Portée par ses ailes, bercée par le vent, une lueur verte laiteuse avait jeté son dévolu sur un personnage fort intéressant. Après quelques approches discrètes, juste assez pour observer, juste assez pour peut-être laisser trainer une senteur d'anis douce, la fée avait vu en ces autres yeux toxiques quelque chose de poétique. Voilà donc un nouveau poète, selon ses règles, la Fée Verte avait reconnu les odeurs qui faisaient tourner les têtes.

Lorsque le soleil ne graciait pas les plantes de sa chaleur, Absinthe avait coutume de rendre visite à ceux qu'elle voulait inspirer en susurrant dans leurs oreilles des graines d'idées rêvées. Et bien souvent, il s'en passaient des choses au Grand Arbre. Ça donnait des envies de paris, ou peut-être des informations à glisser aux bonnes personnes pour engendrer des douces tragédies. Juste des petites farces. Le charme faisait son affaire, c'était ainsi que l'aristocrate en usait.

La petite créature aromatisée avait donc approché cette cabane fabriquée, celle qui imprégnait les airs du délicieux poison. Devant l'immense porte, à l'échelle de la délicate Absinthe, elle ne put réprimer une moue en constatant qu'elle devrait se glisser entre le sol et le bas de l'entrée. Sa seule lumière lui permettait de voir correctement. Un soupir résigné, et la demoiselle se faufila en toute élégance avant de pénétrer la construction.

Enfin elle pouvait retrouver la grâce de voler, jusqu'à s'approcher plus loin, vers des lucioles, un adolescent en train de dessiner.

La Fée Verte trouva place sur le bord d'un meuble en bois, peut-être une étagère ou une table elle ne saurait pas le dire, elle observait les tracés du dessin. Eclairant malgré elle les pages d'un peu de sa couleur enivrante. Peut-être que déjà elle avait alerté de sa présence, de part sa lumière, sa couleur et son odeur.

- Est-ce là la muse qui t'inspire ?

Les jambes croisées, les mains occupées à se noyer dans la cascade ardente de ses cheveux, Absinthe avait bel et bien décidé de se présenter à un artiste aujourd'hui.

Qu'est-ce qu'il était mignon à sursauter celui-ci. Voilà les pensées qui arrachèrent à la fée un sourire en coin amusé. Elle en était sûre, elle choisissait toujours parfaitement bien. Toutes ses cartes, tous ses artistes avaient leur place sur les différents podiums des jeux. Les créateurs auraient toujours des siècles de coups d'avance, même si pour cela elle devrait tricher.

Mais, elle n'en était pas encore là.

La Fée Verte se trouva plus ou moins satisfaite de la réponse, cela ne l'intéressa pas plus que cela. La question adressée à son encontre, en revanche...

Elle abandonna les cheveux qu'elle caressait pour appuyer le menton sur le dos de sa main en se penchant en avant, comme si de cette manière il serait possible de sonder les profondeurs de l'âme du garçon perdu qu'elle avait déjà observé.

- Quelque chose m'y a invitée, ou attirée plutôt. Je sais toujours qui est digne d'intérêt, et j'avais raison. Je ne suis pas déçue. Quant à l'odeur...

Bien fière d'elle, elle mesurait tout de même le ton de sa voix. Ainsi que le sourire tout à fait charmé, avant de se laisser porter par les ailes et de faire un tour autour du Dandy et de s'arrêter devant lui.

- ... c'est bien de mon parfum naturel qu'il s'agit.

Cette fois-ci, mains sur les hanches, elle porta son regard sur l'alambic.

- Est-ce de ta création ?

L'intérêt n'était pas feint et pas plus dissimulé.
Elle sentait ce qui s'en dégageait, et ça l'amusait. Ça lui évoquait les cocktails, certes pas en aussi bonne facture, mais pour le moment il fallait laisser l'artiste faire ses oeuvres. Absinthe était curieuse, et plaçait ses jetons sur le récolteur qui entrait dans le club fermé des enfants perdus avec des manières.

Un alambic. Absinthe décida qu'elle appréciait le mot. Tout autant qu'elle se délectait de la fascination, ou peut-être de l'émerveillement dont elle avait l'impression de provoquer. La Fée Verte s'approchait de la construction, jusqu'à arriver à la hauteur du robinet asséché. Il était donc question du délicieux poison de boisson.

Effectivement, l'oeuvre semblait encore être un croquis. Même les sculptures demandaient des ébauches en plusieurs dimensions avant de s'élever. Une machine qui créait une potion bien ancienne et qui ne demandait qu'à être développée, et inspirer les pires ou les meilleurs vices. Cependant, ce qu'elle préférait... sur ses artistes, c'était un peu de méthanol.

