C'est avec un air de réflexion très sérieux que Prisme prit son menton entre ses doigts et leva les yeux au plafond.

"Oh oui, parfait. Je vois... Oui je crois que je vois très bien, compte-tenu de tout ce que nous avons déjà dit !"

Un sourire aux lèvres, il laissait se dessiner dans son esprit l'image du vêtement parfait. Léger, royal, aérien, éthéré, digne du plus merveilleux des levers de soleil. Cela serait parfait, à condition que les couturières assurent derrière...

"Elles sauront mieux que nous exécuter ce que nous avons en tête."

Prisme fit de son mieux pour ne rien montrer de sa contrariété, mais il cligna des yeux. D'un coup, il était beaucoup moins radieux. C'était aussi frustrant que c'était vexant, en fait. Il ne VOULAIT PAS que quiconque fut plus à même d'exécuter ses idées que lui-même. C'était la meilleure manière de n'être jamais entièrement satisfait. Et il ne voulait pas dépendre des autres : il aurait voulu être parfaitement autonome.

"Oui... Bien sûr."

Il ne fallut que peu de temps avant que l'employé de la Reine revienne accompagné de deux couturières que Prisme jaugea plus sévèrement du regard que nécessaire. L'Irisé ne faisait pas exprès. C'est juste qu'il était jaloux d'elles et qu'à de trop nombreuses reprises, pour la conception de ses propres vêtements, on ne l'avait écouté que d'une oreille. Le résultat fourni ne correspondait qu'en partie à son projet, ce qui était inadmissible.

Il observa les nouvelles venues des pieds à la tête, au premier abord méfiant quant au sérieux qu'elles mettraient, cette fois, à écouter ses propositions. Puis à les mettre en œuvre sans chercher à les dénaturer.

L'une des travailleuses ouvrit d'énormes yeux tandis qu'elle remarquait le gros tas de tissus que Prisme avait posé par terre, non loin d'ici. Le styliste improvisé passa devant elle pour lui bloquer la vue et accrocha à ses lèvres le sourire de ravissement poli qui aurait dû s'afficher plus tôt. Il salua les couturières comme il se devait, surtout après leur avoir été présenté par la reine elle-même.

"Enchanté de faire votre connaissance ! Si vous voulez bien me suivre, je vais vous montrer les étoffes et vous expliquer ce que nous souhaiterions... Non. Ce que nous souhaitons en faire..."

Et les deux fées de le suivre vers le lit. Après un dernier regard dans la direction de l'indécente montagne de tissus, les ouvrières décidèrent de ne pas poser plus de questions : après tout, si la Reine elle-même approuvait, il n'y avait pas grand chose qu'elles puissent faire.

"Alors, voilà la base sur laquelle nous sommes partis. Tout se fera par un jeu de transparence permis par l'organza. En dessous, voyez vous-même..."

... et de se perdre dans l'explication des concepts qui résumaient le projet. Bientôt, ses interlocutrices en surent autant que Mab elle-même. Prisme n'avait pas fini. Il commença à expliquer dans le détail à quoi ressemblait la robe qu'il visualisait. Les couturières fronçaient peu à peu les sourcils, puis l'une d'entre elles sortit un carnet et commença à griffonner pour ne rien oublier, et pour vérifier que tout était bien compris.

"Un peu comme ça n'est-ce pas ?
- Oui ! Parfaitement. Ah par contre cet endroit là, non pas du tout." Quelques précisions supplémentaires afin de corriger le tir. Déjà plus satisfait, il continua. "Et je pense qu'ici, il faut que ce soit légèrement plus évasé. Trop serré, et nous perdrions le naturel du tomber."

... Et cætera, et cætera, et cætera. Inarrêtable, Prisme alignait les exigences. Il finit par se tourner vers la souveraine.

"Majesté, je crois que ça commence à prendre forme ! Que pensez-vous de l'esquisse initiale ?"

Ce n'était pas encore exactement parfait, mais il était plutôt satisfait du dessin, pour une fois.

L'Étincelante est ravie de voir que Prisme comprend de suite où elle veut en venir. C'est qu'il est si agréable de travailler avec des personnes compétentes ! Ses fées le sont toutes, assurément, mais c'est toujours une joie pour elle de s'en faire la réflexion !

Elle note que la jeune fée perd brièvement de sa brillance après sa remarque sur le fait que les couturières seront bien plus indiquées pour la phase d'exécution et l'observe en penchant légèrement la tête : Que se passe-t-il donc ? C'est que la reine est tant habituée à se réjouir de la spécificité de chacune de ses fées qu'elle a du mal à comprendre que certaines peuvent envier les capacités d'autres. Pour elle, il est normal de faire appel à celles qui, parmi ses sujets, sont les plus à-même d'exécuter une tâche. C'est par la mise en commun de toutes leurs unicités qu'ils parviennent à vivre en harmonie.

