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[Suite directe de A companion shortens a road.]

Cela leur avait pris plus de temps que prévu, de trouver un signe correct à mettre en place. Pour autant, la journée était loin d'être terminée. Eileen avait fait en sorte d'arriver suffisamment tard pour que la vie soit déjà en route au Port, mais suffisamment tôt pour avoir le temps de chercher, au cas où son aîné demeurait introuvable.

Malgré sa légère réticence à partir si tôt après leurs retrouvailles à la recherche de Tayysan, Eileen avait accepté de suivre son frangin et découvrait le Port avec un émerveillement qui avait tout d'enfantin. Jusqu'à présent, elle n'y avait jamais mis les pieds : bien qu'intrépide, elle avait bien trop conscience de ce que son statut de Garçon Perdu entraînerait immédiatement si elle était repérée, et elle n'avait jamais trouvé que le risque en valait la peine.

"Et ça, c'est quoi comme boutique ?"

Ils parcouraient des rues étroites, pavées, qui lui titillaient l'arrière du crâne sans qu'elle ne parvienne à comprendre pourquoi. Elle l'aurait certainement fait si elle s'était attardée sur le sentiment, mais son esprit étaient bien trop occupé par tout ce qu'elle voyait pour se poser plus de questions que cela. L'endroit n'avait rien à voir ni avec le Grand Arbre, ni avec les différents villages natifs qu'elle avait pu visiter. Tout était différent. Et puisque la nature était plus ou moins exclue du paysage, c'était comme se retrouver dans un autre monde.

Dans un monde à l'image de celui qu'ils avaient tous quitté, probablement.

Les adelphes avaient parcouru une bonne partie de la ville pour arriver à ladite fumerie. Une fois sur place, une discussion rapide avec un employé leur avait apporté plusieurs informations. D'abord, la confirmation que Tayysan avait bien ouvert son atelier, mais aussi qu'elle avait changé de nom. Leur interlocuteur ne connaissait pas l'emplacement exact de la boutique, mais il avait été capable de leur donner le pâté de maisons où elle se trouvait, et dans lequel ils évoluaient présentement.

"Deartháir Mór, est-ce qu'on pourra faire un tour à la librairie, quand on aura le temps ?"

Asher avait pris soin de lui montrer quelques lieux emblématiques du Port -à visiter comme à éviter- et avait bien entendu entrepris de lui montrer la librairie, pensant que cela lui ferait plaisir. La gamine avait évidemment été ravie de savoir qu'il existait un tel endroit sur l'Île et avait hâte de pouvoir en parcourir les rayons.

Sans compter qu'elle se demandait avec une curiosité mal dissimulée si Vijendra était dans le coin...

La seule chose qui ne ravissait actuellement pas la Diligente étaient les quelques connaissances qu'ils pouvaient croiser. Elle était trop récemment arrivée pour faire des rencontres particulières, mais Asher était déjà bien établi... et sa réputation bien faite, comme elle avait déjà pu le constater en parlant de lui à certains, bien avant d'arriver. Personne ne s'arrêtait vraiment pour leur faire la conversation, mais les paroles désagréables qu'elle pouvait entendre en passant suffisaient.

Eileen avait décidé de faire de son mieux pour ne pas les écouter et, un bras entourant celui de son frère, préférait s'extasier de tout et poser des questions dès qu'elle en avait l'occasion plutôt que de manquer de déclencher une crise ou une bagarre. En soi, c'était plutôt efficace, puisque son aîné se concentrait sur elle -et qu'elle était réellement intéressée par toutes les réponses qu'il pouvait lui offrir.

"Tu es déjà allé à La Pluie Eternelle ? Qu'est-ce qu'on y vend, au juste ?"

Au fil de ces questions et des conversations qu'elles engendraient, ils finirent par bifurquer dans une allée et arriver face à une porte au-dessus de laquelle se trouvait un panneau en fer forgé. Eileen s'arrêta et déglutit, soudainement peu confiante.

"...C'est là."

Elle serra légèrement le bras de son aîné. Elle se rappelait très bien de sa dernière rencontre avec ~~Tayy~~San : la jeune femme lui avait conseillé fermement de réfléchir avant de prendre une décision trop hâtive et n'était clairement pas en faveur d'un changement de camp. Soudainement, elle se demandait si elle allait être heureuse de la revoir...ainsi. Et quelque chose se bloquait dans sa gorge.

Elle n'aurait peut-être pas dû proposer cette rencontre-ci, finalement. Mais ce qui était fait était fait. Eileen soupira, puis prit une grande inspiration.

"Entrons."

Asher vivait bien mieux la situation depuis qu'ils s'étaient tirés de l'immondice dans laquelle il passait ses nuits, adoptant une démarche active dont il avait eu besoin. Ca avait toujours été ainsi : en situation de crise, lorsqu'il était contrarié ou pire, il fallait absolument qu'il bouge, et qu'il fasse bouger les choses autour de lui. C'était ça ou bien se faire enterrer sous trop d'angoisses, de pensées qui tournaient en boucle et de frustrations qui finissaient trop souvent par se transformer en rage incontrôlable.

Il guidait Eileen en direction de la fumerie, mais l'itinéraire qu'ils suivaient était loin d'être le seul point auquel Asher accordait de l'importance. Il tournait régulièrement les yeux sur sa sœur de sorte à observer ses réactions face à ce paysage urbain inédit. Cet endroit serait désormais son foyer. Il avait craint qu'elle déteste tout de ce qu'elle allait découvrir, elle pour qui le Port était l'un des derniers lieux où elle aurait souhaité s'installer, mais force était de constater que ce n'était pas ce qui arrivait.

Elle était pleine de son enthousiasme caractéristique. Il pouvait voir la curiosité ronger son regard. Chaque question qu'elle lui posait était sincère. L'intérêt qu'elle portait aux choses n'était pas feint. Asher en tirait un immense soulagement, qui lui permettait d'accueillir la situation avec plus d'entrain qu'il ne s'en serait cru capable.

Il n'attendait pas ses interrogations pour lui présenter tous les lieux qui tombaient sous leurs yeux et qu'il jugeait digne de l'intérêt de sa frangine. Il le lui avait dit : il voulait qu'elle soit heureuse. Et il ne voulait pas que ça dépende de lui (ou pas que de lui, en attendant). Il souhaitait ardemment qu'elle s'épanouisse dans la nouvelle vie qui l'attendait. Il avait bien l'intention de faire tout ce qui était en son pouvoir pour l'y aider, à commencer par lui fournir les outils dont elle aurait besoin pour y arriver.

"Et ça, c'est quoi comme boutique ?"
- En théorie, c'est une cordonnerie. Je dis bien en théorie parce que pas mal de choses ont bougé depuis le Givre, et j'ai pas été vérifier si c'était toujours le même gars. Son business principal c'était évidemment les chaussures mais je sais qu'il aimait plus largement bosser le cuir et vendait marginalement d'autres objets, comme des bourses et des ceintures. Plutôt pratique, et de bonne qualité. J'espère qu'il est toujours en activité."

La librairie n'était pas exactement sur leur chemin, et Asher le savait pertinemment. Ca ne l'empêcha pas de bifurquer à un moment où il aurait pu s'en passer pour présenter ce bâtiment à Eileen. Ils croisaient peu de monde pour le moment, se payaient incidemment peu de remarques, et sa frangine semblait bien vivre leur ballade. Ce petit détour ne lui semblait donc pas déraisonnable. Il savait que s'il y avait bien un lieu qui risquait de plaire à Eileen sur le Port, c'était celui-là. Surtout que le propriétaire des lieux semblait être très investi dans son travail. Il essayait de compiler autant d'ouvrages qu'il en était capable, ce qui n'était probablement pas une mission aisée considérant là où ils se trouvaient -comprendre sur l'Île de Jamais, sur laquelle il était difficile d'accéder à quoique ce soit, encore moins à la culture du Monde Ordinaire.

Preuve qu'il avait bien fait de lui montrer ça : suite à leur passage à la fumerie - au cours duquel ils étaient parvenus avec succès à obtenir les informations dont ils avaient besoin - Eileen lui posa une question à laquelle il fallut qu'il se fasse violence pour ne pas répondre par une affirmative trop pleine d'une fougue qui ne lui ressemblait pas - encore moins quand il était question de bouquins.

"Bien sûr qu'on peut. Il paraît qu'ils ont vraiment beaucoup de choix."

Des voix malveillantes se levèrent à quelques mètres d'eux. Asher reconnut sans difficulté le ton qu'on employait pour parler en mal de lui sans se soucier de savoir s'il écoutait ou non. Il s'y était tant habitué qu'une telle chose ne l'énervait plus autant que ça aurait été le cas avant que ça ne devienne monnaie courante et que de surcroît il considère mériter la plupart des reproches qu'on lui faisait.

... En revanche il n'aimait vraiment pas que ces enfoirés se permettent de faire des commentaires désobligeants sur Eileen sans même savoir qui elle était. La moutarde lui monta au nez. Il eut l'envie quasi-irrépressible de se tourner en direction de ces pignoufs et d'aller refaire le nez de chacun d'entre eux pour leur apprendre à mieux parler de sa frangine.

Il n'en fit rien, même s'il serrait les poings avec une telle force qu'il s'en faisait blanchir les jointures, et même si l'expression de son visage donnait l'impression qu'il venait de bouffer un truc avarié. Foutre le dawa maintenant n'aurait servi personne, et surtout pas sa sœur qui avait certainement envie que sa première visite du Port se passe dans un calme relatif. Alors Asher prit sur lui. Il retint sa respiration, avança, puis attendit que ces idiots ne soient plus à portée d'oreille pour grogner entre ses dents un commentaire à peine audible :

"... Bande de cons qui jugent sans savoir de quoi ils parlent. M'agacent."

