C’est récent ; l’odeur du sel dans ses cheveux est encore là, qu’importe combien elle les lave, l’air trop chaud qui glisse contre ses joues avant de s’évaporer. Sense est pas certaine que ça va partir avant une foutue introspection qu’elle a pas envie d’affronter. Donc, elle prétend s’en foutre, main serrée autour du yo-yo qui glisse dans l’air, repoussant ceux qui viendraient trop près. Ah, c’est qu’elle s’est se battre, Diplomate ou non. S’ils la cherchent—okay, elle extrapole un brin, parce que personne a décidé de venir l’emmerder ces derniers temps. C’est juste qu’ils pourraient, qu’elle veut pas prendre de risque. Le yo-yo est solide, réel, et Sense préfère se focaliser là-dessus que sur le reste, gamins qui crient et qui se foutent de tout.

Ses pieds quémandent une pause, un petit retirage de chaussures et un bon bain dans le bassin. C’est qu’aller voir les natifs et faire des tas d’allers-retours, de négociations, ça forge les muscles. Pas qu’elle s’en plaigne, loin de là. Mais bordel, son royaume de bouquins inutiles et de coincés du cul contre un brin de paix. Juste se poser et rien branler—si le temps était un concept clair, elle dirait ‘passer quelques heures relax’.

« HEEEEY ! SEEEENSE ! ATTEND MOI ! »

Doux rêve qui s’éloigne déjà. L’Indécise laisse s’échapper un soupir, pivotant immédiatement. Les gens qui gueulent ont la mauvaise manie de débarquer du côté où elle voit rien, sans qu’elle sache pourquoi. Le karma ? La malchance ? Prendre les devants l’arrange, le yo-yo qui termine au creux de sa paume après un trick particulièrement réussi qui ne sert qu’à démontrer que dans le domaine, elle déchire sa mère.

« Tu as vu Eilish ? Tu as vu ma soeur ? Elle devrait être rentrée mais je la trouve nulle part ! »

Panique-land chez Bitter, visiblement. Déjà, c’est qui sa frangine ? Hey au moins elle le situe lui. Pas que ça éclaire franchement sa lanterne, pour le coup. S’avançant, cheveux blonds qui cascadent devant son visage et qu’elle songe à repousser, même si ça servirait à rien, Sense hésite de l’attitude à avoir. La journée a été longue, éreintante même, poids contre ses épaules qui ne fait que s’alourdir. Elle doit retenir sa langue, son esprit, prendre le temps de remettre le tout ensemble pour un minimum de cohérence. Oh,Witted. La petite Witted, qui est dans son groupe, elle est vraiment crevé, bien sûr qu'elle sait qui c'est ; bordel il lui faudrait une liste des autres Diplomates parce que des fois son cerveau galère encore. En plus si ce con il s’amuse à lui donner un autre prénom qui a rien à voir, elle est pas sortie de l’auberge.

« Yo, Bitter. Ouais genre… T’aleur, quand j’suis allée voir les Delaware. On s’est croisées quoi, elle avait l’air—cool, comme d’hab. » Pas envie d’aller nager avec les sirènes en tout cas. Super humour, génial. Exactement ce que Sense a envie de se ramener en mémoire là. Youhou, paye ton flashback traumatique.

Pause, le yo-yo qui descend, puis qui remonte, qui redescend et qui—on comprend le principe. Pour le coup, elle ne voit pas trop quoi ajouter, outre que ça lui dirait bien se s’écrouler sur le sol et de boire un truc bien frais. Pas approprié, en plus Bitter a l’air—mal. Un comportement des plus incompréhensibles de la part d’un frère envers sa sœur, mais bon. Tout le monde n’a peut-être pas eu son enfance pourrie. Et puis merde—

« T’veux que j’vienne avec toi ? J’me souviens de la direction où elle s’est cassée.  Au pire, on fait un tour là-bas, on revient et bah si elle est pas là, on verra ensuite. » Est-ce que Sense aime être trop généreuse pour son propre bien ? Pas spécialement. Par contre, Witted—même si elle la connaît pas encore mega bien, est sympa, super maligne, et ça la ferait chier qu’elle se fasse bouffer par un truc dehors quoi.

Le truc c’est que Sense se retrouve toujours dans des bails du style. C’est malheureux à dire, mais elle a ce petit côté un peu trop aventureux qui aime à remonter à la surface—bon, faut cesser avec les métaphores sur la noyade là, ça devient agaçant—une tendance à se proposer pour aider, à pas laisser tomber les autres. C’est marrant, hein, qu’elle fasse pas vraiment confiance et que ça l’empêche pas de se jeter la tête la première dans ces conneries de missions de sauvetage.

« ... Quand ? »

Ah, le temps. Notion fantasque qui n’a pas sa place dans le coin. Brièvement, main libre pressée contre sa nuque, elle tente de remémorer ce qu’elle a fait chez les Delaware, si le programme semblait long ou non.