Mais bien entendu, il est possible que certaines fées s'envient les unes les autres pour leurs capacités différentes. C'est simplement qu'il s'agit d'un paradigme qui n'est pas le sien, et donc auquel elle ne songe pas directement. Mais Mab finit par adresser à Prisme un léger sourire en coin malicieux, de ceux qui laissent à penser qu'on en sait plus que l'on en dit. Si elle ajoute cette attitude au nombre de tissus que l'Irisé s'est procuré, il est certain qu'il doit avoir très envie de faire de la couture lui-même. Voilà qui est bon à savoir...

Les fées couturières arrivent et Son Altesse ne peut pas s'étendre sur cet aspect de la discussion pour le moment. Elle accueille les nouvelles venues avec sa bienveillance légendaire et laisse à Prime le soin de les aiguiller sur le chemin de la réalisation.

Pendant les explications, Mab se contente d'observer de côté, tout en écoutant les détails. Il lui arrive parfois de faire de petits commentaires, mais rien qui ne change fondamentalement les décisions prises un peu plus tôt. Assise dans le fauteuil de sa coiffeuse, ses ailes battent doucement au rythme de son cœur tandis qu'elle observe ses trois sujets discuter. Ah, qu'il est bon d'être fée !

Sa Majesté ne se relève que lorsqu'elle est interpellée à nouveau. Elle aime laisser les siens vaquer à leurs occupations sans leur donner l'impression d'être sans arrêt sur leur dos, persuadée qu'une bonne souveraine est celle qui accompagne sans étouffer, devant parfois imposer pour permettre le meilleur pour tous. Elle a une totale confiance en ses sujets et c'est bien pour cela qu'elle les laisse agir à sa guise, ne les rappelant à l'ordre que lorsque le danger se fait sentir.

D'un pas élégant, la Reine rejoint les trois autres et pose sur le dessin un œil critique. Après quelques instants de silence, elle esquisse un sourire.

"C'est excellent ! Il se dégage déjà cette idée de délicatesse, cette impression d'éveil du jour, qui n'en sera que réhaussé par l'usage des couleurs... Est-il possible d'ajuster un tout petit peu à ce niveau ?"

Tandis qu'elle pointe un endroit du dessin, les deux fées couturières se concertent du regard, avant de le tourner vers Prisme. Elles ont bien compris qu'il est aujourd'hui celui qui aura le dernier mot.

Une fois la réponse donnée, il s'agit de se mettre au travail. Les couturières ayant l'habitude et connaissant déjà les mensurations de la reine s'apprêtent à prendre les tissus étalés sur le lit et à se rendre dans leur atelier. Mab les arrête d'un geste élégant de la main.

"Vous serait-il possible de travailler dans le petit salon, plutôt ? N'hésitez pas à demander à Thé s'il faut faire venir quoi que ce soit de votre atelier. C'est que je n'ai que rarement l'occasion de vous voir travailler et j'admets que votre talent a toujours titillé par curiosité..."

Le rouge aux joues, les deux fées sont incapables de refuser et partent donc dans une pièce voisine pour s'installer. Mab adresse un clin d'œil complice à Prisme en chuchotant dans sa direction.

"C'est le moment d'observer et d'oser questionner, mon cher Prisme..."

Si elle n'a pas encore compris l'intérêt spécifique que l'Irisé porte aux techniques de couture humaines, l'Étincelante a au moins remarqué que la couture dans son ensemble était quelque chose qui l'attirait grandement. La voilà donc qui profite -à nouveau- de son influence pour permettre à l'une de ses ouailles de s'épanouir quelque peu.

Et puis, elle ne va pas se mentir : il est toujours très intéressant, même pour elle, d'observer ses couturières à l'ouvrage.

Avant que les fées couturières n'arrivent et que Prisme échange activement avec elles, il y eut un étrange instant de flottement. La Reine l'observait avec un air mutin. Prisme lui retourna un regard incertain, peut-être légèrement anxieux. Il n'aimait pas avoir l'impression qu'on lisait en lui comme dans un livre ouvert, même lorsque la personne qui était en train de l'analyser était la Reine elle-même. Prisme ne s'en cachait pas forcément, mais il n'avait jamais vraiment parlé de ses envies d'apprendre la couture humaine à quiconque. C'était son univers à lui et à Frousse. Son jardin intime, préservé... Ou plus actuellement figé dans la glace de sa caverne aux merveilles privée.

