Lentement, toujours lame braquée en avant, le punk fit quelque pas à reculons, fléchissant les genoux pour se rapprocher de Skunk.

"Hey... Mec. M'en veux pas, d'accord ?" Il avait chuchoté, d'une voix essoufflée et sans un regard pour son compagnon d'infortune.
Est ce qu'il pouvait l'entendre ? L'anarchiste n'en savait rien. De sa main libre, il avait vaguement tâté l'épaule de son pote, comme cherchant à renforcer un lien. Être sur qu'il était bien la. Toujours la.
"Faudra pas m'en vouloir, ok ?" Il répétait, pourtant pas si concentré sur ce qu'il disait ! Bien plus focalisé sur le plan foireux qui se formait dans sa tête, à toute vitesse. Couteau toujours en avant, il avait lentement fait glisser le sac de son dos. "Après ça, faudra pas m'faire la gueule !"
Peu de choix se présentaient à lui, il fallait dire.

Le coup de semonce, ce ne fut pas le révolté qui le donna ! Mais le renard, qui d'un seul coup, se jeta nerveusement sur le mollet de l'Hérissé qui dans un reflex shoota méchamment dans la bestiole qui éclata en morceaux !
Comme un seul monstre, les autres créatures suivirent tout en rugissements, et l'Apache leur jeta brutalement le sac à dos en pâture, juste de quoi gagner deux précieuses secondes inexistantes, se retourner, passer un bras sous les genoux du Dandy, l'autre sous ses omoplates et pousser sur ses jambes pour le soulever.

Pas l'droit de flancher !!! Il se mit illico à cavaler comme un fou, son copain amoché dans les bras, direction la maison !
La porte était ouverte, il le savait ! Il l'avait lui même crocheté ! Il fallait se manier !
Ce qu'il fit !

Derrière lui, les monstres furax avaient eu vite fait de déchiqueter le sac à dos, se jetant un à un à la poursuite du punk !
Heureusement, la bicoque n'était qu'à deux pas de la, et le chasseur eu vite fait de la rejoindre, ouvrant la porte d'entrée d'un grand coup de pied !

BLAM !!!
Que ça avait même fait !
Il avait déposé son paquet de pote le plus délicatement que l'urgence le lui permettait, dans un coin, et s'était ensuite jeté sur la porte, la refermant brutalement, poussant l'instant de juste après une petite commode devant, histoire de se barricader efficacement.

Apache lâcha un soupire profond, faisant quelques pas en arrière. Un peu l'impression d'avoir oublié de respirer les dix dernière minutes de son existence.
Sueurs froides lui coulant du front et jusque dans la nuque.

Et les marshmallows, dans tout ça ?
L'iroquois les avait complètement et honnêtement zappé.

Une gène dans son blouson de cuir qu'il secoua un peu machinalement, et une multitude de bonbons pouicants en tomba comme une pluie de rose et blanc pastel.

L'Hérissé souffla avec un léger sourire, plus nerveux que réellement soulagé.

Est ce qu'ils étaient vraiment tiré d'affaire ?

La porte trembla. Derrière, ça mugissait de colère. Ça grattait. Ça grognait. Ça cognait.
La commode eut un sursaut, mais ne bougea pas.

Reprenant un peu de contenance, Apache parvint à lâcher l'entrée des yeux, s'en détournant pour mieux rejoindre le raccommodeur, s'accroupissant auprès de lui.

"Hey ! Hey, mec ! Ca va ?" Non ça n'avait pas l'air d'aller, mais à ce niveau la, Apache n’espérait rien de plus qu'un signe de vie. Pour s'aider, il mettait quelques petites tapes au visage de l'autre garçon, du bout de ses doigts à plat, comme des petites claques pas vénère pour un franc, priant pour que l'autre lui réponde un truc.

Debout.

Non.

Ça suffit.
Debout.
Tu n’as pas le choix.
Debout.
Personne ne viendra t’aider.
Debout.

Non. Il a trop mal, il est trop fatigué. Il en a marre de se relever, juste pour se prendre d’autres coups et retomber encore. Chaque fois, c’est pire que la précédente. A quoi ça sert d’insister ? Pourquoi recommencer encore et encore, quand il n’y a pas de but, pas d’amélioration, que tout le monde s’en fout, laisse-moi tranquille j’en peux plus...

Tu veux crever?

... Non. Non plus. Mais...

Alors arrête de chialer, petite fiotte, et lève-toi.

... S’il te plaît...

Debout.
Debout!

De très loin, Skunk s’entend gémir, sans trop savoir si c’est par frustration, par désespoir ou par souffrance. Sans trop savoir comment, il parvient à se tourner sur le côté, mais son corps tremblant refuse de faire davantage. Autour de lui, le monde se résume à un magma de couleurs claires peuplé d’un mélange indigeste de cris, de couinements et de grognements. Il a envie de vomir, ou de s’évanouir, il ne sait pas trop. Et il a beau insister, il a beau essayer encore et encore, il n’arrive pas à se relever.

Est-ce que ses jambes fonctionnent ? Il n’est même pas sûr que ses jambes fonctionnent...

Quelque chose touche son épaule. Skunk tressaille et tente de rejeter l’intrusion, mais ses bras n’obéissent pas. C’est tout juste s’il parvient à lever la tête et à distinguer... Apache ? Est-ce que c’est Apache ? Qu’est-ce qu’il fout encore là, il aurait dû déguerpir non ? Il aurait dû tenter d’atteindre la sortie, ou la chaumière en pain d’épice. Pourquoi... que... Est-ce qu’il dit quelque chose?

“Après ça, faudra pas m'faire la gueule !”

