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Asher O'Flaherty
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☠ Pirate du Port ☠


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MessageSujet: [Flashback] And then, it happened.   [Flashback] And then, it happened. EmptyDim 4 Avr 2021 - 19:05

Bitter


♣ Sentinelle ♣
Traîtrises, tromperies, faux-semblants. Des jeux qui se transforment en missions suicides, ou en exécutions sommaires. Un monde cruel, et une société déraisonnable qui ne l'est pas moins. La brutalité n'est pas l'apanage des pirates. Elle est l'essence de toute vie dès lors qu'il faut la mener dans cet endroit. Feu, Violence et Mort. Tout suinte, tout est pourri, tout revêt sa véritable apparence. Les images habituelles défilent mais ne sont jamais tout à fait les mêmes. A chaque fois qu'elles reviennent, pourtant inchangées, tout est pire.

Sueurs froides. Horreur. Suffocation. Fatalité. Vanité. A quoi bon avoir tant essayé ? Rien ne sert de se débattre : cet enfer n'aura de fin que lorsque l'existence elle-même s'estompera au profit d'un éternel silence.

Partir ne suffirait pas vraiment, n'est-ce pas ? Aucun lieu ne sera jamais suffisamment loin de cette horreur doucereuse, faussement candide, trop sucrée, trop colorée pour être honnête et supportable. Le Grand Arbre n'en est que l'épicentre. C'est l'Île entière, sa magie nébuleuse, son insupportable irréalité, son incohérence affreuse qui s'impose comme une mélodie entêtante, un parfum capiteux. Elle s'insinue partout, prend son crâne dans un étau, se transforme en engin de torture, à l'instar d'une goutte d'eau tombant entre les yeux, toujours au même endroit, toujours avec la même régularité.

Tout est tordu. C'est jusqu'à l'air qu'ils respirent qui est empoisonné.

Il le sait depuis longtemps : une faute n'est que très rarement unilatérale. Peut-être même que ce n'est jamais vraiment le cas. Il a été bête de croire, de suivre, mais s'il y a quelqu'un qui est plus à blâmer que lui dans cette histoire, c'est bien le menteur, le voleur, le tyran qui les a rendus incomplets, et à cause duquel l'existence est devenue difforme à jamais.

Ca serait tellement plus facile de tout lui foutre sur le dos. Il le mérite.

Le crever toutes les nuits dans ses rêves ne suffit pas. Ca n'a rien d'agréable, rien de réconfortant. La haine même consommée ne désenfle pas. Elle n'apporte aucune satisfaction, juste une colère frémissante et constante, une douleur qui ne s'en va plus. L'onirique sauvagerie à laquelle il s'adonne oublieusement n'ajoute dans le long terme qu'un peu plus d'horreur et un peu plus de honte à l'ensemble.

Pourtant, il ne veut pas partir. Il a peur d'y être obligé. Il sait que ça arrivera un jour. Il sait que ça risque d'arriver bientôt, parce qu'il a déjà commencé à grandir. Il n'y a encore que bien peu de personnes qui l'ont remarqué. Il espère que les choses vont rester ainsi. Vivre au Grand Arbre est un cauchemar éveillé, mais vivre sans Eilish n'est simplement pas concevable.

Ils doivent rester ensemble. Il ne peut pas l'abandonner. Quant à exister sans elle, ce serait encore perdre une autre partie de lui, comme lorsqu'on lui a arraché son ombre.

Il ne veut réellement pas quitter le Grand Arbre, de toute façon. La tentation d'une plus grande liberté qui l'attendrait à l'autre bout de l'île ne suffit pas à lui faire oublier que cet endroit, aussi détestable qu'il soit, est le seul foyer dont il ait encore mémoire. Il ne connaît rien d'autre et le peu de choses auxquelles il tient - réduites en nombre, mais pas en importance - est ici. Si changer de cabane et de routine l'a déchiré à ce point, que se passera t-il le jour où il devra partir encore plus loin ?

A quoi ça sert (De quoi faire ? Tout. Essayer. Vivre.) A rien.
Rien ne sert absolument à rien. En un sens, on pourrait presque crever tout de suite, et qu'est-ce que ça changerait ? Foutu pour foutu...

... Elle est la seule qui l'empêche encore de penser sa vie, et chaque acte qu'il effectue en ces termes.
Depuis combien de temps garde t-il ça enfermé en lui à double tour ? Quand est-ce que ça a commencé ? Il essaie d'oublier, mais ça résonne trop fort, désormais. Ca prend trop souvent le pas sur ce qu'il voudrait réussir à penser et à ressentir.

Je suis désolé, Eilish.

Il s'éloigne d'elle sans le vouloir, happé par des pensées sombres qui l'isolent et qui le rendent inaccessible. C'est dur de se souvenir de l'importance des choses. Même de celles qui auraient dû être prioritaires sur absolument tout.


--

Bitter fut réveillé par un son rauque étranger, qu'il ne parvint pas à reconnaître. Il lui fallut plusieurs secondes pour se rendre compte qu'il s'agissait d'un hoquet, et que c'était sa gorge qui l'avait poussé.

Comme toutes les nuits durant lesquelles il parvenait à dormir quelques heures depuis que les Cauchemars s'acharnaient sur lui - autant que sur de nombreux autres perdus - Bitter était couvert de sueur. Il se sentait brûlant, et pourtant l'air était glacé.

Chaque nuit, c'était pire.
Cette nuit, c'était encore pire.

Quelque chose n'allait profondément pas. L'Orageux s'en rendit compte avant même de remarquer le perdu qui, à l'autre bout de la cabane, était assis contre un mur, probablement en proie à une insomnie - qui n'en subissait pas régulièrement, ces derniers temps ?

"... Bitter ? C'est toi ?
- Non."

La réponse avait été immédiate, à peine réfléchie. La perception que Bitter avait de son corps était si différente de ce à quoi il était habitué qu'il eut presque l'impression d'avoir dit la vérité. Ce n'était pas non plus sa voix. Il n'était pas tout à fait lui-même ou bien en tous les cas, il venait de subir un changement brutal extrêmement déconcertant.

... Et puis de toute façon, il n'avait jamais aimé ce nom.
Il ficha une baffe à cette pensée volatile qu'il jugeait atrocement mal venue. Il espéra qu'elle n'était pas prémonitoire. Il détestait son nom de perdu, mais ce n'était pas pour autant qu'il voulait s'en départir. Ca signifierait perdre aussi tout le reste.

Ce n'était pas pour ça qu'il avait menti. Bitter ne voulait pas être reconnu parce qu'il savait pertinemment ce qui allait arriver dès lors que ça serait le cas, tandis qu'il ressemblait à... à quoi exactement ? Déboussolé, il n'en avait encore aucune idée et n'avait pas le temps de s'en soucier. Il fallait qu'il se planque et se donne l'espace de comprendre ce qui était en train de lui arriver, ainsi que de réfléchir à ce qu'il devait faire maintenant. Après avoir pris ses affaires il se redressa vivement et vacilla. Son sens de l'équilibre était affecté par les trop nombreux centimètres qu'il venait de gagner d'un coup. Alors qu'il faisait de son mieux pour s'adapter de façon express à sa nouvelle condition, il prit le chemin de la sortie, sous les yeux de l'autre sentinelle qui n'était vraisemblablement pas certaine de ce qu'elle devait croire.

"Je vais pas réussir à me rendormir. Autant aller voir si quelqu'un a besoin d'une relève. Si je croise Bitter je suppose que lui dirai que tu penses à lui quand t'arrives pas à pioncer..."

La fausse plaisanterie avait été extrêmement difficile à sortir, déjà parce qu'elle était atrocement gênante, et ensuite parce que Bitter n'était vraiment pas d'humeur à blaguer. Il avait pourtant réussi à sonner presque aussi narquois qu'il l'avait souhaité et le résultat était là : l'autre garçon ne paraissait plus le soupçonner.

"... Déconne pas, je vous ai juste confondus. J'suis pas comme ça hein. Pis j'aime pas ce gars, va pas dire des trucs comme ça à Stern.
- T'inquiète, justement je déconnais. Parle moins fort par contre, y en a qui se reposent encore. J'y vais, salut."

Bitter s'évanouit dans la nature avant que son interlocuteur n'ait eu le temps de lui demander qui il était.

--

Il souleva d'une main les ramures du saule et s'engouffra sous son couvert. Bitter avait le cœur qui battait à tout rompre. Sa brève escapade lui avait permis de prendre conscience de l'ampleur des changements qu'il avait subis. Il percevait les souffles de sa respiration. Ces sons anormaux hérissaient son échine.

Bitter posa son sac - qui contenait l'ensemble de ses rares affaires personnelles - par terre. Il s'installa à côté et s'autorisa enfin à ressentir tout ce qui se passait en lui.

Le perdu ramena ses jambes contre lui et fourra son nez entre ses genoux. Il faudrait du temps avant que quiconque remarque son absence. Lorsque ça arriverait, il savait ce qui allait se passer. Eilish allait le chercher, et le Parapluie serait le premier endroit où elle se rendrait. Peut-être que se planquer ici n'avait pas été l'idée du siècle.

Mais peut-être que c'était exactement ce qu'il voulait, qu'elle le trouve en premier. Il n'y avait pas de retour en arrière possible. Quoiqu'il advienne, sa frangine allait être mise au courant. Autant que ça soit par lui directement. Autant qu'ils aient une chance de se voir avant qu'on risque de le...

Sa respiration devenait trop rapide, trop ample, trop bruyante, et les sons trop graves qu'il produisait ne faisaient qu'amplifier sa terreur.

Oui, c'était le bon terme : sa terreur.

Il ne s'en rendait vraiment compte que maintenant car avant, ses priorités étaient ailleurs, et puis il avait été trop confus.

Bitter était terrorisé.

Tremblant, il porta les mains autour de sa tête et tira sur ses cheveux. Il voulait de cette douleur pour retrouver pied dans une réalité qu'il était en train de perdre. Il lui fallait contrôler l'incontrôlable : sa peur.

Son grandissement.

Réalisation soudaine. Il bondit comme pour prendre quelque chose dans son sac, mais il n'y avait rien dedans qui pouvait l'aider. Bitter ne possédait pas de miroir.

"... J'ai quel âge. Shite, j'en ai aucune idée. Quel âge je peux avoir ? Je suis pas encore... Je suis pas... hein ? Ca pourrait. Merde. Nan. Ca peut pas. C'est pas possible. L'autre aurait pas réagi comme ça. Ca va aller. J'ai encore de la marge. Ca va aller..."

Entre la brutalité des changements et le fait que Bitter avait toujours été très grand et costaud -même lorsqu'il n'avait que douze ans - on pouvait aisément comprendre qu'il se pose cette question. Sa corpulence aurait techniquement déjà pu être celle d'un adulte d'assez grande taille. Pourtant, Bitter n'avait actuellement que quinze ans : il avait pris l'équivalent d'une petite année de façon très progressive, de telle sorte que ça ne s'était pas tant remarqué. Puis deux ans d'un coup, à l'occasion de cette nuit plus difficile que les autres.

Il était au bord de la panique, et la panique ne lui servirait à rien. C'était bien de le savoir mais ce n'était pour autant pas si facile pour lui de retrouver son sang-froid. Il resta là, recroquevillé sur lui-même comme pour tenter de retrouver son gabarit préalable, les deux mains sur le front, les épaules voutées. Il faisait de son mieux pour respirer calmement, et pour se convaincre que ça n'allait pas continuer. Il ne fallait pas qu'il grandisse plus. Il fallait qu'il trouve le moyen d'arrêter ce processus sinistre.

Il lui fallait aussi se convaincre que ce n'était pas déjà trop tard. Beaucoup avaient été bannis pour moins.

