Photon était un être peu à-même à se laisser gagner par la vraie colère. Néanmoins, il se trouvait être particulièrement sensible à l’offense et à l’injure du savoir-vivre, du moins à sa vision féerique et romantique de ce qu’étaient les bonnes mœurs.

Alors lorsque, d’une mesquine bourrasque, la fée Alizée fit s’envoler les sans-doute inestimables feuillets de leur nouveau frère, le Précieux ne put décemment rester sans rien faire ! Déviant de sa course qui devait le mener chez l’un de ses nombreux amis, il fila stopper sa sœur des vents.

Oh la, petite sœur ! Retiens ta bise et ton mistral ! l’outrage transparaissait dans son ton. L’idée de pages perdues, abîmées à la mer, lui faisait monter au cœur des lamentations Ce n’est pas en détruisant son grand œuvre qu’il reviendra.

Mais la fée des vents avait voulu bien faire alors le courroux de Photon ne dura pas bien longtemps, d’autant plus que le pauvre Eclipse semblait encore en détresse. Cette fois-ci sa misère était de source moins naïve, un mauvais traitement d’un humain qui ne méritait aucun bisou ! Aurait-il offert au Précieux un ouvrage rare de Shakespeare que celui-ci aurait préféré le brûler que d’accepter de ses mains la parole de William.

Le pauvre, il lui faut l’aide d’un courageux ! la petite créature porta deux doigts à sa bouche et envoya un baiser à Alizé Regarde bien, petite sœur, comment on séduit un être lettré.

Photon se déplaçait essentiellement par lui-même et pouvait se targuer d’avoir une belle maîtrise du vol. Afin d’en faire étalage, il effectua quelques courbes gracieuses en prenant garde à toujours avoir la lumière à son avantage.

Au terme de sa courte danse dans les airs, cherchant les pages qui s’étaient éparpillées ici et là, ce n’est pas une mais bien trois feuillets qu’il ramena à celui qui était encore humain il y a peu ! Ils étaient quelques peu encombrants mais il atterrit sans encombre sur une barrière et les tendit plutôt fièrement mais toujours galant à son propriétaire.

Ce sale humain ! Il fait honte à son espèce. Si je l’avais vu plus tôt soit sûr qu’il se serait fait aveugler !

Si Eclipse avait encore été un Pirate, sans doute que le Précieux se serait posé sur son épaule et aurait profité de lui conter fleurette. Mais il faisait preuve de plus de retenue avec ses semblables, même grandis. Ce n’était pas qu’ils méritaient moins ses baisers et ses poèmes mais il avait pour eux un amour plus doux et plus respectueux.

Désignant les pages arrachées en carillonnant, Photon, qui sentait l’allégresse habituelle reprendre place dans son cœur, demanda avec ferveur :

Es-tu aussi écrivain ? Ô Eclipse, qu’il serait beau que nous déclamions ensemble une poigante tragédie ou un poème en cadavre exquis à notre somptueuse Reine ! Deux esprits comme les notre, l’un dans une enveloppe d’ébène et l’autre d’ivoire, comme nous serions éblouissants !

A l’expression horrifiée de son interlocuteur Photon craignit de lui avoir fait quelque insulte par sa proposition. Peut-être était-il davantage un auteur d’essais, très érudit mais ne maniant pas les mots avec autant d’adresse qu’un poète ! Pour sûr que cela n’avait pas été le but de l’aristocrate de le mettre dans l’embarras mais à ses yeux une telle élégance ne pouvait être que synonyme d’un grand talent d’artiste.

... Ne m'appelez... Appelle pas comme ça, s'il te plaît. Surtout pas ici... Il ne faut pas qu'ils l'entendent sinon après ils... ils vont... Je m'appelle Vijendra. Vijendra, d'accord ? Je me suis toujours appelé comme ça, je ne veux pas changer de nom.

Le Précieux eut l’air contrit et son scintillement faiblit légèrement l’espace d’un instant pour montrer à quel point il était désolé avant de revenir en force.

... Qui es-tu ? Pourquoi est-ce que tu.. ? Je croyais que c'était dangereux de se promener ici comme ça ?

La question d’Eclipse le prit au dépourvu par sa cocasserie et Photon lâcha un rire claironnant et lumineux mais nullement moqueur. Quel être charmant que cette fée des étoiles, il était ravi de le compter désormais parmi les sien.

Oui bien sûr, je m’excuse. Il est vrai que nous sommes nombreuses à se choisir un nom de scène face aux humains ! Vijendra, c’est d’un exotisme divin, si doux à l’oreille. Le mien est Hamlet c’est ainsi que je signe mes œuvres et me présente à nombre de mes prétendants.

Il posa sa main sur le cœur, agitant ses ailes d’un mauve irisé et soulevant un petit nuage de poussière dorée.

Quant à mon véritable nom, c’est Photon ! Et ne t’en fais pas cet endroit n’est pas dangereux pour moi ! Vois-tu j’ai de nombreux amants ici au Port et même les Pirates les plus bourrus ne sont pas insensibles à mon charme enchanté.

