Disclaimer : Ce RP se situe quelque part pendant la Pluie Salée, mais est un peu "hors du temps" - NNL is so strange. Le principe est très simple. Venez boire et vous plaindre. Ici, personne ne vous entendra râler. A la place, vous subirez les effets d'une fort étrange potion... L'effet de celle-ci est très simple. Juste à votre droite, un petit être tout de vert vêtu apparaîtra à vous, et à vous seul, engagera la conversation de manière à vous faire cracher le morceau quant à vos problèmes et les écoutera sans broncher. A vous de décider s'il vous offre une solution, un réconfort, ou seulement un peu de compagnie. N'oubliez pas cependant qu'il ne s'agit que d'une illusion.

Vous pouvez toujours décider que quelqu'un d'autre peut participer à la conversation, mais la potion vous permettra d'avoir votre petit confessionnal privé pour la durée que vous souhaitez...


« Hier, les gens viennent pour boire et s'amuser, pour oublier... Je fais mon commerce sur leurs déboires. C'est un peu pesant... »

De l'extérieur, l'alchimiste pouvait sembler affairé à ses occupations habituelles. Mais intérieurement, il était en pleine conversation avec son petit leprechaun. Ce dernier, accoudé au bar, écoutait les plaintes du Barman sans mot dire, sirotant une bière toute aussi fictive que lui.

« J'ai rien contre l'argent facile, nein, aber voir ces gens moroses, que parfois même l'alcool ne rend pas souriants, c'est... Comment dire... »

« Je comprends où vous souhaitez en venir, Herr Braumeister, répondit le petit elfe. Des gens tristes à qui l'on pourrait souhaiter tendre une oreille, des personnes qui pourraient avoir besoin de cracher leur venin pour ne pas mourir à cause de celui-ci... Comme vous, lorsque vous m'avez parlé de ce Smee... »

« Oui. J'admets que vous m'avez aidé à ce sujet, Grünmann. J'aimerais être leur oreille, parfois, comme ferait un bon barman... »

« Mais c'est plus fort que vous. Vous ne pouvez pas vous empêcher d'épicer leurs beuveries, à la place.»

« Ja. Je n'ai pas exactement construit de relation de confiance avec eux, n'est-ce pas? »

« Alors pourquoi ne faites-vous pas ce que vous avez l'habitude de faire ? »

« Allons, Grünmann ! Vous savez bien que Smee m'a interdit de faire ce genre de choses depuis... l'incident. Et je ne vois pas en quoi une autre fête de l'aléatoire aiderait à remonter le moral !»

Le gnome vert resta silencieux en souriant et en fixant l'alchimiste. Puis, le voyant perdu, répondit simplement.

« Vous avez pourtant une potion qui pourrait les aider, Friedrich-Wilhelm. Je vous sais assez intelligent pour savoir ce qu'il vous reste à faire. »

Et tandis que l'épiphanie se faisait dans l'esprit du tavernier, le gnome vert disparut.

Ce soir, il y allait avoir une tournée générale de "Leprechaun en bouteille".



HRP : Remerciements à Hook pour m'avoir inspiré pour cette idée

Comme si souvent, Wilhelm DogFish trainait à la taverne, cherchant sa dose de soin qui lui donnait l'illusion de moins souffrir des dents mais qui en réalité lui flinguait le foie aussi surement que ses gencives pourrissaient consciencieusement.
Il était comme ça, le traqueur, il savait ce qui était bon pour lui, ou pas.

L'avantage, lorsqu'on était le cobaye attitré du brasseur de service Braumeister, c'est que la totalité des boissons était gratuite. C'était plus qu'une chance dans le cas du Pied Beau, car sa consommation d'alcool n'égalait que ce qu'il était sensé boire d'eau, autant dire qu'il avait la descente quotidienne et plutôt abondante.

Alors, une fois n'était pas coutume, il s'était installé au comptoir, hissé sur l'une des chaises, entamant sa première choppe de rhum sans y prendre tellement de plaisir. Une première longue longue looongue gorgée, presque à la descendre cul sec. C'était qu'il avait soif, le chien du Jolly.
Et Bam ! Il avait reposé la choppe avec un peu de brutalité, se passant le dos de la main sur la bouche pour en retirer l’excédent d'alcool, se léchant les babines dans la foulée.

"Dure journée, hein ?"
DogFish agita doucement la tête à la positive, sans trop se formaliser de qui lui adressait la parole.
"T'es un bon pirate, Wilhelm, ne croit pas qu'ils ne le remarque pas."
Le flibustier fronça les sourcils, un peu surpris par les mots, et enfin, il releva la tête, avisant celui qui avait démarré cette conversation.
C'était un drôle de type court sur patte, tout vêtu de vert et a la barbe rousse proéminente. Sur sa tête se dressait un drôle de haut de forme tout aussi vert que le reste de sa panoplie.
"Vous êtes qui, vous ?" Le blond avait demandé, un peu naïvement, semblant ne pas remarquer que celui la n'avait rien d'une personne normale.
L'elfe haussa les épaules avec un sourire avenant.
- Juste un type de passage. Qu'est ce que ca peut faire ? Je te connais, Wilhelm, mieux que tu ne te connais toi même.
Nouveau froncement de sourcils, mais un air plus ailleurs inscrit sur la mine alors que les yeux abimés du traqueur se reposaient sur la choppe qu'il tenait encore d'une main.
- Je sais rien de moi même. Et il termina son rhum d'un seul coup, reposant la choppe comme la première fois.
L'être magique fit un geste, intimant de resservir le garçon, et la choppe fut remplit aussi vite qu'elle avait été descendu.