Le matin finirait par se lever et tandis qu'il demeurerait absent, Eilish finirait par se dire qu'il y avait un problème et par venir ici. D'ici là Bitter serait calmé en apparence - en réalité parfaitement abruti par le peu de perspectives qu'il avait face à lui. Il y avait une dernière chose qui l'effrayait presque autant que tout le reste : la réaction que son deamhan beag allait avoir en le trouvant ainsi. Il détestait l'idée de l'inquiéter, de l'attrister, de lui faire du mal de la moindre manière.

Un mal qui, tristement, était déjà fait.
Oh, comme il aurait voulu pouvoir revenir en arrière.
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Eileen O'Flaherty
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MessageSujet: Re: [Flashback] And then, it happened.   [Flashback] And then, it happened. EmptyLun 5 Avr 2021 - 20:12

Witted


♣ Diplomate ♣
Quelque chose n'allait pas.

Alors qu'elle se rendait d'un pas énergique en direction du Parapluie, Witted n'arrivait pas à étouffer l'angoisse qui grandissait dans sa poitrine. Son frangin ne s'était pas pointé au petit-déjeuner ce matin, après le chant du coq. Cela arrivait, bien entendu. Surtout depuis qu'il était Sentinelle, certaines de ses gardes se terminant très tôt dans la matinée. Néanmoins, la rouquine savait parfaitement qu'il n'était pas de garde cette nuit-là.

Elle l'avait senti dès qu'elle s'était réveillée. Difficilement, et bien trop tôt, comme bon nombre de ses camarades. Les Cauchemars agissaient sur tous, elle avait eu le loisir de s'en rendre compte à de nombreuses reprises, surprenant le réveil en sursaut d'autres qui jusqu'à présent avaient toujours eu le sommeil bien plus tranquille qu'elle.

La Diplomate n'avait jamais très bien dormi. Elle faisait des cauchemars réguliers dès lors qu'elle était seule, et si le fait de partager sa cabane ne la dérangeait pas pour cette raison précise, elle préférait de loin la compagnie de son aîné, qui avait toujours su la calmer efficacement. Ces derniers temps cependant, c'était plutôt l'inverse qui se produisait, même s'ils ne pouvaient pas se retrouver aussi souvent qu'ils le souhaiteraient : dormir dans une autre cabane que la sienne n'était pas particulièrement bien vu, surtout s'il s'agissait d'une fille allant dans une cabane peuplée de garçons, peu importe le lien de parenté évoqué. En plus, la popularité de Bitter au sein de son nouveau groupe n'était pas très forte. Enfin, certains l'appréciaient probablement plus qu'ils ne le mentionnaient, mais cet abruti au nez cassé avait réussi à le discréditer aux yeux de beaucoup.

L'Astucieuse souffla. Elle détestait les gars comme Stern, qui usaient de leur influence pour se faire bien voir et mettre une misère à d'autres. Mais quand l'autre en question était son frangin, c'était encore pire. Malheureusement, ce n'était pas comme si elle pouvait faire grand chose à ce sujet, à part être là au maximum pour son aîné quand leurs emplois du temps le permettait.

Aujourd'hui cependant, Witted avait envoyé valser son programme habituel. Dès qu'elle avait remarqué l'absence de son aîné. Parce qu'elle sentait désespérément que quelque chose n'allait pas.

"Hey Witted ! Tu ne dois pas aller chez les Peaux-Rouges, ce matin ?"

S'arrêtant brutalement à quelques mètres à peine du Parapluie, la gamine leva les yeux au ciel avant de se tourner vers la personne qui venait de l’interpeller. Il s'agissait de Weasel, un collègue Diplomate avec lequel elle avait déjà effectué plusieurs missions.

"Je vais chez les Hurons, exceptionnellement. Ce sont les plus proches, donc inutile de décoller tout de suite.
-Oh ? C'est pas Puny qui devait y aller ?
-...On a échangé.
-Ah bon ? Mais pourquoi ?"


La petite Irlandaise croisa les bras sur son torse en laissant échapper un soupir ouvertement exaspéré.

"Mais qu'est-ce que ça peut bien te faire ?!
-Ca va, ça va, c'était juste une question... Bon sang qu'est-ce que tu peux être susceptible, comme gamine..."


Se forçant à ne pas répondre, la rouquine ferma les yeux en pinçant les lèvres. S'agacer encore plus ne servirait à rien, si ce n'était s'attirer encore plus de suspicion de la part de l'autre -qui paraissait beaucoup s'amuser de ses réactions d'ailleurs...- et elle n'avait vraiment pas le temps pour ça.

Finalement, son manque de répartie sembla lasser le Loyal qui reprit son chemin pour vaquer à ses propres occupations. Avec un nouveau soupir, la fillette attendit de s'assurer qu'il disparaisse de son champ de vision avant de franchir les derniers mètres qui la séparaient des branches tombantes de l'arbre, qu'elle écarta doucement pour entrer.

Son regard vert parcourut l'ensemble du Parapluie, s'arrêtant un instant sur le sac -dont la présence était inhabituelle- avant de se poser sur la silhouette de son frangin. Evidemment, qu'il était là. Witted s'en sentit brièvement soulagée, avant de froncer les sourcils avec inquiétude.

Quelque chose n'allait vraiment pas.

Les plus calmement possible, la gamine s'approcha de l'Orageux qui se tenait assis dans un coin, la tête dans les mains le regard vide. Sans un mot, elle s'agenouilla à ses côtés et le prit dans ses bras. Elle réalisa bien vite qu'elle n'arrivait pas à le serrer contre elle aussi facilement que d'habitude.

...Comme s'il était devenu trop grand pour ses petits bras.

Après un long moment où ils restèrent ainsi en silence, l'Astucieuse s'aventura à passer une main douce dans les cheveux de son aîné.

"Deartháir mór, parle-moi..."

L'angoisse qui lui serrait la poitrine se faisait de plus en plus présente, mais il était hors de question qu'elle se laisse engloutir. Son frère avait besoin d'elle.
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MessageSujet: Re: [Flashback] And then, it happened.   [Flashback] And then, it happened. EmptyMar 6 Avr 2021 - 14:35

Bitter


♣ Sentinelle ♣
Bitter sursauta au moment où il entendit quelqu'un ou quelque chose écarter les branches du Parapluie et fouler l'herbe que cachait le long rideau végétal. Ses yeux se dressèrent vivement dans la direction de la présence. Normalement, personne ne venait jamais ici, à l'exception d'Eilish et d'Alsyd. Cela dit, on n'était jamais entièrement à l'abri de la visite d'un intrus, perdu ou créature inconnue.

L'adolescent reconnut la silhouette et la chevelure  de feu de sa sœur. Une tension quitta ses épaules, au profit de crispations d'un autre ordre. Son cœur s'emballa. Ses pupilles s'étrécirent, tandis qu'il fixait l'enfant avec un air ahuri tel qu'on aurait pu se demander s'il était complètement conscient de ce qui arrivait autour de lui.

Eilish commença par s'intéresser à son sac, avant de poser les yeux sur son frère. L'instant très court durant lequel leurs yeux se croisèrent sans que rien d'autre n'arrive lui parut durer une éternité. Bitter cherchait quoi dire, mais rien de valable ne lui venait.

Quels mots pouvait-on poser sur une pareille situation ? Même s'il était plus bavard avec Eilish qu'avec ses interlocuteurs standards, il n'avait jamais été très à l'aise pour les manier et ne le faisait généralement que lorsque ce qu'il avait à dire présentait une importance ou un intérêt suffisant. Lorsqu'il s'agissait de ses ressentis, il les cherchait bruts, sans filtre, sans déformations atteignant  leurs nuances.

Pas aujourd'hui. Pas maintenant. Il fallait qu'il soit fort pour Eilish et qu'il lui épargne la profondeur des inquiétudes qui l'avaient tétanisé toute la nuit durant, et jusqu'à cette heure de la journée qu'il était bien incapable de placer, faute d'une notion du temps rendue inexistante par cette île infernale. Découvrir son frère dans cet état serait bien suffisamment angoissant pour Eilish. Elle aurait assez de ses propres inquiétudes à supporter. Il était hors de question qu'il en rajoute une couche.

". . ."

Il aurait vraiment fallu qu'il dise un truc. Garder le silence, c'était pire que mieux. C'était comme avouer qu'il était, en réalité, complètement paniqué, qu'il ne savait pas quoi faire, qu'il craignait qu'on le bannisse sans y réfléchir à deux fois parce que son dossier était simplement trop chargé, et qu'il avait simplement trop d'ennemis parmi ceux que Peter avait à la bonne. Qu'il craignait, aussi, d'être incapable de s'arrêter de grandir avant d'avoir atteint un âge qui ne lui permettrait plus de vivre ici, même si on l'épargnait lors de son procès.

Eilish était tout contre lui, désormais. Elle le serrait dans ses bras. Il ne lui avait même pas rendu son étreinte, comme il l'aurait fait en temps normal. Même si elle ne donnait l'air de rien, elle s'était forcément rendue compte de ce qui était en train d'arriver. Il sentait ses petits bras chercher à l'entourer sans y parvenir complètement.

Il avait grandi à ce point ?
Cette sensation là, c'était bien pire que de trouver le sol beaucoup plus bas qu'il n'aurait dû l'être. Il avait la sensation que sa nouvelle taille le séparait de sa frangine et il détestait ça. Une impression prémonitoire de plus, qu'il se refusait à voir comme telle.

Ses peurs n'étaient la réalité.
N'est-ce pas ?

"Deartháir mór, parle-moi..."

Se faisant violence pour se montrer plus réactif, Bitter finit par lever une main trop grande, qu'il posa sur l'épaule d'Eilish. Il la serra fort contre lui. Pas trop fort. Juste suffisamment, ou du moins c'était ce qu'il espérait. Il n'était pas tout à fait certain d'être encore capable de mesurer la puissance de ses gestes, son corps lui paraissant vraiment trop étranger.

Il n'avait toujours rien dit, mais au moins avait-il tenté de communiquer autrement. La gorge nouée, conscient qu'il ne pouvait échapper éternellement à ses responsabilités sans qu'elle ne finissent par retomber injustement sur les épaules de sa frangine, il tourna enfin son visage dans la direction de l'Astucieuse. Si Witted n'avait pas encore tout à fait remarqué les traits changés de son frère, plus marqués, plus adultes, même s'ils ne l'étaient pas encore tout à fait, à ce stade elle pourrait difficilement passer à côté.

". . ."

Parle-moi, avait-elle dit. Mais s'il parlait, elle allait entendre cette voix qui était lui sans l'être, et pour une raison qu'il n'arrivait pas vraiment à comprendre, ça lui paraissait pire encore que d'être vu dans cet état. Peut-être parce que ça rendrait les choses trop concrètes. Elle ne pourrait définitivement plus se dire que c'était juste une impression.

... Comme si ça n'était pas déjà trop tard.

"... J'ai eu une sale nuit. Je me suis réveillé comme ça. J'ai merdé. Deamhan beag, je suis désolé." souffla t-il donc de sa voix trop rauque.

Ses yeux se gorgèrent d'eau, mais il les leva le temps de contenir son émotion. Une fois qu'il eut réussi, il baissa la tête et observa la paume de ses mains.

"Je vois pas à quoi je ressemble. Tu penses que j'ai quel âge ?"

Il n'arrivait pas à se montrer aussi rassurant qu'il l'aurait voulu. Le moment n'était probablement pas adapté. Il ferait de son mieux. Plus tard.
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MessageSujet: Re: [Flashback] And then, it happened.   [Flashback] And then, it happened. EmptySam 17 Avr 2021 - 17:28

Witted


♣ Diplomate ♣
Elle avait saisi que quelque chose était anormal à l'instant où elle n'avait pas vu son aîné au petit-déjeuner, mais croiser son regard, même l'espace d'une demi-seconde, concrétisait une peur qui n'avait fait qu'être sous-jacente depuis le chant du coq.