Hein ?

... Après quoi ?...

Skunk a juste le temps d’avoir un mauvais pressentiment. Puis quelque chose bouge en périphérie de son champ de vision, Apache fait un geste brusque, les cris rauques émis par les créatures de glace deviennent des hurlements féroces. Le Dandy se dit que ça y est, ils sont morts, et cette pensée a le calme désabusé des constats inéluctables.

Sauf qu’au lieu de lui accorder cet honorable trépas, ce salaud de punk décide d’achever ce qu’il reste de la dignité de Skunk. Et il attrape son cadet pour le soulever dans ses bras.

“Put-AIN!”

La protestation du Dandy se mue en cri de douleur quand la blessure de son dos se réveille, maltraitée par l’étreinte et la course peu précautionneuses d’Apache. Trop sous le choc pour exprimer les délicatesses qui lui viennent à l’esprit (“connard d’enculé de punk je te hais je vais te faire bouffer tes putains de crêtes!”), Skunk se cramponne tant bien que mal à son compagnon avec son seul bras valide, sans même réaliser qu’il tient encore l’une de ses béquilles en sucre d’orge de cette main-là. Ses jambes, finalement bien mobiles, glissent sur l’avant-bras blessé d’Apache, et le Récolteur a beau tenter de se recroqueviller comme le peut, tout son dos semble l’abreuver d’insultes à chaque nouveau choc qui marque la course du punk - le moment où l’Hérissé contourne la maison dans un virage serré, celui où il défonce la porte d’un coup de pied...

Puis, d’un coup, Apache le lâche. Et même si le métis a essayé de faire doucement, même si quelques marshmallows encore réfugiés dans la veste de Skunk tentent à nouveau de se masser entre lui et le plancher, cette fois l'impact est trop rude : le monde explose dans un horrible feu d’artifice de douleur, puis s’effondre complètement.

Noir. Silence. Répit. Enfin.

Pas pour longtemps, cependant. Skunk ne réalise même pas vraiment qu’il a perdu connaissance. Il a juste l’impression d’avoir encaissé le choc, que tout son corps a disparu d’un coup... Et l’instant d’après, il sent quelque chose lui tapoter le visage.

“Hey ! Hey, mec !”

Un souvenir ricoche, loin au fond de la tête de Skunk, et un nom remonte assez pour effleurer ses lèvres :

“M... Matt ?”

Puis ça retombe, ça coule dans le noir, et les paupières du Dandy s’ouvrent d’un sursaut. Ses yeux errent un instant vers le plafond, trop distant pour être distingué ; il fait sombre, là où il se trouvent. Il ne semble pas y avoir de fenêtre, juste la lueur chaude et dansante d’un feu de cheminée.

Puis les iris clairs du Récolteur glissent jusqu’au garçon penché sur lui (Apache, c’est Apache), alors que ce dernier recommence à lui tapoter la joue - une insistance qui finit par tirer à Skunk un grognement de protestation.

“Ça va ?”

“N... Non... arrête ça, putain...”

Le Dandy essaie de repousser la main d'Apache, avant de laisser échapper un nouveau gémissement : par réflexe, il a utilisé son bras mordu, et bien que les os n’aient pas l’air cassés, ça fait mal, merde... Skunk laisse retomber le membre blessé sur sa poitrine et referme les yeux, le temps de murmurer avec une hargne toute relative :

“... C’était quoi ce plan... j’te déteste, bordel...”

De son poing droit, qui a finalement lâché la béquille, il cogne sans conviction dans l’épaule d’Apache. Puis il soupire et rouvre les yeux pour dévisager l’autre Perdu avec un peu plus d’attention. C’est dur d’être formel dans cette obscurité, mais le punk n’a pas l’air d’avoir été blessé par ces foutues sculptures de sucre, et malgré ses plaintes protocolaires le Dandy s’en sent soulagé.

Lui-même ne réalise pas encore très bien ce qu’il vient de se passer ; il a compris que Apache l’a porté, oui (ce salopard). Il a aussi compris que c’était pour lui éviter de se faire bouffer, que c’était pour ne pas le laisser seul en arrière. Et ça... C’est un peu gros pour que Skunk puisse l’appréhender aussi vite. Beaucoup trop gros pour qu’il en parle.

Plus tard. Peut-être.

“Où est-ce que... où...”

Avec un autre soupir, l’adolescent laisse sa tête rouler sur le côté. Il n’y voit vraiment pas grand chose, mais c’est assez pour comprendre qu’ils sont dans un bâtiment, probablement cette foutue maison en pain d’épice. Il distingue enfin les râles et les chocs sourds produits par les créatures qui chargent la porte de la cabane, tout comme il entend les petits pouics préoccupés des guimauves qui se massent près de son visage en sueur. Leur sollicitude tirerait presque un sourire au Récolteur livide, si l’attention de ce dernier n’était pas soudain attirée par quelque chose, dans le dos d’Apache.

Il y a bien un feu, dans la cheminée. Un vrai feu, pas un artifice sucré. Mais ce n'est pas ça que Skunk regarde.

Le manteau de la cheminée. Il n’est pas seulement sombre à cause du manque de lumière. Il est fait de sombre, d’une matière noire, iridescente, mouvante, comme la colonne que le Récolteur a vue là-dehors, comme... comme...

Oh merde. Ça les regarde. Skunk sent que ça les regarde.

La main valide du Dandy agrippe brusquement la manche pourtant pleine de glace au lait d’Apache, alors qu'il émet d'une petite voix étranglée :

“Oh chier, ce... la cheminée... l’Esprit... Clumsy... Apache, la cheminée!”