Poussé dès très jeune à cacher la tare abjecte qui mutilait son plus grand talent, Prisme était très secret dès qu'on s'engageait sur le plan des sujets personnels. Il n'aimait pas spécialement s'y attarder lorsque ce n'était pas nécessaire. Il fallait aussi dire qu'Ether ne l'y avait jamais habitué. Le Messager était trop occupé à parler de lui pour s'intéresser à la vie personnelle de sa pupille - laquelle était encore loin d'en avoir pris conscience pour la bonne raison qu'elle était toujours très intéressée par ce que son mentor avait à dire, et qu'elle ne ressentait elle-même pas spécialement le besoin de s'étaler. Pas de cette façon, en attendant. Son ego pourtant impressionnant se manifestait autrement.

Comme par exemple par la manière dont il faillit éclater de fierté lorsque la Reine valida l'esquisse à laquelle Il avait permis d'exister. Plein d'une satisfaction aussi intense que manifeste, l'Irisé brillait très fort et son aura s'était gorgée de paillettes, de lueurs colorées diverses, multiples, éclatantes. Les couturières n'étaient ici que des exécutrices, leur travail était secondaire. Même s'il aurait évidemment été fondateur, primordial, si seulement Prisme avait été en mesure de s'en charger lui-même.

"J'étais certain que cela vous plairait !"

Est-il possible d'ajuster un tout petit peu à ce niveau ?

Il perdit brièvement son sourire et se concentra à nouveau sur l'esquisse, les sourcils froncés. Hm. Moui... Le dessin était selon lui parfait, mais la version envisagée par la souveraine était très bien aussi, et c'était bien normal : il s'agissait de la reine Mab. Son goût était évidemment exquis. D'ailleurs, il était en train de se dire que le problème venait du tracé en lui-même, pas aussi précis, pas aussi rigoureux qu'il l'aurait fallu. Ils tombaient d'accord, en fait ! L'erreur venait de la dessinatrice. Franchement, ces gens négligeants dans leur travail... Insupportables.

On ne remettait pas ses idées en question finalement, alors tout allait bien. Il retint le regard peu amène qu'il eut envie de jeter à la fée qui tenait le crayon et fit en sorte de rester tout miel. Il répondit avec le sourire et sans perdre moindrement sa bonne humeur :

"Bien sûr ! Je voyais ça comme ça aussi. Le résultat va être sublime, j'ai hâte de pouvoir en travailler les teintes !"

Il fut aussi surpris que les couturières elles-mêmes lorsque la souveraine leur proposa de travailler ici plutôt que dans leur atelier. L'air à nouveau semblable à celui d'un lapin pris entre les phares d'une voiture, il se tourna vers l'Etincelante alors même que les ouvrières s'éloignaient dans la direction du salon que la Reine leur avait indiqué.

"C'est le moment d'observer et d'oser questionner, mon cher Prisme..."

Il ne sut pas tout de suite quoi répondre. L'attention était adorable, mais elle le mettait avant tout mal à l'aise. Il était donc un peu crispé.

Il y avait une raison pour laquelle Prisme n'avait jamais, de lui-même, approché les couturières du Palais pour apprendre. Il n'était pas tout à fait convaincu par leurs réalisations. Déjà, elles ne faisaient jamais ce qu'il voulait lorsqu'il leur demandait quelque chose et cela l'agaçait profondément. Ensuite, elles cousaient comme des fées. Et c'était très bien, en soi - même si c'était l'une des raisons pour lesquelles elles rataient presque systématiquement tout ce qu'il proposait. C'était juste que ce n'était pas ce qu'il voulait faire lui. Il avait peur de partir avec des biais qu'il ne pourrait plus corriger par la suite, s'il les écoutait.

De toute façon, il avait une opinion d'elles bien trop mauvaise pour que sa fierté supporte qu'il leur pose des questions, comme si elles avaient été en mesure de corriger ses imperfections alors qu'elles n'étaient pas fichues de donner correctement vie à ses projets. Il ne comptait pas s'abaisser à cela. S'il devait le faire, ce serait avec un couturier humain, à même de lui apprendre ce qui l'intéressait vraiment.

"Oh bien sûr, merci d'y avoir songé ! Mais cela risque d'être un peu long. Ne souhaitiez-vous pas chercher la coiffure adéquate pour accompagner votre tenue ? Avoir une vue d'ensemble sera très utile pour finaliser ce projet !"

L'art d'éluder les sujets qui fâchaient se transmettait visiblement par l'éducation, lui aussi. Prisme allait certainement profiter de l'agitation provoquée par l'arrivée de Bardane pour ne pas aller dans le petit salon avec les couturières. De toute façon, il était aussi très intéressé par ce travail de coiffure, même s'il n'allait pas s'en mêler à proprement parler.

