La prise a un effet immédiat. Le visage du nabot change littéralement de couleur. Je béni le fait qu'il préfère les pantalons en tissu qu'un bon vieux jean. Mon attaque aurait eu moins d'effet. Il essaie de se débattre mollement, mais le mal opère et j'encaisse un coup de coude flasque comme toute défense.

Magnanime, je lui rend ses couilles.

Dandy roule sur le flanc dans les tessons de bouteilles, en chialant pour ses valseuses, les boules sans doute aussi mortifiées que son égo. On reste comme ça, pantelants, vidés, allongés l'un à coté de l'autre comme deux barbies démantibulées par la main d'un gosse hargneux.

- Hey... que je fais après un moment de silence habité uniquement par les gémissements de mon adversaire. Remets-toi. T'experimentes juste ce que toutes les meufs endurent chaque mois. Et nous c'est étalé sur plusieurs jour en plus, ok ? C'est la douleur du vivant. T'es vivant, s'tout.

Une étrange émotion m'envahit alors.

- Tu... Tu m'rappelles un ami. enfin...Chais pas vraiment c'qu'on étaient, tout compte fait. Mais cette violence là, celle que t'as exprimée d't'aleure... C'est la même que la sienne.... Et qu'la mienne.

Un silence. Je tourne lentement la tête vers lui. Je déglutis péniblement avant de baisser la voix. Mon secret honteux.

- Il a choisi le même chemin qu'toi. Cet hiver... Mais lui il est pas revenu après.

Pourquoi j'ai envie de chialer ?
Wrath a été clair.
J'étais pas un motif de retour.
Je suis jamais la raison suffisante de personne.

- Il pensait que j'avais pas les bollocks de suivre. Mais moi, plutôt qu'plus rien r'ssentir, j'ai choisi la voie d'la douleur perpétuelle. Bienvenue dans mon monde, Dandy.

Je me redresse en position assise. L'adrénaline retombant, je commence à ressentir chaque morceau de verre fiché dans la peau de mon dos et ma gueule qui enfle. Je me mets péniblement à genoux et lui tends la main. Ma voix est étrangement calme, mon esprit clair. La colère qui m'a habitée toute la soirée s'est volatilisée.

- Viens, j' t'emmène à l'infirmerie. Tu pourras m'dénoncer s'tu veux. Chuis une habituée du mitard.

Qu'il proteste ou pas, je suis déjà en train de le soulever pour l'aider à marcher. On va devoir grimper quelques échelons et je sens déjà que ce sera une épreuve. Néanmoins, mon code d'honneur personnel m'empêche de laisser à terre un gars qui a gagné son droit d'existence à mes yeux. Qu'il le veuille ou non, qu'il en vienne à me haïr jusqu'aux tréfonds de ses entrailles pour la poignée de spermatozoïdes que je viens de génocider, cela ne changera pas le fait que je le conduirais quand même à l'hosto.

Ni qu'il a désormais mon respect.

Forcément, Dandy me dégueule toute sa haine au visage. C'est plutôt logique et j'encaisse la vague froidement. J'ai l'habitude des insultes et des quolibets et j'ai plus l'énergie de lui rétorquer quoi que ce soit. Je me suis vidée en une seule fois, comme une baudruche.
Et puis, au détour d'une phrase, le coup part et me surprend dans ma résignation blasée. La balle perfore le palpitant et me laisse hébétée. Je contemple le trou béant dans ma poitrine, soufflée par la brutalité de cette petite mort.

- Moi je sais pourquoi il est pas revenu, ton soi-disant pote. Il a bien fait.

Mon visage se fissure d'un sourire d'une tristesse incommensurable.

- Moi aussi, je sais, que je souffle d'une voix fêlée. Et t'as sans doute raison.