Elle voyait dans son regard aussi vert que le sien qu'il ne contrôlait absolument pas la situation, quelle qu'elle fut. Il était affolé, complètement perdu, incapable de réfléchir à ce qui lui arrivait. Elle pouvait voir qu'il voulait lui parler, qu'il cherchait désespérément à dire quelque chose mais que rien ne voulait sortir. Ce n'était pas rare, qu'il ne trouve pas les mots. Ce n'était pas vraiment son fort, à moins d'être dans une situation particulière. Mais avec elle, il avait toujours plus communiqué verbalement qu'avec le reste du monde. Pour qu'il n'y parvienne pas, alors qu'il n'y avait qu'eux...

Witted fit de son mieux pour retenir la vague de panique qui commençait, doucement mais sûrement, à l'envahir. Elle pressentait une catastrophe, quelque chose d'aussi terrible qu'incontrôlable. Mais elle ne pouvait pas se laisser aller. La première chose à faire était de rassurer son frère. Elle s'occuperait d'elle-même ensuite.

Aussi calmement qu'elle en était capable, la fillette s'était rapprochée de son frère pour le prendre dans ses bras. Elle avait très vite remarqué une chose : il avait grandi. Et elle n'avait pas besoin de le voir debout pour en être consciente. Ses bras peinaient à faire le tour de ses épaules, comme elle aurait normalement dû en être capable. Elle sentit une sueur froide glisser le long de son dos. Son cœur se mit à battre plus vite et plus fort, mais elle se fit violence pour essayer de le contrôler de son mieux. Fermant les yeux, elle se concentrait sur sa respiration, tâchant de ralentir les battements qu'il devait forcément entendre. Elle l'appela, autant pour le détourner de ce constat que pour essayer de savoir ce qu'il en était. Elle avait besoin de l'entendre. Ou qu'il réagisse, au moins. L'idée de le savoir perdu dans une spirale d'où elle ne pourrait jamais le ramener était encore pire que le reste de ce qu'elle osait à peine appréhender.

Enfin, une réaction. Il finit par poser une main sur son épaule et la serrer contre lui en retour. L'Astucieuse soupira de soulagement. Il était là. Sa propre poigne se resserra un peu plus encore. Elle n'avait pas noté qu'il paraissait serrer avec plus de force que d'habitude, et écoper de quelques bleus était sincèrement le dernier de ses soucis. Déplaçant l'une de ses mains, elle entreprit de la passer dans ses cheveux, comme lui-même le faisait souvent avec elle. Elle avait toujours trouvé cela apaisant, et elle se disait que cela ne pouvait pas lui faire de mal... elle ne savait pas ce qu'elle pouvait faire de plus, pour le moment.

Le presser à nouveau pour qu'il parle ne servirait à rien et Witted le savait très bien. Elle se contentait donc d'attendre que son aîné soit prêt, faisant son possible pour ne pas augmenter son mal au lieu de le soulager. Enfin, il finit par tourner la tête dans sa direction.

Même si elle avait cherché à se dire que c'était elle qui se faisait des idées et que non, son frangin n'avait pas gagné en stature, ce visage l'aurait définitivement privée de toute illusion. Bien sûr, il n'avait pas changé : il avait toujours sa tignasse désordonnée qui tombait par mèches sur son front, ses tâches de rousseur, ces yeux trop verts -si semblables aux siens- dans lesquels elle pouvait lire comme dans un livre ouvert... Mais il y avait aussi quelque chose de plus : plus mûr, mâchoire plus carrée, traits plus marqués...

...Il faisait plus adulte, tout simplement.

Il n'arrivait toujours pas à lui parler. A ce stade, Witted se doutait que ce n'était pas uniquement parce qu'il ne trouvait pas les mots. Ses suspicions ne tardèrent pas à être confirmées.

"... J'ai eu une sale nuit. Je me suis réveillé comme ça. J'ai merdé. Deamhan beag, je suis désolé."

Sa voix. Elle en reconnaissait l'accent typique, l'influence de leur gaélique maternel, la façon dont elle pouvait traîner sur certaines syllabes et accélérer sur d'autres... Mais elle avait changé, elle aussi. Elle était plus grave, plus rauque. Elle n'était plus celle d'un enfant.

Pas d'un enfant de douze ans, en tous cas.

Au même moment, les deux adelphes levèrent le regard pour contenir des larmes qu'ils ne voulaient verser ni l'un ni l'autre. Witted, dans le même temps, caressait les cheveux de son aîné avec tendresse, comme pour répondre à ses excuses. Il lui fallu un peu plus de temps pour le mettre en mots.

"C'est pas ta faute..."

Les Cauchemars faisaient du mal à tout le monde. Elle y compris. Ils avaient tous une manière différente de gérer : certains luttaient contre le sommeil de toutes leurs forces jusqu'à s'effondrer de fatigue, espérant qu'ils n'auraient pas les moyens de rêver pendant leur repos. D'autres s'éveillaient en sursaut et pleuraient comme des enfants pendant tout le reste de la nuit, serrant des peluches et réclamant câlins et autres dés à coudre. Quelques uns s'éveillaient en sursaut mais n'appelaient pas leur Mère, parce qu'ils avaient géré autrement.

Parce qu'ils étaient devenus trop grands pour cela.

"Je vois pas à quoi je ressemble. Tu penses que j'ai quel âge ?"

Witted baissa à nouveau la tête pour observer son frangin, qui paraissait observer ses mains. Elle suivit son regard, avant d'ôter une de ses mains de ses épaules et de la poser dans la sienne. L'écart s'était visiblement agrandi, et elle ne savait pas quoi en penser. Elle glissa ses doigts entre les siens avant de sentir sa gorge se serrer trop fort pour répondre. Elle passa en revue les différents Perdus plus âgés qu'elle connaissait, tâchant de comparer rapidement les caractéristiques qu'elle avait noté.

Il était devenu plus âgé que Dandy, c'était certain. Cependant, il n'avait pas encore les traits aussi déterminés que Raven... L'image de Weasel, qu'elle avait croisé quelques instants plus tôt, lui revint en mémoire.

"Je ne sais pas exactement... Quinze, seize ans, peut-être ? Pas plus, en tous cas."

Là-dessus, elle était catégorique. Son frère était encore un enfant. Cela ne pouvait que jouer en sa faveur, n'est-ce pas ?

"..."

Elle avait envie de luis dire que tout allait bien aller, mais elle savait que c'était un mensonge et détestait mentir. A son aîné, elle s'en sentait incapable. Mais elle aurait vraiment aimé se montrer rassurante... A défaut, elle serra à nouveau sa main dans la sienne, soutien silencieux, avant d'ajouter.

"...Il faudrait que tu manges quelque chose. Ca aidera à éloigner les Cauchemars."

A défaut de leur donner un moyen d'affronter la Réalité.
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MessageSujet: Re: [Flashback] And then, it happened.   [Flashback] And then, it happened. EmptyDim 18 Avr 2021 - 14:50

Bitter


♣ Sentinelle ♣
"C'est pas ta faute..."

Bitter dut se mordre la lèvre pour parvenir à garder ses larmes à l'intérieur. Il cligna à trois reprises de ses yeux encore bien trop humides. Ce n'était pas parce qu'il n'avait pas fait exprès que ce n'était pas sa faute. Mais ce n'était pas un débat qu'il voulait avoir avec Eilish. Personne n'avait besoin de ça : ni elle, ni lui.

Sa crainte de grandir ne datait pas des Cauchemars. Les racines de ce qui était en train de lui arriver étaient plantées en lui depuis très longtemps. Il avait fait de son mieux pour éloigner les pensées intrusives qu'il savait dangereuses. Par ses actes notamment, il avait tenté de donner du sens au monde qui l'entourait pour faire taire la petite voix intérieure qui l'entraînait dans la mauvaise direction.

Cette stratégie avait cessé de fonctionner. Tout était parti à vau l'eau lorsqu'on avait brûlé ses précieux souvenirs, et lorsque Peter avait forcé son changement de groupe. Que les Cauchemars soient apparus peu de temps après n'était qu'une malheureuse coïncidence.

Ils n'avaient fait que révéler ce qu'il avait été incapable de tuer dans l'œuf, ou de contrôler. Ils avaient accéléré le processus, mais Bitter n'était pas certain qu'il aurait pu éviter cette issue, même sans ce catalyseur qui était venu tout empirer.

Comme il ne voulait pas s'engager dans cette discussion, qu'il savait inutile et qu'il pressentait nocive, il décida plutôt de changer le sujet de la conversation. Chercher à connaître son âge actuel avait deux avantages : d'une part, il avait vraiment besoin de savoir. L'idée qu'il soit déjà devenu trop vieux pour qu'on le laisse rester ici, même si elle lui paraissait relativement improbable, le terrorisait. D'autre part, il se disait que c'était un sujet de conversation simple, terre à terre, qui leur serait certainement profitable à tous les deux.

C'était choisir de parler de ce qu'ils pouvaient cerner, toucher, contrôler. C'était se donner une base tangible pour préparer une suite qu'il n'arrivait pour le moment pas à envisager avec le calme nécessaire. Bitter doutait qu'Eilish en mène bien plus large que lui, surtout qu'elle venait à peine de le découvrir dans cet état, quand il avait eu toute la fin de la nuit pour (essayer de) se faire à l'idée.

"Je ne sais pas exactement... Quinze, seize ans, peut-être ? Pas plus, en tous cas."

Il soupira, légèrement soulagé par cette estimation. Considérant les changements qu'il avait subis, il n'avait pas espéré moins. Qu'Eilish pense qu'il ne s'approchait pas de la frontière redoutée des dix-sept ans était une bonne nouvelle. Ca lui laissait un peu de marge... Et on serait peut-être aussi plus clément avec lui si son apparence n'était pas trop semblable à celle d'un adulte. Par contre et pour cette exacte raison, c'était vraiment pas de bol qu'il soit aussi grand.

"D'accord. Tant mieux. C'est pas génial, mais ça aurait pu être pire."

C'est juste un mauvais moment à passer, aurait-il voulu rajouter. Mais il n'était pas assez sûr de lui pour balancer de telles affirmations, qui n'auraient été fondées sur rien de solide. Ca aurait été cruel de dire ça à Eilish. Elle savait autant que lui ce qu'il en était réellement.

Il connaissait bien trop la facilité avec laquelle certains perdus qui ne l'avaient pas mérité s'étaient fait foutre dehors sous prétexte que l'ami du voisin de cabane d'untel avait remarqué qu'il avaient pris trois centimètres dans la nuit. Il voulait croire qu'on ne le bannirait pas, mais rien ne permettait d'en être certain. Le jugement de Peter était complètement puéril et irrationnel, lié à ses humeurs et à ses envies du moment. Les mots des diplomates - et de tous ceux qui s'impliquaient officiellement ou officieusement dans l'affaire - ne l'atteignaient pas forcément. Même lorsqu'ils le faisaient, ce n'était pas forcément pour de bonnes raisons. C'était comme de jouer à la roulette russe.

C'était vraiment juste un jeu, pour Peter. Le Grand Arbre était son coffre à jouets. Chacun de ses habitants, une poupée qu'il pouvait habiller comme bon lui semblait, puis casser lorsqu'il en avait marre.

Bordel, qu'il détestait ce mec.
Il fallait qu'il se calme. Cette haine qu'il nourrissait, toute justifiée qu'elle fut, faisait partie du problème.

"...Il faudrait que tu manges quelque chose. Ca aidera à éloigner les Cauchemars."

Une petite main serra la sienne. Il répondit immédiatement à ce geste.