L'instant d'orage passé, Eileen était de retour à ses questions qui, chaque fois qu'elle les lui posait, lui ensoleillaient le cœur.

"Tu es déjà allé à La Pluie Eternelle ? Qu'est-ce qu'on y vend, au juste ?"

"Ah... Pas vraiment. Cet endroit est chelou. Ce qu'il s'y vend aussi j'imagine. Mais si tu veux fouiner tu peux y aller, tu feras sans doute des découvertes improbables. ... Quoique pour ça, vraisemblablement il suffit de fouiller dans les bâtiments de stockage du Ranch. J'veux dire, j'y ai bien trouvé un narval en peluche."

Ce souvenir lui arracha un raclement de gorge nerveux.

Ils continuaient d'avancer, à la recherche de l'atelier de San, qui était censé se trouver dans le coin. Ca ne leur prit pas très longtemps pour le repérer. La devanture de la boutique était très visible, et son contenu suffisamment éloquent pour que le doute ne soit pas permis.

"...C'est là."

Il n'aurait pas pu manquer la soudaine nervosité d'Eileen, même si elle n'avait pas pressé son bras de la manière dont elle était en train de le faire. Légèrement inquiet, Asher tourna les yeux sur sa frangine. Il se rappela de la façon dont il s'était senti presque à chaque fois qu'il avait rencontré d'anciennes connaissances pour la première fois depuis qu'il avait grandi. C'était un sentiment angoissant. Il aurait probablement dû se rendre compte plus tôt que rencontrer Tayysan allait être stressant pour Eileen, quand bien même ils la connaissaient déjà bien tous les deux. Justement parce qu'ils la connaissaient déjà bien tous les deux.

Il serra la main de sa sœur en retour. Ca valait bien mieux qu'un ça va aller auquel elle ne croirait probablement qu'à moitié, sachant que les émotions qui la traversaient n'étaient sans doute pas toutes dépendantes de la manière dont ils allaient effectivement être reçus, mais plutôt au fait d'être reçus tout court.

Il serait là pour la soutenir, en attendant. Il espérait que cette perspective participe à rendre tout un peu moins inquiétant pour sa sœur.

Lui aussi était stressé dans le fond, mais sans doute pas pour les mêmes raisons. Demander de l'aide restait une initiative extrêmement difficile pour Asher, même si le fait d'agir pour le bien d'Eileen lui simplifiait largement la tâche et le rendait prêt à faire preuve d'un culot et d'une humilité (oui, les deux, paradoxalement) inhabituels. Et puis il se sentait minable, parce qu'il avait l'impression pas tout à fait incorrecte d'être la cause du grandissement de sa sœur. Il n'était pas très à l'aise à l'idée que quelqu'un d'autre - qu'il appréciait - puisse s'en rende compte et le juge en fonction.

Peu importe. Ce qui était fait était fait. Il ne pouvait pas fuir ses torts. Tout ce qu'il pouvait faire, c'était aller de l'avant.

"Ouais. Allons-y."

Répondit-il peu de temps avant qu'ils ne se glissent à l'intérieur à la recherche de la propriétaire des lieux.

San travaillait depuis l'aube à l'arrière de sa boutique. Plongée dans ses ouvrages, elle avait profité d'une matinée sans aucun client pour terminer les finitions et l'assemblage des outils qu'on lui avait commandé. Après un court repas, la jeune femme s'était remis au travail et comptait consacrer le reste de sa journée à ses exercices de sculpture. Pour cela, elle avait entrepris de commencer l’affûtage de ses ciseaux à bois. L'exercice était d'autant plus long que San en utilisait une bonne dizaine de diverses tailles.

A peine avait-elle commencé sa session d’affûtage qu'elle entend le son de la cloche situé au-dessus de sa porte d'entrée : quelqu'un était là. La jeune femme met quelques secondes à tout reposer, à secouer ses vêtements couverts de sciure et à réajuster le bandana qui maintient ses cheveux en arrière, avant de quitter l'atelier et de se diriger vers le comptoir.

- Bonjour, lance-t-elle. Excusez-moi pour l'attente.

Elle tapote une nouvelle fois ses vêtements poussiéreux, puis finit par lever les yeux vers la porte d'entrée... Il n'y a pas une, mais deux personnes. San reconnaît rapidement Asher et n'en cache pas sa surprise : jamais elle n'aurait pensé que ce soit lui qui vienne la voir, mais plutôt l'inverse.

- Oh. Salut Asher.

Son regard se tourne ensuite vers la femme qui l'accompagne... et même si elle a bien changé, il ne lui faut pas longtemps pour comprendre qu'il s'agit de Witted. Elle n'avait pas oublié leur discussion, et de toute façon, qui d'autre aurait pu se trouver avec Asher, si ce n'est sa sœur ? Il faut dire que leur physique aidait aussi. Parmi son entourage, San ne connaissait que deux roux aux yeux verts.

Malgré tout, elle hésite quand même, avant de reprendre :

- ... Et salut, Witted, rajoute-t-elle dans un sourire.

Ainsi, elle avait décidé de grandir. La surprise lui passe bien vite, étant donné qu'au fond, ça ne l'étonne guère. Malgré ses mises en garde, elle s'y attendait et se doutait bien que Witted ne laisserait pas son frère seul si longtemps.
En revanche, un sentiment d'inquiétude s'éveille chez San au fur et à mesure qu'elle détaille la fratrie. S'ils ont pris la peine de la chercher et de venir ici, c'est qu'ils ont sans doute besoin de quelque chose... ou d'elle. Perdue dans ses pensées, l'artisane en oublierait presque la politesse. Elle s'anime à nouveau et quitte l'arrière de son comptoir.

- Ça me fait vraiment plaisir de vous voir, vous savez.

Son sourire est on ne peut plus sincère. Même si San apprécie son travail, elle doit bien avouer qu'elle n'a que peu de contacts amicaux et de confiance sur le Port. Ils se comptent à peine sur les doigts d'une main.

- Vous voulez peut-être vous installer et boire quelque chose ? Reprend-elle en les invitant d'un geste de la main à les suivre jusqu'à l'avant du comptoir, où sont disposés trois tabourets hauts. J'ai de l'eau, du thé et un peu de café.

Elle ne voulait pas leur demander tout de suite la raison de leur venue, préférant leur donner le temps de se mettre à l'aise.

Cette balade sur le Port était agréable. Bien plus qu'Eileen ne l'aurait pensé. Bien entendu, tout n'était pas rose : il y avait des odeurs désagréables dans certaines rues, certaines des boutiques qu'ils croisaient lui faisaient froncer les sourcils ; sans compter les regards de certains Pirates qui lui collaient froid dans le dos quand ils les croisaient. Et encore, c'était en ignorant les paroles désagréables qu'elle pouvait entendre de ceux qui avaient visiblement une dent envers son aîné.

Néanmoins, le caractère naturellement curieux et enjoué de la jeune femme lui permettait d'outrepasser ces détails pour se concentrer sur l'émerveillement global que lui provoquait cette visite. Il y avait des magasins qui attisaient son attention, assez pour qu'elle demande des informations complémentaires à Asher. Elle ne paraissait peut-être pas tout écouter, puisqu'elle enchaînait souvent sur quelque chose d'autre, mais c'était loin d'être le cas et son aîné la connaissait assez bien pour savoir qu'elle intégrait dans un coin de sa mémoire tout ce qu'il pouvait être en train de lui dire.

La Librairie, notamment, continuait de lui faire de l'œil alors qu'ils n'avaient fait que passer devant un bref instant. Elle esquissa un grand sourire ravi en direction de son frangin quand il accepta sa requête. Ils étaient loin d'avoir parcouru l'intégralité du Port, mais elle savait déjà que cette boutique-là allait devenir sa préférée. Surtout s'il y avait du choix, comme le Hargneux semblait le dire.

Après un petit moment, ils finirent par arriver devant l'Atelier de San. La rouquine perdit brutalement son enthousiasme au profit d'une nervosité certaine. Elle avait beau avoir insisté pour qu'ils aillent voir Tayysan avant cet inconnu, Eileen n'était pas entièrement sereine à l'idée de retrouver quelqu'un qui l'avait connue enfant et qui n'avait pas connaissance de son Grandissement. Sa première rencontre du genre ne s'était pas exactement bien déroulée...

De plus, maintenant qu'ils étaient là, elle semblait se rappeler avec une exactitude déplaisante la façon dont Tayysan avait désapprouvé l'idée sous-entendue qu'elle rejoigne son frère. Même si l'Artisane n'avait pas vraiment son mot à dire, Eileen se sentait mal à l'idée de l'avoir déçue...

Le geste de son frère lui permit de remettre les choses en perspective : Il était avec elle, ça allait bien se passer. Et puis, ils venaient avec un objectif en tête : si jamais le jeune femme décidait de ne pas les aider de gaieté de cœur, elle n'allait pas refuser de but en blanc une transaction commerciale, si ?

Ils entrèrent finalement dans la boutique, faisant résonner une petite cloche sur laquelle Eileen leva aussitôt les yeux, l'observant avec un sourire. Elle se demandait si San l'avait faite, ou si elle l'avait trouvée quelque part.

Lâchant le bras de son aîné mais restant à côté de lui, la jeune femme laissait son regard vadrouiller sur les différents ouvrages en exposition. Elle était ravie de voir que San avait réussi à faire ce qu'elle souhaitait. Et elle se rendait compte qu'elle avait eu raison, à l'époque : les Pirates étaient chanceux de profiter de son talent.