Jack à la taverne, c'était relativement normal. Jack à la taverne sans Zyrrha, là c'était sérieusement plus bizarre. Et pourtant.

Jack était là, assis au comptoir, à regarder le fond de sa chope comme si toutes les Réponses à l'univers y figuraient.

– Allez vas-y vide ton sac, fit une voix non loin.

Jack leva le nez et se retrouva à loucher sur un… une sorte de… de nain de jardin ? Non, c'était plus vert et moins jouflu. Bah. Encore une créature de l'Île, quoi.

– C'est juste que j'ai passé ma journée à repiquer les haricots qui avaient été mangé par une chèvre échappée de la ferme, et du coup je n'ai pas d'aventure à raconter à Zyrrha quand elle rentrera ! Qu'est-ce que je vais faire ?
– … tu pourrais demander à tes voisins de raconter leur plus grande aventure ? suggéra le gnome. Comme ça tu seras un collecteur d'histoires, c'est pas mal non plus non ?

Le regard de Jack se mit à briller. C'était une idée de génie.

– Merci à toi, ami ! lança-t-il au gnome qui lui retourna un sourire vaguement nerveux.

Puis Jack se tourna vers la première personne à portée et lança joyeusement :

– Bonsoir à vous, voyageur !

(Il n'y avait probablement pas beaucoup de voyageurs dans le coin, mais ça sonnait bien comme introduction.)

– Je cherche à collecter des récits épiques, des aventures extraordinaires, des destins hors du commun ! Et je sens que VOUS avez vécu quelque chose de digne d'être narré !

C'était lancé totalement au hasard, mais comme dit plus haut, ça sonnait bien.

Asher commençait à devenir un élément standard du décor de la taverne. Toujours la même table, toujours la même chaise. S'il y avait un soir où on ne l'y retrouvait pas, avachi mollement, l'air aussi aimable qu'un troll des cavernes assis sur un tapis de fakir, alors c'est que quelque chose ne tournait pas rond.

Ce qui était étrange, par contre, c'est qu'il venait seulement de commander sa première chope.

Bah oui. Fallait bien payer ses boissons - surtout quand on se pintait autant que lui. C'était l'une de ces journées où il faisait en sorte de travailler pour ne pas finir à sec, dans tous les sens du terme. Incidemment, il était arrivé en retard vis-à-vis de ses habitudes.

"Tu sais, mon gars... C'est pas parce que tu te supportes plus tout seul que tout le monde partage ton avis."

Hein ? Qui lui parlait ? Asher cligna passivement des yeux, puis tourna la tête sur sa droite, incrédule. Il cilla une fois supplémentaire tandis qu'il fixait l'étrange créature sans comprendre. Il passa une main devant ses yeux... Nan, que dalle, ça partait pas. Il perdait la tête, ou bien ? Il n'avait pas vu la  bestiole arriver. Elle s'était téléportée ?

"... Un leprechaun. Merveilleux. Et puis quoi ensuite ?"

Le petit peuple s'invitait à la Taverne, maintenant... Cette île lui courait sur le haricot. Il l'aurait probablement mieux vécu si il avait compris d'où était arrivée la créature. Là, il avait la désagréable impression d'être en train de l'halluciner. D'où connaissait-elle suffisamment sa vie pour lui faire la morale de cette façon ?

"Laisse moi réfléchir... Je t'emmerde ? Je t'ai rien demandé ? Va asseoir ton trouduc vert ailleurs ?"

"Baaah... Qui crois-tu tromper qui avec tes airs de bouledogue, exactement ? Regarde les choses en  face : tu pleurniches que tout le monde te détestes, mais en vérité il y en a pas mal qui s'en tamponnent. Personne ne se déteste plus que toi-même."

Il se redressa brutalement, manquant de renverser sa chaise, son verre, la table.

"Go ndéana an diabhal dréimire do chnámh do dhroma !"

Il se mêlait de quoi, le gnome, là ? En plus il racontait n'importe quoi, probablement juste pour le provoquer et l'obliger à répondre. Après avoir tué accidentellement un membre de l'équipage du Jolly Roger en essayant de protéger une perdue, il était évident qu'Asher n'était plus dans les petits papiers de grand monde. C'était même miraculeux qu'il soit encore en vie. Ou miraculeusement malheureux, au choix.

"Miraculeusement malheureux ? Tu penses que c'est comme ça qu'Eilish le verrait ? Et Alsyd ? Et Max ? Et Sense ? Tu veux que je grossisse encore la liste ?"

Et alors ? Ils l'avaient sans doute oublié. Et si ce n'était pas le cas, ils ne voulaient très certainement pas le voir, pour différentes raisons. C'était de toute façon devenu impossible, leurs vies étaient incompatibles. Sur le Jolly Roger il fallait bien avouer qu'Asher avait vécu sa meilleure vie malgré la douleur permanente de la séparation, qui le brûlait comme une plaie à vif. Maintenant, c'était fini. Il ne restait plus que le Port, et tous ces gens qui l'auraient préféré mort. Pourquoi ce petit connard goût chlorophylle s'amusait-il à réveiller en lui tous ces trucs qui faisaient mal ? Ce n'était pas comme si il pouvait défaire ce que Peter avait fait. C'était bien là tout le drame de son existence.