Bitter se tourna vers sa sœur. Il tenta de lui sourire, même si le résultat n'était pas très concluant. A son tour, il se mit à lui caresser les cheveux. Eilish faisait de son mieux pour faire bonne figure, mais il savait qu'elle aussi devait être terrorisée. Il embrassa son front avant de répondre, prudemment. Il ne voulait pas lui faire peur plus que de raison, quand bien même il n'y avait malheureusement rien de très heureux à dire de cette situation :

"D'accord. Mais à moins que t'aies piqué un truc pour moi au déjeuner, je mangerai un peu plus tard. Je vais pas dormir tout de suite de toute façon. Je vais rester ici encore un moment... Autant profiter d'être tranquilles tant qu'on peut... hm ?"

Il ne voulait pas quitter le Parapluie. Et il voulait qu'elle reste avec lui. Il y avait en Bitter une peur sourde qui commençait à naître : celle de ne plus jamais pouvoir tenir Eilish dans ses bras comme il le faisait en cet instant, lorsque cet instant volé à la vie du Grand Arbre prendrait fin.
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MessageSujet: Re: [Flashback] And then, it happened.   [Flashback] And then, it happened. EmptyVen 14 Mai 2021 - 15:54

Witted


♣ Diplomate ♣
C'est pas génial, mais ça aurait pu être pire.

Witted eut envie de gémir de dépit, mais se retint de son mieux. A la place, elle hocha légèrement la tête, sans grande conviction. Elle savait que son aîné disait partiellement ça pour tenter de la rassurer, et peut-être qu'il y parvenait un peu : son calme relatif l'aidait à ne pas se laisser déborder par la panique grandissante qui accélérait son rythme cardiaque et lui donnait envie de s'effondrer dans ses bras sans plus de cérémonie.

Il avait raison. Il fallait qu'ils se concentrent sur les choses qu'ils pouvaient maîtriser. Cela ne servait à rien de tourner en rond et de ressasser les possibilités sur des événements qui n'étaient pas encore arrivés. C'était le moment présent, qui importait.

Le moment qu'il leur restait ensemble.

Se mordant fortement la lèvre pour s'empêcher de pleurer, ce fut au tour de la cadette de proposer quelque chose de très terre-à-terre. Elle ne l'avait pas vu au petit-déjeuner, elle savait qu'il n'avait rien avalé. Et vu sa tête, il était là -ou du moins n'avait pas dormi- depuis un bon bout de temps. Un peu de nourriture ne pourrait lui faire que du bien.

La rouquine se sentit aussitôt rassurée par la main qui serrait la sienne. Ce n'était qu'un geste simple, mais il voulait dire beaucoup. Elle tenta de son mieux de répondre à l'ersatz de sourire qu'il lui offrait, et se blottit sans réfléchir contre lui en laissant échapper un soupir en sentant sa main passer dans ses cheveux. Cela avait toujours été un moyen pour elle d'évacuer la tension et il le savait parfaitement.

Personne ne la connaissait mieux que lui.

Elle ferma brièvement les yeux en sentant ses lèvres sur son front puis tourna son regard vers lui quand il commença à lui répondre. Elle savait parfaitement où il voulait en venir, et elle n'aimait pas du tout ce qu'elle entendait, mais elle ne pouvait pas prétendre qu'il avait tort : c'était bien là le nœud du problème. La simple idée de le voir partir la terrorisait au plus profond d'elle-même. A nouveau, elle se contenta de hocher la tête. Elle ne faisait pas confiance à sa voix pour le moment, sa gorge était bien trop serrée.

Sans un mot, elle se redressa légèrement, juste assez pour pouvoir fouiller librement dans la besace qu'elle portait en quasi-permanence. S'y trouvaient quelques breloques qu'elle avait prévu d'amener chez les Hurons un peu plus tard, son livre du moment et d'autres petites choses. Elle finit par en sortir une pomme et plusieurs petites brioches de toutes les couleurs. Elle lui tendit le tout avec un très -trop- léger sourire.

"J'ai essayé de prendre les moins sucrées..."

Elle savait d'expérience que les bleues et les oranges, malgré leur arôme aléatoire, étaient probablement celles que son aîné détesterait le moins. Elle espérait juste que ce serait le cas aujourd'hui aussi : l'immuabilité n'était -bizarrement- pas vraiment la caractéristique principale de l'Île, jusque dans le goût de la nourriture.

Sans lui demander son avis, elle se réinstalla, posant son côté contre son torse. Elle pouvait entendre les battements de son cœur et respirer son odeur, ce qui l'apaiserait presque instantanément s'il n'y avait pas cette épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes.

Le forçant plus ou moins à poser le reste de sa nourriture sur ses genoux à elle, Witted se saisit d'autorité d'un de ses bras, qu'elle passa autour d'elle avant de jouer avec les doigts de sa main, traçant des formes géométriques invisibles sur sa peau. Elle resta ainsi un moment, en silence, le laissant -tenter de- manger ce qu'elle avait apporté, avant qu'une phrase ne lui échappe, d'une petite voix pourtant pleine de détermination.

"Je ne les laisserai pas faire, tu sais."

Après tout, quoi qu'il se passe, s'il finissait par y avoir un procès il faudrait un Diplomate pour défendre son frère. Et elle avait bien l'intention de le faire becs et ongles. Ils ne pourraient pas lui refuser ça... n'est-ce pas ?
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MessageSujet: Re: [Flashback] And then, it happened.   [Flashback] And then, it happened. EmptyMar 25 Mai 2021 - 19:39

Bitter


♣ Sentinelle ♣
Il fut très dur pour Bitter de garder son sang-froid lorsque le corps de la petite-fille s'engouffra entre ses bras. Il l'embrassa sur le front puis la serra fort contre lui, plongeant son nez dans ses cheveux pour sentir leur odeur rassurante. C'était l'odeur de la maison. Souvent, c'était la seule chose qui l'apaisait encore assez pour qu'il retrouve l'impression d'être exactement là où il aurait dû se trouver.

Le seul endroit qui valait le coup, c'était celui où Eilish se trouvait, même s'il fallait que ça soit sur cette île infernale et parmi trop d'imitations de joie glauque et grimaçante, corrompues par le poison qui transformait un endroit déjà absurde et inhospitalier en un cauchemar d'injustice et de cruauté doucereuse.

Bientôt, se convaincre que tout valait mieux que d'être séparé d'Eilish ne suffirait peut-être plus. Désormais que son grandissement était devenu évident, la balle n'était plus dans son camp. La douce odeur des cheveux de sa sœur ne le consolait plus. Elle lui rappelait avec une intensité insupportable tout ce qui était en jeu. Être devenu incapable d'apprécier cette sensation lui donnait l'impression d'avoir déjà perdu quelque chose.

Il ne fallait pas qu'il succombe à cette panique qui le guettait et qui n'arrêtait pas de lui glisser dans l'oreille que c'était sans doute déjà trop tard, et que l'espoir d'être pardonné auquel il s'accrochait n'était rien de plus qu'illusoire. Laisser sa peur le contrôler était une très mauvaise idée et il le savait. Ce genre de choses n'avait jamais rendu personne plus clairvoyant ni plus efficient. De plus s'il tombait, Eilish aussi. Il s'y refusait.

... Mais, bordel, ça n'avait jamais été aussi compliqué de faire semblant. Il obligeait sa respiration à suivre un cours plus calme, moins erratique que celui qu'elle aurait adopté naturellement. Il essayait de lisser les frémissements dans son souffle à chaque instant. Il n'y parvenait pas parfaitement et ça le contrariait beaucoup, considérant l'endroit où se trouvait Eilish, qui allait forcément remarquer quelque chose. Il se sentait fébrile, glacé, ses doigts tremblaient sans doute un peu, et ses yeux brillaient plus qu'il ne l'aurait voulu. Il attendit que tout se calme suffisamment pour s'éloigner, chercher les yeux de sa sœur, et continuer la discussion. Ce qu'il devait lui dire n'avait rien de très joyeux.

Le frère comme la sœur faisaient de leur mieux pour faire bonne figure devant l'autre. Bitter observa Eilish fouiller dans sa besace avec une ombre de sourire en coin. Elle lui avait donc bien pris quelque chose au petit-déjeuner... Il avait en réalité l'estomac trop barbouillé par l'angoisse pour avoir faim, mais il allait se forcer à avaler quelque chose quand même. Même s'il avait l'impression contraire, il en avait sans doute besoin, et sa frangine serait plus tranquille s'il se montrait conciliant. Ca ne serait du luxe pour personne.

"J'ai essayé de prendre les moins sucrées...
- Merci... Tu gères." répondit-il en récupérant entre ses mains la pomme et les petites brioches.

Comme souvent, l'aspect pratique que venait de prendre la situation lui permit de récupérer un peu de contenance. Ca n'allait pas durer, mais il se sentait légèrement plus stable qu'au préalable tandis qu'il observait tour à tour les victuailles. Il préfèrerait sans doute la pomme, mais les brioches étaient plus simples à manger. "Plus simple" n'était pas négligeable considérant son état de nerfs potentiel. Mieux valait éviter qu'il s'agace sur le truc qu'il mastiquait et que cela vire sans prévenir à la crise de larmes.

Il croqua donc dans l'une des pâtisseries. Après avoir avalé sa première bouchée, il chercha quelque chose à dire dans l'optique de rassurer Eilish un peu mieux que ça. Il tourna les yeux sur elle et... Un énorme blanc. Le vide. Une incapacité à sortir quoique ce fut qui venait avec un sentiment d'impuissance terrible. Il ne trouvait rien  à dire qui aurait eu plus de valeur que le silence. Rien qui ne soit pas complètement contreproductif.

"..."

Alors il se tut, laissant simplement l'enfant l'obliger à poser la pomme et les viennoiseries qu'il tenait encore dans sa main gauche. Il la laissa de bon cœur jouer avec sa main et renforça l'étreinte qu'elle avait initié pour lui communiquer son affection. Ce faisant il regardait le sol et continuait de manger sans broncher. Il en était rendu à se concentrer sur l'acte de mastication pour essayer d'empêcher ses pensées de partir dans tous les sens - à ce stade, aucun des sens en question ne lui paraissait souhaitable.

Le silence s'étira durant un long moment, et il était difficile de savoir si ce moment était agréable ou non. Puis Eilish le rompit avec une phrase qui lui fit instantanément monter les larmes aux yeux, même s'il fit encore une fois de son mieux pour ne pas le montrer.

"Je ne les laisserai pas faire, tu sais."
". . ."

Ca rendait presque trop concret ce qui allait se passer "ensuite". Eilish ne l'avait pas nommé mais elle l'évoquait directement. Tout se rapprochait trop brutalement de Bitter. Il comprenait ce qu'elle sous-entendait. Il n'était pas sûr d'apprécier l'idée. Ne serait-ce pas terrible pour elle de prendre en charge cette responsabilité tandis qu'elle était presque aussi directement impactée par le procès que s'il la concernait ? N'allait-elle pas s'en vouloir affreusement s'il se faisait bannir, en pensant qu'elle ne l'avait pas suffisamment bien défendu ? Les perdus et Peter connaissaient leur lien. Ils en joueraient pour la déstabiliser et tenter de la décrédibiliser, et tout serait encore pire.

Mais si elle ne prenait pas ce rôle, les remords ne risquaient-ils pas se changer en regrets ? S'il se faisait bannir après avoir été défendu par quelqu'un d'autre qu'elle il était possible qu'elle culpabilise quand même, cette fois pour n'avoir pas essayé. Quant à l'épreuve que représentait ce procès pour la petite fille... Bitter était bien placé pour savoir que ne rien faire était parfois bien plus difficile que de faire face même à de très cruelles épreuves. Si les rôles avaient été échangés, il n'aurait probablement pas pu rester les bras ballants.

Il n'y avait pas de bonne solution, et elle était mieux placée que lui pour savoir quelle posture lui serait la moins inconfortable.

"... Je sais." finit-il par réussir à répondre d'une voix sourde.

En réalité, il n'était même pas certain qu'Eilish aurait son mot à dire. Il était possible qu'on considère qu'ils étaient trop proches et qu'il fallait prendre pour le défendre un diplomate au statut plus neutre.