Ce n'est pas que Mab trouve quelque chose à redire au dessin en lui-même, mais elle sait parfois les finitions au niveau des ailes un peu complexes et préfère prévenir que guérir. Une ligne sur un croquis va bien plus vite à être redéfinie que tout un drapé de tissu. Il est souvent arrivé à ses fées de devoir faire des retouches de dernière minutes qui leur prenaient beaucoup trop de temps aux yeux de la Reine, qui préfère les déranger le moins possible.

Bien entendu, ses ouvrières ne voient pas les choses de la même façon et sont toujours ravies de se décarcasser. C'est aussi pour cela qu'elle les aime tant. Mais si elle peut enlever un peu de poids et de stress de leurs épaules, Son Altesse n'hésite jamais.

C'est également dans cette optique de donner un coup de pouce à certaines envies qu'elle propose aux couturières de passer dans le salon attenant plutôt que de rejoindre leurs ateliers. De manière générale, elle aime garder un œil sur ce qui se fait pour elle, mais il y a bien un autre motif derrière sa proposition. Prisme semble même l'avoir compris avant qu'elle ne se tourne vers lui pour lui faire une suggestion amusée.

Mab hausse un sourcil légèrement étonné en remarquant que la réaction de la pupille d'Ether n'est pas cette joie difficilement contenue à laquelle il l'a habituée depuis sa naissance. L'espace d'un instant, elle se demande si elle a bien fait. Mais rien n'empêche Prisme de ne pas profiter de ce moment pour récupérer les conseils qu'il chercher. Après tout, ses fées font bien ce qu'elles veulent ! Mab, elle, se contente de provoquer les opportunités quand elle le peut.

Loin de prendre ombrage de la situation, donc, l'Étincelante esquisse un doux sourire et entreprend de se diriger dans ledit salon, lorsque la proposition de l'Irisé.e la stoppe dans son mouvement. Elle s'arrête un instant, avant de frapper brièvement dans ses mains avec un entrain quasi-enfantin.

"Oh, vous avez raison ! J'ai failli oublier la coiffure ! C'est que Bardane fait toujours des merveilles, j'en oublie presque qu'il vaut mieux prévoir... Merci de votre rappel, Prisme, vous pensez à tout !"

Déjà oublié, le refus plus ou moins caché de l'invitation à l'observation. Ou presque, car Mab n'est pas aveugle des petites manipulations qui permettent d'œuvrer à ce qui arrange sans forcément dire les choses dans leur entièreté. S'il lui arrive de le pratiquer elle-même dans un contexte royal, elle est familière de qui en use et abuse dans tous les aspects de sa vie... C'est avec un sourire amusé teinté de cette malice typiquement fée qu'elle ajoute.

"...Impossible d'oublier qui est votre mentor, dans ces moments-là."

Il n'y a aucun jugement dans son ton, rien d'autre qu'un amusement féérique sincère. Sans insister, Mab se détourne et happe son Majordome, afin de lui demander de faire chercher la Mandragore. Une fois ceci fait, elle se tourne à nouveau vers la fée des couleurs.

"Avez-vous déjà rencontré Bardane, mon cher Prisme ?"

Elle suppose qu'il se sont déjà rencontrés dans les couloirs du Palais, l'un vivant à l'intérieur et l'autre y venant quotidiennement, mais rien de tout cela n'est certain. Après tout, les jeunes fées sont vives et tiennent peu en place. Peut-être ont-ils passé leur temps à se louper.

Jusqu'à aujourd'hui, toujours. Mab tapote gentiment ses doigts les uns contre les autres avec un ravissement enfantin qui ajouter encore à son éclat. Oh, comme elle aime avoir de la vie dans son Palais !

"Merci de votre rappel, Prisme, vous pensez à tout !"

Prisme était loin d'être insensible aux compliments, surtout quand ils venaient de la Reine elle-même. Il en aurait presque ronronné de satisfaction si Mab n'avait pas jugé bon de nuancer son propos par une pique certes bienveillante, mais qui n'était pas dénuée de malice.

"...Impossible d'oublier qui est votre mentor, dans ces moments-là."

L'Irisé bien qu'il fit en sorte de garder la face ne cacha pas complètement sa surprise. On ne le comparait pas si souvent à Ether, et il ne s'était lui-même pas rendu compte de la façon dont il avait pu faire siennes certaines des stratégies de son mentor.