"TU VAS ARRÊTER DE LIRE DANS MA PUTAIN DE TÊTE GENRE, MAINTENANT, OU BIEN JE TE FAIS BOUFFER TON CALEÇON PAR LES TROUS DE NEZ."

... Les choses auraient pu prendre une ampleur étrange (surtout vu de l'extérieur où on aurait vu l'ivrogne se battre avec le vide) s'il n'avait pas perçu une interjection qui semblait être dirigée dans sa direction.

– Je cherche à collecter des récits épiques, des aventures extraordinaires, des destins hors du commun ! Et je sens que VOUS avez vécu quelque chose de digne d'être narré !

Asher se retourna pour voir s'il y avait quelqu'un derrière lui. Ce n'était très certainement pas à lui qu'on posait cette question. Il en avait oublié son gnome vert.

"... Pardon ?"

Derrière Asher, le mur. (Enfin, techniquement, une chaise, puis de l'espace, puis… bref, vous m'avez compris.) Devant Asher par contre, quelqu'un qui regardait effectivement dans sa direction. Quelqu'un qui lui parlait, même. À lui.

Bon, d'accord, Jack avait chopé la première victime à entrer dans son champ de vision après un mouvement dramatique^TM, mais ça comptait quand même.

– Vous êtes un Héros, je le sais, je le sens ! expliquait Jack, continuant son boniment de vendeur de télé-achat avec un aplomb qu'on ne pouvait même pas mettre sur le dos de l'alcool.

Il était en train de prendre une grande inspiration pour enchaîner sur une quelconque autre foutaise quand deux neurones parvinrent à former une synapse et attirer son attention. Il plissa les yeux sans se départir de son sourire commercial, ce qui résulta en une mimique passablement étrange. Ce type lui disait quelque chose. Il l'avait déjà vu quelque part…

(Il l'avait en effet déjà vu, et nulle part ailleurs qu'à la Taverne. Mais là, tout de suite, cette possibilité n'effleura même pas Jack. Ça manquait de panache.)

– Ne nous sommes-nous pas déjà croisés au détour d'une exploration ? demanda-t-il donc en se rapprochant, tentant un ton de conspirateur et tombant bien plus près d'inquisiteur malaisant.

Donc, Asher n'hallucinait pas. Ce gars était bien en train de lui parler. A lui. Pour lui annoncer avec un aplomb indécent qu'il était "un héros, il le savait, il le sentait". C'était particulièrement cruel de sa part compte-tenu de sa récente décente aux enfers, dont tout le monde avait nécessairement entendu parler vu le scandale que cette histoire avait fait, et les rumeurs qui s'en étaient suivies.

"Je pense sincèrement que cet homme est un imbécile heureux qui ne t'a pas reconnu, qui peut-être même ne te connait pas du tout. Ne lui porte pas trop vite des intentions sournoises."

Les narines et les pupilles dilatées par une subite montée d'adrénaline, par une fureur soudaine (ou bien était-ce arrivé dans l'autre sens ?) Asher se retourna dans la direction du connard de gnome vert, qu'il pointa du doigt et dans la direction duquel il gronda :

"Toi... TA GUEULE. Personne t'as demandé ton avis."

L'air toujours aussi peu amène, menaçant même, ne nous voilons pas la face, Asher se ré-intéressa à son improbable interlocuteur, lequel continuait de le bassiner avec des non-sens.

– Ne nous sommes-nous pas déjà croisés au détour d'une exploration ?

"... Non."

Asséna t-il avec force et fracas. Cela aurait peut-être suffi si ce type n'avait pas été à trois centimètres de son visage (oui, Asher exagérait, mais c'était l'impression que le rapprochement initié par le pirate lui donnait). Cela aurait peut-être suffi si il ne l'avait pas regardé avec cet air... cet air... Brrr. Frisson. Gênance, pour de multiples raisons qu'il n'arrivait pas à s'expliquer. Il y avait quelque chose de magnétique, de fascinant dans son comportement d'ahuri audacieux et... ahuri. Surtout ahuri. Ce mec racontait n'importe quoi. Ça ne valait pas le coup d'être aussi perturbé.

Asher plaqua sa main sur le torse de l'homme et le poussa sans grande délicatesse pour le forcer à reculer. Pour l'inviter à aller voir ailleurs si il y était.

"... J'aime pas trop qu'on se paie ma poire, gobshite... Lâche moi avec tes histoires à la con ou ça va pas bien se passer pour toi."

"Et voilà, il recommence... Asher, mon grand, on ne t'a jamais dit que ce n'est pas en tapant sur les gens qu'on se fait des amis ?"

"OH BORDEL MAIS QUE QUELQU'UN FASSE TAIRE CE STUPIDE FARFADET."

Il allait lui tordre le cou. Tout tremblant de rage et avec dans les yeux un dangereux incendie que plus rien ni personne ne pourrait certainement arrêter, Asher fixait le lutin - le vide - et hésitait à aller lui tordre le cou. Il avait peur - à raison - que ses mains se referment sur une illusion intangible. Ça en aurait dit long sur sa santé mentale vacillante. Il espérait ne pas encore en être là.