... Ce qui n'empêcherait pas qu'on écoute parler ceux qui le détestaient lorsque viendrait le moment de l'accuser, coup typique des divers noyaux pourris qui gangrénaient cette communauté, bandes de charognards qui se nourrissaient de drames sensationnels et du malheur des autres.

Soudain, il eut envie de ne plus sortir du Parapluie. Du tout. Jamais. Eilish pouvait mentir, dire qu'il était mort. Elle pouvait certainement lui ramener de quoi manger quotidiennement, comme elle venait de le faire ce matin. C'était un peu contraignant mais il était sûr que ça ne la dérangerait pas trop.

Il ne pouvait pas passer sa vie sous le couvert d'un arbre. C'était ridicule, surtout lorsqu'on savait combien il ne tenait pas en place. Pourtant, en cet instant qui s'éternisait, Bitter avait l'impression que cet étrange emprisonnement serait toujours préférable à ce qui l'attendait dehors.

"... On en parle maintenant alors ?"

Le Parapluie leur offrait un abri au-delà duquel les attendait une tempête abominable. Il fallait en profiter, et planifier les événements à venir n'était peut-être pas la meilleure manière de le faire, même s'il aurait été idiot de ne pas prendre cet avantage - ils n'en auraient guère d'autres. Bitter craignait qu'il n'y ait plus de retour en arrière possible, une fois qu'ils auraient commencé à discuter de l'avenir. Mais s'ils décidaient de faire l'autruche pendant quelques échanges supplémentaires, sauraient-ils seulement profiter du temps qu'ils volaient ? Que faire de l'épée de Damoclès qu'ils avaient sur la tête ? Bitter n'était plus sûr de rien, à commencer par savoir s'il préférait attendre ou non pour aborder vraiment les sujets qui fâchaient.
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MessageSujet: Re: [Flashback] And then, it happened.   [Flashback] And then, it happened. EmptyLun 21 Juin 2021 - 9:11

Witted


♣ Diplomate ♣
Elle avait décidé de ne pas pleurer. Pas maintenant, pas ici, pas alors qu'elle sentait confusément que son aîné était lui aussi désespérément en train de retenir quelque chose. Elle ne pouvait pas craquer, elle n'en avait pas le droit. Si elle ne le faisait pas par fierté, au moins pour lui. Parce qu'elle savait très bien ce qu'il se passerait, si elle n'y parvenait pas.

Fouiller dans son sac, chercher activement quelque chose, aidait beaucoup. C'était plus simple de ne pas se laisser envahir lorsqu'on avait une action précise à accomplir. Mais bientôt, elle n'eut plus rien à faire. Rien d'autre qu'un léger "Je sais." murmuré avec un sourire en coin et beaucoup moins de malice qu'elle n'en possédait en temps normal. Une façon de faire bonne figure, qui finalement n'était qu'un témoin de plus que son monde était en train de s'écrouler.

Non. Hors de question. Elle secoua imperceptiblement la tête en se réinstallant plus confortablement entre les bras de son aîné, refusant de laisser son esprit vagabonder avec ce genre de pensées. Ca ne voulait rien dire. Ce n'était pas parce qu'il avait... grandi, un petit peu, qu'il allait forcément partir. N'est-ce pas ? De toute manière, elle ne le laisserait pas faire. Elle ne les laisserait pas faire.

Il était hors de question qu'on lui enlève son frère.

Le temps passait sans qu'elle n'y accorda grande importance. Ce qui comptait, c'était qu'il était là, avec elle, et qu'ils n'avaient pas besoin de se parler pour se comprendre. Le silence était peut-être un peu plus pesant qu'à l'accoutumée mais il valait peut-être mieux ça. En tous cas, c'était toujours mieux que l'absence, selon Witted, qui jouait avec les doigts de son frère sans savoir si c'était simplement pour s'occuper les mains ou pour essayer d'apprivoiser ces paumes bien plus grandes que les siennes.

Est-ce qu'elle allait les oublier, elles aussi, avec le temps ?

Une phrase lui échappa, montrant qu'elle n'arrivait pas vraiment à passer outre le possible tournant inquiétant des événements qui les attendait. Elle doutait qu'ils parviennent à éviter un procès. C'était trop flagrant, même s'il n'avait pas dépassé la limite. Et l'Orageux avait trop d'ennemis -ou trop peu d'amis, au choix. Comme souvent, comme toujours, il allait ne leur falloir compter que sur eux-mêmes.

Evidemment, elle savait bien qu'on pouvait lui refuser cette demande. Pour plein de raisons, certaines plus logiques que d'autres. Mais elle était déterminée à les convaincre. Après tout, elle avait toujours fait du bon travail, non ? De l'excellent travail même, elle le savait. Même ses collègues les plus réticents et moins prompts aux compliments étaient capables de le reconnaître, bien que du bout des lèvres. Ils n'allaient pas lui enlever le droit de défendre son frère, n'est-ce pas ?

N'est-ce pas ?

Plus elle y réfléchissait, et plus Witted sentait les larmes lui monter aux yeux sans pouvoir les contrôler. Elle aurait aimé ne pas savoir pourquoi, ne pas comprendre que son esprit, un peu trop aiguisé, se doutait déjà qu'il chassait une chimère. Elle ne voulait pas donner raison à son instinct. Elle ne voulait pas penser à cela.

Aussi, quand la voix de son aîné finit par résonner en réponse à son affirmation, elle se sentit trembler un peu. Avant de s'insulter mentalement de ne pas être capable de le soutenir mieux que cela, de moins en montrer, de ne pas être assez forte. Elle soupira fortement, autant pour se donner du courage que pour lutter contre les larmes qui envahissaient jusqu'à sa voix qu'elle aurait voulu moins frêle.

"...Je ne sais pas." Elle prit le temps de se réinstaller à nouveau, de se blottir contre ce corps trop grand mais dont l'odeur réconfortante n'avait pas changé. "...Je crois que je ne préfère pas."

C'était un aveu de faiblesse. Tout ce qu'elle détestait, tout ce qu'elle était incapable d'admettre à qui que ce soit d'autre. Mais c'était de son frère dont il s'agissait. Et c'était bien le seul à qui elle pouvait tout dire.

"...J'ai peur, Deartháir mór..." Oh, comme elle aurait préféré ne pas avoir à le dire. Mais elle n'allait pas lui mentir. Elle ne le faisait jamais.
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MessageSujet: Re: [Flashback] And then, it happened.   [Flashback] And then, it happened. EmptyMer 11 Aoû 2021 - 22:34

Bitter


♣ Sentinelle ♣
Bitter sentait Eilish qui à côté de lui était en train de perdre le sang-froid qu'elle avait bien difficilement réussi à maintenir jusqu'à présent. Il détestait l'inquiéter à ce point, choix de mots faible pour décrire ce qu'il ressentait car, c'était une évidence, elle comme lui étaient bien au-delà de la simple inquiétude. S'ils en montraient si peu, ce n'était que pour éviter de rendre les choses trop difficiles pour l'autre - en premier lieu - mais sans doute aussi pour eux-mêmes.

C'était comme d'être au bord d'un précipice dont on ne voyait pas le bout. Si Bitter se laissait aller, il sombrerait. Une fois qu'il aurait perdu le contrôle, il n'aurait plus la moindre idée de comment le retrouver. Comment éviter la chute ? Et que trouverait-il au fond ?

Peu importe ce qu'ils planifieraient pour éviter la pire issue : la décision de ce qui allait arriver ne serait pas leur. Ils auraient à peine leur mot à dire sur la question. Ils étaient ballotés par des événements sur lesquels il se contentaient de faire semblant d'avoir une prise.

Il ne pouvait pas être séparé d'elle. Ils n'avaient pas le droit de les séparer. Un monde où une telle chose deviendrait réalité était absurde. Il refusait complètement cette idée.

"...Je ne sais pas." finit-elle par répondre à la question qu'il lui avait posé il y avait de cela une courte éternité. Le temps déjà inexistant s'étirait de façon vertigineuse. La sensation de son écoulement se changeait en torture, Bitter luttant contre une panique pressante qui cherchait à emménager pour de bon, qui l'empêchait de réfléchir correctement, et qui lui donnait envie de hurler. "...Je crois que je ne préfère pas."

L'adolescent déglutit de façon bien trop perceptible à son goût. Il se fustigea mentalement, sans rien en montrer. Il était très pâle. Ne cillait presque plus. Il posa finalement les restes de son petit-déjeuner de côté. Il finirait de manger plus tard. S'il avalait la moindre bouchée supplémentaire pour le moment, il y avait de bonnes chances qu'il vomisse.

"Ouais. A vrai dire, moi non plus... je crois."

L'Orageux ne se sentait pas prêt. Si ce n'était pas le cas de sa frangine non plus, alors la question ne se posait plus : la réalité pouvait bien aller se faire foutre. Pour le moment, ils étaient ensemble, tous les deux, dans cet endroit qui autant que possible leur appartenait et dans lequel avec le temps, ils avaient acquis un certain sentiment d'intimité, luxe que beaucoup d'enfants perdus n'avaient pas.

"...J'ai peur, Deartháir mór..."

Bam. Coup de massue sur la tête. Bitter cilla et trouva par il ne savait quel miracle la force de répondre immédiatement, et autrement que par un gargouillis inaudible. Même s'il trouva sa voix beaucoup trop faible et tremblante :

"... Je sais."
Moi aussi, faillit-il rajouter. Mais les mots restèrent bloqués dans sa gorge. S'il faisait cet aveu, il lui semblait qu'il allait retirer à Eilish les derniers vestiges de stabilité sur lesquels elle pouvait encore compter pour tenir debout. Bitter ne se leurrait pas. Eilish savait qu'il était lui aussi terrorisé. Reste qu'il y avait une différence entre le savoir et l'entendre.

C'était dur de voir sa soeur ainsi torturée. Dur de savoir qu'il en était la cause. Dur, aussi, d'assimiler pleinement ce qu'elle venait d'annoncer. Cela obligeait Bitter à regarder sa propre terreur en face.

Ces instants seraient peut-être les derniers qu'ils auraient avant que tout ne change pour le pire. Les derniers qu'ils auraient tout court ? Merde ! Quelle idée de penser à des trucs pareils pile lorsqu'il aurait eu besoin de se calmer ! Il dut lever les yeux au ciel et se pincer les lèvres très fort pour être certain de savoir se contenir. Bitter ne pouvait pas pleurer maintenant, et encore moins échapper quoique ce fut de similaire à un malheureux couinement, ou à un gémissement. Soucieux d'éviter qu'Eilish voie son visage alors qu'il était à deux doigts de craquer, d'un geste un peu bourru il la poussa au creux de ses bras, puis il colla son menton sur son crâne. Bitter se mit à caresser la tignasse rousse désormais calée dans son cou.

... Eilish lui paraissait être devenue si petite, subitement. Une sensation étourdissante de plus vint ronger les repères déjà agonisants de l'Orageux. Voir et bouger ses membres lui laissait une drôle d'impression, comme s'il avait perdu partie de la perception qui lui permettait de les localiser dans l'espace et de les considérer comme une extension de son être.

"C'est normal, dans cette situation."

Il grimaça. Pas super rassurant, comme constat. Mais qu'aurait-il pu dire d'autre ? Il se refusait à lui mentir. Il aurait pu ajouter que rien n'était joué, et que l'heure n'était pas à ce qu'ils se laissent abattre, mais le pronostic qu'ils étaient tous les deux en mesure d'entrevoir lui aurait donné l'impression de gâcher cet échange crucial en encouragements factices, pour ne pas dire malhonnêtes. Et puis elle venait de lui dire qu'elle n'avait pas envie de parler de ça maintenant, alors il aurait peut-être été judicieux d'éviter.