« Genre, pas mega longtemps, j’pense, » elle s’abstient de lui dire que son inquiétude, qu’elle pige toujours pas le moins du monde, aide certainement pas ses pensées à rester rationnelles. Oh, pas envie de jouer à la psy, puis plus vite ils la choppent, plus rapidement on la laissera faire un putain de repos, que ses genoux craquent un bon coup pendant qu’elle étirera ses jambes ; c’est que Sense a hâte se poser. Vraiment.

Pourquoi est-ce qu’elle se sent responsable des autres, urg.

« Tu veux bien faire ça ? Merci ! Merci... Je l'ai attendue longtemps, c'est pas normal... Je sais que c'est pas normal ! »

Ah ouais, pour ça.

« Y’a aucun souci, c’est une Diplo’ comme moi, soutien entre nerds ou un truc dans le style, puis j’l’aime bien ta sœur,  » bon, sa blague est un peu reloue. Pas que ça change des autres jours. Elle ravale un bâillement, espérant que y’aura rien de trop pénible sur le chemin. Pas de combat sortis de nulle part avec des machins propres à l’île, par pitié.

Si elle remarque les yeux humides de Bitter, l’Indécise s’abstient de le noter à voix haute, préférant effectuer quelques pas dans la direction où elle a croisé la petite plus tôt. En un sens, la meilleure façon pour le garçon de se sentir mieux, c’est de mettre la main sur sa sœur, et ça, c’est dans les cordes de l’adolescente. En plus—bah Bitter est pas un sale type. Enfin, pour ce qu’elle en sait. Même si ça reste étrange, un frère qui se soucie de ses cadets.

« S’t’pouvais marcher à ma droite par contre, t’as débarqué du côté où j’suis aveugle t’aleur et c’est bien la merde quand les gens font ça. » Pas que les gens soient au courant non plus, d’ailleurs, le genre de faiblesse qu’on pourrait utiliser contre elle.

Genre, il s’excuse, ce qui est mieux que la plupart des gens—Sense doit améliorer ses relations et demander plus des gens, au lieu de se satisfaire du minimum syndical. Son handicap est quand même bien lourd, à certains moments. Et toujours à cause des réactions des gens, elle deal sans problème, elle. D’ailleurs, lors de leur petite marche, l’adolescente est trop occupée à rester éveillée, et à garder ses jambes sous contrôle, pour vraiment faire la conversation. Chose qui s’avère dangereux lorsqu’une menace se profile à l’horizon, ou plutôt dans les buissons.

Pour ça que faut pas se casser en mission lorsqu’on veut juste pioncer. Trop tard pour rebrousser chemin, yo-yo décroché de sa taille pour reposer dans sa main, poids absolument parfait, équilibre bien travaillé. Qu’elle affectionne ses armes, même si elles ne sont pas les plus brutales que l’île peut offrir.

Dommage—enfin non, tant mieux—qu’il ne lui faille pas s’en servir, la chose qui bondit sur eux visiblement pote avec Bitter. Ah bah c’est cool, il a quelques potes, le solitaire qui grogne un peu trop. Genre, elle se moque, mais elle l’aime sincèrement bien ce gars. Juste que niveau social, c’pas lui qui remporterait un trophée quoi.

« C'est Eilish. Elle est en retard, elle est pas rentrée. On la cherche du coup, Sense et moi. C'est elle, Sense. Elle m'aide et elle était pas obligée donc soit cool avec elle, ok ? »
« Je suis toujours cool moi. C'est toi qui mange le nez de tout le monde. Enfin, c'est Witted qui le dit.»
« Hey !»

Vas-y que y’a une conversation fascinante pendant qu’elle se tient là, rangeant son arme bien sagement parce qu’on a pas besoin d’elle pour le coup. C’est un peu comique, comme situation. De se retrouver là avec—Aslyd apparemment. Sense doit étouffer un bâillement, ayant terriblement envie que cette mission se termine, bien que sa curiosité soit également piquée par le nouvel arrivant.

« Salut, j’suis Sense. Bitter chasse pas avec moi, en général, » elle plaisante, trouvant la situation plus amusante que pénible au final. Avec un loup à leurs côtés, ne sont-ils pas certains de retrouver la pauvre Witted, qui va certainement faire un de ses têtes en voyant qu’un comité entier est venu pour la récupérer, plus rapidement ? Elle se retient de commenter sur la suite de la conversation, préférant un hochement de tête en guise de remerciement envers Bitter. C’est qu’il a raison sur un point ; elle a pas besoin que tout le monde soit au courant. Les faiblesses c’est pas bien vu dans le coin et elle a déjà plein de problèmes à cause d’autres trucs à la con.

Est-ce que la tornade colorée qui apparaît dans un coin de sa vision en fait partie ? Probable. C’pas la même trajectoire qu’eux et si elle avait pas levé la tête, ils auraient pu se croiser de peu, ce qui est presque drôle, outre pour le stress évident de son camarade de voyage. Immédiatement, au lieu de prévenir Bitter—elle le connaît bien assez pour savoir qu’il va se jeter sur sa sœur dès qu’il la verra, elle lève une main pour faire signe à l’enfant qui est en pleine course.