Uh. C'était pas exactement comme ça que Jack voyait son interview grandiose, à la base.

Bon, le type s'adressait au vide. C'était bizarre, mais hey, pourquoi pas après tout. Peut-être voyait-il une Créature de l'Île que nul autre ne percevait, peut-être même avait-il gagné ce pouvoir dans l'une des fameuses grandes aventures qu'il avait nécessairement vécu, puisque justement Jack l'avait pointé comme l'aventurier du jour. Et même si le gars en question était effectivement un peu fêlé, ça ne faisait que rajouter une touche de, de… de piquant à l'histoire !

Bref, jusque là, tout allait parfaitement bien. Mais hélas, trois fois hélas, l'homme dénia connaître Jack. Bon, d'accord, ça aussi ça pouvait arriver, même si quand même, Jack était lui-même un aventurier chevronné qu'on ne présentait plus. Et que la tête du gus lui disait tout de même quelque chose. Il devait le confondre avec quelqu'un d'autre. Tant pis.

Et puis le drame. Au lieu de se lancer dans le récit palpitant de ses aventures non moins palpitantes, l'homme… envoya paître Jack. Et pas en mode calme et posé.

Jack n'avait pas envie de se battre (en tout cas pas dans une vulgaire bagarre de taverne, ça n'était pas assez héroïque que diable !), mais que pouvait-il faire pour obtenir ce récit merveilleux qu'il devait bien à Zyrrha pour son retour à la ferme ?

"OH BORDEL MAIS QUE QUELQU'UN FASSE TAIRE CE STUPIDE FARFADET."

Les yeux de Jack s'écarquillèrent. Farfadet ? Ça c'était intéressant !

… bon, il ne voyait toujours rien, certes. Mais un farfadet ! C'était presque aussi magique qu'une fée, non ?

Jack bomba donc le torse d'un air assuré et agita un doigt réprobateur dans la direction approximative du vide que son interlocuteur fixait.

– Monsieur Farfadet, ce n'est pas très poli de rester invisible pour asticoter les gens. Pensez à votre dignité !

Le gnome vert avait évité de justesse à Jack de se faire refaire le portrait, et c'était parti pour continuer. Aussi dubitatif que consterné, Asher fit quelques aller retour avec les yeux entre l'abruti... Et le lutin. L'idiot... et le leprechaun. Le farfadet... Et le... Bref.

Comment ça, invisible ? On n'allait quand même pas lui dire qu'il était le seul à voir et entendre l'emmerdeur miniature et son teint de chlorophylle ? Ah non hein. Ça y était ? Lui aussi, à son tour et faute aux effets pervers de la vie sur l'Île, il commençait à dérailler ?

Il cessa enfin d'osciller et se concentra entièrement sur le... pirate (si on pouvait appeler ce phénomène comme ça) qui était encore à côté de lui. Asher demanda sur un ton trop calme pour ne pas être suspect :

"T'es en train de me dire que tu le vois pas, là, c'est ça ? Et tu l'entends pas non plus malgré sa voix nasillarde insupportable."

Asher n'était même pas encore bourré. C'était de toute façon pas ça qui risquait de lui flanquer des hallucinations (pas à sa connaissance, toujours). Accablé, il roula des yeux, soupira très fort, puis commenta pour lui-même en passant les mains sur son visage :

"... Ça y est, je deviens timbré. Génial, il manquait plus que ça."

"Mais nooon... Ne t'inquiète pas, je ne reste pas longtemps. Tu devrais profiter de mes excellents conseils plutôt que de te battre avec le vide, vraiment, quel est l'intérêt de se fatiguer à ce point comme ça en permanence ? Chiiiill, desserre les fesses et arrête de tout prendre si sérieusement..."

Alors non. Elle allait laisser ses fesses tranquilles, l'hallucination. Il les serrait comme il avait envie, et s'il ne voulait pas être victime de ce genre de facéties magiques et/ou de sa propre déraison, c'était son choix. A partir de maintenant il ne le voyait plus et il ne l'entendait plus.

... Ou en tous les cas il ne le regardait plus et il ne l'écoutait plus.

Sans un mot de plus pour l'autre et ses histoires d'aventures à la con, Asher retourna s'asseoir à sa place et décida qu'il était grand temps de commander un autre verre. Même si sa chope était encore à moitié remplie. Pas grave. En une lampée, c'était fini.

"Hey ! Je vais en reprendre une..."

"Tu vas encore avoir une gueule de bois monstrueuse demain matin."

Il se boucha les oreilles.

"Nope... Nope nope nope. Je m'en fous."

Si il fallait qu'il se mette à faire LALALALALA par dessus les bêtises que racontait son chieur imaginaire, il le ferait. Tout pour ne pas avoir à le supporter plus longtemps.

"T'es en train de me dire que tu le vois pas, là, c'est ça ? Et tu l'entends pas non plus malgré sa voix nasillarde insupportable."
"Exactement !" s'exclama Jack, ravi.

Il avait un sourire jusqu'aux oreilles (haut fait anatomique aidé par la taille desdites oreilles), car pour lui c'était évident : son héros mystère du jour avait un pouvoir magique. Et c'était parfaitement classieux, et stylé, et exactement le genre d'histoire qu'il voulait pouvoir raconter à Zyrrha.