Le souci, c'est que Bitter ne trouvait plus quoi rajouter. Ni lui ni Eilish ne seraient réceptifs aux sujets anodins qu'il aurait pu tenter de lancer pour noyer le poisson. Foutue épée de Damoclés. Soudain, il apparut clairement à Bitter que leur manège n'allait pas pouvoir continuer éternellement : ils n'iraient nulle part s'ils s'échinaient à fuir leurs émotions. Ca ne leur servirait peut-être qu'à gâcher le temps précieux qu'ils pouvaient encore passer ensemble. Son visage se déforma à l'instant même où il se fit cette constatation. Il posa les mains sur les épaules de sa soeur, puis il éloigna sa tête pour mieux la rapprocher. Front contre front.

"... Eilish. Deamhan beag... On peut pas continuer comme ça, sinon on va plus rien dire, et là on... On pourrait vraiment le regretter. Je sais pas ce qui va arriver. Moi aussi j'ai peur, j'ai jamais eu aussi peur de ma vie. Ne retiens pas... Faut pas retenir. Pas maintenant. C'est trop important."

Il écouterait probablement son propre conseil, mais pas avant d'avoir la réaction d'Eilish. Il fallait qu'ils soient d'accord sur la démarche.
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MessageSujet: Re: [Flashback] And then, it happened.   [Flashback] And then, it happened. EmptySam 13 Nov 2021 - 23:02

Witted


♣ Diplomate ♣
"... Je sais."

Il savait. Ce n'était pas très étonnant, mais il avait fallu qu'elle le dise. D'ailleurs, il avait beau s'être contenté de ces deux mots, Witted savait pertinemment qu'il était effrayé, lui aussi. Il ne serait pas là dans le cas contraire. Elle voulait lui dire, ou au moins lui faire comprendre. Que ce n'était pas grave. Qu'elle savait. Que ça allait passer. Elle n'en eut pas le temps.

L'étreinte de son aîné était plus puissante qu'à l'accoutumée. Elle reconnaissait ses gestes bourrus, comme cette fois où elle était arrivée en retard à un de leurs rendez-vous... Mais cette étreinte n'avait pas la même saveur. Elle n'était pas teintée de soulagement. Au contraire. La gamine n'avait pas besoin de voir le visage de son frère pour savoir qu'il retenait ses larmes. Il y avait de l'angoisse, dans cette étreinte. Une angoisse qui ne faisait que monter.

"C'est normal, dans cette situation."

L'Astucieuse se blottit plus fermement dans l'étreinte, respirant à pleins poumons l'odeur de son aîné. Il était fort, son frère. Même dans une situation pareille, où ils savaient tous deux que leurs chances de s'en sortir agréablement étaient bien minces, il continuait d'essayer de la rassurer. Même s'il avait peur, lui aussi. Même si c'était compliqué de positiver.

La gamine hocha doucement la tête, silencieuse. Juste assez pour lui montrer qu'elle avait entendu, pas assez pour qu'il se sente obligé de bouger. Elle aimait bien sentir le poids de sa tête sur la sienne. Elle aimait la sensation de ses bras autour d'elle. Elle avait l'impression qu'ici, dans ce cocon protecteur formé par l'être auquel elle tenait le plus au monde, le seul qui tenait réellement à elle, elle n'avait rien à craindre.

...Comment allait-elle faire, s'il devait partir ? Qui allait la serrer dans ses bras, la nuit, faire partir les cauchemars ? A qui allait-elle pouvoir raconter ses journées, les idioties de ses collègues et les pirouettes qu'elle aura dû utiliser pour réussir pour réussir à négocier les denrées nécessaires pour la journée, ou la libération d'un des leurs ? Avec qui allait-elle pouvoir jouer à cache-cache, à la course ou à prétendre à être un animal sauvage à chasser ? A qui confier ses peurs, ses doutes et ses angoisses les plus triviales ?

A l'abri dans son cocon, Witted tremblait doucement, les yeux fermés, les narines pleines de l'odeur la plus rassérénante qu'elle connaissait... sans savoir combien de temps elle pourrait encore en profiter. Réprimant un autre tremblement, la fillette se roula en boule, se blottissant autant qu'elle le pouvait contre son aîné, qui paraissait vouloir dire quelque chose.

"... Eilish. Deamhan beag... On peut pas continuer comme ça, sinon on va plus rien dire, et là on... On pourrait vraiment le regretter. Je sais pas ce qui va arriver. Moi aussi j'ai peur, j'ai jamais eu aussi peur de ma vie. Ne retiens pas... Faut pas retenir. Pas maintenant. C'est trop important.
-Je ne veux pas que tu partes."


La réponse était claire. Immédiate. Dite d'une voix qui parvenait à grand peine à cacher des sanglots.

"Tu ne peux pas partir. Tu n'as pas le droit. Ils ne peuvent pas... Tu ne dois pas partir. Je ne peux pas..."

L'enfant essayait très fort de retenir ses larmes. Tout comme elle avait essayé de retenir ses inquiétudes. Mais cela ne fonctionnait pas ainsi, son frère l'avait bien compris. Et Witted pouvait lutter de toutes ses forces, elle restait une enfant.

"Tu ne peux pas me laisser toute seule !"

Une enfant perdue, qui ne supportait pas d'imaginer le départ de son seul repère.

"Qu'est-ce que je vais devenir, si tu pars..."

Les larmes qu'elle avait vaillamment tenté de retenir coulaient à flots, à présent, mouillait sans vergogne le haut de son aîné. A présent que les vannes étaient ouvertes, plus rien ne semblait pouvoir arrêter les émotions trop vives de la fillette, qui s'accrochait à son frère à s'en faire mal. Elle ne répétait plus que les mêmes phrases en boucle, entre deux sanglots.

"Ils n'ont pas le droit de te faire partir. Je ne veux pas que tu partes. Ils n'ont pas le droit..."

L'un comme l'autre ignoraient à quel point cette scène les rapprochait d'une détestable alternative d'une autre vie. Oublier avait parfois du bon.
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MessageSujet: Re: [Flashback] And then, it happened.   [Flashback] And then, it happened. EmptyDim 6 Fév 2022 - 19:30

Bitter


♣ Sentinelle ♣
En encourageant Eilish à ne plus retenir les émotions qu'elle ne contrôlait déjà qu'à grand peine, Bitter venait de libérer un torrent qu'il n'avait aucun moyen d'arrêter. Il allait se faire emporter par ce courant implacable, c'était certain. Son calme n'était qu'une façade. Il le savait. Sa sœur aussi le savait. Personne n'était dupe.

Ce n'était plus qu'une question de temps. Bitter aussi allait perdre le contrôle. C'était aussi terrifiant que ça lui paraissait nécessaire.

Il y avait de grandes chances que cela se passe très mal lorsque l'Orageux sortirait du Parapluie. Si tel était le cas, Eilish et lui allaient regretter de s'être retenus de dire tout ce qu'ils avaient à se dire avant que le pire n'arrive, tout ça parce qu'ils cherchaient à épargner à l'autre - ainsi qu'à eux-mêmes - des émotions désagréables.

"Je ne veux pas que tu partes."

A défaut d'être inattendu, cet aveu soudain fut brutal pour Bitter qui dut se mordre la lèvre à s'en faire mal pour réussir à ne pas pleurer. Il était à deux doigts de couiner de douleur, bouffé par une culpabilité habituelle, mais dont il découvrait un nouveau pallier souterrain.

"Je ne veux pas partir."

C'était vrai. Bon sang, c'était vrai. Pourquoi avait-il fallu qu'il perde de vue le plus important, rongé de l'intérieur par le dégoût qu'il vouait à la société injuste et puérile des perdus, par son amertume vis-à-vis de l'Île de Jamais, par la haine farouche qu'il avait pour Peter et qui ne faisait que s'accentuer à mesure que le temps passait - ou ne passait pas ? Il détestait cet endroit. Il détestait vivre ici, dans cet enfer de magie trompeur, au sein de cette communauté fausse, construite de traviole et sur des bases sordides. Il aurait donné cher pour pouvoir retourner dans l'Ordinaire. Même sur l'Île, il aurait largement préféré être ailleurs, dans un endroit où la réalité et la raison avaient plus de prises.

Pourtant, il ne voulait pas partir. Tous ceux à qui il tenait étaient ici, et il avait la plus importante d'entre eux entre ses bras. Il ne voulait aller nulle part si cela signifiait qu'on le séparait d'Eilish. Il était prêt à supporter une éternité de désillusions parmi les perdus s'il le fallait. Il abandonnerait son inutile fascination pour l'Ordinaire. De toute façon, c'était peine perdue : il n'y avait aucun moyen de rentrer. Il fallait qu'il trouve un moyen pour ne plus y penser... Les cauchemars ne dureraient pas éternellement, n'est-ce pas ? Il pouvait sans doute faire semblant d'être heureux, et ne plus penser à tout ce qui le dérangeait. Beaucoup d'autres y arrivaient très bien, alors pourquoi pas lui ?

Il n'avait pourtant jamais eu envie d'être comme ça. L'ignorance le terrifiait. C'était comme de ne pas savoir qu'un monstre affreux se trouvait dans son dos, sur le point de le dévorer. Il préférait être conscient de ce qui l'entourait, même si la vérité était d'une laideur grimaçante.

Mais pas si ça devait le faire grandir. S'il n'avait que ces deux choix, alors Bitter préférait tout oublier. Il brûlerait les derniers vestiges de ses souvenirs. Il se bourrerait le crâne avec des conneries jusqu'à finir par y croire.

Laissez moi rester... Je ne veux pas être tout seul... Je ne veux pas la laisser tou...

"Tu ne peux pas me laisser toute seule !"

Bitter n'avait même pas relevé la façon dont la colère de l'enfant s'était abattue sur lui. Il se sentait responsable de n'avoir pas su s'empêcher de grandir, alors cette façon de mettre le problème en mots ne lui paraissait pas choquante. Et puis il savait combien Eilish avait peur. Cette peur qui se transformait en rage, en révolte, en accusations, il ne la comprenait que trop bien.

Bitter tremblait comme une feuille. Incapable de trouver ses mots, il serrait Eilish contre lui avec vigueur. Il avait l'impression que s'il la lâchait, elle allait dériver, s'éloigner, disparaître. Il voulait qu'elle soit là pour toujours avec lui.

C'était comme ça que c'était censé être. Merde !!
Cet éclat de colère intérieur résonnait avec force, mais Bitter n'était même plus capable de comprendre pourquoi. Il avait tout oublié des raisons qui l'avaient conduit à suivre Peter sur l'Île, ainsi qu'à convaincre Eilish qu'il s'agissait d'une bonne idée.

"Qu'est-ce que je vais devenir, si tu pars..."

Jusqu'à présent, le rouquin avait réussi à garder une once de contrôle sur lui-même. Ce fut cette phrase qui acheva ses dernières défenses. S'il devait partir, Eilish allait devoir affronter cette horreur sans lui. Il ne serait plus là pour la consoler lorsqu'elle aurait eu une mauvaise journée, pour prendre son parti, pour la défendre face aux enfoirés qui pouvaient occasionnellement l'emmerder. Si elle mettait du temps à rentrer de ses expéditions matinales, il ne le saurait pas. Que se passerait-il si un problème arrivait et que personne ne s'en souciait assez pour partir à sa recherche ? Et que se passerait-il si à cause de Peter ou de ses larbins, Eilish était la cible d'un mauvais traitement ? Bitter ne pourrait rien faire pour tenter de détourner leur malveillance. Il ne pourrait plus la protéger de ce cauchemar éveillé, parce qu'il ne serait plus là.

S'il arrivait malheur à sa sœur, il n'en saurait même rien.
C'était insupportable. Inacceptable.