"Bonjour. Excusez-moi pour l'attente."

La rouquine se tendit imperceptiblement. Elle n'avait pas entendu les pas de la birmane, trop occupée à regarder autour d'elle. Elle se tourna lentement vers elle, en même temps qu'elle saluait son frère. Et puis, leurs yeux se rencontrèrent et Eileen fit de son mieux pour résister à l'envie qu'elle avait de baisser la tête vers le sol. Elle n'avait pas eu l'air de considérer l'apparition de son frangin comme désagréable, donc ça devrait aller, non ?

"... Et salut, Witted."

Si l'hésitation avait provoqué une nouvelle vague de nervosité, le sourire de l'Artisane la calma aussitôt. Elle se sentit y répondre avant même de réaliser qu'elle était en train de faire, avant d'ajouter d'une voix douce mais pleine de malice contenue.

"...Je me suis renommée Eileen, pour passer inaperçue."

Il s'agissait des mêmes mots qu'elle avait eu à son égard, lorsqu'elle avait utilisé son nom de Perdue, au Ranch. Un moyen comme un autre de rassurer la jeune femme -si elle avait besoin de l'être- sur le fait que son intuition était la bonne tout en tentant vaguement de détendre l'atmosphère... Bien que cela, Eileen le faisait plutôt pour elle-même.

La réplique suivante de la propriétaire de la boutique eut pour effet d'ôter toutes les tensions qui pouvaient rester chez la nouvelle Pirate. Il était évident que les mots de San étaient sincères, et ils lui allaient droit au cœur. Elle prit le temps d'un léger regard à son aîné avant de répondre avec un sourire à la fois radieux et soulagé.

"Ca nous fait plaisir également."

Puis les yeux verts d'Eileen s'agrandirent, surprise par la question suivante. Elle mit ses mains paumes ouvertes devant elle et les secoua légèrement en répondant.

"Oh non, c'est très gentil de ta part mais ne t'inquiète pas pour nous."

Elle réalisa un peu tard qu'elle avait potentiellement répondu trop vite et jeta un regard en biais à son frangin. Voulait-il quelque chose ?

Asher observait très attentivement sa sœur tandis qu'il serrait sa main dans la sienne. Sa propre anxiété était constituée de deux composantes indépendantes : l'une d'entre elle ne tenait qu'à lui et resta donc égale à elle-même - rien ne bougerait tant que la rencontre avec San ne serait pas initiée. Mal à l'aise ou pas, il faudrait bien qu'il se jette à l'eau.

L'autre trouvait racine dans l'inquiétude qu'il se faisait pour Eileen. Il voulait qu'elle aille bien. Rien n'avait jamais été plus important pour lui que ça. Il n'aimait pas la sentir en proie à ces émotions conflictuelles qu'il avait pu apercevoir, percevoir, deviner. Ainsi sentit-il donc ses épaules se dénouer sensiblement lorsqu'il remarqua que la jeune femme semblait retrouver un peu de calme et d'assurance, en réaction à son geste.

Ca n'était pas parfait et ça ne pouvait pas l'être, mais il était heureux d'être encore capable de réussir à l'apaiser par sa présence, sans qu'elle ait besoin qu'il exprime verbalement ses intentions pour comprendre où il voulait en venir.

A l'instant suivant, ils entraient dans le bâtiment et faisaient face à un silence qui de secondes en secondes se gorgeait d'appréhension. Asher avait le cœur qui battait trop vite à son goût. Il se rendit compte qu'il avait oublié de respirer pendant quelques longues secondes au moment où l'Artisane émergea de l'arrière-boutique.

Elle posa immédiatement sur lui un regard dans lequel il reconnut une surprise qui, en soi, n'était justement pas surprenante. Elle devait certainement avoir compris qu'il n'avait jamais eu l'intention d'attraper la main qu'elle lui avait tendu, lors de leur discussion au Ranch. Sans contexte, c'était effectivement bizarre qu'il vienne la trouver ici.

"Oh. Salut Asher."

Le pirate eut un réflexe incontrôlable : il baissa les yeux sur le sol, l'air aussi penaud et misérable que s'il venait lui annoncer qu'il avait accidentellement écrasé son chien dans un accident de charrue. Il se fit violence pour relever la tête et soutenir le regard de l'ancienne perdue : il devait faire face. Il refusait de faire preuve de lâcheté. Il n'en avait pas le droit.

Quand bien même il se forçait à "réagir normalement", il n'avait pas l'air très assuré. Il se sentait au bord de la nausée. Son teint paraissait trop cireux pour qu'il fut naturel, malgré sa carnation naturellement très pâle.

"Salut Harmony... Enfin. San, je suppose, maintenant."

Elle vit Eileen et la reconnut tout de suite. La gorge d'Asher se serra, quand bien même les réactions de l'Artisane restaient tout ce qu'il y avait de plus amicales et agréables à première vue. Il était évidemment content que sa sœur reçoive un accueil chaleureux et n'avait d'ailleurs pas imaginé qu'il put en être autrement. Il avait en revanche le souvenir de leur discussion dans les champs au travers de la gorge. Il passait en revue son attitude, ce qu'il lui avait dit...

De là à ce qu'elle comprenne que ladite attitude était responsable du grandissement d'Eilish, il n'y avait qu'un pas. Il avait été à deux doigts d'admettre qu'il espérait que sa sœur le rejoindrait un jour, ne serait-ce que parce qu'il pensait qu'elle serait plus en sécurité loin de Peter et de la société puérile, cruelle, déraisonnable des perdus. Désormais que c'était fait, il se sentait merdeux. Parce qu'il y avait toujours eu en lui ce sentiment mitigé : cette conscience que le Port était loin d'être un endroit parfait, et qu'il ne faisait pas forcément bon être un adulte sans ombre sur cette île. Encore moins considérant la situation dans laquelle il mettait Eileen. Encore moins sachant qu'elle n'avait jamais vraiment eu envie de rejoindre le Port, et que cette vie n'était pas du tout celle qu'elle aurait préféré mener.

... Il aurait vraiment dû mieux cacher son mal-être. Et puis même s'il n'en avait pas envie, il aurait dû s'occuper de lui-même, ne serait-ce que pour qu'Eilish ne ressente pas la nécessité de le faire à sa place.

Mais c'était bien trop tard pour se morfondre, et il détestait cette honte qui voulait le mettre au sol à un moment où il fallait qu'il se montre solide et entreprenant. Si San le jugeait pour ça même sans le montrer, elle aurait raison : il ne méritait pas mieux. C'était un fait, inutile de tergiverser, ni de chialer plus longtemps sur des erreurs auxquelles il ne pouvait plus rien changer.

Il se rendit compte qu'il avait eu une brève absence - ou tout du moins n'avait-il pas suivi les quelques échanges qui venaient d'avoir lieu entre San et sa sœur. Eileen avait l'air d'être beaucoup plus à l'aise, désormais. Il était content que ce fut le cas.

Qu'il eut l'impression d'être actuellement broyé entre les bras d'un étau n'avait aucune forme d'importance.

"Vous voulez peut-être vous installer et boire quelque chose ? J'ai de l'eau, du thé et un peu de café.
- Oh non, c'est très gentil de ta part mais ne t'inquiète pas pour nous."

Il capta le regard d'Eileen, qui semblait craindre d'avoir répondu illégitimement à sa place. Mais ce n'était pas le cas : Asher trouvait l'eau déprimante. Il détestait le thé. Et il n'avait aucune intention dans taper dans le un peu de café que San gardait. Il n'aimait pas l'idée de déranger l'Artisane en parasitant ses réserves personnelles, quand bien même avec le départ du Givre, les denrées alimentaires s'étaient faites moins rares. Paradoxalement il n'aurait pas été choqué qu'Eileen accepte la proposition - il n'aurait plus manqué que sa frangine ne mérite pas qu'on lui propose à boire. Mais dès que c'était de lui qu'il était question, tout était de trop.

"Ouais, t'embête pas. On est venu pour... discuter."

... D'un truc. En particulier. Mais les mots restèrent coincés dans sa gorge parce que subitement il trouvait ça un peu moche, de dire ça comme ça. Ca aurait été comme d'avouer qu'ils n'étaient venus la voir que pour disposer de ses services, et même si il y avait là un fond de vérité, il trouvait la remarque d'une délicatesse discutable - même selon ses standards à lui. Asher ne jugeait pourtant pas souvent nécessaire de faire preuve d'un tact immense avec ses interlocuteurs.

- ... Je me suis renommée Eileen, pour passer inaperçue.

San lui rend un sourire : évidemment. Ça ne peut être que Witted... enfin, Eileen, désormais. Elle vient de lui en donner la preuve formelle, et l'artisane se contente de hocher la tête en simple signe d'acceptation. C'est un joli nom qui lui va bien. Eileen refuse sa proposition de collation, et la birmane ne s'en formalise pas plus que ça... du moins, verbalement.

Elle continue à les dévisager poliment. Les premiers signaux corporels d'Asher la surprenne : elle le voit baisser les yeux, faire preuve d'un malaise soudain qu'il n'a pas l'air de chercher à cacher. N'est-il pas trop pâle, d'ailleurs ?

- Salut Harmony... Enfin. San, je suppose, maintenant.
- Tu peux m'appeler par l'un ou par l'autre, c'est comme tu préfères, précise-t-elle doucement. J'ai repris "Harmony" comme deuxième prénom.