Voletant pour se placer à hauteur de visage d’un Vijendra momentanément grandi, il lui tendit une toute petite main aux doigts blancs et soignés.

Mais si tu as peur je te protégerai ! Tu sais la plupart des fées nouvellement nées ont besoin de guides au début.

... Je ne suis pas une fée nouvellement née. J'ai vingt-quatre ans...

Le Précieux roula des yeux mais resta cordiale face à la naïveté d’Eclipse. Lui aussi avait eu de trop grandes ambitions alors qu’il était tout juste éclos, heureusement que ses sœurs et mentors avaient été là pour le guider. Mais ils n’étaient sans doute pas tous pareil et ne souhaitaient pas les mêmes choses.

La maturité humaine ne fait pas de toi une fée mûre ! Mais qu’importe, si tu es davantage un loup solitaire je le comprends. Tu es une étoile après tout !

Lui, en tant que parfait aristocrate ne pouvait s’imaginer vivre seul mais il savait ses sœurs stellaires plus prompt à la contemplation.

... Et ce n'est pas un nom de scène. C'est mon prénom. Je suis né en Inde, tu sais, là-bas ça n'a rien d'exotique. C'est même plutôt commun.

Quel étrangeté tout de même d’avoir été humain puis fée ! Une ascension pour sûr, Photon se dit qu’il devait être très grisant de découvrir toute cette magie pour la première fois que son esprit, bien que certainement génial, d’homme n’avait pu voir et ressentir.

Je n’avais pas deviné, c’est si approprié ! Avec ta peau comme l’onyx on croirait voir le beau Kâma.

Même si le Précieux n’avait pas une grande culture hindou, un érudit comme lui se devait de connaître ses classiques ! Et il y avait en orient une sagesse que tous les mystiques chrétiens quand bien même ils fussent Maître Eckhart ou Saint-Augustin n’avaient su qu’effleurer !

Ravi comme toujours de pouvoir partager son savoir, la fée illuminée se mit à bourdonner d’excitation.

Je ne connais que peu des œuvres de l’Inde. Tout juste ai-je eu entre les mains le Ramanaya et quelques paroles de l’un ou l’autre de vos sages gurus. Es-tu toi aussi un sadhu, Vijendra ? Oh si c’est le cas je viendrai prier avec toi à ton ashram !

L’elfe n’avait même pas encore répondu que Photon s’imaginait déjà contemplant la beauté, accompagnant le splendide yogi dans ses postures matinales ! Il était certain qu’ils s’entendraient à merveille.

... Qu'est-ce que tu entends, par amants. Tu ne peux pas avoir de vrais amants, ce n'est pas possible...

Peut-être le Précieux avait-il parlé trop vite car quelle offense que ces paroles ! Il se retint de lui flasher les yeux d’une lumière trop vive, un égard qu’il n’eut que parce qu’il s’agissait de l’un des siens. Courroucé par l’insinuation il recula légèrement dans les airs et posa sur Vijendra un regard très hautain.

Qu’en sais-tu ! Une telle affirmation alors que tu me connais même pas, je peine à y croire.

Peu auraient cru une si petite créature capable d’un tel dédain, les bras croisés et le menton relevé, ondulant d’une lueur orgueilleuse.

Tu sauras que je suis l’un des plus grands amoureux de cette Île, Vijendra. Mes amants te le confirmeront. Toute ma vie j’ai distribué bisous et câlins, écris des poèmes et danser avec les plus beaux esprits !

Photon attendait des excuses ou un compliment bien placé qui aurait su l’amadouer. Toutefois son interlocuteur allait devoir faire des efforts pour regagner sa sympathie après des mots si blessants.

Le Précieux avait été quelque peu déçu que Vijendra ne saisisse pas toutes les œuvres merveilleuses et les divinités radieuses qu’il lui avait citées. Mais le détail fut vite éclipsé par la tournure on ne peut plus sérieuse et conflictuelle que prit la discussion.

Insulté, Photon s’était défendu avec véhémence des propos odieux de l’elfe sombre dont le visage avait ensuite prit une drôle d’expression.

... Des bisous et câlins.

Son soupir n’était pas celui des amoureux transis mais un de lamentation et de douleur qui exsudait le mal-être des poètes. Peut-être la fée s’était-elle montrée trop hargneuse envers son nouveau compatriote mais le bellâtre avait touché par ses propose une corde des plus sensible. On ne pouvait décemment lui dire, à lui, le Précieux qu’il était sans amants. C’était d’un culot exceptionnel qu’il n’avait pu accepter.  

... Désolé. Je ne voulais pas te vexer. C'est juste que... On ne parlait pas de la même chose, je crois. Quand on est humain, dire qu'on a un amant, ça comprend des interactions très spécifiques et il me semblait bien qu'aucune fée ne... pouvait faire ce genre de choses. Je n'avais simplement pas saisi où tu voulais en venir.