Autant dire que la réaction de sa victime son interviewé du moment le désarçonna. Genre... hein ? Que, quoi, comment ? "Timbré ?" Mais non, fichtre non ! Le pauvre homme se méprenait sur la situation ! Quelle tragédie ! Ah, ça, au moins il y avait du spectacle, des rebondissements, mais quand même, c'était bien triste tout ça.

Il allait falloir que Jack intervienne.

Heureusement ou malheureusement, ça restait à voir, le temps que Jack comprenne l'ampleur du désastre et prenne la décision héroïque de voler au secours de cette pauvre âme égarée, ladite âme égarée avait eu le temps de se rasseoir, de commander une nouvelle chope, et de se boucher les oreilles (????).

Qu'à cela ne tienne. Jack se glissa dans le siège voisin (c'est-à-dire qu'il tenta de s'asseoir avec classe, mais en pratique ça donnait surtout l'impression qu'il s'était pris les pieds dans quelque chose et s'était rattrapé à une chaise par pur coup de bol). Il se pencha légèrement vers son interlocuteur, l'air de lui faire une confidence. Il fit attention à parler plus fort pour se faire entendre malgré les oreilles bouchées, et moins fort car ça ne se faisait juste pas de crier quand on parlait de magie. (Du coup, oui, vous avez parfaitement suivi, il parla avec un volume normal. Mais c'était hautement réfléchi.)

"Monsieur, il y a méprise ! Il n'y a rien de négatif à votre capacité, si extraordinaire, à percevoir l'invisible ! Au contraire, c'est une marque certaine que la magie de l'Île vous fav... favore..." termina-t-il avec une hésitation nettement plus marquée.

Il avait un doute sur son verbe. Mais peste ! Ça sonnait bien.

"C'est un honneur que la nature, ou peut-être les fées, vous ont offert !" enchaîna-t-il, avec une mimique convaincue frôlant le fanatisme.

Dans d'autres circonstances, avec une telle expression on se serait attendu à ce que Jack soit en train d'expliquer très sérieusement que les reptiliens avaient pris le contrôle des tours 5G.

Oh non. SÉRIEUSEMENT ? Asher allait griller un fusible supplémentaire. On allait bientôt se retrouver dans le noir parce qu'il ne lui en restait plus beaucoup en réserve - des fusibles. A tout le moins c'était l'oeil de Jack qui allait finir de cette couleur... Ou bien le poing d'Asher, lorsqu'il se serait à minima fait un hématome de la taille d'un éléphant en essayant de frapper le gnome inexistant et en heurtant le mur à la place. Grosse soirée. Dire qu'il venait à peine d'arriver.

Voilà que l'autre boulet blond venait s'étaler sur la chaise exactement voisine à celle d'Asher, sur sa droite. Pendant ce temps là l'hallucination verte s'était perchée sur la table sur sa gauche sautillant gaiement d'un pied sur l'autre.

Vous l'avez bien compris : Asher était coincé en sandwich entre un imbécile heureux qui pour d'obscures raisons le prenait pour un héros et un troll vert imaginaire qui refusait de lui désquatter le cerveau. Mais enfin POURQUOI ? D'habitude personne ne s'approchait de sa table à moins de deux mètres et ce soir il fallait que ça soit la fête du slip - ou des cerveaux branchés sous acide, au choix.

Toujours les mains plaquées contre ses oreilles, Asher ouvrit de grands yeux frémissants de rage mal contenue. Et oui, ses narines étaient toujours très dilatées. Non, en effet, ce n'était pas bon signe. Il se figea et essaya de compter jusqu'à trois pour se calmer. Ou pour choisir la cible qu'il voulait viser préférentiellement, il n'était pas encore certain de ce qu'il s'apprétait à faire.

Un, deux...

"Monsieur, il y a méprise ! Il n'y a rien de négatif à votre capacité, si extraordinaire, à percevoir l'invisible !Au contraire, c'est une marque certaine que...

Le niveau de connerie volait si haut qu'il désamorça la situation comme si Jack était entré dans la Taverne en god mode et avait paramétré le niveau de colère d'Asher de 100 à 0 au dernier moment, tout pile avant de se manger un vilain coup dans la face (bon ok soyons sérieux : de 100 à 70, pas 0. Asher n'était probablement pas capable de descendre plus bas ce soir). Atterré, le pirate oublia brièvement le leprechaun à côté de lui qui pourtant observait la situation de ses petits yeux pleins de malice sournoise sans quitter son vieux sourire. Le rouquin retira les mains de ses oreilles, les posa lentement sur la table, puis se tourna tout aussi lentement vers Jack. Il cligna des yeux distinctement, deux fois.

... la magie de l'Île vous fav... favore..."

... Ah. Tic. Paupière qui saute. Aaah. Bordel c'est agaçant comme un bout de peau qui pique qu'on arrive pas à gratter. IL VA LE FINIR OU PAS SON MOT LE CON ?

Visiblement pas. Finalement, ce ne fut pas un coup de poing qui partit sans prévenir depuis Asher et dans la direction de Jack, mais juste un verbe :

"... Favorise." termina t-il donc avant d'avoir envie de mordre la table avec les dents pour évacuer son irritation. Mais c'était quoiiiii ça ? C'était lui qui avait bu et c'était l'autre qu'était pas capable d'aligner trois mots sans balbutier.