C'était sa façon bien à elle de faire la paix avec tout ce qui lui était arrivé ; évidemment, Asher ne pouvait pas le savoir.

- Ouais, t'embête pas. On est venu pour... discuter.

Le refus du Hargneux, qui s'ajoute à celui de sa sœur, fait fondre le sourire de San qui affiche à la place une moue réprobatrice. Bien loin d'être vexée par leur refus, ce qui l'ennuie réellement est cette barrière excessive que Asher, lui tout particulièrement, semble s'évertuer à mettre en place. Or, celle-ci n'a pas lieu d'être aux yeux de San. Les bras croisés, elle ne répond pas tout de suite et se contente de lancer un regard entendu à la fratrie... accompagné d'un haussement de sourcil qu'elle ne cherche pas à cacher. Sérieusement ? Puisque c'est comme ça...

- Je m'en doute. Mais c'est toujours plus agréable de discuter autour d'une boisson.

S'il y a bien une chose que son grandissement a exacerbé, c'est son entêtement. San ne compte pas leur laisser le temps de répondre, ni de protester, et leur tourne le dos afin de se diriger à l'arrière de son comptoir. Après avoir vérifié le feu de sa cuisinière, la birmane commence à faire chauffer de l'eau, à préparer des feuilles de thé et à moudre les quelques grains de café qui lui reste. Elle dispose deux tasses sur le comptoir, et invite les O'Flaherty à s'approcher.

- Ça ne m'embête pas. Je n'offre pas la boisson à tous mes clients.

Elle ne rajoute rien, et tourne à nouveau le regard vers sa cuisinière. San saisit la bouilloire et verse son contenu dans l'une des tasses, puis dans la cafetière italienne qui traîne sur un coin d'étagère et qu'elle pose sur la cuisinière. C'est un objet qu'elle trouve assez beau, offert par un client qui a même pris le temps de lui expliquer son fonctionnement. Hélas, elle ne l'utilise pas souvent.

La cafetière ne met pas longtemps à siffler. San verse son contenu dans la dernière tasse restante, puis les pousse vers le bord du comptoir.

- ... de toute façon, je n'aime pas le café.

Comme si c'était pour la blague, San ne parle pas du thé, ni du fait qu'elle ait du mal à doser. De toute façon, ils risquent de le remarquer bien assez vite : le thé est sans doute trop fort, en témoigne la teinte sombre qui gagne progressivement du terrain dans l'eau chaude.

Elle leur lance un sourire, presque malicieux, tout en posant un sucrier à côté des tasses.

- Vous êtes les bienvenus, alors installez-vous.

Si Eileen avait l'air détendue - en apparence seulement, San sentait bien que la tension continuait de régner... tout particulièrement chez Asher. Ça lui parait donc important de préciser qu'ils étaient les bienvenues, et qu'il ne la dérangeait pas le moins du monde. Même si le Hargneux avait indiqué qu'ils étaient là pour "discuter", San ne les invite pas tout de suite à le faire. Pas tant qu'ils n'auront pas accepté de s'installer.

Sa petite conversation avec San avait eu le mérite de la détendre pour de bon. Jusqu'à la suite, du moins. Néanmoins, cela l'avait rassurée sur certaines choses, notamment la plus importante pour le moment : l'Artisane ne semblait pas lui en vouloir, ni être en colère contre elle. Mine de rien, c'était rassurant.

Bien entendu, ce n'était que la partie émergée de l'iceberg, et Eileen le savait. A ses côtés, son aîné n'était pas aussi serein qu'elle. Il avait réussi à s'adresser à San à son tour -d'ailleurs, la rouquin enregistrait les informations sans y réagir- mais il restait terriblement tendu. Sa sœur savait à quel point demander de l'aide pouvait lui coûter. Cela avait toujours été mais avec sa situation, son statut au sein du Port, c'était certainement encore pire. Et, de ce qu'elle savait, c'était la première fois qu'il allait voir San depuis qu'elle avait dû lui parler au Ranch. Le faire pour lui demander un service, ce n'était pas une approche avec laquelle il devait être à l'aise.

Discrètement, alors qu'elle refusait aimablement la proposition de l'Artisane, elle finit son geste en reposant ses mains le long de son corps, non sans toucher brièvement le bras de son frangin, en soutien silencieux. Elle n'allait pas lui reprendre la main comme ça, sans raison visible, mais elle n'avait pas l'intention de ne rien faire non plus. Elle voulait lui montrer qu'elle était là. Qu'elle le serait toujours, à présent.

Comme elle s'y attendait -même si elle avait réagi un peu vite à son goût- Asher refusait également la proposition de boisson de l'Artisane. La phrase qu'il ajouta, néanmoins, manqua de lui faire lever les yeux au ciel dans une marque d'agacement enfantin. Evidemment qu'elle allait insister, s'il disait ça comme ça...

"Je m'en doute. Mais c'est toujours plus agréable de discuter autour d'une boisson."

...Pas manqué. En plus, Eileen se rendit compte que San les regardait, l'un après l'autre, bras croisés et sourcil haussé. Est-ce qu'elle était fâchée ? La Diligente calma la vague de nervosité qui cherchait à refaire son chemin. Non, ce n'était pas ça. Elle était plus douée que cela pour lire dans le comportement des gens, il fallait juste qu'elle se défasse de l'angoisse que son arrivée au Port jetait en filigrane sur tout ce qu'elle pouvait faire.

Voyant que San leur tournait le dos pour aller préparer les boissons dont personne ne voulait officiellement, Eileen laissa échapper un léger soupir. Le sourire qui lui montait aux lèvres était cependant reconnaissant et il ne lui viendrait pas à l'idée de se plaindre de la chaleur de l'accueil de leur ancienne camarade.

"...C'est vraiment gentil."

Elle l'avait déjà dit, elle le savait, mais San venait de préciser qu'elle n'offrait pas de boisson à tous les clients qui passaient et quelque chose se réchauffa dans le cœur et l'attitude de la gamine, même si elle pouvait sentir le rouge lui monter légèrement aux joues. Peut-être qu'elle ne faisait ça que parce qu'elle connaissait leurs circonstances, parce qu'elle leur avait parlé à tous les deux, séparément, et qu'elle avait un peu pitié de l'image qu'ils renvoyaient...Mais n'empêche qu'elle était agréable. Gentille et chaleureuse. C'était rassurant.

Sans rien ajouter, Eileen s'approcha du comptoir, une main dans le dos de son frère, autant pour l'inciter à faire de même s'il n'avait pas amorcé le mouvement que pour se rasséréner par son contact. Elle sourit à la remarque sur le café, avant de froncer les sourcils en remarquant qu'elle n'avait sorti que deux tasses.

"...Tu ne prends rien, toi ?"

Elle se sentait un peu gênée de la voir préparer tout cela pour eux alors qu'elle ne se sert pas elle-même. Pour couper court à ce sentiment, elle prit dans ses mains la tasse qui lui était destinée et la porta à son visage pour en humer l'odeur. Un léger sourire se dessina sur son visage : c'était une odeur qu'elle connaissait, et qui l'envahissait d'une vague de triste nostalgie.

Cherchant volontairement un moyen de ne pas s'appesantir là-dessus (au risque de subir un trop-plein d'émotions qu'elle n'était pas certaine de pouvoir gérer en public), le regard vert de la Diligente parcourut l'ensemble de la boutique avant de revenir sur sa propriétaire avec un petit sourire.

"C'est vraiment très chouette, ce que tu fais. Tu es toujours aussi douée."

Elle en avait été persuadée lors de leur rencontre précédente, mais maintenant qu'elle avait les résultats sous les yeux, c'était encore plus évident.

Si Asher avait pu voir sa sœur lever les yeux au ciel à côté de lui, nul doute qu'il lui aurait répondu par un regard dépité et qu'on aurait presque pu l'entendre penser : "... Ouais, bon, ça va. Je SAIS.". Le moment était mal venu pour se taper le front du plat de la paume, mais il en aurait eu très envie. Le pirate avait bien conscience de l'ouverture contreproductive qu'il venait accidentellement de donner à leur hôte.

S'il était allé au bout de ce qu'il avait l'intention de dire initialement, ça ne se serait pas passé comme ça. Mais il s'était tardivement rendu compte qu'il ne pouvait pas balancer de but en blanc les raisons de leur venue à San sans un minimum d'introduction. Autant laisser entendre qu'il n'en avait rien à foutre d'elle et qu'ils étaient juste venus pour utiliser ses services. En plus, c'était pas vrai. Il avait toujours bien aimé Harmony, ce qui n'était pas peu dire compte tenu du peu de personnes auxquelles il s'était réellement attaché durant son temps au Grand Arbre.

... Alors il avait rétropédalé à toute vitesse, ce qui s'était soldé sur cette tournure de phrase maladroite. Et maintenant, il se sentait stupide.

Et bien sûr, San insistait. C'était ce que faisaient généralement les gens dans ce genre de situations, comme si dans la vie il y avait eu un code des politesses à suivre à la façon d'un de ces bouquins où telle action menait à tel numéro. Pas que ça le passionne, mais il se rappelait avoir vu ça un jour, il savait plus trop quand. Si vous répondez comme une tarte pas assez cuite incapable de formuler un refus digne de ce nom, rendez-vous au numéro 124.

Bon sang, il détestait ça. En règle générale, il ne s'embarrassait pas de ce genre d'interactions : il n'en avait pas besoin. Il avait subitement l'impression d'être devenu un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il n'avait qu'une hâte : qu'on saute toutes ces fichues banalités et qu'on passe à l'essentiel (merde).