« Hey ! Wi-Wi ! » C’est plutôt cool comme surnom, non ? Pas vraiment, mais ça fera l’affaire. Oh, est-ce qu’elle va assister à une magnifique réunion fraternelle ou bien à une engueulade brutale—non Bitter est pas son frangin qui a voulu la tuer et bien d’autres choses moches—dans tous les cas, bah elle est pas morte, donc c’est que tout va bien.

Ce n’est pas étrange, à l’Arbre, d’avoir des connaissances qui sont pas humaines, genre des animaux qui lui font la conversation dans le plus grand des calmes. Sense se plaint pas, ne serait-ce que parce que c’est pas son genre d’ouvrir sa gueule, et puis elle commence à trouver ça plutôt sympa, comme balade. Bitter, c’est le gars qui est toujours cool avec elle et lui rendre ce petit service, c’pas grand-chose, qu’importe la fatigue. Certes, son tas de couvertures dans un coin de la cabane continue de l’appeler à grand renfort d’une vision d’un oreiller moelleux.

Plus tard.

Ah, quel spectacle touchant que celui d’un mec avec du sang sur ses fringues qui prend sa sœur dans une étreinte pleine d’amour. ‘Fin, Sense peut pas trop comprendre le cheminement que fait le cerveau de Bitter, pour le coup. Son frangin était un connard qui—des fois, vaut mieux oublier ce qui s’est produit ou qui aurait pu arriver. Pour le coup, c’est simple de les laisser avoir leur moment et de se tenir à distance, yo-yo qui glisse vers le sol pour remonter contre sa paume.

« Salut Sense, je ne pensais pas te croiser ici... T'étais pas chez les Delaware ?»

« Bah écoute c’était le plan, j’ai croisé Bitter sur l’ch’min du retour, ce qui a bazardé mes projets, » elle laisse son visage se fendre d’un sourire. Un qui doit être un pâle, incapable d’atteindre son regard. C’est la proximité au sein d’une fratrie qui a cet effet sur elle. Ce regret constant mêlé au dégoût, « Bitter avait pas besoin d’moi, tu l’connais, mais c’était sympa de marcher avec lui. »

S’approchant enfin, elle lève sa main vide, serrant le poing pour donner un léger coup dans l’épaule du garçon. Une façon de dire ‘j’vais pas raconter que t’as paniqué parce que j’t’apprécie’. C’est la moindre des choses. Puis Witted doit bien savoir que son frère a tendance à vite s’emporter dès que ça la concerne.

« Oh et c’est mon pote, ton frangin. Il utilise sa grande gueule pour m’aider quand—bah quand c’est sympa d’avoir du soutien. Combiné au fait que t’es une Diplo, j’allais pas vous laisser dans la panade. »

Pas qu’elle soit super proche de l’enfant, mais même team ! C’est important, surtout que certains Diplomates sont chiants à en crever. Autant pas s’engueuler avec ceux qu’elle apprécie. Sense laisse sa main retomber, se demandant si tout va bien maintenant. Elle checke vite fait la tronche de Bitter, histoire de vérifier qu’il refasse pas une crise de panique, puis la petite, des fois qu’il lui soit arrivé un truc pour justifier son retard.

« Si t’veux pas dire pourquoi t’es pas rentrée avant, aucun souci. Juste… T’vas bien ? »

Si Bitter leur fait une syncope et qu’il faut le porter jusqu’au Grand Arbre, ça sera vraiment une journée de merde. Y’a pas vraiment de phrase type pour lui dire de pas s’effondrer, encore moins de pas chialer. Sense a pas envie de lui interdire de faire ça, si ça peut aider à ce qu’il fasse redescendre la pression. De même que la provenance du sang séché ne la regarde pas—faut que les perdus se calment un peu sur les conneries ; elle est blasée à force de voir des gamins revenir à moitié morts avec un grand sourire aux lèvres et les yeux brillants.

Au moins, Witted est globalement entière, et pas traumatisée.

Enfin ça, c’est jusqu’à ce que barbe-à-papa équine sous stéroïdes se décide à se montrer.

Entendons-nous bien, la terreur de Witted est compréhensible, après tout elle devait être dans l’arbre pour une raison précise qui peut avoir un rapport avec cette apparition. Ce que Sense note, de son côté, c’est que putain ce poulain est trop mignon.

Okay, Sense a grandi en voyant des séries équines pleines de drame avec sa meilleure amie, et elle aurait jamais eu sa place dans ce contexte pour des tas de raisons, genre sa famille. Le rêve d’être une horse girl, lui, est resté. Il a été étouffé par une longue série d’aventures, sans pour autant la lâcher pendant tout ce temps.

« Il déchire sa mère, » qu’elle balance, pleine d’admiration pour ce pot de peinture égaré, « enfin, s’il te fout les jetons, on va te couvrir tous les trois, t’inquiète pas. » Après tout, ils forment une bonne team, non ?

Reste qu’elle voudrait trop passer ses doigts dans la crinière, et le brosser comme dans les séries, avec le concours national dans quelques semaines—ce n’est pas une série télévisée, on se calme.

« J’présume que t’es pas fan des chevaux ? »