Son visage se déforma. Il s'étrangla soudain dans ses sanglots. Un flot de larmes épaisses coula lourdement jusqu'à son menton, comme si les pleurs avaient cherché à rattraper le temps que Bitter leur avait fait perdre à tenter de les garder à l'intérieur de lui. L'adolescent perdit son visage dans la chevelure de l'Astucieuse, qu'il s'évertuait à caresser malgré les secousses qui rendaient ses mains incertaines.

Bitter aurait vraiment voulu "qu'ils n'aient pas le droit de le faire partir", mais la vérité, c'était que le droit n'existait pas chez les perdus. Peter se réservait le privilège d'en définir les limites et de le changer en permanence selon son bon vouloir. Il n'y avait pas de règles fixes, et - surtout - il n'y avait pas de justice.

"... Je ne veux pas partir... Je suis désolé... Je voulais pas grandir... Je ne veux vraiment pas partir... Je vais... Je vais tout faire pour pas partir... Il le faut. Je..."

Lui aussi répétait les mêmes choses en boucle, juste assez conscient pour juger ses propos durement - ça ne servait à rien, ce qu'il racontait. Déjà, il se répétait. Ensuite, il n'apprenait rien à Eilish. Il ne faisait rien avancer en ânonnant de la sorte. Il parvenait malgré tout à se retenir de dire les choses qui lui paraissaient les plus sensibles. Celles qui voulaient sortir, mais qui devaient rester en lui parce que les exprimer aurait été unilatéralement néfaste. Il était le plus grand des deux - il était même devenu beaucoup trop grand. C'était à lui de supporter ce poids. Sa petite sœur souffrait déjà bien trop.

J'ai peur... Je veux pas être tout seul... Où est-ce que je vais aller ? Ca sert à quoi si t'es pas là ? Je vais crever, c'est pas normal, c'est pas censé être comme ça...

Dans un coin de sa tête et de son cœur, une braise menaçait de s'enflammer plus fort qu'elle ne l'avait jamais fait jusqu'à présent. Rien de tout cela ne serait jamais arrivé sans Peter. Ce salopard les avait charmés, il leur avait vanté les mérites de cet endroit de malheur, il les y avait piégés. Il avait conçu la communauté du Grand Arbre telle qu'elle était. Il encourageait les penchants les plus pervers des enfants. Le bannissement ? Un jeu affreux dont il était à l'origine. Sa perfidie était comme un poison que les perdus respiraient, et dont ils s'inspiraient, encouragés dans leurs accès de joie cruelle.
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MessageSujet: Re: [Flashback] And then, it happened.   [Flashback] And then, it happened. EmptySam 26 Fév 2022 - 11:45

Witted


♣ Diplomate ♣
Il ne voulait pas partir. Dans n'importe quel autre contexte, elle aurait été rassurée d'entendre cette phrase. Mais maintenant, alors qu'ils étaient coincés dans une situation insoluble et qu'ils le savaient parfaitement tous les deux ? Cela lui faisait une belle jambe.

Il avait beau ne pas vouloir partir, il allait finir par le faire. C'était inévitable. Il ne voulait pas le dire, elle non plus, mais ils le savaient tous les deux. Le peu de combattivité que la rouquine avait réussi à rassembler au début de leur discussion fondait comme neige au soleil. Elle n'était plus qu'une enfant de huit ans en train de perdre son seul repère.

Et toute son angoisse, sa tristesse et son ressentiment envers cette situation se transmettait de la seule façon qu'elle connaissait : une colère infantile qu'elle redirigeait vers la seule personne responsable qu'elle avait sous la main.

Elle savait que ce n'était pas de sa faute. Pas entièrement. Qu'il n'avait pas fait exprès. Qu'il n'y pouvait rien. Mais en attendant, les faits étaient là : il avait grandi, ils allaient le voir et il y avait très peu de chances qu'on le laisse rester. Même si elle s'en mêlait. Est-ce que Peter l'écouterait, de toutes façons ? Il l'avait déjà puni une fois, à cause de son journal. L'Enfant-Roi oubliait très vite un certain nombre de choses, mais la fillette n'était pas certaine que les offenses faites à son monde entrent dans cette catégorie.

Au-delà de la colère, c'était la peur qui montait. Cette angoisse profonde de le voir partir, de se retrouver seule... Qu'il le soit aussi. Qu'allaient-ils faire, l'un sans l'autre ? Ils n'avaient jamais connu que cela. Ils étaient ici pour ça. Witted finit par formuler ses craintes à voix haute, brisant les dernières barrières qu'il leur restait à tous les deux.

Elle se plongea dans l'étreinte avec autant de force qu'elle en était capable. Malgré ses larmes, la Diplomate faisait de son mieux pour répondre aux caresses dans ses cheveux par d'autres, dans le dos de son aîné. Il était là. Elle ne savait pas pour combien de temps, mais pour le moment il était là. Ce simple constat lui permettait de tenir un peu plus. De l'écouter. De tâcher de le consoler, lui aussi.

"Je... Je sais. Je sais. Deartháir mór, je suis là, je... Je reste avec toi. On reste... On reste là, ensemble..."

Elle ne quitterait pas ses bras tant qu'on ne l'y obligerait pas. C'était certain.

D'un geste de la main, Witted essuya férocement les larmes sur ses joues, avant de lever la tête vers celle de l'Orageux. Beaucoup plus tendrement, la main de l'enfant glissa sur la joue de son aîné, restant là, essuyant quelques gouttes du pouce. Elle resta un moment ainsi, à le regarder sans cesser de se blottir contre lui, son pouce bougeant doucement au rythme de quelques reniflements disgracieux qu'elle essayait de garder les moins fréquents possibles.

Il fallait qu'elle soit forte. Pour lui. Parce que si elle craquait encore, elle savait qu'il ne tiendrait pas non plus. Et il ne serait jamais en état de subir un procès. Les chances étaient minces mais ce n'était pas une raison pour les rendre inexistantes.

Reniflant une énième fois, la rouquine se força à esquisser un fin sourire en direction de son frère.

"Tá grá agam duit agus tá muinín agam asat. On va y arriver. Ensemble."

En attendant... que pouvaient-ils faire à part profiter de la présence de l'autre ? Pour une rare fois, Witted n'avait pas la réponse. Et elle n'aimait pas du tout cette idée.






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MessageSujet: Re: [Flashback] And then, it happened.   [Flashback] And then, it happened. EmptyJeu 7 Juil 2022 - 15:44

Bitter


♣ Sentinelle ♣
Bitter n'aimait pas ce qui était en train de se passer. Ce n'était pas le résultat auquel il avait souhaité arriver lorsqu'il avait dit à sa soeur qu'ils ne devaient pas retenir, qu'ils devaient s'exprimer, se dire ce qu'ils avaient sur le coeur, car c'était maintenant ou jamais.

Leurs nerfs lâchaient. Leurs peurs parlaient d'une manière qui n'allait pas être constructive, même s'il était sans doute bon que certaines choses soient dites et sues. Je ne veux pas que tu partes. Je ne veux pas partir. Ironiquement, Bitter était celui qui avait proposé de laisser tomber les faux-semblants, mais il avait l'impression d'être celui qui retenait le plus. Il y avait beaucoup de choses qu'il n'osait pas avouer de peur d'alourdir le fardeau d'Eilish.

Si Bitter était réellement banni, ce serait très dur pour l'Astucieuse, et son frère ne souhaitait pas qu'en plus du manque et de la solitude que sa cadette allait devoir affronter, elle soit en mesure de penser à ce que lui allait endurer avec trop de détails.


J'ai peur... Je veux pas être tout seul... Où est-ce que je vais aller ? Ca sert à quoi si t'es pas là ? Je vais crever, c'est pas normal, c'est pas censé être comme ça...

Beaucoup trop de détails.

Il pleurait sans contrôle alors qu'Eilish se calmait. Il savait qu'elle ne le faisait pas naturellement. Elle se forçait. Elle ne revêtait cette couche de faux sang-froid que pour lui. Il détestait qu'elle prenne cette responsabilité. Il y avait déjà bien trop de choses qui reposaient sur ses frêles épaules, bien trop de douleur et de tristesse qui l'attendaient dans un futur presque certain. Elle était brillante et elle n'en donnait pas toujours l'impression, mais Eilish n'était qu'une enfant. Elle n'avait que huit ans. Elle n'aurait pas dû avoir à faire ça.

Et lui pensait déjà comme un adulte.

La réalisation passa, fugace, évanescente, mais laissa de la glace dans son ventre, dont les cristaux poussèrent jusqu'au coeur. C'était une pensée terrifiante. Il savait, au fond de lui, que c'était vrai. Il n'avait pas fini de grandir. Ce n'était qu'une étape intermédiaire. C'était foutu. Ca faisait depuis longtemps que son corps était en retard sur sa psyché. Les Cauchemars avaient eu raison de la résistance farouche qu'il avait opposée à son propre grandissement, et maintenant que le barrage avait cédé, plus rien ne pourrait l'empêcher d'atteindre l'âge qui lui correspondait réellement.

"On reste... On reste là, ensemble..."

... Si seulement. Si seulement ça pouvait être vrai...

Il avait bien du mal à calmer ses sanglots de terreur de douleur et de rage, mais il essayait d'y arriver progressivement, parce que lui dans cet état et incapable de dire le moindre truc intelligent, ça n'allait aider personne. Il prit le temps dont il avait besoin - pas le choix. Il profitait des douces caresses d'Eilish et il les lui rendait, malgré ses mains trop fébriles. Lorsqu'elle s'exprima pour la seconde fois, il avait presque réussi à retrouver le contrôle de lui-même. Seules quelques larmes silencieuses coulaient encore sous ses yeux rouges. Il reniflait à son tour - aussi peu que possible.

"Tá grá agam duit agus tá muinín agam asat. On va y arriver. Ensemble."

Torturé, le regard vert de Bitter glissa en direction d'Eilish. Il garda le silence juste un peu trop longtemps, et il s'en voulut, car ce silence avait trop de signification. Ce ne fut qu'ensuite qu'il essaya de sourire en réponse. C'était dur de cacher son amertume, de ne pas tout montrer de son désespoir, pour lui dont le visage avait toujours été trop franc et trop expressif.

"Tá grá agam duit agus tá muinín agam asat... Je veux que tu prennes soin d'un truc pour moi. Jusqu'à ce que... Ce qu'il va se passer dehors soit terminé. Je le récupèrerai après... D'accord ?"

Sans plus attendre, il porta une main à sa ceinture. Il retira de son étui son couteau préféré. Celui qu'il utilisait depuis qu'il était arrivé au Grand Arbre et dont il avait pris grand soin pour qu'il reste en état. Avec le temps (ou son absence) l'objet avait changé d'apparence. Bitter avait gravé une silhouette de loup dans le manche et attaché quelques autres décorations, qui n'entravaient pas le fonctionnement de l'objet, et dont les symboliques étaient importantes pour lui. Il tendit le couteau à sa soeur.

"Ces brutes seraient foutues de l'envoyer valser si je l'ai sur moi au moment où elles vont venir me chercher. J'ai pas envie qu'on me le perde alors je préfère te le confier."

Bitter n'était pas dupe : Eilish voyait forcément clair à son jeu. L'ancien chasseur ne pensait pas pouvoir récupérer son couteau, car il n'y aurait pas "d'après le procès" pour lui. Pas au Grand Arbre, en attendant. C'était malgré tout mieux d'en parler comme ça que... Autrement.

Est-ce qu'un souvenir physique de lui serait plus douloureux à avoir que pas de souvenirs du tout ? Bitter ne le savait pas... Mais c'était le moment où jamais de procéder à ce genre d'échanges. Ce couteau lui avait sauvé la vie plusieurs fois. Il espérait qu'il porterait chance à Eilish, désormais.
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MessageSujet: Re: [Flashback] And then, it happened.   [Flashback] And then, it happened. EmptyVen 19 Aoû 2022 - 12:00

Witted


♣ Diplomate ♣
Il mettait trop de temps à répondre.