"Non mais c'est vraiment pas la peine. Prépare toi quelque chose si t'as envie, mais j'ai besoin de rien.", aurait-il certainement ajouté si Eileen n'avait pas réagi la première, faisant certainement preuve de plus de tact qu'il ne s'apprêtait à en avoir.

"...C'est vraiment gentil."

... Ok, sa gueule.
Il n'était clairement pas sur son terrain de prédilection et ne le serait pas tant qu'on n'aurait pas abordé le gros du problème (... ou choisi d'entamer une discussion sur un sujet digne de ce nom, où il aurait l'impression d'avoir des trucs intéressants à dire sans risquer de bafouer 15 règles de politesse inutiles sur la distance qui séparait la majuscule du point, au choix).

"Ça ne m'embête pas. Je n'offre pas la boisson à tous mes clients."
Ca devenait immédiatement trente fois plus gênant. Asher aurait été vachement plus à l'aise qu'elle formule la phrase exactement inverse : "Ca ne m'embête pas. J'offre la boisson à tous mes clients". Même s'il ne le lui aurait pas souhaité parce que bon sang... Quel boulot, et, sans doute, quelle perte d'argent. C'était malheureux, mais sur le Port, on avait besoin de thune pour vivre. On ne pouvait pas la dépenser sans réfléchir, même si on était d'une nature très généreuse.

"... de toute façon, je n'aime pas le café."
POURQUOI EST-CE QU'ELLE EN AVAIT ALORS ?
... Non, ok. Il fallait qu'il se calme. Il savait pourquoi. C'était précisément pour être en mesure d'en offrir à ses invités si le besoin s'en faisait sentir. Ca le rassérénait effectivement un peu de se dire qu'il n'allait pas réduire ses réserves d'une denrée qui avait pour elle une utilité directe et personnelle.

"Vous êtes les bienvenus, alors installez-vous.
- ... Merci.", répondit-il sans quitter son air renfrogné car trop embarrassé pour mieux faire. Il n'avait tout de même pas envie de passer pour un ingrat, loin de là.

Eileen posa la main dans son dos, ce qui le sortit de la contemplation grognonne/gênée dans laquelle il s'était muré depuis le moment où il s'était dit qu'il valait mieux qu'il laisse la parole aux deux autres. Il s'installa devant la tasse qu'on avait préparé pour lui, le regard brièvement voilé tandis qu'une question lui traversait l'esprit.

Comment Harmony avait-elle su ? Est-ce que ça datait du Grand Arbre ? C'est vrai que déjà à l'époque, il n'aimait pas le thé. Peut-être qu'elle l'avait remarqué à ce moment là, même s'ils parlaient peu. Ou bien c'est juste qu'il n'avait pas la gueule de quelqu'un qui aimait se faire de l'eau chaude entre ses trop de verres de rhum quotidiens. Ou bien elle avait entendu des rumeurs, mais il lui semblait vraiment pas que c'était le genre de trucs que les gens s'amusaient à raconter dans son dos. Les bruits courant sur lui étaient sensiblement plus sombres et insultants.

"...Tu ne prends rien, toi ?"
"... Oui, pitié, prend quelque chose."
L'idée que l'Artisane se contente de les regarder boire leur truc le foutait mal pour des raisons sensiblement similaires à celles de sa frangine.

"C'est vraiment très chouette, ce que tu fais. Tu es toujours aussi douée."

Asher plongea le nez dans le café, à défaut de mieux. Il voyait très bien ce que sa sœur essayait de faire et il comprenait son initiative, mais faire la conversation comme ça, même si c'était pour faire plaisir et renouer des liens, ça n'avait vraiment jamais été son fort.

... Encore moins dans un instant pareil.

Le regard de San faisait la navette entre Eileen et Asher. Même si elle leur avait forcé la main, elle était contente qu'ils n'aient pas refusé son offre. Ils faisaient clairement partie des dernières personnes avec qui elle ne souhaitait pas avoir de distance ni de gêne... Même si ça avait l'air un peu mal parti.

- ... Tu ne prends rien, toi ?

La Diligente la sort de ses pensées, et San jette un nouveau coup d’œil. ... C'est vrai que ça ne doit pas détendre l'atmosphère qu'elle ne se soit pas servie. Entre Eileen qui a l'air gênée - ou timide - et Asher qui ne quitte pas son éternelle mine renfrognée. Pourtant, elle n'a pas spécialement soif puisqu'elle passe son temps à boire du thé ou de l'eau lorsqu'elle travaille. Elle hoche la tête en signe d'affirmation et se sert dans une tasse le fond de thé qu'il reste.

Elle boit une gorgée et cache une grimace, en se disant que ses thés sont toujours trop forts et qu'elle allait sérieusement devoir apprendre à doser.

- C'est vraiment très chouette, ce que tu fais. Tu es toujours aussi douée.
- Merci beaucoup, répond-elle dans un sourire qui trahit clairement sa fierté.

Comme n'importe qui, la birmane a toujours été très sensible aux compliments. Encore plus dans cette situation post-givre... voire post-Grand Arbre pour elle. Maintenant qu'ils sont enfin installés convenablement, San s'assied sur le tabouret haut situé derrière le comptoir. A hauteur (ou presque...) de ses invités, elle prend une mine plus sérieuse. Elle n'est pas non plus une grande adepte du bavardage, surtout lorsqu'elle sort de ses zones de conforts en matière de conversation.

- Vous allez bien ?

Loin d'être bateau, la question lui parait assez essentielle et plutôt générale. C'est surtout leur situation qui l'intéresse. D'où sa question suivante :

- ... Est-ce que vous avez besoin de quelque chose ?

Malgré son sérieux, sa voix garde sa douceur habituelle.
Elle n'est de toute façon pas là pour juger.

Voir San hocher légèrement la tête et se sortir une tasse à son tour soulagea immédiatement une partie de la tension présente dans les épaules de la rouquine. Vraiment, l'idée qu'elle se dérange à ce point pour eux l'ennuyait fortement, et elle était contente que ce ne soit pas exactement le cas.

...A moins qu'elle ne fasse ça que pour leur faire plaisir ? Oh non... Elle chassa cette pensée en mettant le nez dans sa tasse, avant de le détourner pour observer toutes les œuvres exposées sur les murs et commodes de la boutique pour s'échapper de la nouvelle pensée que l'odeur du thé venait de lui mettre en tête.

Assis à ses côtés, le nez plongé dans sa tasse de café, Asher ne disait rien. Sa frangine connaissait assez bien les raisons de son silence : il n'avait jamais beaucoup aimé parler, par principe, mais parler de choses qu'il considérait comme inutiles était encore pire. On pouvait discuter de la nécessité ou non de ces échanges de banalités, mais ce n'était pas le genre d'Eileen de forcer son aîné à faire la conversation. Et, au contraire, c'était quelque chose pour laquelle elle n'était pas trop mauvaise : après tout, difficile de se pointer chez les Natifs pour faire des échanges de denrées ou négocier des libérations de Perdus ou des armistices sans un échange préliminaire... surtout quand l'objectif est de garder de bonnes relations.

Aussi, c'était sans s'en rendre totalement compte ni s'en formaliser qu'elle avait pris la tête de leur petit duo. Viendrait bien le moment où ce serait à Asher de donner des explications, de toute façon. Eileen complimentait le travail de l'Artisane avec sincérité. Elle n'y connaissait peut-être pas grand chose, mais elle avait toujours été admirative de son travail, même à l'Arbre. Et elle était tout de même capable de se réaliser la qualité des réalisations, ou la délicatesse des pièces décoratives : San ne faisait pas seulement dans l'utile et le pratique, elle rendait également cela agréable. Et ce n'était pas donné à tout le monde.

Elle répondit aux remerciements de la jeune femme par un hochement de tête et un léger sourire, avant de poser pour la première fois les lèvres sur sa tasse pour prendre une gorgée de thé. La rouquine fronça un peu les sourcils : c'était plus fort en goût que cela n'avait d'odeur, mais ce n'était pas non plus désagréable. Une partie de son esprit se demandait néanmoins ce qu'ils y trouvaient de si réconfortant -elle avait toujours préféré les jus de fruits.

Quelque chose lui disait cependant qu'au bout du compte, elle finirait par comprendre.

"Vous allez bien ?"

La question la prit au dépourvu, la sortant de ses pensées pour poser sur la brune un regard étonné. Elle comprit rapidement où elle voulait en venir : c'était une question qu'on posait en début de conversation pour l'initier et obtenir des réponses qui n'étaient pas forcément vraies et auxquelles on ne s'intéressait de toute façon que peu. Au milieu d'une discussion, cependant, alors que cette dernière était bien amorcée, cette question avait une autre valeur. San voulait une vraie réponse. Celle qui allait de paire avec la raison de leur présence ici. Eileen ouvrit la bouche...

"...
-Est-ce que vous avez besoin de quelque chose ?"

...et se fit couper l'herbe sous le pied. Elle referma la bouche, baissa un instant les yeux vers la tasse qu'elle tenait toujours entre les mains et laissa échapper un soupir avant de relever le nez pour observer l'Artisane avec ce qui s'apparentait presque à un sourire contrit.

"Eh bien, pour tout te dire... Je suis arrivée ce matin et comme tu peux t'en douter, c'est un peu compliqué..."

Un coup d'œil en biais à son aîné. Elle n'avait pas particulièrement envie de s'étendre sur les détails, mais elle n'était pas non plus certaine de ce qu'elle devait dire ensuite... Asher était certainement plus compétent qu'elle à ce niveau. Mieux valait le laisser parler à présent.