À la question, elle se retourna avec un léger rire tout à fait distingué.

Elle observa longuement le visage du Dandy, comme si elle y cherchait quelque chose. Pour s'assurer peut-être d'y trouver la petite lumière. La lueur des artistes. De ses artistes.

La satisfaction éclaira le regard de la fée aristocrate qui revint vers Skunk.

- L'alambic est ton oeuvre, une belle oeuvre... Mais, ce qui m'intéresse c'est l'artiste et tout son potentiel. Cette lumière créative dans ton âme, disons que c'est un peu ma lumière.

En repassant l'une de ses mèches rousses derrière l'épaule, elle poursuivit :

- Comme les fées des forêts qui s'occupent de majestueux arbres, de sublimer le vert. Je suis pour ma part, une fée de lumière.

Elle s'envola un peu pour arriver juste devant le nez de son interlocuteur non sans une élégance réfléchie.

- Mes arbres, ce sont les lumières de l'esprit.

Plus ou moins. Mais Absinthe ne se détacherait jamais de son monde de muse, elle en était une que cela plaise ou non. Ses convictions concernant les frontières de l'art lui étaient d'ailleurs propres. Un sourire charmant fit en sorte de trouver le regard du jeune garçon.

- J'aimerais pouvoir te porter mon aide dans ton, ou tes projets.

Le temps d'un battement de cil, un voile triste passa sur la Fée Verte, elle voulait ajouter un peu de tragédie mais elle n'aimait pas particulièrement la sienne. La fameuse vanité artistique. Le memento mori. Cependant, l'idée d'immortelle inspiration la consolait rapidement.

- Ma vie de fée touche à celle des muses. Certains me chercheront toute leur vie, sans que je ne vienne à eux, d'autres sont plus chanceux.

Dans son nuage d'anis, elle rayonnait de sa passion pour la création. Absinthe portait réellement de l'attention à ce Récolteur. Elle semait d'horribles idées aux plus sombres dans l'âme, ou de bonnes visions pour équilibrer un peu son beau tableau clair-obscur.

- Qu'en dis-tu ?

Elle plaça les mains derrière le dos, comme une jeune fille qui aurait fait une déclaration passionnée. Bien qu'il était question d'Absinthe, une fée aristocrate passionnée par un jeu qu'elle a débuté elle ne saurait dire quand. Néanmoins, l'un de ses artistes progressait au-delà de ses espérances.

Oh, le jeune garçon ne renvoyait pas une mine réjouie ? Si Absinthe n'avait pas sa certitude, elle aurait pu être inquiète. "Il ne savait pas si..." ? Elle ne perdait pas son doux sourire, elle ne quitta pas le visage qui interrogeait en face d'elle. Elle élargit imperceptiblement son air ravi lorsqu'elle entend le mot "muse".

Et la paume qui se présentait à elle ensuite, fut la seule chose qui fit dériver les yeux de la Fée Verte. Une invitation, selon elle. Elle comprenait. Et acceptait volontiers de se poser sur la peau humaine.

Délicatement, elle posa ses élégantes chaussures à talon aux motifs végétaux. Un quelque chose d'art-nouveau. Ses ailes cessèrent de battre, et Absinthe leva les yeux sur le Dandy qui lui posait une question tout à fait pertinente.

- J'espérais que ta curiosité te mène à me demander cela.

Comme si elle l'avait prévu, ou plutôt...

- Je n'en attendais pas moins de ta part.

Valoriser un peu l'âme.

Elle replaça un pli de sa robe de dernière mode, à la cour évidemment, et fit un pas en avant en posant les mains sur ses hanches.

- Mes artistes sont variés. Ils créent. Ils ont leur propre univers et son capables de suivre leurs valeurs malgré les obstacles.

Les mélodies dans la voix d'Absinthe sont teintées de fierté.

- La beauté véritable éveille les sens. Certaines sont visuelles, d'autres touchent au goût. Cependant, il n'est pas aisé de créer l'Unique. C'est ici que les valeurs, la capacité de l'âme à persévérer malgré les parasites externes, préparent une base à l'oeuvre.

La Fée Verte se tourna d'un quart en direction de l'alambic.

- Tu as la force de lier ton savoir et ta persévérance.

À nouveau son regard monte jusqu'à celui du Garçon Perdu.

- Je suis une muse qui apporte la lumière des idées. Cette même lumière qui a fait écrire les poètes, celle-là même qui a offert la Science aux Hommes.