Est-ce qu'il aurait dû être embarrassé ? Parce qu'il n'y arrivait pas. Tout à l'inverse il se rendit compte qu'il éprouvait un plaisir sibyllin face à cette royale - et donc éminemment légitime - constatation. Il porta quelques doigts devant sa bouche et émit un gloussement ravi.

"Vraiment ?"

C'est qu'Ether était devenu très absent, depuis... Trop longtemps. Prisme ne comprenait pas les émotions inaccessibles car trop complexes que cela faisait naître en lui. Il préférait ne pas y penser : les joies, les peines, les frustrations quotidiennes étaient bien plus facile à explorer que ce fond de douleur trop sérieux dont il ne savait que faire.

L'indisponibilité chronique d'Ether le contrariait, voilà tout. Et du coup il s'ennuyait encore plus que d'habitude, et c'était nul. La prochaine fois qu'il le croiserait, il faudrait qu'il lui demande des nouvelles de l'extérieur. Ca leur ferait un sujet de conversation. Et puis le Port manquait à Prisme. Peut-être que le Messager savait ce qu'il se passait chez les humains en ce moment.

"Avez-vous déjà rencontré Bardane, mon cher Prisme ?"

La dernière remarque de la Reine l'ayant finalement mis de très bonne humeur plutôt que de créer un malaise comme on aurait pu s'y attendre, Prisme avait aux lèvres un grand sourire qu'il ne perdit pas pour répondre à cette question.

"Pas vraiment ! Juste de loin. C'est que Bardane a toujours l'air pressé..."

Prisme n'avait pas eu l'occasion de faire sa connaissance à proprement parler - ou n'avait pas encore donné l'énergie nécessaire pour initier cette rencontre, en tous les cas. Est-ce que Bardane aimait jouer ?

La voilà ! La joie pétillante, innocente et difficilement contenue à laquelle le jeune fée l'a toujours habituée ! Mab répond à son enthousiasme d'un grand sourire et d'un hochement de tête assertif, avant de se tourner vers le Majordome qui vient d'arriver pour lui communiquer son ordre de faire chercher Bardane.

Néanmoins, Son Altesse est intérieurement étonnée de savoir que c'est la mention d'Éther qui déclenche un tel ravissement au lieu de l'expérience des fées couturières dont Prisme semblait envier les capacités quelques instants plus tôt. Cela ne l'empêche pas d'approuver d'un sourire intérieur cet état de faits qui n'est pas sans la rassurer.

Attribuer une pupille à Éther n'a pas été une décision ni facile, ni impulsive. Le caractère de l'une comme de l'autre fée semble les rapprocher, et pourtant la simple idée de savoir le Messager en charge d'un autre individu -et pas seulement du courrier Royal- est parfois un peu affolante. Mais c'est un pari dangereux que Mab a décidé de faire -au point d'en faire l'un de ses innombrables paris mondains avec Boréal- et elle n'est pas fâchée de voir que, du côté de Prisme au moins, tout a l'air d'aller pour le mieux.

Thé s'en va accomplir sa mission et l'attention de l'Étincelante se tourne à nouveau vers l'Irisé.e, tandis qu'elle amorce un passage de la chambre au salon attenant. Elle ne s'étonne pas de l'entendre dire que non, il n'a jamais réellement rencontré la Mandragore. Son commentaire déclenche un éclat de rire chez la reine, comme autant d'oiseaux qui chuchotent.

"Je vois parfaitement ce que vous voulez dire ! Bardane est de ces fées qui ne s'arrêtent jamais... Il faudrait qu'elle fasse attention, d'ailleurs."

Derrière l'amusement perce une légère inquiétude. A force, le bourgeon ne risque-t-il pas de flétrir prématurément ? Mais cette pensée passe aussi rapidement que la fée qui en est l'objet. Mab fait un geste élégant de la main, comme pour l'envoyer valser au loin, en reprenant.

"Enfin, c'est normal, elle est jeune ! Comme vous !"

Il y a toujours une pointe d'amusement dans le ton de Sa Majesté. Il faut dire que, pour elle, toutes les fées existantes sont particulièrement jeunes... elles le sont de plus en plus, d'ailleurs. Mais certaines échappent encore à cette règle, bien heureusement.

Ses pensées dérivent un instant vers certains membres de son Haut-Conseil et son sourire se pare un instant d'une douceur supplémentaire, avant que ses diverses associations d'idées l'amènent à un autre point crucial.

"Il faut que nous trouvions un nom pour ce bal. Je ne peux pas envoyer d'invitations officielles sans un nom approprié ! Et hors de question de parler de "Bal d'Hiver" ou de "Bal du Givre".  Je n'organise pas un bal pour qu'il nous rappelle constamment la rigueur de cette saison."

