Pile, Ink est plein d'espoir. Il a la conviction que l'on peut se comprendre, il suffit de choisir ses mots avec attention et d'être à l'écoute. Les conflits peuvent être évités. Oh bien sûr tout le monde ne s'appréciera pas, mais il est possible de cohabiter paisiblement même sans aimer son prochain.

Face, Ink se hait. Car si la communication échoue, c'est que c'est de sa faute, n'est-ce pas ? Il est si stupide, il aurait dû... et ne pas... et comment a-t-il pu oublier... et il parle toujours trop... Si tout le monde peut se comprendre, et qu'il reste un malentendu, alors c'est que quelqu'un ne faisait pas assez d'effort. Et il est trop souvent le seul à percevoir ces malentendus, donc c'est que c'est lui qui est en tort.

Pile, Ink est calme, patient, médiateur. Il sait se faire apaisant, sait écouter les différents points de vue avant de s'exprimer, et montre aux gens qu'il n'a pas uniquement écouté mais compris. Quand il ne comprend pas, il sait le dire sans blesser, et fait des efforts sincères pour proposer une solution. Ink est un puits de vocabulaire, est toujours prêt à reformuler, à chercher le juste mot pour lui comme pour vous.

Face, Ink est comme électrocuté d'émotions. Quand ça ne va pas, que les gens ne comprennent pas, qu'on l'envoie balader, qu'il entend qu'on le trouve ennuyeux et inutile –que cela soit dit en face ou non–,  alors la foudre tombe et sans transition Ink est rage et insultes –qu'il regrette après, car il sait que tout est de sa faute, toujours, et qu'il devra travailler encore plus dur pour peut-être réparer ce qu'il aura détruit–, ou bien envie de disparaître et fuite et larmes –et il ne sait que trop bien que cela aussi peut détruire–, ou encore panique, terreur et mutisme soudain, mots coincés en travers de la gorge comme s'ils étaient trop pesants pour s'envoler dans l'air.

Pile, Ink se tient droit mais sans jamais donner l'impression d'exprimer par là un excès de confiance ou une supériorité sur autrui. C'est tout simplement une forme d'assurance tranquille. Il tourne la tête vers vous quand vous parlez, vous sourit lorsque c'est approprié, hoche la tête ou ponctue de "mhm", "oui", "je vois" et autres brèves interjections qui montrent qu'il écoute toujours ce que vous dîtes. Il est un interlocuteur attentif et fait son possible pour que cela soit clair.

Face, Ink se recroqueville, se cache, regarde le sol ou le mur mais jamais quiconque viendrait tenter d'interagir lors d'une de ses "crises". C'est plus fort que lui. Il en est incapable. Dans ces moments-là, il rentre la tête dans ses épaules comme pour encaisser un coup quand on lui fait un reproche, il tripote son stylo pendant qu'on lui parle, le fait tourner entre ses doigts quitte à la faire tomber. Il donne l'impression de ne rien écouter, ne rien entendre, alors qu'il n'entend que trop bien. Trop pour son bien.

Pile, le rôle de Diplomate d'Ink lui va comme un gant.

Face, le rôle de Diplomate d'Ink le détruit à petit feu.

(Il n'est pas dit que ce serait mieux ailleurs.)

– Ink est terrifié par la violence, par la destruction, par les blessures. Par tout ce qui est irréversible, aussi.
– Ink se punit. Mais comme les blessures lui font trop peur, il n'a pas le courage de s'auto-mutiler –pourtant il en rêve. Alors il se lacère non pas à coups de lame, mais à coups de stylo-bille, laissant des marques noires dépourvues de tout ordre sur sa peau. Ses bras, ses jambes, son torse parfois, si c'est accessible alors cela a déjà été marqué. Ça le calme. Puis ça lui fait honte. Mais il refuse de courir se laver, car il pense mériter cette honte.
– Son nom vient donc de son habitude de se couvrir d'encre. Son surnom n'est qu'une façon plus détaillée d'expliquer la même idée.
– Ink a failli s'appeler Wordy, juste parce qu'il portait des manches longues le jour où Peter l'a trouvé. Et puis il a retiré son sweat car il faisait plus chaud sur l'Île.
– Ink a toujours deux stylos sur lui –au cas où le premier tombe à cours d'encre.
– Ink est très certainement un concurrent sérieux au titre de plus grand détenteur de stylos de tout l'Arbre. Il partage, si on lui demande gentiment.
– Il passe un temps non négligeable à fouiller le Rivage des Objets Échoués pour regarnir son stock en constante diminution.
– En dehors de sa collection de stylos, son bien le plus précieux est un dictionnaire, qu'il n'hésite pas à emporter avec lui lorsqu'il prévoit une négociation, au cas où une clarification serait nécessaire.
– Il rêve d'apprendre les langues des Indiens, dans l'espoir de limiter les incompréhensions liées à une mauvaise maîtrise du langage.
– Il rêve aussi d'apprendre la langue des Fées, mais c'est surtout parce qu'à ce stade c'est devenu un réflexe pour lui de s'intéresser à tous les langages qui passent à sa portée.
– Il est déjà arrivé qu'un jeune Perdu prenne les marques sur ses bras pour des "peintures de guerre" et demande à en avoir. Depuis, Ink s'est renseigné auprès des Indiens sur quels produits utiliser, parce que juste de fins traits noirs ce n'est pas vraiment le plus excitant pour un enfant cherchant à jouer ou impressionner ses camarades.