On ne revient pas pour une fille comme moi.
C'est comme ça.
Je ne cherche même pas à essuyer mon mascara qui coule et l'humidité silencieuse qui me déborde des yeux. Que ça sorte, comme le reste, comme du pus.
Je m'en retourne dans un coin de la forge où je farfouille dans une de mes caches planquées sous un monticule de pierre de taille et d'autres bordels collectés. J'en extirpe une bouteille de gnôle pirate, un truc à déboucher un évier et je reviens vers Skunk. Je pose la bouteille à ses pieds, devant lui, recule d'une grande enjambée et m'assoie en tailleur à bonne distance.

- Bois. ça t'arracheras suffisamment le gosier pour qu't'oublies tes couilles, fais-je, le timbre plat.

Sortant une pince à épiler d'une de mes sacoches de ceinture, je commence à posément retirer les éclats de verre que j'arrive à atteindre sur mes bras et mes jambes.

- Explique-moi, que je balance après un long silence habité seulement par le crépitement des braises et le cliquetis discret de la ferraille débusquant les tessons. Explique-moi, que je comprenne.

Parce que j'en ai vraiment envie.
Parce que, peut-être, quand je saurais, je pourrais faire le deuil d'un ami.

Je suis vidée.
J'ai soudain plus ni colère, ni frustration à évacuer.
Je suis de nouveau cette baudruche dépourvue d'air et de consistance. La fille vortex.

Malgré le refus de Dandy, je laisse la bouteille à portée. Il refuse aussi le reste, mais je ne peux pas lui en vouloir, moi aussi je me serais craché à la gueule à sa place. Je viens quand même de le transformer en castrat.
Putain même cette petite méchanceté ne me fait plus rire. Je continue de me charcuter avec une application robotique. L'habitude de me faire saigner n'est pas neuve : les striures de mes entrecuisses en sont la preuve.

- Toi, t’as qu’à t’expliquer ! Qu’est-ce que ça peut te foutre, à la fin, que j’aie été Orbleu ou pas ?

Je lève un regard limpide vers lui, lavé par le sel.
Causer de Wrath ?
Pas causer de Wrath ?

- Qu’est-ce que tu cherches avec tes tests à la con ? Tu te prends pour qui, merde ?! Même mon putain de Chef a pas été aussi CHIEUR ! Si c’est à cause de Her ou d’Apache, te fatigue pas : ils sont au courant.

J'arque un sourcil sans cesser de le harponner des yeux.

- Marrant qu'tu causes d'eux. On a donc plus de choses en commun que tu n'crois...

Vague sourire, si épuisé qu'il retombe aussitôt dans la poussière. Un silence s'installe. Je cherche mes mots.

- J'ai eu un ami. Un mec d'ici. Un soigneur. Je l'aimais beaucoup. on... On était deux grenades dégoupillées. On était pareil.... et c'était .... C'était chouette. Il s'est barré. Il.. Il a choisi sciemment de devenir Orbleu ! Je crache ces derniers mots, d'une voix écorchée, fissurée, la douleur y suppure encore. Il.. Il a dit qu'il avait trouvé une vraie famille.

La lippe tordue par le dépit, je défie toujours Skunk de mes prunelles glacées.

- J'ai besoin de savoir pourquoi il a fait ça ! Je me frappe la poitrine du poing avec une fureur contenue. La compression fait dégorger mes plaies. Pourquoi chuis pas un argument assez valable pour qu'les gens restent !

Love a choisi Pit puis a disparu.
Wrath a choisi d'être Orbleu.
Lace l'a repoussée et s'est attaquée à Apache.
Sinner a trahi en devenant chef.

Déserteurs ! Tous des PUTAINS DE DESERTEURS !

Je suffoque. Je clos les paupière et lève le menton comme si ça pouvait m'aider à juguler les sanglots qui menacent de me secouer encore. Quand j'ai l'impression d'enfin y parvenir, je reviens à N'a-Plus-D'couilles.

- Voilà. Expliqué. Si toi tu m'dis pas, j'trouv'rais un autre connard pour m'dire.... En attendant si t'as la confiance d'Apache, t'as la mienne. On peut faire du biz ensemble, que je poursuis, désincarnée.