C’est une jolie silhouette qui se détache dans la Mercerie, elle ne fait que passer choyer ses enfants, surtout ses filles, elle ne fait que récolter leurs sourires. Elle ne fait que resserrer des liens comme des cordages, elle tisse une tapisserie parfaite. Aussi belle qu’elle, aussi minutieuse et inévitable. Aphrodite dessine une image aussi léchée que celle du chef des raccommodeurs, celui-ci elle l’a vu arriver de loin. Elle prend soin de se souvenir de tous ses raccommodeurs. Elle peine en revanche à retrouver ce qu’ils ont pu être avant, s’ils n’avaient pas attiré son attention en plus de son regard de biche. C’est si difficile d’être parfaite, de vérifier chaque matin la moindre imperfection possible. Heureusement, c’est rare. Et si par malheur cela se produit… elle masquerait grâce à ses talents de maquilleuse. Ces mêmes talents qui offrent à vos yeux ses lèvres rouges et ses yeux mis en valeur. N’est-elle pas généreuse à vous faire l’honneur de sa présence ?

Aphrodite, ce nom c’est elle-même qui se l’ai offert. Seule une déesse peut se nommer, tout ce qu’elle est bel et bien. Elle offre son sourire doux, elle marche avec élégance, elle flotterait presque autant que les fées. La Belle voit bien les bouches bées, et elle joue peut-être à les faire tomber.

Le havre des Raccommodeurs est son fief, elle veille à ce que ses enfants soient calmes en sa présence, et surveillent leur langage. Elle exige d’eux d’être obéissants, elle les félicite, elle leur embrasse le front. C’est son petit royaume, ses petits sujets et un cavalier fantasque qui a néanmoins l’avantage de dorer le blason de leur maison. En quelque sorte. Il a tout de même ce défaut d’orgueil.

Soit, elle tolère les bouffonneries du bouffon, tant qu’elle pourra marcher dessus (si elle n’a pu mieux l’éduquer) pour atteindre Peter Pan et rester une mère parfaite. Car, il n’y a qu’elle de digne. Elle seule peut être mère en chef, elle seule saura border correctement et raconter les plus fantastiques histoires à l’Enfant Roi.

Aphrodite est si belle, si parfaite, oh quelle horreur de l’avoir effleurée alors qu’elle porte sa toute nouvelle robe de tissus rares. Elle se vengera. Elle n’oublie pas les écarts. Cependant, elle ne montre pas son vrai visage, elle sourira et dira que ce n’est rien -pauvre sot de garçon qui a eu l’audace de la salir- et passera son chemin. Jusqu’à trouver comment faire payer. Elle est bien inventive, ses mots sont écoutés et possèdent toute la confiance naïve des amadoués. Une petite rumeur, rien de grave voyons. Juste une étrange histoire -elle sait raconter les plus splendides après tout…-. Un honneur pourri jusqu’aux os. Parfait. La robe d’Aphrodite a été lavée par un savon délicat, ainsi que des mots acérés.

Sous son glaçage sucré et chaleureux… Aphrodite attend beaucoup de ceux sur qui les yeux de biche se sont posés. Et il ne faut pas la décevoir, il ne faut pas lui briser le coeur. Servez donc à quelque chose, chers membres de la gente masculine. Construisez ce monde qu’elle rêve pour les filles.

Si les plus jeunes voient comme une princesse, les plus âgés peut-être devinent ses regards charmeurs plus proches des sirènes. La délicatesse avec laquelle il faudra lui prendre la main pour passer une passerelle abîmée, une délicatesse récompensée peut-être d’un dé sur la joue. Ces jeunes hommes pourront toujours courir pour avoir plus. Ils ne servent qu’à détruire, s’ils ne sont pas tenus correctement. Et puis, une sirène… ça dévorent les malheureux idiots.

Ils devront se contenter de compter fleurette comme les troubadours du moyen-âge. En espérant qu’ils soient capables d’être distrayants, ces Garçons.

Et au moindre faux pas, la Belle fait payer. Tout comme elle ne peut tolérer la brusquerie, quelle horreur que d’imaginer un instant se retrouver déformée d’une griffure. Il lui faut sortir les griffes, le poignard dissimulé sous sa jupe, pour menacer la source du danger de la perfection. Misérable insecte trop proche de la Beauté de la Belle au point d’y déposer une poussière.

Son univers doit être sublime. Personne ne doit lui arriver à la cheville, du moins pas de concurrentes. Elle fait la meilleure cuisine, elle porte les plus beaux vêtements -quelle honte si le chef de son groupe est incapable de satisfaire ses lubies- et elle chante le mieux.

Une si belle tapisserie colorée décrit la mercerie. Une mère parfaite, un chef compétent et des enfants reconnaissants.

Restez dans les rangs. Dans SES rangs.

Du moins, jusqu’à ce que Peter voit enfin qu’elle est la seule mère dont il ait besoin. Il faudrait sûrement congédier toutes les autres.