La fée aristocrate se disait être à l'origine du souffle qui a engendré des artistes comme un certain de Vinci. Evidemment, elle ne les avait jamais rencontré. Néanmoins, métaphoriquement, elle est convaincue d'être l'étincelle dans leurs recherches.

- Je suis cette force qui te pousses à vouloir écrire, dessiner, inventer...

Elle adressa un sourire tendre à Skunk.

- Crée, reste qui tu es et n'ignore jamais cette lumière en toi. C'est ce que j'attends.

Un sentiment triste se propagea dans son petit corps, elle sentit le poids de sa peur de la mort. Le memento mori...

- L'art perdure, il y a un peu de moi. Et ainsi peut-être que je vivrai au travers le jour où ma lumière prendra fin.

Malgré ce mal-être, elle restait la tête haute et sûre d'elle. Son élégant sourire ne manquait pas à l'appel. C'était ainsi qu'Absinthe décidait de vaincre son sort inévitable.

Les premiers mots de la réponse plaisaient à la Fée Verte. Néanmoins, il lui fallait attendre la suite. Avait-elle su trouver le chemin jusqu'à l'âme de l'adolescent ? La suite avait ce teint de désespoir charmant, cette nuit tragique d'où tout artiste devait sortir afin de créer. Cette nuit qui pourtant... était la mère des commencements. Tout devait débuter par le négatif. Sinon, à quoi bon changer ? À quoi bon créer et rechercher ? Un univers ne bonheur, un univers parfait sans thème passionnant serait ennuyeux à mourir. Tout esprit serait infertile. C'était l'angoisse, la peur, la colère, la passion dévastatrice, la mélancolie, et tant d'autres encore qui portaient la Gloire Créatrice. Et l'immortalité.

Skunk avait bel et bien cette étincelle qui lui serait bénéfique.

Et malgré ce petit spleen qui lui apparut, Absinthe ne perdait pas l'enthousiasme. Elle était même convaincue. Elle ne se trompait jamais. Jamais.

Sinon, elle devrait effacer sa toile.

La modeler autrement.

Elle n'eut pas besoin de s'exprimer, le Dandy reprenait avec une expression qui plaisait aux desseins de la fée aristocrate. La détermination. La lueur était là.

Avec une saveur bien humaine, l'espérance peut-être bien. Ce tout petit bout demeuré au fond de la boîte de Pandore.

C'est une légère mimique de surprise qui naquit dans les yeux de la délicate Absinthe, lorsque la question fut lancée dans les airs. Et lorsqu'elle fut relevée un peu plus haut. La demoiselle féérique pouvait se voir dans les lacs d'absinthe.

- Oh, je vois. L'Oubli occupe tes pensées.

Ce doux maléfice qui emportait les Garçons Perdus, et les effaçait de l'Autre Monde. Elle n'aurait peut-être pas été la même si elle en avait aussi bénéficié.

- C'est un enchantement que je pourrais t'offrir.

Elle observa les livres précédemment contemplés.

- Je peux souffler des ressentis sur un objet.

Puis elle retrouva le regard du Récolteur, bras croisés mais d'une main elle désigna sa propre tempe.

- Je peux faire germer en toi quelques soupirs que tu veux garder.

Elle enchantait ses paroles, lorsqu'elle murmurait dans le sommeil. Mais elle pouvait aussi le faire d'éveil, il lui fallait simplement une entrée. Les songes l'aidaient, mais si l'humain était disposé à lui laisser une fenêtre ouverte...

Une nouvelle mine prit place sur le faciès de la demoiselle miniature, pensive.

- De quoi voudrais-tu te souvenir à tout prix ? Il y a peut-être plusieurs chemins, mais je ne pourrai jamais être plus puissante que l'Île elle-même.

Une petite idée lui germait déjà en tête.

Ce fut un torrent qui s'envola dans les airs, une véritable rivière de volonté. Absinthe ne s'était pas attendue à tant, elle ne put retenir quelques clignements d'yeux de surprise. Avant de sourire gentiment au Garçon qui demandait déjà si les bornes dépassaient.

Elle croisait les bras en maintenant l'élégance qu'elle devait afficher.

En effet, c'était beaucoup. L'Oubli était-il une fissure qui nourrissait une peur maladive au Dandy ?

- C'est bel et bien un peu trop pour un ensorcellement isolé ainsi.

Les pensées d'Absinthe se posèrent quelques instants, main sous le menton alors que le regard flottait dans le vide. Elle imaginait ce qu'elle pourrait faire.

Et une petite lueur raviva le regard de la Fée Verte alors qu'elle relevait les yeux sur Skunk.