Asher craignait que la question lancée par sa frangine - pour de bonnes raisons, il en avait conscience, mais c'était pas pour autant qu'il aimait ça ni qu'il savait faire, il aurait eu l'impression d'être un guignol en train d'essayer de jouer un rôle qui n'était pas le sien - débouche sur l'échange de banalités qu'il appelait, auquel il serait incapable de participer sincèrement. Or, Asher ne faisait jamais rien qui ne fut pas sincère - ça lui aurait retourné les viscères.

Donc, il serait resté comme un abruti le nez plongé dans le fond de cette tasse de café qui finalement était fichtrement bienvenue pour la seule raison qu'elle lui donnait une contenance. Ca aurait été terriblement embarrassant de se retrouver là, à écouter la discussion sans être capable d'y participer. Il se foutait généralement de l'image que ça donnait de lui, mais pas là. Ce n'était pas du tout cette facette de sa personnalité qu'il souhaitait présenter à Harmony, encore moins tandis qu'il était sur le point de lui demander le service conséquent qu'on savait.

~~Panique~~ Mal-être faisant, il avait oublié de prendre en considération qu'il n'était pas seul à ne pas apprécier particulièrement ces discussions de surface dont on ne s'embarrassait que par politesse. La relation silencieuse qu'il avait eue avec l'Artisane à l'époque du Grand Arbre aurait pourtant pu le mettre sur la piste.

"Vous allez bien ?"

Soulagement instantané. Les épaules d'Asher se détendirent sensiblement, quand bien même dans le même temps quelque chose se serrait dans sa gorge. Le pirate n'était pas très à l'aise vis-à-vis de ce qu'il lui fallait demander, mais il avait eu le temps de se faire à l'idée. Il avait des priorités. Il était déterminé. Et puis les choses très terre à terre - et donc sécurisantes, porteuses d'assurance - dont il leur faudrait discuter auraient tôt fait de lui permettre de se sentir plus stable et sûr de lui.

Il leva la tête en même temps qu'Eileen, posant un regard aigu significatif dans celui de San. Il était évident que l'ancienne perdue attendait une réponse honnête, et qu'elle devait par ailleurs se douter que le tableau n'allait pas être brillant. Outre les gueules mal à l'aise qu'Eileen et lui tiraient depuis qu'ils étaient arrivés, pour qu'Asher vienne trouver San volontairement, il fallait que la situation soit... vaguement désespérée. Considérant la nature de l'échange qu'ils avaient eu au Ranch puis l'absence de contact complet qui avait suivie, le pirate imaginait que l'Artisane s'en serait largement rendue compte.

Et de fil en aiguille...

"Est-ce que vous avez besoin de quelque chose ?"

On pouvait légitimement se demander si cette question, quoiqu'appelant réellement le sujet qu'elle abordait, n'aurait pas dû être qualifiée de rhétorique. En tous les cas, San aurait pu remplacer le point d'interrogation par un point tout court que ça n'aurait pas changé grand chose. Captain Obvious allait certainement bientôt s'inviter pour réclamer sa tasse de thé ou de café, lui aussi. Eileen fut la première à s'engager dans des explications.

Beaucoup plus sûr de lui - et mieux luné - qu'il ne l'avait paru au préalable, Asher se tourna en direction de sa frangine pour l'écouter faire. Lorsqu'il devint évident qu'elle comptait sur lui pour continuer, il appuya légèrement son regard en guise d'approbation silencieuse, puis il retourna soutenir celui de leur hôte. Et puis il lâcha sa langue avant de se laisser y réfléchir à deux fois et de risquer qu'une quelconque forme de honte inutile rendre son discours moins fluide et efficace.

"Je squatte un endroit qui n'est ni aménagé, ni salubre. Ca ne va pas pouvoir rester comme ça. Mais avant qu'on envisage de faire quoique ce soit dans ce bâtiment, il faudrait qu'on sache si on peut garder les murs, et ce qu'ils peuvent supporter. Est-ce que tu penses que tu pourrais passer voir ce qu'il en est ?"

Après un instant d'hésitation, et parce qu'il voulait le faire avant que la situation ne lui en laisse peut-être plus l'occasion, il ajouta :

"... Aussi, je vois que tu fais pas mal de trucs ici. Tout est sur commande, ou bien est-ce que tu as des pièces de literie disponibles ?"

Ses doigts serraient la tasse un peu trop fort, mais il se força à ne pas ciller. A ne pas détourner les yeux non plus. Asher espérait que San faisait crédit. Ou qu'elle acceptait d'autres types de règlements que les pièces sonnantes et trébuchantes - la force de travail, par exemple. Le Hargneux s'était vite rendu compte qu'il ne pouvait se résoudre à lui demander une telle aide matérielle gratuite alors que le travail du bois était devenu son gagne-pain. Il fallait qu'elle fasse tourner la boutique. Elle ne pouvait pas se permettre de meubler tous les sans ombres venus sous prétexte qu'ils étaient d'anciens amis et qu'ils étaient dans une mauvaise passe. D'une manière ou d'une autre, il faudrait qu'Asher lui offre une compensation.

San est passée en mode professionnel en un instant. Attentive, elle reste respectueuse de leurs temps de silences, d'hésitations, d'échanges de regard. Si son visage restait impassible, elle s'inquiète d'imaginer leur "maison". Insalubre, non aménagée... pour laquelle on lui demandait de vérifier l'état des murs. Et en toute logique, ce devrait être le lieu où vivait - squattait - Asher depuis son arrivée sur le Port. Mains jointes, elle fixe un court instant la fratrie. Avant même qu'elle n'ait vu leur habitation, avant même qu'elle n'ait eu à estimer les coûts, tout est déjà très clair dans sa tête : elle va les aider. Et pour cela, les choses doivent être bien faites. Pas question de bâcler le travail par manques de moyens ou par dépit. San est têtue, mais aussi douée pour trouver des solutions.

- Bien sûr, finit-elle par dire, en réponse à la première question d'Asher.

Le seul problème est que malgré ses quelques connaissances en charpenterie, San n'est pas maître dans le domaine. La jeune femme craint d'ailleurs d'être rapidement limitée selon l'ampleur technique des travaux et l'état de délabrement du bâtiment. Quelque chose lui dit d'ailleurs qu'il est sans doute bien pire qu'elle ne l'imagine - le simple fait qu'Asher utilise le mot "squatter", en plus d'une description peu flatteuse, l'amène à se méfier et à prévoir le pire.

- Mais je veux faire les choses biens. Elle n'aimerait pas, elle veut. Et tout en parlant, elle prend entre ses mains le registre habituellement rangé sous son comptoir. Je suis capable de faire un diagnostic, mais il y a toujours le risque que la structure entière du bâtiment soit à revoir. Et le problème est que je manque sûrement de connaissances techniques en charpenterie. Je m'avance peut-être trop, mais si tu me demandes de vérifier l'état des murs d'un endroit insalubre, je préfère prendre mes précautions et tout faire convenablement.

San marque un silence, pensive sur ce qu'elle s'apprête à leur dire.

- Si vous êtes d'accord, j'aimerais venir avec un charpentier.

Habituée à faire plusieurs choses en même temps, la birmane ouvre face à elle le registre, où elle liste de son écriture encore hésitante les matériaux qu'elle reçoit, et qu'elle a actuellement à disposition. Elle feuillette son livre, afin de vérifier si elle a des pièces de literie.

- Asher doit le connaître, mais je pensais à Zeb Skelton, le maître charpentier du Jolly Roger.

Depuis que Shark se trouve sur le Port, San a été amenée à le côtoyer : sans pour autant être proche de lui, elle sait qu'en plus d'être un excellent et sérieux charpentier, c'est un homme respecté, respectueux, et suffisamment digne de confiance pour faire appel à lui dans ce genre de situations. Après tout, il n'a jamais cherché à se débarrasser de Shark, ni à la dénoncer.

- Très sincèrement, je pense que c'est le meilleur de toute l'île, reprend San en tournant la tête vers Eileen, pensant qu'elle n'en a jamais entendu parler. Je l'ai déjà rencontré et c'est un homme correct. Il ne vous posera pas de problème.

L'Artisane continue de tourner les pages de son livre. Si sa vitesse de lecture s'est améliorée, il lui faut quand même un temps pour retrouver la trace écrite d'éventuelles pièces de literie.

- J'ai des pièces de literie à monter, mais uniquement pour un lit double. Ça vous va ? Ce sera temporaire, le temps que j'en prépare à nouveau.

La jeune femme jette un coup d’œil à la fratrie, notamment à Asher. A croire que dans son rôle "artisane", elle anticiperait presque la question qui fâche : le paiement.

- Ne vous formalisez pas sur le paiement pour l'instant, on verra plus tard. Sans leur laisser le temps de réagir, elle reprend : Je sais que vous serez corrects, et j'aimerais vous faire un prix d'ami. Si vous n'avez pas assez d'argent, je suis également preneuse de main d’œuvre. J'ai de plus en plus de commandes et je perds parfois beaucoup de temps à faire des allers-retours dans le Port.

Face au débit d'informations qu'elle vient de leur lancer, San finit par s'arrêter d'elle-même et par reprendre une gorgée de thé. Même si elle a l'impression d'en avoir trop dit, elle sait que tout est clair et que le choix leur revient. Quoiqu'il arrive, elle trouvera de toute façon un moyen de les aider.

Ce n'était pas qu'Eileen était timide ou assez peu sûre d'elle... Au contraire, elle avait toujours été directe et franche, et ces qualités faisaient encore partie d'elle -même si elle avait peut-être compris qu'il fallait parfois faire preuve de plus de tact que durant son enfance. Cependant, elle n'était pas à l'aise à l'idée de décrire l'habitat de son frangin à quelqu'un d'autre.