Asher avait l'intention d'enchaîner immédiatement, en se laissant à peine le temps de respirer entre le verbe qu'il venait de prononcer et le hurlement qu'il avait l'intention de pousser à l'instant d'après, mais par un miracle que seules les courgettes pouvaient sans doute justifier, Jack parvint à parler avant lui :

"C'est un honneur que la nature, ou peut-être les fées, vous ont offert !"

Grande inspiration, grande expiration. Sourire qui n'a rien de joyeux. Métallique. Signe d'un vrillage nerveux imminent, pas d'une quelconque marque de sympathie.

"... Mais tu fumes quoi exactement pour avoir des idées pareilles et pour débiter autant d'absurdités à la seconde ? C'est une putain d'hallucination, voilà ce que c'est. Et c'est pas étonnant que ça finisse par m'arriver compte tenu du nombre de CONNERIES qui n'en sont PAS et qui FERAIENT MIEUX D'EN ÊTRE dans ce pays de MERDE." asséna t-il, en frappant du poing la table sur la dernière syllabe. Sa chope pleine manqua de se renverser. Asher en but une immense lampée. S'il était trop fait pour comprendre ce que quiconque disait, ça irait sans doute BEAUCOUP MIEUX.

Sur l'Île de Jamais il était vrai qu'Asher aurait pu se faire attaquer par un fantôme télépathe chelou, oui, ok. Mais de là à partir dans des hypothèses pétées qui s'imbriquaient les unes dans les autres sans la moindre once de début de preuve à l'appui ? Un pouvoir spécial ? La bénédiction des fées ? Sur lui ? Pfffrt. L'Hallucination, c'était l'explication la plus simple (et à ce rythme le pirate allait finir par la préférer, finalement). Déjà Asher n'avait jamais entendu parler de leprechauns qui avaient cette gueule et qui lisaient dans les pensées, et pourtant il connaissait un paquet des créatures qu'on pouvait trouver sur l'Île, même s'il y en avait toujours de nouvelles qui popaient pour le faire cauchemarder. Conviction plus viscérale, ce petit con de lutin était vraiment trop pertinent pour ne pas faire partie intégrante de sa psyché.

"Oooh... Bravo tu t'es retenu de lui refaire les dents. Ne serait-ce pas le bon moment pour revenir au moment précis, où, avant de pousser cet étrange énergumène hors de ton espace vital, des pensées étranges t'ont traversé l'esprit ?"

.. Que. Hein ? Quoi ? Ok là il suivait plus. Et il voulait plus suivre. Du tout.

"Mais tuez moi... POURQUOI VOUS VOUS ÊTES RATÉS, PUTAIN" soupira t-il en grognant - tout d'abord - puis beugla t-il avant de prendre sa chope et de la lever pour en finir le contenu. CUL SEC AS UCHT DÉ. Et sans prendre garde aux quelques regards qui avaient pu se tourner sur lui suite à son dernier éclat parmi les actuels clients de la Taverne.

"Tss tss tss... On en a déjà parlé tout à l'heure. Tu sais ? Du fait que tu ne peux pas te permettre de crever."

"Wijeussai..." Eut-il envie de répondre. Il se bouffa la lèvre. Ah non. S'il commençait à rentrer dans le jeu du bout de chewing-gum menthe eucalyptus sur ressorts, rien n'allait plus aller.

Là où Jack se serait attendu à une réaction positive face à la fabuleuse nouvelle qu'il annonçait, peut-être même des remerciements pour avoir ouvert les yeux à son interlocuteur, ledit interlocuteur... s'énerva.

– ... Mais tu fumes quoi exactement pour avoir des idées pareilles et pour débiter autant d'absurdités à la seconde ? C'est une putain d'hallucination, voilà ce que c'est. Et c'est pas étonnant que ça finisse par m'arriver compte tenu du nombre de CONNERIES qui n'en sont PAS et qui FERAIENT MIEUX D'EN ÊTRE dans ce pays de MERDE.

Puis il tapa du poing sur la table, faisant sursauter Jack qui était trop occupé à béer pour anticiper. Car enfin, que s'était-il donc passé pour générer tant de hargne et de rancœur ? Et puis... et puis zut quoi, Jack ne débitait pas des absurdités, il essayait juste d'aider ! (Et d'avoir son aventure par procuration, certes, mais quand même.)

C'était terrible, tout était terrible, l'interview prenait l'eau et Jack ramait totalement.

– Mais tuez moi... POURQUOI VOUS VOUS ÊTES RATÉS, PUTAIN

Jack cligna lentement des yeux, confus, puis regarda autour de lui. Un pirate haussa les épaules, ce qui ne l'avança pas à grand chose. Après mûre réflexion d'au moins une seconde, Jack décida que cette dernière réplique ne le concernait pas. Le pauvre malheureux (car il était clairement malheureux) devait s'adresser au fameux farfadet. Très certainement. Aucun doute possible.

Mais donc ! La partie qui concernait Jack. Il allait remettre tout ça sur les rails, foi d'enquêteur !

Analyse... Pour commencer, Jack ne fumait pas. Il ne voyait pas trop le rapport avec la discussion, mais si ça pouvait rassurer le pauvre homme, pourquoi pas. Ensuite, ce qu'il disait n'était que le produit de sa connaissance intime de l'Île passée au filtre de son intelligence hors du commun ! (Vous noterez que techniquement cette phrase est on ne peut plus vraie.) Le farfadet, une hallucination ? Selon Jack et son instinct inégalé (description toujours véridique...), c'était vraiment peu probable. Franchement, on était à Neverland, il y avait de la magie et de l'extraordinaire absolument partout, et là juste pour briser la logique narrative on aurait à faire à une banale hallucination ? Allons donc.