Il n'ouvrait pas la bouche, il ne répondait pas. Mais ce n'était pas la peine : son regard parlait pour lui. Son regard clair qui portait tant de douleur et d'inquiétude parlait pour lui. Le mince sourire qu'il tenta de lui servir après coup, elle n'y croyait pas le moins du monde.

Mais elle ne pouvait pas dire ça. Elle ne pouvait rien faire d'autre que de rester dans ses bras et attendre qu'il réponde, qu'ils puissent continuer de tenter de profiter du peu de temps qu'il leur restait pour...

"Je veux que tu prennes soin d'un truc pour moi. Jusqu'à ce que... Ce qu'il va se passer dehors soit terminé. Je le récupèrerai après... D'accord ?"

Les yeux verts de Witted s'agrandirent légèrement. Seul avantage : elle avait cessé de pleurer. Inconvénient : elle voyait parfaitement où son aîné voulait en venir et son esprit n'était plus qu'un mot répété en boucle.

"...Non. Non, non, non, non, non. Non."

Elle s'était décalée légèrement pour lui permettre d'atteindre plus facilement sa ceinture, par réflexe, mais elle n'était pas certaine de contrôler ses mouvements. Une nouvelle pellicule d'eau lui brouillait la vue mais elle n'essaya pas de s'essuyer le visage, cette fois. Elle était trop préoccupée par ce que son frangin tentait de lui dire.

"Ces brutes seraient foutues de l'envoyer valser si je l'ai sur moi au moment où elles vont venir me chercher. J'ai pas envie qu'on me le perde alors je préfère te le confier."

Les lèvres de la fillette se pincèrent. Elle secoua la tête de droite à gauche, doucement d'abord, puis de plus en plus vite, de plus en plus fort, jusqu'à cogner (sans le vouloir ?) dans le torse de son aîné. Sa voix était beaucoup plus tremblante qu'elle ne l'aurait souhaité quand elle trouva enfin le moyen de parler à son tour.

"...Non. Non. Tu... Tu ne peux pas faire ça. Tu ne peux pas me demander ça, tu... je... non. Deartháir mór, je..."

Elle ne prit pas directement l'objet. Elle l'avait reconnu, bien évidemment. Son frère ne se séparait jamais de ce couteau. Il avait beau donner toutes les explications qu'il voulait, le voir faire ce geste lui brisait le cœur. Doucement, avec une précaution palpable, Witted posa sa main sur celle du Sentinelle qui tenait l'objet. Elle ne voulait pas le prendre. Si elle faisait ça, c'était comme si elle acceptait ce qui était en train de se passer. Comme si elle s'avouait vaincue. Comme si elle refusait de croire qu'il y avait une chance.

Pour une fois, elle voulait défier la logique de son esprit qui lui soufflait qu'il ne servait à rien de se battre, qu'il était trop tard.

Pour une fois, elle voulait avoir tort.

"...J'ai rien à te laisser..."

Fébrilement, sa main libre s'était détachée du dos de son frère pour fouiller dans la sacoche qu'elle traînait toujours avec elle. Elle cherchait désespérément ce qu'il pouvait y avoir d'intéressant à l'intérieur. Elle avait préparé ses monnaies d'échange pour son voyage chez les Hurons -comme s'il était encore d'actualité-... Maisil ne s'agissait que de la pacotille sans intérêt qu'elle avait récupéré chez les Récolteurs. Il lui restait encore quelques petites brioches pour le trajet -mais il n'avait à peine touché à celle qu'elle lui avait données... et puis ça n'avait aucune valeur...

Sa main tomba sur son livre. Mais son frère n'aimait pas les livres. Le regard de la rouquine se brouilla et elle se mit à renifler doucement. Il n'aimait pas les livres, mais pour elle... pour elle c'était un objet inestimable. Même si ce n'était pas ce qu'il préférait, peut-être qu'il l'apprécierait tout de même, au vu du thème. Elle l'espérait. Même si...

"...Deartháir mór, je suis désolée je... Je ne pensais pas..."

Elle ne pensait pas qu'elle devrait lui faire un cadeau d'adieu.

Ils étaient là, ensemble, probablement pour la dernière fois, et elle aurait voulu lui offrir quelque chose qu'elle aurait créé ou cherché pour lui en son âme et conscience, quelque chose qu'il aurait pu apprécier réellement et pas traîner comme un souvenir inadéquat... Elle avait envie de hurler. Les larmes coulaient à nouveau sans qu'elle essaie de les arrêter.

"...J'ai... J'ai juste mon livre et..." Elle fit une pause, renifla à nouveau en se mordant la lèvre avant de reprendre. "...et je ne sais pas si tu veux de ça, mais..."

Elle le sortit tout de même. Il s'agissait d'une édition de poche de contes irlandais. Elle l'avait tellement lu qu'elle le connaissait par cœur, il s'agissait d'un de ses ouvrages préférés. Elle ne s'en souvenait plus, ne pourrait jamais être certaine, mais peut-être même qu'il était dans sa main au moment où elle avait accepté de suivre Peter et son aîné pour quitter l'Ordinaire. Au travers des larmes, elle tenta à son tour un mince sourire qui ne trompait personne.

"...mais c'est... ça nous ressemble quand même... un peu..."

Elle se sentait nulle. Elle aurait voulu lui faire un vrai cadeau, quelque chose qu'il aimerait, quelque chose qui pourrait lui être utile et pas juste un pauvre livre qui ne lui servirait à rien à l'extérieur... Witted baissa la tête, reniflant à nouveau.

"...Je suis désolée. Je voudrais faire mieux..."






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Asher O'Flaherty
Asher O'Flaherty

☠ Pirate du Port ☠


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MessageSujet: Re: [Flashback] And then, it happened.   [Flashback] And then, it happened. EmptyDim 4 Sep 2022 - 12:16

Bitter


♣ Sentinelle ♣
Bitter n'en menait pas bien large. Voir sa sœur réagir violemment à son initiative n'améliora pas la situation. Les bras qui tendaient le couteau dans la direction de la fillette s'affaissèrent un peu. De l'eau revenait dans les yeux de l'Orageux sans sortir. Ses traits se défaisaient, confus. Le peu de confiance en lui qu'il était parvenu à réunir fondait, à mesure qu'il la voyait secouer la tête. Est-ce qu'il faisait une erreur ? Est-ce qu'il aurait mieux faire de rien dire, de rien vouloir donner ?

"...Non. Non. Tu... Tu ne peux pas faire ça. Tu ne peux pas me demander ça, tu... je... non. Deartháir mór, je..."

Tu ne peux pas me demander ça
La phrase le blessa comme si Eilish avait pris le fameux couteau et avait gravé les mots elle-même sur la surface de son cœur. Penaud, il baissa les yeux sur l'objet et constata que ses doigts tremblaient.

Il pouvait pas ? C'était trop ?



Parce qu'ils fallait qu'ils fassent semblant, même s'ils avaient déjà compris tous les deux comment ça avait toutes les chances de se terminer ? Parce qu'il fallait profiter tant qu'ils pouvaient en faisant fi de ce que leur réservait le futur, quitte à regretter plus tard d'avoir pas fait les choses à temps ?

... Ou peut-être qu'elle aurait préféré oublier. L'oublier entièrement, et ne pas souffrir de son absence. Peut-être qu'il aurait mieux fait de rien lui laisser du tout. Peut-être que c'était égoïste, de vouloir qu'elle garde un truc de lui quand il serait plus là. Peut-être que ça n'allait pas aider Eilish du tout et qu'il allait juste lui mettre un poids de plus sur les épaules.

La petite fille posa sa main sur celle de l'adolescent à l'instant exact où il allait se rétracter et remettre le couteau à sa ceinture. C'était une idée de merde. J'aurais pas dû.

"...J'ai rien à te laisser..."
Déclaration qui brisa l'envoûtement sombre, la spirale dans laquelle Bitter était en train de se laisser tirer. Il redressa le nez brutalement pour mettre son regard trop vert et trop mouillé dans celui qui lui faisait face.

J'ai ton nom avec moi, pour toujours. C'est amplement suffisant.

Mais il pouvait pas lui dire ça. Elle serait pas d'accord, parce que dans le fond c'était pas pareil. Ca venait pas d'elle. Elle voulait un truc qui venait d'elle. Ca se voyait à la façon dont elle était en train de fouiller sa sacoche. Bitter la regarda faire en silence, patiemment. Il attendrait autant qu'il le faudrait. Autant qu'elle en aurait besoin.

Finalement, elle s'arrêta, avec dans la main quelque chose que Bitter ne pouvait pas encore voir. Elle semblait presque désespérée quand elle s'excusa auprès de lui. Mais de quoi aurait t-elle dû s'excuser ?

"...Deartháir mór, je suis désolée je... Je ne pensais pas...
- Deamhan beag, t'as pas à l'être."


Il avait rien prévu non plus. Qui aurait pu prédire ça ? Mais il en dirait pas plus avant d'avoir d'autres informations. Il se contenta de sourire avec autant de douceur qu'il était capable d'en avoir pour tenter de la rassurer.

"...J'ai... J'ai juste mon livre et..."
Il passa un doigt contre les joues de la fillette pour essuyer les larmes qui coulaient. Et quoi, si c'était un livre ? Bitter savait la valeur que ça avait pour elle. Il savait que c'était pas des trucs qu'on se procurait facilement ici, en plus. Le geste était fort, et serait apprécié.

"...et je ne sais pas si tu veux de ça, mais..."
Bien sûr que oui qu'il en voulait. Il aurait voulu la couper pour le lui asséner, le lui mettre dans le crâne et qu'elle aille pas s'imaginer autre chose. Mais il voulait pas l'empêcher de parler.

Enfin, Eilish sortit le bouquin de son sac et Bitter faillit se remettre à chialer. Comment pouvait-elle s'imaginer que ça aurait pas de valeur pour lui ? C'était leurs origines. C'était ce qui les reliait à l'Ordinaire qu'ils avaient oublié. C'était les contes de leur enfance qu'ils partageaient encore et qu'ils se racontaient.

"...mais c'est... ça nous ressemble quand même... un peu..."
Oui, en effet. C'était juste complètement eux. Elle le croyait allergique aux bouquins à ce point ? Ok, c'était pas sa tasse de thé. Seul, il allait pas naturellement y aller. Il avait du mal à rester concentré longtemps dessus. Mais il aimait toujours quand elle lui en parlait. Quand l'un lisait un bout à l'autre, et inversement. Et quand ils se racontaient ces contes, justement.

"...Je suis désolée. Je voudrais faire mieux..."
Il lui releva le menton et sécha encore ses larmes.

"T'as pas besoin de faire mieux. C'est parfait. Ca aurait pas pu l'être plus. Hey... Je pourrais même glisser ce qu'il me reste des pages de mon journal dedans. Comme ça, elles s'abîmeront pas. Et ça nous ressemblera encore plus."

L'anecdote n'était pas anodine. Il tenait à lui rappeler qu'à défaut de lire des bouquins, il avait beaucoup écrit - et relu ses propres notes - même si on avait presque tout brûlé de ses souvenirs.

"Puis c'est jamais trop tard pour s'y mettre, hein ?" qu'il ajouta en essayant de rire un peu. Difficilement. Des contes, c'était pas très long. Il serait sans doute capable d'en lire un de temps en temps.

"J'oublierai pas ces histoires là. Et si jamais elles t'échappent... Peut-être qu'un jour, plus tard, je pourrai à nouveau te les raconter."

C'était dit presque trop explicitement. Ils allaient être séparés. Mais peut-être qu'il y avait quand même une touche d'espoir, quelque part ? Peut-être que c'était pas un adieu. Peut-être que ça ne serait qu'un au revoir. Bitter voulait au moins croire à ça. Il voulait y croire aussi ardemment que son cœur savait s'enflammer.
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