Il était vraiment dans un état pitoyable. Et elle savait que c'était symptomatique. Le mettre en mots, face à un tiers... c'était difficile. Ce n'était pas simplement parler de l'entrepôt. C'était admettre qu'il y avait quelque chose de grave.

C'était admettre qu'Asher allait si mal qu'il n'avait jamais pris soin de lui, pendant tout ce temps. Et ça faisait mal.

Aussi, la rouquine ne voulait pas être celle qui déblatérait ce type d'informations l'air de rien. Elle préférait que cela vienne de lui. Il n'y avait que lui qui pouvait savoir l'échelle de ce qu'il était prêt à partager avec d'autres... Elle l'avait déjà forcé à bien assez.

Silencieuse, le visage à moitié caché par sa tasse de thé qu'elle sirotait doucement -c'était un peu fort, pour une première- Eileen écoutait son aîné parler sans rien dire. Un observateur averti l'aurait probablement vue fermer brièvement les yeux aux mentions qui fâchaient. Un endroit squatté, pas un lieu de vie, ni aménagé ni salubre. Elle le savait, elle en venait. Et pourtant, c'était toujours aussi triste à entendre.

Dans sa tasse, Eileen fit la moue, déterminée. Non, il avait raison. Ca ne pouvait pas rester comme ça.

La réponse de San -deux mots simples, clairs, prononcés après un instant de silence relativement court- rassura la jeune femme plus qu'elle ne saurait le dire. Elle sentit ses épaules se dénouer un peu et accepta même de déloger le nez de sa rassurante tasse de thé pour adresser un sourire de remerciement à l'Artisane. Peut-être qu'ils allaient y arriver, en fin de compte...

Reposant sa tasse sur le comptoir, Eileen écoutait les explications de San sans mot dire. Elle comprenait où elle voulait en venir et en un sens, elle lui en était gré : cette façon de faire son travail pas simplement correctement mais de son mieux était une valeur qu'elle partageait et qu'elle avait toujours appréciée, autant chez les autres que chez elle. Néanmoins, la rouquine devinait également où tout cela allait les mener et elle n'était pas certaine d'être prête.

"Si vous êtes d'accord, j'aimerais venir avec un charpentier."

On y était. La jeune femme sentit une bouffée de chaleur l'envahir, qu'elle dissimula de son mieux en reprenant sa tasse. Elle avait du mal à cerner les raisons de son angoisse. Après tout, elle le savait, qu'elle allait devoir rencontrer de nouvelles personnes. Cela ne lui avait jamais posé problème auparavant. Était-ce parce qu'il s'agissait d'un Pirate qui répondait directement de Hook ? Parce qu'elle avait vécu presque seule pendant un moment et qu'elle craignait ces premières nouvelles rencontres ? Ou, plus simplement, parce qu'elle venait tout juste de mettre les pieds dans cet endroit, pour la première fois, mais qu'elle avait déjà saisi qu'elle n'était pas forcément la bienvenue ?

Est-ce qu'elle aurait vraiment dû rentrer à l'Arbre ?

Eileen cligna des yeux, soupirant imperceptiblement. Ce n'était pas les inconnus le problème. C'était elle. Elle et sa détermination qui se changeait en incertitude constante au fur et à mesure que le temps passait, que les choses s'emballaient. Elle aurait voulu passer plus de temps seule avec son frère. Elle aurait voulu mettre d'autres choses à plat. Elle aurait voulu parler, vider son sac, lui raconter ces doutes qui l'agitaient en permanence aussi douloureusement que sa ténacité parvenait à la convaincre qu'elle avait fait le bon choix.

Elle aurait voulu qu'il la rassure, encore.

Mais ce n'était pas le moment. Asher n'était pas en état. Il avait besoin d'avancer, et pour ça il fallait qu'ils fassent quelque chose de concret. Avoir une idée de l'état des murs entre lesquels il dormait était la première chose à faire. Ils parleraient plus tard. Ils auraient tout le temps.

En attendant, Eileen se répéta intérieurement les mots de son aîné pour tenter de se calmer. Il était heureux qu'elle soit là. Il ne la considérait pas comme un poids. Elle n'avait pas le droit de laisser ses peurs et ses failles la faire passer de l'autre côté de la barrière.

Avec un hochement de tête sec et un regard qui se voulait aussi déterminé que possible, elle serra les mains autour de la tasse avant de reprendre la parole.

"...Je vois. Et tu sais où le trouver ?"

Elle n'avait pas posé cette question pour le seul bénéfice de San. Elle savait que son frère devait l'avoir observée attentivement. Après tout, la question de ce charpentier n'était pas venue pour la première fois dans cette boutique, et elle avait déjà laissé paraître sa gêne à ce sujet. Asher l'avait certainement suivie dans toutes ses réflexions internes -sans forcément en comprendre la teneur. Poser cette question d'elle-même, c'était un moyen comme un autre de faire comprendre à son aîné qu'elle était prête à faire cette rencontre.

Autant qu'elle pouvait l'être pour le moment, du moins.

La conversation vira sur l'autre problème abordé par le Hargneux : celui de la literie. San fouillait dans ses registres. Pendant ce temps, l'une des mains de la rouquine se détacha de sa tasse pour chercher celle de son frangin, qu'elle serra dans la sienne. Pour les rassurer tous les deux. Ecoutant l'Artisane d'une oreille, elle jeta un regard en coin à son frère pour lui adresser un nouveau hochement de tête et un sourire. Elle ne voulait vraiment pas qu'il retarde tout cela pour son seul bénéfice.

Elle avait accepté de venir ici de suite. Ce n'était pas le moment de faire marche arrière. Sans compter qu'ils étaient deux à lui dire que cet homme n'était pas mauvais. Si elle ne pouvait pas -encore- lui faire confiance personnellement, elle pouvait au moins avoir confiance dans le jugement de San et Asher.

A la question concernant le lit double, elle haussa un sourcil interrogatif en direction de son frère, tout en haussant les épaules : est-ce que cela lui allait, à lui ? Pour elle, ce n'était certainement pas un problème -elle avait toujours mieux dormi en sa compagnie, de toute façon- mais elle ne répondrait pas sans savoir ce qu'il en pensait.

Puis vint la mention qui fâchait, que l'Artisane énonça néanmoins sans le moindre souci. Eileen lui adressa un sourire de remerciement. Il était inutile de faire croire le contraire : elle venait d'arriver, et elle n'avait passé du temps que dans des communautés qui fonctionnaient par le troc ou l'échange de services. Ce n'était pas elle qui allait pouvoir payer quoi que ce soit. Quant à son aîné... il était tout aussi évident qu'il ne roulait pas sur l'or. La proposition de main d'œuvre tombait donc à pic, et la jeune femme savait parfaitement que San ne l'avait pas énoncée par hasard.

"Je ne suis pas certaine de pouvoir assumer du transport de marchandise lourde, mais si tu as besoin de quelqu'un pour négocier des devis ou tenir des livres de commandes, ce sera avec plaisir."

C'était dit avec un sourire et un léger soupçon d'humour, digne de la fière Diplomate qu'elle avait toujours été. S'imaginer en domaine connu, à défaut du terrain, était rassurant.

Asher faisait de son mieux pour ne pas trop s'appesantir sur les mots qui venaient de sortir de sa propre bouche. S'il se laissait y réfléchir, il allait avoir envie de crever de honte sous la table, or il avait plus important à faire et il devait se concentrer sur l'essentiel : être efficace, aller vers la résolution du problème plutôt que de rester coincé au stade du triste constat qu'il venait d'énoncer. Il se sentirait bien suffisamment misérable quand San verrait de quoi il en retournait par ses propres yeux, donc s'il pouvait éviter de s'en rajouter une couche tout seul, ça ne serait pas mal.

Quoique toujours rassuré d'avoir la confirmation que San allait les aider, Asher n'était pas surpris. Il gardait à l'esprit qu'elle avait été la première à lui proposer son assistance, et il allait sans dire que si l'Artisane avait assez de cœur pour compatir à ses problèmes, désormais qu'ils étaient deux à en avoir - et sa sœur les avait mérités bien moins que lui - elle se montrerait d'autant plus déterminée.

Mais je veux faire les choses bien, précisait-elle d'ailleurs. Un éclair de gratitude le traversa mais il n'en montra rien, préférant se concentrer sur ce qu'Harmony était en train d'expliquer. Il l'observait silencieusement de cette façon qui lui était caractéristique quand il n'était pas trop ivre ou trop agacé pour avoir l'air clair : fixement, et avec cette intensité prouvant qu'il buvait chacun des mots qui sortaient de sa bouche et n'en oubliait aucun.

Il entendait ce qu'elle expliquait et encore une fois n'était pas très surpris, considérant que c'était plus ou moins la conclusion à laquelle il était arrivé plus tôt :

"Si vous êtes d'accord, j'aimerais venir avec un charpentier."

Pour Eilish qui lui avait fait comprendre qu'elle n'était pas à l'aise à l'idée de rencontrer trop rapidement des inconnus tandis que son changement de camp et tout ce qu'il impliquait était encore si frais, Asher aurait préféré que San se juge capable de faire une première évaluation seule, mais il entendait l'avis exprimé par l'Artisane et d'un point de vue strictement pragmatique, il le partageait complètement. L'état du bâtiment était calamiteux. Mieux valait assurer le coup, avoir tous les talents nécessaires présents sur les lieux et éviter de perdre du temps et de l'énergie (le leur et celui de San, qui se montrait déjà très généreuse) à faire les choses à moitié, impliquant qu'il faille s'y reprendre à deux fois.