Son regard se tourne vers Prisme, puis vers les fées couturières -qui sont bien évidemment déjà au travail mais gardent une oreille sur la conversation- avant de revenir sur l'Irisé.e.

"Des idées ?!"

Il n'y a pas à dire, l'Étincelante s'amuse comme une enfant-fée... et l'arrivée de Bardane ne fera qu'ajouter au niveau d'enthousiasme général, cela ne fait aucun doute.

"Enfin, c'est normal, elle est jeune ! Comme vous !"

La mine soudain un peu assombrie, Prisme faillit omettre de répondre. Oh, il n'était pas vexé qu'on dise qu'il était jeune... Quand bien même il ne tarderait plus tant que ça à atteindre l'âge adulte, on ne pouvait nier qu'il faisait partie des dernières fées à être nées. Il n'avait que très peu de cadettes. Seulement, il se disait qu'il aurait bien aimé être comme Bardane. Ne jamais s'arrêter, au point de devoir faire attention.

Lui, il s'ennuyait à longueur de journée, et c'était vraiment très nase. Quand il pouvait sortir sans risque dehors, admirer la nature, et visiter le Port, ce n'était pas aussi gênant qu'aucune autre fée ne prenne le temps de jouer avec lui. Mais désormais...

... C'était nul. Nul.
Nul...

"Oui... C'est vrai." répondit-il machinalement pour paraître complaisant, et parce qu'il n'était actuellement pas capable de trouver plus inspiré.

"Il faut que nous trouvions un nom pour ce bal. Je ne peux pas envoyer d'invitations officielles sans un nom approprié ! Et hors de question de parler de "Bal d'Hiver" ou de "Bal du Givre".  Je n'organise pas un bal pour qu'il nous rappelle constamment la rigueur de cette saison."

Il retrouva soudain le plus large des sourires, comme il était absolument ravi que l'Étincelante lui demande son avis sur ce sujet royalement important. Comme c'était agréable, que la Souveraine elle-même juge ses conseils avisés ! Il en rougissait presque de bonheur.

Bien décidé à se montrer à la hauteur des espoirs qu'on mettait en lui, et donc à s'essorer les neurones pour en extraire jusqu'à la dernière goutte d'idées, il leva théâtralement les yeux au plafond et posa le bout d'un doigt sur son menton.

"Hmmm, voyons... Il ne faut rien insinuer qui ait rapport avec le Givre je suppose, pas même pour dire qu'on ne le laisse pas gagner... Ce serait déjà rappeler qu'il est là et tout le monde voudrait bien l'oublier."

Il serait sans doute hors de question de nommer l'événement "Bal d'Espoir", en ce cas. Ca rendait tout très compliqué, de ne pas pouvoir s'appuyer sur le contexte ! Prisme fronça les sourcils sous l'effet d'un effort mental important. Bal de l'Aube aurait été parfait pour aller avec la tenue de la Reine, mais ce n'était pas l'Aube de grand chose, ces derniers temps...

"Cela pourrait-il avoir rapport avec le décor que vous avez prévu ?"

Mais comment le décrire ? Il ne l'avait pas encore vu.

"Ou bien alors... Bal.. bal... Bal... Bal.. Bal. Baaaaaal... Baaaaaaaaaaaaal..."

Zut, flûte, pourquoi les idées ne lui venaient-elles pas avec leur variété et leur densité habituelle ??!

"Baaaal... masqué ?"

Ah oui, tiens. Il avait probablement entendu des humains dire ça un jour. A moins que ce fut l'idée d'une aristocrate qui n'avait finalement pas été au bout de son projet - ou qui avait eu le culot de ne finalement pas l'inviter (il espérait bien que ce n'était pas ça ! Quel affront impardonnable).

"... Ah. Ca aurait été une pirouette efficace, mais encore faudrait-il avoir des masques..."

Quoique ça aurait pu être vraiment amusant.

Les préoccupations de la reine sont à nouveau tournées vers le bal qu'elle s'échine à préparer. A dire vrai, au-delà de la tenue et de la coiffure royale, il ne manque à ce bal qu'un nom, qu'elle pourra ensuite ajouter aux invitations officielles déjà rédigées. La perspective de rester coincée sur ce détail a donc de quoi lui mettre les ailes en pelote. Mais c'est sans compter l'ingéniosité de ses sujets, qui se mettent aussitôt à faire des propositions, toutes plus intéressantes les unes que les autres.

Mab enregistre les conseils d'un signe de tête délicat, sans forcément laisser entendre un jugement positif ou négatif. Parfois, une moue intriguée ou un air songeur laisse à penser qu'elle considère plus sérieusement ce qui vient d'être dit, mais cela ne dure jamais bien longtemps.