Les mots la font tiquer, s’ils lui évoquent quelque chose qui ne va pas dans son monde. Souvenir qu’on lui avait déjà donné de mauvais mots pour en désigner d’autres et se jouer d’elle. Quelle détestable façon de manipuler. Dorénavant, on ne l’y reprendra plus. Ce sera elle seule et Peter qui compteront. Et tant pis s’il ne reste qu’eux. Elle n’a jamais eu besoin de s’entourer d’autres. Ce ne sont que des outils. Des fils à tisser correctement.

En attendant, elle fait en sorte de tisser sa belle image. Être une véritable perfection, mais non sans jugeote loin de là. Aphrodite a bien compris comment les gens fonctionnaient. Alors, elle modèle la réalité comme ça l’arrange. Et surtout… cette affreuse réalité où les filles ne sont pas libres.

Ce monde où elles doivent suivre ces règles, trop féminines, trop garçonnes… Le Grand Arbre ne les épargne pas, et ses chefs qui suivent bien les lignes aussi… Ce n’est pas grave, elle renforce les esprits de ses petites filles. Elle profite de l’innocence de ses garçons pour leur apprendre à rester à leur place. À tenir leurs mots, à être ne pas être chevaliers mais bel et bien juste des servants.

Evidemment, les demoiselles peuvent être des guerrières en talons. Rien de tel que des talons aiguilles pour les enfoncer des les crânes des hommes.

Aphrodite aimerait, une fois qu’elle aura atteint son but final, créer doucement un havre où il ferait bon d’être une femme. Où elles feraient leurs choix, et ne subiraient pas celui du Monde. Ses filles seront fortes, et ne laisseront personne leur marcher dessus.

La Belle sera un beau symbole de mère parfaite, on écoutera encore plus ses mots. Elle aura une si charmante influence sur le Grand Arbre. Elle et ses filles, vivant dans un beau jardin, un verger tranquille où le véritable ordre naturel aura repris sa place.

- Aphrodite est parfaite.
- Elle a beaucoup de miroirs dans sa chambre.
- Coquette jusqu’aux bouts des ongles.
- Une peur irrationnelle de vieillir, de se fâner… Hors de question de quitter les rangs du Grand Arbre.
- Elle n’évoque jamais le monde ordinaire, ce n’était qu’un cauchemar. Mais maintenant, la voilà éveillée sur l’Île de Jamais.
- Une grande panoplie de maquillage.
- Elle récompense ses enfants lorsqu’ils lui rapportent de jolis cadeaux comme du rouge à lèvre ou des tissus destinés à ses prochaines robes.
- Elle a beaucoup de vases pour y mettre les bouquets de fleurs qu’on lui offre. Devinez qui les apporte. Pure illusion d’un groupe parfait, d’un chef et d’une mère parfaitement unis pour leurs protégés.
- On dit que lorsqu’elle va dans les bois, les animaux viennent à elle pour l’accompagner. Mignonne petite légende.
- Ses cheveux sont toujours impeccables et doux.
- Elle adore les pommes.
- Aphrodite s’attarde à chaque fois qu’elle croise son reflet, elle dit aux plus petits que son image dans les miroirs lui dit des secrets. Et que c’est comme ça qu’elle sait s’ils ne sont pas sages.
- La Belle ne court jamais après ses petits, s’ils manquent l’heure du dodo, tant pis pour eux. Ils n’auront pas ses baisers parfumés.
- Elle ne supporte pas que l’on vienne la déranger en pleine nuit. Elle charge la mère apprentie de s’occuper des petits s’ils font des cauchemars. Elle est plus tolérante envers les petits garçons que les grands, évidemment. Il faut les éduquer à la source pour le bien du monde.
- Aphrodite, parfois, élit un “chouchou”. Petit ou grand. Les raisons varient. Manipulations, ou éducations… fille ou garçon.
- La mère des raccommodeurs veille à apprendre à ses filles que les garçons ne sont là que pour faire les tâches ingrates et dangereuses. Il faut soigner sa peau, il faut être magnifique. Si belle que leur demander de toucher de la boue soit un affront.
- Les garçons ne sont que des outils. Il ne faut pas leur faire confiance. Jamais totalement.
- De temps en temps, elle admet que c'est amusant quand Pit propose qu'ils aient des vêtements assortis. Elle n'accepte que parce que cela met en valeur le talents de son groupe.

L’île a résolu le problème d’Aphrodite : le vieillissement. Elle a vu une reine se fâner en vieille sorcière, hors de question de devenir pareille… Pourtant, la Belle aurait bien aimé devenir une sulfureuse dame de bonne famille avec une éducation parfaite. Cependant… cette vision de cheveux blancs et de peau frippée… non, elle ne peut pas. Elle en a des nausées. Des crises de panique.

Rien, à part peut-être un grand mépris pour le temps qui passe.

Peter Pan est ce pourquoi Aphrodite est ici, il l’a sauvée du Temps. Alors elle le sauvera des mauvaises mères en devenant la seule et l’unique. Quant à Hook… malgré ses bonnes manières, il demeure un homme et pire encore… l’ennemi de Peter.