Un peu perplexe, Photon fit cette fois l’effort de réfléchir un instant à sa réponse. Pour sûr qu’il ne pouvait pas continuer à être furieux envers Eclipse qui avait l’air très malheureux, d’autant plus qu’il avait dit à Alizé qu’il allait lui montrer comment faisait un vrai gentleman.

Ah oui je crois que j’en ai lu quelque chose un jour ! Mais j’ai cru que c’était satyrique, qui voudrait faire ça… il n’eut pas le temps de terminer ses explications car son interlocuteur se mit soudain à sangloter comme si tous les maux des dieux venaient de lui tomber dessus.

Horrifié, les larmes pailletées déjà au bord des yeux car il ne pouvait rester stoïque face aux pleurs des autres, le Précieux pressa ses minuscules mains contre la joue de l’elfe et battit des ailes de toute ses forces pour le faire bouger.

J’accepte tes excuses Vijendra ! Mais ne restons pas ainsi au centre de la rue. lui tinta-t-il à l’oreille d’un ton qu’il voulait encourageant et poursuivit sur la même lignée Tu verras les danses dans les airs et les bisous c’est bien mieux que les câlins intérieurs !

Bien qu’il se pâmait pour nombre de pirates, Photon savait qu’ils n’étaient pas tous bienveillants envers les débordements d’émotions lorsqu’ils venaient d’un être de leur taille. C’est pourquoi il faisait ce qu’il pouvait pour éloigner un peu Eclipse qui avait déjà subi les méchancetés d’un forban un peu plus tôt lorsque celui-ci avait piétiné ses inestimables écrits.

C'est quoi cette histoire de danse dans les airs ?

La fée, rougissante à l’idée des mille et unes danses de son peuple, n’eut pas le temps de répondre qu’Eclipse se ravisait malheureusement déjà.

... Non tu sais quoi, je crois que je préfère ne pas le savoir en fait. La librairie est par ici.

Empathique, Photon comprenait la volonté qu’avait l’elfe de se mettre à l’abri le plus vite possible des malotrus, d’autant plus si c’était pour parler de choses intimes et frétillantes.

Voletant jusqu’à se placer devant les yeux larmoyants de la fée des étoiles, il porta la main à son coeur et promit Oh mais si Vijendra, je peux te montrer ! avant d’ajouter, les joues joliment rosées Même s’il est vrai qu’il est encore tôt dans notre relation...

Mais afin qu’Eclipse embrasse sa nouvelle et merveilleuse nature il voulait bien outrepasser les bonnes moeurs ! Après tout quoi de mieux pour oublier la condition humaine que de connaître les joies du ballet céleste, les culbutes et envolées sous les ciels printaniers. Pour sûr qu’après ça il se réjouirait d’avoir eu la chance divine de rejoindre leur peuple. La mission serait ainsi accomplie et peut-être gagnerait-il quelque faveur auprès de la Reine bien aimée !

Tout scintillant, l’esprit flamboyant, le Précieux se dirigea dans la direction indiqué par le bel elfe. Loin derrière déjà les insultes reçues tout-à-l’heure sous le coup de l’émotion, il virevoltait à présent des danses à venir et son esprit d’esthète se pâmait d’avance de découvrir la bibliothèque d’un être si raffiné que Vijendra !

La Librairie ! Je suis sûre qu’elle est parfaite ! As-tu des écrits de William ?

Intérieurement la fée riait bien que celui qui avait osé le traiter de sans amant soit en passe d'en devenir un !

Photon connaissait bien la librairie du Palais mais d'être confronté à tant d'ouvrages inconnus, cela lui donnait le tournis. Il virevoltait entre les rayons, déposant par-ci par-là une fine couche presque invisible de poussière dorée. Rendant l'endroit un peu plus magique, un peu plus féerique.

Pour le dénommé Henrik, il brilla un peu plus fort, le charma d'une courbette distraite car le Précieux n'oubliait pas sa mission initiale. Celle de séduire Eclipse et le guider afin qu'il ne songeât plus qu'à rejoindre son nouveau peuple.

... Moi je vais aller là-haut. Je peux aussi te montrer ce qu'on a là-haut, comme tu veux, mais ce sont surtout des travaux en cours... Bon. Et leurs originaux évidemment.

Bien qu'il y eut un nombre infini de textes à découvrir en ces lieux cela ne pouvait rivaliser avec le bonheur qu'aurait la fée à découvrir le fabuleux métier de Vijendra qui proposait lui-même ,et dans une belle grandeur d'âme, de lui servir de guide.

Ravi, Photon voleta en haut des escaliers tout en chantonnant d'un carillon joyeux En haut, montons, tout en haut ! Comme dans la tour d'un château, compter fleurettes et amourettes.

Se stoppant un instant, dans un vol statique de colibri, il tourna son visage éclatant bien que minuscule vers le sombre Elfe derrière-lui, lui adressa un clin d'oeil Et dansons, peut-être ! avant de repartir de plus belle.

Oh quel duo ils feraient ! Fée des Étoiles et lui l'aristocrate. Comme un bal entre le soleil et la nuit.