Ink était ravi de venir à Neverland. C'était supposé être le pays du rêve, une sorte de monde idéal. En plus on lui a confié une tâche qui lui tenait énormément à cœur : œuvrer à la compréhension et à l'harmonie entre les individus comme les peuples. Et puis Ink a compris que quand il échouait, les blessures étaient réelles, tout comme les guerres et leurs morts. Ink a déchanté.

D'un côté, Ink ne peut s'empêcher de toujours admirer Neverland : c'est une terre de magie et de beauté, et ses peuples indigènes, qu'ils soient Indiens, Fées ou Créatures, sont absolument fascinants, et Ink souhaite apprendre à les connaître et s'en faire des amis.

De l'autre, Ink est terrifié. Par la mort qui est toujours si proche, par les blessures si omniprésentes, par les conflits qu'il est incapable d'empêcher. Par les Pirates qui tuent et mutilent en riant. (Par les Perdus qui en font de même.)

Ink était ravi de quitter l'Ordinaire. On ne l'écoutait pas. On ne le comprenait pas. On n'essayait même pas.

On lui disait qu'il était ennuyeux, prétentieux, stupide, insensible, inhumain, et ferme-la, ferme-la, ferme-la. Ou bien, et c'était presque pire, on lui demandait pourquoi est-ce qu'il insistait, à toujours remettre la même chose sur le tapis, alors qu'on était tous d'accord, sauf qu'il était le seul à se rendre compte que personne n'avait compris la même chose, et il n'arrivait pas à lâcher l'affaire, et on le détestait, et il se détestait.

Ink était content de partir. Mais maintenant il se dit qu'au moins, les pires conflits qu'il connaissait, là-bas, c'était des cris et exceptionnellement une gifle. L'Ordinaire ne lui manque pas, mais... parfois, il se dit qu'il n'a pas pris la meilleure décision.

Peter Pan... c'est compliqué. Il est magnétique, fascinant, charismatique. Ink est incapable de le détester, et quand il est face à lui il oublie même qu'il lui en veut et qu'il le craint. Pourtant, loin du petit roi, Ink se souvient de qui est responsable de toutes ces batailles menées par les Garçons Perdus.

Hook, au moins, c'est simple. Ink le craint pour son pouvoir de destruction, et le méprise aussi un peu pour son absence totale d'effort pour construire à la place. (Peut-être qu'au fond, Ink n'en connaît que les rumeurs, mais il n'y a pas réfléchi, et c'est sans doute mieux ainsi.)

– Arrivé après le retour du Printemps (année Ordinaire 2022).

Recroquevillé sur son lit de fortune, les doigts emmêlés dans les mèches qui lui tombent sur le front, Ink tente de respirer. Pas hoqueter, pas pleurer. Respirer. C’est –encore– de sa faute, donc il n’a pas le droit de jouer les victimes. Ça ne serait pas juste.

Non pas que l'Île, elle, soit juste. L'Oubli est supposé régner en maître, et pourtant, aujourd'hui comme à chaque fois qu'il fait quelque chose de travers, des souvenirs lui remontent, morcelés et en désordre certes, mais bien présents, et toujours aussi acérés.


Ink ne sait plus dans quelle ville il habitait, mais il entend encore cette conversation.


Ink a oublié le prénom de ses parents comme celui de sa sœur, mais il se souvient du nom de cette institutrice.


Dans les bons jours, Ink se dit que cette psychologue était une imbécile. Là, tout de suite, il sait qu'elle avait raison.


Tout est cyclique, comme ces souvenirs qui remontent à tour de rôle comme des bulles de poison, tournant en rond dans ses pensées, refusant de disparaître.


Pourquoi se souvient-il comme ça de l'Ordinaire ? N'était-il pas supposé perdre son passé en même temps que son nom et son ombre ?

Ou peut-être que là aussi –comme toujours– il a tort, et que l'Île est en réalité parfaitement juste. Après tout, il n'y a que les moments où l'on a tenté de lui faire comprendre qu'il était en faute qui lui reviennent ainsi, et peut-être devrait-il y voir la marque que l'Île elle-même est d'accord et insiste pour que la leçon soit apprise.

Ink relève les yeux juste assez pour regarder ses bras. Les marques d'encre sont fraîches, le dernier geste réalisé avant de se replier sur lui-même. Il sait qu'il doit faire des efforts. Plus d'efforts. Il ne s'autorise pas à l'oublier.

(Sauf qu'il s'agit d'un mensonge, n'est-ce pas ? Parfois, lorsque tout s'enchaîne comme dans un rêve, que les négociations se font sans accroc, que les disputes sont réglées sans souci, que Ink a l'impression de faire le bien, il oublie. L'encre s'efface de ses bras après un ou deux lavages, et il se retrouve sans garde-fou face à son imbécile espoir. Alors il arrête de se surveiller. Et il gaffe. À chaque fois.)

– Ink ?

La voix vient de l'entrée de la cabane. Ink penche un peu plus la tête en avant, laissant ses cheveux obscurcir son visage. Il ne peut pas répondre, de toute manière. Il ne comprend pas pourquoi, mais les mots l'étouffent, refusant d'être prononcés à voix haute.

Un Diplomate qui ne parle que trop ou trop peu. Quelle blague.