Aphrodite est arrivée sur l’Île dans les environs de 1950 en années terrestres. Elle a vu passer les événements, elle a roulé des yeux plus d’une fois en voyant les fiascos des mères en chefs. Elle, elle a toujours été à son poste. Elle a vu passer les chefs de son petit clan coloré et traumatisé.

C’est dans un verger de pommiers qu’elle boit une tasse de thé à la fleur d’oranger, avant de reprendre sa broderie d’une grande complexité. L’air parfumé de printemps souffle entre ses doigts, l’aiguille et le fil. Elle tisse, elle tisse. Comme Pénélope attendant Ulysse.

Au loin, elle entend le chant d’un ruisseau. Le paysage est féérique. Dans le jardin de la propriété de cette large maison de boiseries claires, la demoiselle est installée sur une couverture. Elle se concentre sur ses points délicats, elle n’écoute pas ce qui se passe autour d’elle à part le chant aquatique à quelques pas.

Elle sent la présence fantomatique qui observe par-dessus son épaule. Elle se pince les lèvres lorsqu’elle voit le reflet ignoble de la sorcière, sa mère, dans la tasse de porcelaine. Quelle angoisse de finir un jour ainsi, heureusement, son neveu attire l’attention de la vieille femme qui s’en va donner un sirop à l’enfant qui le réclame. Laissant enfin l’adolescente tranquille. Un regard de côté, elle se demande comment une dame aussi décrépie a pu lui donner ses gènes.

Elle vit dans cette jolie maison au beau parc boisé avec sa génitrice et le fils de sa grande soeur. Son aînée est aussi très belle, enfin, elle l’était. Mais depuis qu’elle a eu un enfant… la voilà sur la pente de la fin.

Est-ce les enfants qui aspirent la jeunesse et la beauté lorsqu’on les met au monde ? Plus elle observe, plus elle se le demande.

Alors que les deux autres âmes se retirent dans la maison, laissant à nouveau le grand parc dans le calme, le temps passe. Et la broderie se poursuit. Elle ne se pose aucune question sur son père, on lui a dit qu’il avait quitté ce monde depuis longtemps.

Distraite, elle regarde les feuilles bouger dans le vent, et elle ne voit pas le nouveau visiteur. Il s’assied à côté d’elle et elle sursaute, se redresse et renverse sa tasse. Mais elle garde sa broderie en main.

Elle dévisage l’étranger qui s’est invité sans aucune forme de politesse. Quel affront ! Quelles manières !

Il prononce son prénom, comment peut-il le savoir et comment peut-il oser le dire ?

C’est une autre voix qui gronde en réponse, celle de la vieille sorcière qui sort en catastrophe. Elle hurle des horreurs, des mots tranchants dans la bouche d’une femme. Aussi moche soit-elle.

Une dispute éclate entre les adultes, et l’adolescente se penche pour attraper son neveu. Elle observe la tempête, et l’enfant dans ses bras défait la broderie en tirant sur les fils. Happée par ce qu’elle entend, la jeune fille ne comprend plus son monde. L’homme serait son père ?

L’homme demande à voir Hélène, sa– ce n’est pas sa soeur aînée ? Confuse, la demoiselle alterne le regard entre ces âmes qui se déchirent au rythme que la broderie qui disparait.

Une fille-mère. Qu’est-ce que c’était ? Elle n’en avait jamais entendu parler.

Oh… elle comprenait en revanche mieux la laideur de la femme qui l’élève.

Sa soeur est donc sa mère, et sa mère sa grand-mère.

L’enfant dans ses bras…

Pourquoi ne se souvient-elle de rien ?

Elle monte les marches du porche, elle va coucher son petit frère. Elle délaisse sa broderie détruite. L’escalier est gravé sans effort, machinalement.

Sa mère avait-elle eu honte d’elle ?

Avec douceur, elle borde son ne– petit frère. Elle l’embrasse sur le front et lui enclenche une petite berceuse mécanique.

En fermant la porte, elle entend encore la déferlante du conflit au dehors. Les gardes, déménager, que des mots bien étranges. Mais pourquoi lui, pourquoi pas sa soeu– mère ? Elle ne doit pas se mêler des affaires des adultes. Elle lève les yeux lorsqu’elle touche le plancher du rez. Par la fenêtre qui mène à au petit parking, elle voit la voiture cabossée du visiteur. Son père, apparemment.

Un coup d’oeil à sa broderie.

Il n’en reste qu’une pagaille.

D’autres arrivées de voitures s'enchaînent et attrapent l’attention de la jolie jeune fille, une petite poignée de policiers frappent à la porte ou font le détour jusqu’au verger. Le temps a l’air de s’accélérer.

Il s’agite et panique comme un océan en colère.

La tapisserie est devenue un véritable fouillis.

La vieille sorcière vient en pleurs.

Elle répète ce que la grande soeur de l’adolescente, enfin… la mère, a toujours dit sur les hommes. Ils savent si bien détruire ce que l’on essaie de bien construire. Et les femmes subissent les conséquences.

Les adultes ne lui ont laissé qu'un monde où elle n'aurait jamais son mot à dire, où un homme prend ce qu'il veut. Elle voudrait avoir le choix...

L'adolescente se jure de trouver un endroit où elle créera une autre influence.