Le pirate tourna un regard inquiet sur sa sœur, n'écoutant qu'à moitié San vanter les talents et la "décence" de Zeb - ce n'était clairement pas pour lui qu'elle faisait cet exposé. Ainsi qu'elle l'avait deviné, Asher connaissait suffisamment le maître charpentier pour ne pas avoir besoin qu'on lui rabâche de telles informations. Il y avait néanmoins un point sur lequel le rouquin ne se sentait pas aussi assuré que l'Artisane : tout bienveillant qu'il fut, Zeb avait selon Asher de bonnes raisons d'être réticent à l'idée de l'aider. Mais c'était une question que l'ex-maître d'armes avait déjà retourné dans tous les sens. Il savait sur quels arguments insister si le besoin s'en faisait sentir.

Le mal-être de sa frangine lui crevait les yeux. Il aurait voulu prendre sa main pour tenter de la rassurer mais il ne pouvait pas le faire pour une double raison : d'une part, les doigts d'Eileen étaient fermement serrés autour de sa tasse de thé. D'autre part, ça aurait été rendre ce mal-être plus évident que nécessaire aux yeux de San, qui les observait tous les deux, et Asher n'était pas certain qu'Eileen soit à l'aise à l'idée de se montrer si vulnérable face à leur amie commune. Encore moins dans un moment où pareille démonstration aurait été si significative.

"...Je vois. Et tu sais où le trouver ?
- . . ."

Une ombre soucieuse assombrit pour de bon le visage d'Asher, qui n'avait pas quitté Eileen des yeux durant les quelques instants qui venaient de passer, qui lui avaient paru très longs, mais qui avaient en réalité été très courts. Il voyait bien qu'elle n'était pas tranquille. Elle se forçait. Il ne fallait pas être une flèche pour comprendre qu'elle faisait ça pour lui, au détriment de ses propres émotions.

Ce n'était pas quelque chose qu'il souhaitait. S'il était vrai qu'il avait eu besoin de mettre en route la machine grâce à laquelle il espérait transformer le caractère insoutenable de leur situation en quelque chose de transitoire, et donc d'acceptable, sa priorité avait été, était, restait, serait toujours sa sœur. Il voulait tout sauf la mettre mal à l'aise. Rien n'avait plus d'importance que son bien-être - les très rares moments où ça n'avait pas été le cas, qu'il ne parvenait pas entièrement à comprendre, d'autant qu'il n'en gardait aucun souvenir, avaient été une erreur affreuse.

Il reviendrait là-dessus plus tard. San abordait le second des sujets qu'il avait lancés. Asher tourna donc la tête pour accorder son attention à l'Artisane, sans perdre un seul instant son air préoccupé. Paradoxalement, il eut vite l'impression de mieux respirer : que San ait un meuble à leur proposer immédiatement était en soi une bonne nouvelle. Qu'elle anticipe leurs soucis de paiement et leur propose des alternatives viables transformait la bonne nouvelle en excellente nouvelle. La reconnaissance qu'il ressentait à l'égard d'Harmony grimpa encore d'un cran, à tel point qu'il l'aurait bien embrassée...

... Si il avait été le genre de personnes qui faisaient ça. Ce qui n'était évidemment pas le cas. Hors de question d'admettre qu'une fois, dans une situation et à une époque très différente, ça n'avait pas été loin d'arriver.

Il prit la suite d'Eileen pour répondre, non sans laisser poindre un fantôme de rictus alors qu'il se remémorait encore la discussion qu'il avait eue avec Harmony au Ranch :

"Et finalement, on dirait que je vais reconsidérer ta proposition de la dernière fois. Entre autres choses, je peux m'occuper des marchandises lourdes en question."

Désormais que c'était dit, il n'attendit pas plus longtemps : Asher alla chercher les yeux d'Eileen afin de soutenir son regard en même temps qu'il expliquait, injectant une douceur tangible dans sa voix malgré le caractère purement pratique que ses propos semblaient encore avoir lorsqu'on ne les prenait qu'au premier degré :

"On peut commencer par s'occuper du lit. Ca sera bien de l'avoir pour cette nuit. Ensuite, si on parvient à s'organiser tous les trois, on aura déjà bien avancé."

Autrement dit, si Eileen ne se sentait pas de foncer tout de suite pour que Zeb soit contacté dans la journée et que l'évaluation puisse être faite avant qu'ils aillent se coucher, ils pouvaient se contenter de planifier. Asher saurait faire avec. Désormais que les choses étaient concrètement en route, il devenait capable de mieux tolérer l'attente et la pression que lui foutaient simultanément la perspective de la rencontre avec Zeb et ses incertitudes vis-à-vis de l'état du bâtiment et de ce qu'il restait à en sauver. Il se tourna encore vers San :

"... D'ailleurs. Je ne sais pas ce que tu avais l'intention de faire, mais je voudrais être là quand Zeb sera mis au jus. Mon passif avec le Jolly Roger complique la situation. Ca fait très longtemps qu'on s'est pas vraiment parlé. Ca serait pas honnête de ma part de me planquer derrière toi. Je veux pas que ça soit fumeux, je veux mettre les choses à plat."

Il marqua une brève pause. Il y avait quelque chose qu'il avait besoin de dire de façon plus directe. Il y avait plus à comprendre dans ses yeux et dans le ton de sa voix que dans les deux mots qu'il prononça finalement :

"... Merci, Harmony."

Elle devait se douter de combien sa bienveillance, sa motivation, et les initiatives qu'elle avait prises - impliquant qu'ils n'aient même pas besoin de tout demander - était significative pour eux, dans un tel instant charnière.

San reste pudique. Même si elle ne percevait pas tous les signes discrets qu'échangeaient la fratrie, elle fait de son mieux pour ne pas paraître trop insistante, que ce soit par ses paroles ou ses regards. La situation devait déjà être bien difficile pour eux : il était inutile d'en rajouter avec une pitié maladroite ou mal placée. Tour à tour, Eileen et Asher acceptent sa proposition de main d’œuvre. Avant même de leur répondre concernant la localisation de Zeb, San leur adresse un sourire de remerciement : elle est très sincèrement ravie qu'ils soient d'accord de cet arrangement, d'autant plus que chacun s'occuperait des tâches qui rongent ses temps de réflexion et de fabrication. Grâce à eux, elle pourra sans nul doute produire plus, et plus vite.

- Ce serait parfait. Vous me permettriez d'avancer plus vite dans mes tâches.

Ceci fait, San reprend une gorgée de thé, repose la tasse puis se concentre à nouveau sur le registre face à elle.

- Je peux vous fournir le lit avant ce soir, ce n'est pas un problème. Il faudra seulement le monter, mais je peux vous faire ça rapidement. Vous avez déjà des draps j'imagine ?

La birmane marque un nouveau silence, particulièrement pensive aux propos d'Asher. Elle n'avait jamais osé poser frontalement la question à Asher concernant son vécu sur le Jolly Roger... et pourquoi, précisément, il en était parti.

- ... Merci, Harmony.

Mais le Hargneux, plus rapide qu'elle, enchaîne sur des remerciements qui lui vont droit au cœur. San plante un court instant son regard dans celui d'Asher. Il n'a jamais été très bavard sur ses sentiments. En revanche, elle comprend très bien tout ce qu'il transmet à travers le ton de sa voix et son regard. C'est un remerciement sincère, profond, peut-être plus qu'elle ne peut l'imaginer. San quitte son regard, croise celui d'Eileen.

C'est un nouveau sourire qu'elle leur adresse, tout en affichant une expression à la fois douce et pensive.

- C'est normal. J'ai survécu au Port parce qu'on m'a aidé lorsque j'en ai eu besoin. Ça me parait logique de rendre la pareille...

Elle marque une pause, avant de reprendre sur un ton plus taquin :

- Enfin, c'est seulement parce que je vous aime bien.

Blague à part, San reprend rapidement son sérieux. Tout en poussant sur le côté son registre, elle songe à l'endroit où pourrait se trouver Zeb Skelton. Très sincèrement, elle n'a pas d'idées précises en tête. En toute logique, il ne peut être qu'à proximité du Jolly Roger. Lui revient également en mémoire la demande d'Asher, qu'elle compte bien évidemment respecter.

- Zeb est capitaine d'un petit voilier qui est amarré près du Jolly Roger. S'il ne se trouve pas sur l'un ou l'autre, je suppose qu'il ne peut être qu'à proximité.

D'autant qu'avec le Dégel, San imagine qu'il avait dû avoir beaucoup de travail, que ce soit sur la Zorra ou sur le Jolly Roger.
Elle tourne la tête vers Asher.

- Et je comprends tout à fait que tu veuilles être là lorsque j'irais lui demander de prêter main forte. On peut aller le voir ensemble, ou même tous les trois si vous préférez.

San reprend une mine plus soucieuse. Il faut dire qu'elle reste inquiète pour eux : à leur place, elle aurait eu du mal à accepter un intervenant extérieur dans une telle situation.

- ... Je ne veux pas non plus vous forcer. Nous ne sommes pas obligés de prendre contact avec Zeb dès aujourd'hui. Ça peut atteindre demain, ou quelques lunes. C'est comme vous le souhaitez. Je comprendrais que vous ayez besoin d'en discuter entre vous.

Pour autant, quelque chose lui disait que Zeb ne refusera pas de les aider dans une telle situation.

» L'Eternité à construire [V2]

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