Bitter n'aurait jamais imaginé que sa colère était en capacité de retomber si rapidement après l'une de ses prises de bec avec Sick. Encore moins alors qu'il finissait au Cachot JUSTE A CÔTÉ du Poison, qui elle aussi y avait été jetée. Tout portait à croire qu'ils allaient se prendre le chou jusqu'à ce qu'on les sorte de là. Et c'était s'ils ne parvenaient pas à ronger l'un et l'autre les barreaux de leurs cellules avec les dents pour passer de l'autre côté et s'entretuer avant qu'on ne pense à les libérer.

C'était très étrange, ce qui était en train d'arriver. L'Orageux était parvenu à passer sous une couche de... quoique soit la chose dont Sick se revêtait pour ne pas montrer ce qu'il y avait en elle. Sick, en changeant de mode d'expression, avait quant à elle réussi à toucher l'intérêt et même les sentiments de Bitter pour la première fois depuis le jour maudit où ils avaient "fait connaissance", sur l'initiative "un chouilla provocatrice" du Poison.

"Ouais... on pourrait ?"

Il y avait de la fragilité, dans la voix de Sick. Quelque chose qui prit Bitter aux tripes, et qui lui donna l'envie irrépressible d'aller vers elle. De tendre la main. De la rattraper avant qu'elle tombe. Car on aurait dit qu'elle était en train de sombrer en elle-même. Paradoxalement il entendait comme une flèche d'espoir qu'on lançait dans le vide en espérant que quelqu'un allait l'attraper. Est-ce qu'il était en train de tout imaginer ? Il tapait souvent juste, mais ça lui arrivait de se tromper, et quand il le faisait, le résultat pouvait être catastrophique. Déjà vu, déjà fait. Leçon apprise. Prudence de mise, quitte à fermer son occasionnelle grande gueule de laquelle sortaient des mots parfois trop acérés, même quand ils se voulaient bienveillants.

Il ne détestait plus Sick, subitement. Il s'inquiétait. Il ne voulait pas que son intervention fasse du mal alors qu'il essayait de faire du bien. Les mains sur les genoux, les yeux dans le vide, Bitter réfléchissait. Est-ce qu'il pouvait émettre un bout d'idée, finalement ? Un petit bout de plan... Une proposition qui flotterait dans l'air et qu'on pourrait saisir maintenant, plus tard, un jour... Il pourrait la répéter à un autre moment. Dans le pire des cas, le Poison ne l'écouterait pas. Ces mots étaient inoffensifs... N'est-ce pas ? L'univers des possibilités qui se trouvaient devant lui ne comportait pas d'issue où tout explosait parce qu'il avait juste osé avancer le sujet, n'est-ce pas ?

"... Ouais. On pourrait. On fait partie du seul groupe où se mettre mutuellement sur la gueule fait partie des activités récurrentes autorisées, pour ne pas dire encouragées. Ca serait con de pas en profiter." énonça t-il finalement en laissant sa tête tomber en arrière, contre le mur, fixant l'endroit où devait se trouver le plafond de son regard perpétuellement blasé. Il y avait encore dans sa voix une touche de cet humour cynique et pince sans rire par lequel il s'exprimait quand il n'était pas en colère. Il adoptait cette attitude bourrue qui faisait partie de lui, qui était sa zone de confort, qui était en réalité un masque derrière lequel Bitter planquait tout le malaise et tous les doutes dont il était trop souvent perclus dès lors qu'il n'y avait plus assez de rage ni de procédures pratiques et froides en lui pour qu'une situation sociale le mette à l'aise.

"... Bitter."

Cet appel le transperce. Le regard du rouquin s'écarquille. Une lame froide lui rentre dans le cœur. Il ne sait même pas exactement pourquoi. C'est ce mot, son nom - même s'il le tolère plus qu'il ne le porte. La manière dont il a été prononcé, peut-être. Ou juste le fait de l'entendre dénué de tout autre contexte. Sick s'adresse à lui.

Soit elle se fout de sa gueule avec un brio et une cruauté inégalés, soit elle est sur le point de lui dire un truc très important. Le garçon se redresse. Il se tourne vers elle. Il veut s'approcher, mais il a encore peur de se prendre les lames du Poison dans les bras ou dans la gueule.


"J’ai... besoin de ton aide."

Son cœur bat à toute allure. C'est dur, très dur, de résister à l'envie de réduire la distance entre eux. A défaut, il affirme sa position. Assis en tailleur, il la fixe. Son regard brille d'émotion, mais on s'en fout, il fait trop noir.

"... Je suis là." qu'il répond, sans réfléchir plus longtemps. Mais il ne sait pas exactement ce qu'elle a voulu dire. Il ne sait pas ce dont elle a besoin. Si c'est en rapport avec ce dont ils parlaient avant, ou bien si c'est à un tout autre sujet.

"Dis moi ce que je dois faire."

Il termine dans ce qui n'est à peine plus qu'un murmure. Il est là, trop loin pour qu'elle le touche, mais en train de lui donner jusqu'à la dernière goutte de sa présence et de son attention.