Quant à la suite, il en tira juste que le malheureux était fâché. Très fâché.

Bon. C'était sauvable. Comment, il ne savait pas trop, mais il allait user de ses meilleures compétences et y aller au talent.

– Monsieur, toutes mes excuses pour ce malentendu, commença-t-il donc avec une humilité sincère (parce qu'on pouvait dire ce qu'on voulait, Jack ne manquait jamais de bonne volonté). Je ne voulais pas trébucher sur un sujet qui paraît sensible. Mais si ça peut vous aider à accepter que je vous parle en toute bonne foi, sachez que je ne fume pas.

Aha, il avait réussi à le placer ! Il gérait totalement.

– Quant à ce farfadet, je reste convaincu qu'il tente simplement de communiquer avec vous, quelque chose qu'il juge préférable de garder pour vos oreilles plutôt que de le hurler à toute la taverne ! Mais je peux comprendre, ajouta-t-il pour tenter d'adoucir les bords de son insistance, que cela puisse être perturbant si c'est votre premier farfadet. Enfin, je dis ça mais je n'en ai jamais rencontré personnellement, ne put-il s'empêcher d'enchaîner par souci d'honnêteté. Mais bon la première fois qu'un serpent m'a parlé je ne savais plus où me mettre parce que je n'avais pas été très poli avec lui en pensant qu'il n'était qu'un simple animal, donc je suppose que c'est un peu pareil ?

Si avec ça le pauvre homme n'était pas calmé, c'était qu'il était victime d'une malédiction de colère ou quelque chose comme ça !

Une vrille électrique. Des tensions partout. Les dents qui grinçaient. La moutarde qui montait, et sa poitrine qui se remplissait dangereusement de feu. Voilà l'effet que venait de lui faire la voix de Jack alors que l'emmerdeur de service retournait à l'assaut verbal, laissant Asher simultanément dépité et dangereusement sur le point de frapper quelque chose ou quelqu'un pour se calmer.

Oui, encore. On était rapidement remonté de 70 à 90, mais il fallait dire que le blondinet cherchait la merde, et pas qu'un peu.

Il la boucle jamais ce mec en fait, c'est ça l'histoire ?

L'alcool commençait à taper, et c'était heureux. L'acuité cérébrale d'Asher vacillait. Il n'était plus obligé d'écouter attentivement tout ce que cet abruti racontait. Il décida qu'il n'allait plus se concentrer que sur les mots clés. C'était certainement ce qui allait sauver la soirée. Ou bien la mâchoire - ou le nez - de cette énergumène exaltée, en tous les cas.

"... malentendu... trébucher... sensible... accepter... bonne foi..."
"sachez que je ne fume pas"

C'était plus fort que lui: Asher se frappa le front de la paume si fort que le bruit résonna dans toute la Taverne. L'instant d'après, il avait les coudes sur la table et il plongeait le visage entre ses mains, marmonnant  et pétant simultanément l'un des fameux derniers fusibles :

"... Mais qu'il est con, putain." Pour prendre l'expression précédemment employée par Asher au premier degré, il fallait quand même le faire. Était-ce si étonnant, considérant tout le reste des âneries que ce mec lui avait déjà fait couler dans les oreilles ? Il avait clairement pas l'air de suivre les mêmes codes que le reste du monde. Il commençait à lui rappeler un mec crispant qu'Asher avait connu à l'époque où il était encore garçon perdu. Un type qui racontait que des conneries, traitait Alsyd de "petit méchant loup" et baragouinait des trucs insensés sur une Mère-Grand de laquelle il aurait fallu qu'Asher... Enfin. Que Bitter se méfie.

La comparaison n'était pas un compliment.

"Quant à ce farfadet,  je reste convaincu qu'il tente simplement de communiquer avec vous, quelque chose qu'il juge préférable de garder pour vos oreilles..."

Nop... nop nop nop nop nop nop nop nop. Ta gueule, ta gueule, ta gueule, TA GUEULE.

S'il pensait/hurlait suffisamment fort dans sa propre tête, peut-être qu'il pouvait recouvrir les babillages du blond ? Ca n'avait pas marché avec son hallucination verte, mais il était question d'une vraie personne là - même si on aurait pu en douter si Asher n'avait précédemment pas eu un contact physique avec lui pour en témoigner.

"Mais je peux comprendre que cela puisse être perturbant si c'est votre premier farfadet."

... Raté. Et pour une raison qu'Asher n'était pas sûr de comprendre, la phrase lui fit un drôle d'effet. Genre... Poussée de gêne aussi horrible qu'abrupte. Le visage du pirate s'empourpra, jusqu'aux oreilles.

"Oh... Alors Asher, vilain garçon. On a les idées mal placées, maintenant ? Faut dire qu'à force de faire l'autruche à ce sujet, ça doit certainement commencer à devenir critique, hm ?"