Tandis que les couturières s'affairent sur les tissus, leurs réservoirs de noms épuisés, Prisme continue de chercher, énonçant son cheminement à voix haute. Mab l'observe du coin de l'œil avec un sourire appréciateur : l'Irisé.e a bien compris les raisons pour lesquelles elle ne souhaite pas faire référence au Givre avec ce bal : ce serait lui faire beaucoup trop d'honneur. Et, bien que les fées ont l'habitude de nommer les choses par rapport aux saisons ou à la météo, celle-ci est beaucoup trop éprouvante pour s'y résoudre.

D'autant que l'Étincelante y voit là un presque clin d'œil appréciateur au Seigneur Hook, et qu'il est hors de question que cela puisse lui revenir aux oreilles en ces termes.

"Cela pourrait-il avoir rapport avec le décor que vous avez prévu ?
-Mhm..."

La réflexion est pertinente, et Son Altesse la considère avec l'importance qui s'impose. Elle a depuis longtemps décidé que le décor du bal serait une imitation quasi-parfaite de la Forêt des Miracles de Titania, mais qualifier cette soirée de "Bal des Miracles" lui paraît à la fois présomptueux et un peu trop optimiste. Un interlude au cœur de l'Hiver, oui, mais la situation est bien trop grave pour qu'elle aille jusqu'à le qualifier de miraculeux. Sans vouloir être pessimiste, Mab ne souhaite pas pour autant se montrer trop sûre d'elle et tomber par péché d'orgueil : elle a vu bien trop de monarques humains sombrer pour moins que cela.

Alors que les pensées de la souveraine se tournent vers son homologue -nul doute que sa chère Titania serait extatique, si elle se décidait à lui rendre un tel hommage, et elle en entendrait parler pendant des lunes- Mab est brusquement ramenée à des considérations plus directes en entendant Prisme prendre à nouveau la parole. Les ailes de Sa Majesté battent sensiblement plus vite, signe chez elle d'un ennui profond comme d'une grande curiosité. Elle s'apprête à répondre à la proposition de la fée aux arc-en-ciel, mais cette dernière se rétracte presque aussitôt, prétextant un manque d'accessoires.

Préoccupation que Mab renvoie balader d'un élégant revers de la main.

[color=#cc99ff]"C'est une excellente idée, Prisme ! Et je ne vois pas en quoi cela constituerait un problème. Après tout, les fées les plus compétentes en matière de textile sont réunies dans cette pièce. Créer des masques n'est pas si compliqué, n'est-ce pas ?"

La reine n'attend de réponse de personne pour se tourner vers son bureau, où reposent sagement les paquets d'invitation à envoyer, entre deux rapports du Haut-Conseil sur l'avancée du Givre et un dessin que Ciel avait laissé lors de son dernier passage. Elle s'installe aussitôt pour prendre sa plume de Colibri et la tremper dans l'encre lavande qu'elle utilise en toutes situations officielles. Quelques instants plus tard, les pleins et les déliés s'enchaînent.

"...à un bal masqué..."

Quelques instants plus tard, Son Altesse repose sa plume avant de prendre le carton d'invitation tout juste terminé entre ses doigts. Elle l'admire un instant, visiblement très satisfaite du résultat.

"Oui. Oui, c'est une excellente idée. Un bal masqué... Voilà qui va ravir même les plus récalcitrants. Une excellente idée, Prisme !"

Avec un nouveau compliment, Mab tend l'invitation vers la pupille d'Ether en souriant.

"Vous avez bien mérité d'être le premier à recevoir ce courrier."

Elle n'a certainement pas le temps d'en faire d'autres avant l'arrivée de Bardane, mais cela n'est pas un problème. Mab est certaine de parvenir à envoyer ces invitations demain à la première heure, dusse-t-elle passer la nuit à finir ces cartons.

"C'est une excellente idée, Prisme ! Et je ne vois pas en quoi cela constituerait un problème. Après tout, les fées les plus compétentes en matière de textile sont réunies dans cette pièce. Créer des masques n'est pas si compliqué, n'est-ce pas ?"

Ce fut l'Étincelante elle-même qui tira Prisme des réflexions dans lesquelles il s'était plongé alors qu'il tentait de répondre à la demande de la Souveraine. Légèrement désorienté au premier abord, il considéra ce qui venait d'être dit : en effet, l'absence de masques n'était pas un problème insoluble si on se donnait les moyens d'en créer.