- S'il y a une lueur dans tout ce que tu m'as cité, je pourrais en prendre une partie et l'incorporer aux divers objets concernés. De manière à ce qu'une bouffé nostalgique offre l'oxygène qui rappellera tes souvenirs.

Ce n'était pas inépuisable.

- Cependant, si je dois prendre autant de lumière en toi... je crains que le foyer qui a créé ces étincelles ne s'éteigne.

Un coup d'oeil à l'alambic, puis à l'entier de la cabane.

- Pour ce qui est de l'apprentissage... tu sais, j'ai cru comprendre que bien des Perdus qui s'exerçaient régulièrement ne perdaient pas forcément ces acquis. Je pense qu'il te suffit de l'étincelle qui te pousse à te souvenir que ces savoirs sont importants.

Elle tapota délicatement sa joue droite du bout de l'index en observant légèrement de biais le Récolteur...

- Ma tentative d'éclaircissement porte-t-elle du sens à ton esprit ?

Absinthe avait bien conscience que ses idées pouvaient perdre bien des poètes.

Dommage qu'elle ne puisse accorder de voeux, mais parfois il suffisait de fouiller plus profondément dans les méandres. Il devait bien y avoir une base solide qui permettrait au cerveau de déduire ce qu'il oubliait.

Ce garçon-ci était intelligent, Absinthe avait bien envie de croire que son ensorcellement pourrait servir. Comme une peinture à deux.

La Fée Verte devinait que l'esprit du Dandy s'activait, mais elle ne mesurait pas les émotions qui s'étaient enchainées peut-être. Occupée ensuite à se laisser emporter ailleurs dans la pièce.

Attentive, et surtout très curieuse, elle observait les mouvements du Garçon Perdu qui plongeait déjà la main dans une poche de vêtement. Et voici enfin la curiosité présentée. Un objet qui avait vécu mais qui semblait être choyé. Un véritable souvenir empli d'âme et d'attention. Le début de la question qui s'enchaina attrapa l'esprit de l'aristocrate qui changea d'intérêt en posant les yeux sur le Récolteur.

Il choisissait donc une base, une base importante. Un sourire en coin se traça sur les lèvres colorées d'Absinthe, elle appréciait la jugeote.

- Ooh~

Un souffle laissé dans les airs pour elle-même, avant d'entendre la suite. D'écouter la suite moins assurée. Pleine de ce petit quelque chose dont les artistes avaient nécessairement besoin.

L'objet perdit l'attrait de la Fée Verte pour laisser place au visage de Skunk. Voilà la jolie pointe d'émotion, ce doux manque qui liait un objet et un souvenir. Cette tragique étincelle pourtant si forte de magie. Tant de tableaux furent ainsi créé, par cette belle déchirure cicatrisée par le temps mais encore fébrile dès qu'on la redécouvre.

- Parfait, alors ! Je peux ensorceler ta gourde, garde-la toujours sur toi, elle te soufflera les lumières que l'Île te volera.

Elle s'apprêtait à s'envoler afin de s'approcher prendre cette petite lueur qu'elle avait vue, et qu'elle saurait retrouver ensuite, mais son élan se coupa. La demoiselle n'avança finalement que d'un pas sur la paume.

- Je vais t'accorder cet ensorcellement. Et si tu m'aides en retour, je pourrais peut-être bien avoir plus de pouvoir.

En joignant les mains devant elle, avec ses gestes toujours aussi calculés tout autant qu'elle était en train de le faire à l'instant dans sa tête...

- Comme par exemple...

Et pour illustrer ses mots à venir, elle afficha à hauteur d'épaule un éventail de trois doigts fins et délicats.

- Trois voeux.

Oh, pour ce projet indécent et bien trop demandeur en entrainement, Absinthe savait qu'il lui faudrait un jour retourner dans l'Ordinaire et porter son aide à un autre jeune poète. Et cela ne la réjouissait pas. Elle détestait tant cet autre monde, elle s'était noyée sous les couvertures après la première virée sur Terre. Avant de préférer les cocktails, ceux-ci étaient bien plus prestigieux.

Ses doigts furent rejoint par les deux autres avant de sombrer dans les mèches ardentes et les coiffer distraitement. Comme pour jouer les désintéressées.

- Mais je n'étais pas encore certaine de pouvoir y parvenir... jusqu'à présent.

Les yeux revinrent chercher ceux de l'humain.

- Il faut que je veuille me donner de la peine pour un artiste, et je crois que tu en aurais la carrure.

Qu'il n'ai pas peur, Absinthe accordera l'enchantement demandé. Cependant, une idée était née de cette rencontre.