La Reine Mab avait évidemment tous les moyens à sa disposition, mais Prisme s'était probablement dit, sans même en avoir pleinement conscience, que l'idée d'un Bal masqué paraîtrait trop inutilement extravagante pour être véritablement considérée. Il n'avait donc pas pensé que la Reine jugerait bon de se tracasser à faire coudre les accessoires manquant. Il n'avait pas imaginé qu'elle serait enthousiasmée par sa proposition.

"... Vraiment ?"

Mais enfin ! Pourquoi demandait-il confirmation ? Évidemment que c'était une idée excellente, si Mab elle-même était de cet avis ! Et puis ce n'était pas si étonnant.

Prisme était très créatif. Il se montrait toujours à la hauteur des tâches qu'on lui confiait dans ce domaine. Ceux qui n'étaient pas contents de ses résultats commettaient nécessairement une atroce faute de goût, or, il était inconcevable que la Reine elle-même soit sujette à ce genre de faux pas.

En l'occurrence, Prisme s'était donné beaucoup de peine pour satisfaire les exigences de l'Étincelante. Il aurait été surprenant que ses efforts mènent à une impasse ! Voilà qui ne lui était jamais arrivé au préalable.

Et puis il était hors de question que l'Irisé paraisse douter de lui devant les employées de Mab. Il n'aurait plus manqué qu'à ce qu'elles remettent en question son talent. Prisme était sûr que certaines d'entre elles en auraient été capables, sous le prétexte d'être plus âgées, plus sages, plus expérimentées, ou encore d'en connaître bien plus que lui en termes de couture !

Ha. Un jour, il leur montrerait de quel bois il se chauffait. Il apprendrait des techniques de couture humaines dont elles n'avaient même pas idée, et il les surprendrait par la qualité et l'originalité des créations qu'il serait en mesure de réaliser tout seul, sans leur aide !

Prisme s'était depuis longtemps rengorgé au moment où Mab lui tendit le carton d'invitation à son nom. Le geste et les flatteries qui l'accompagnèrent n'arrangèrent rien à la situation. La jeune fée fut victime d'un accès de fierté si brutal qu'elle eut l'impression qu'elle allait tourner de l'œil, ou bien exploser, ou bien les deux simultanément.

"Vous avez bien mérité d'être le premier à recevoir ce courrier.
- Oh ! C'est vraiment pour moi ? La première invitation ? Oh ! Merci, merci, merci ! Je suis si content !"

L'Irisé exultait tant qu'il en avait mal aux joues. Ses yeux brillaient et il avait un sourire si large qu'il fendait son visage en deux. Pour le moment, Prisme était bien trop heureux pour paraître suffisant, mais il ne faisait aucun doute qu'il se rattraperait plus tard. Il aurait bien fait un salto arrière en volant pour exprimer sa joie, mais ces manières ne convenaient pas à la vie de cour, surtout en présence de la Reine elle-même. Peut-être plus tard, dans sa chambre, quand il serait tout seul.

Il approcha ses mains du carton, manqua de s'en saisir, mais se retint finalement. Ses doigts vibraient de couleurs trop proches de jaillir accidentellement sur tout ce qu'ils toucheraient. Prisme ne voulait pas tâcher ce merveilleux carton d'invitation, qu'il comptait garder précieusement et qu'il ne voulait surtout pas abîmer. Voilà une marque de gloire telle qu'il n'en avait jamais reçu !

Il préféra essuyer ses mains sur sa tenue. L'intégralité de ses vêtements prit une teinte dorée lumineuse, chaleureuse. Quelques plumes tiraient sur l'orangé ou sur le rose. Les couleurs étaient proches de ce qu'il avait proposé à la Reine pour sa robe de soirée. La ressemblance n'était pas volontaire : ainsi qu'il l'avait expliqué à Mab plus tôt, ces teintes étaient celles que la joie lui évoquait le plus naturellement. Bien sûr, on ne pouvait comparer la qualité d'une œuvre qu'il venait de faire pour se débarrasser d'un trop plein de couleurs dans ses mains et de celle sur laquelle il travaillerait plus tard, réalisant un véritable effort de réflexion, de composition et de nuances.

Prisme attrapa enfin le courrier, le lut brièvement, puis le ramena vers son cœur.

"Je suis ravi que cette idée vous plaise et qu'elle règle votre souci !"

Bien sûr, il était encore plus ravi d'être à l'origine de ladite idée, et il espérait que tout le monde serait bien au courant de son implication dans ce projet. Cela ferait les pieds à ceux qui ne le prenaient pas au sérieux ! Et à ceux qui ne voulaient pas jouer avec lui. Et à ceux qui ne l'invitaient jamais à leurs réceptions non plus. Et à ceux qui avaient déjà critiqué son travail. Non mais oh.