"... Mais bon la première fois qu'un serpent m'a parlé je ne savais plus où me mettre parce que je n'avais pas été très poli avec lui en pensant qu'il n'était qu'un simple animal, donc je suppose que c'est un peu pareil ?" était en train de raconter Jack simultanément. Par un quelconque miracle (dont il se serait bien passé) Asher parvenait maintenant à suivre les deux conversations. Il commença par exploser dans la direction du farfadet.

"N'IMPORTE QUOI. Ca n'a RIEN A VOIR avec ça. Et c'est juste que je suis PAS INTÉRESSÉ, ok ?"

"Hm hm... Pas intéressé, mais par qui exactement ?"

Déjà pas par les farfadets. Haha. Drôle (non). Bon sang qu'il voulait remettre face de gnome à sa place... Mais fallait voir à pas ignorer Jack trop longtemps non plus. Qu'allait-il encore inventer si on le laissait en roue libre ? Asher se tourna vers lui, toujours aussi rouge de honte.

"Quant à toi... J'ai pas envie de parler des créatures de l'Île. J'en ai assez soupé. LITTÉRALEMENT." Enfin c'est lui qui les butait puis qui les coupait en morceaux pour qu'on les bouffe, quoi. Puis il était un peu de mauvaise foi, aussi : à une époque, Asher aimait beaucoup parler des divers animaux qu'il avait croisés, de leur mode de vie, de la manière dont on les chassait... Mais il avait tendance à préférer les bestioles au moins un peu normales. Les trucs qui puaient la magie plus fort qu'un gâteau rainbow sentait le colorant, ça l'avait toujours foutu mal à l'aise.

"EST-CE QUE C'EST CLAIR ?" asséna t-il pour tenter de clore la discussion.

"Tu m'ignores ? Tu ne te débarrasseras pas de moi si facilement..."

Les deux en même temps. L'enfer sur terre.

Fait incroyable : c'était en effet clair. Comme quoi, parfois la réalité de Jack et celle des autres se croisaient et échangeaient même un salut poli.

C'était clair, mais c'était quand même bigrement dommage. C'était pourtant un sujet passionnant, les créatures de l'Île ! Surtout quand il y en avait une, invisible à Jack, présente dans la salle ! Et qu'en plus son interlocuteur tenait une conversation parallèle avec ! C'était limite pas juste !

Mais Jack était un grand homme comme ça, alors il était prêt à laisser passer.

M'enfin tout de même, le type devait bien avoir quelque chose de fantastique à lui raconter, non ?

– D'accord, d'accord, je peux voir qu'il s'agit d'un sujet sensible ! Parlons donc d'autre chose ! Après tout la magie de l'Île ne s'arrête pas à ses habitants ! Peut-être avez-vous découvert un trésor ? Un lieu mystique débordant de secrets ?

C'était que Jack n'avait pas oublié son objectif (et non !) et bon sang de bois, il allait l'avoir son aventure fabuleuse à raconter à Zyrrha !

"D'accord, d'accord, je peux voir qu'il s'agit d'un sujet sensible !"

Détente
Bon sang. Ce type était-il enfin en train d'entendre raison ? Genre, c'était possible ? Il allait lui lâcher la grappe pour de vrai ? Asher allait pouvoir continuer sa soirée tranquille (à un gnome vert près), à se bourrer la gueule jusqu'à finir par plus voir clair, tituber quelque part - peut-être "chez lui", peut-être ailleurs - et certainement plus se rappeler de la moitié des événements qui avaient eu lieu ?

"Parlons donc d'autre chose !"

Crispation
Ah bah non. ÉVIDEMMENT, que non. Ca aurait été trop beau pour être vrai. Quel idiot il avait été ne serait-ce que... d'espérer.

"Après tout la magie de l'Île ne s'arrête pas à ses habitants ! Peut-être avez-vous découvert un trésor ? Un lieu mystique débordant de secrets ?"

Comme si l'émotion s'était subitement transmutée, Asher passa de la colère au plus profond des dépits. Il soupira très fort et s'étala bruyamment sur la table, la joue contre le bois, les deux bras pareil, entourant vaguement sa tête. Son regard assombri lançait dans le vide un "tuez moi s'il vous plaît" qui sonnait pas exactement comme celui qu'il avait hurlé face à tout le monde quelques temps auparavant. Il grimaçait. Il aurait difficilement pu se donner l'air plus blasé.

"Et tu ne te débarrasseras pas de lui si facilement non plus !"

"J'avais remarqué..."

C'était quoi, ça ? Il avait même plus la force de lui refaire les dents. L'alcool avait pourtant tendance à le rendre encore plus agressif qu'il ne l'était au naturel. Mais peut-être que les efforts réunis de Jack et du leprechaun avaient fini par avoir raison de son endurance mentale au point que même sa colère finissait par s'émousser. Un exploit considérable.

S'il avait été plus bourré, il aurait juste pu fermer les yeux pis s'endormir. Hop. Problème réglé. Tellement torché que même si ce gars avait essayé de le secouer comme un prunier pour le réveiller, il ne serait arrivé à rien.

Fallait vraiment qu'il lui raconte une histoire qu'il avait vécu pour qu'on le laisse tranquille ? Y avait vraiment aucun moyen de se débarrasser de cette tique autrement ? Y avait qu'une seule histoire - récente - à laquelle Asher était capable de penser en ce moment, et il avait pas envie d'en parler. Comment il s'était interposé entre Eilish et ce matelot qu'il avait lui-même formé. Comment il aurait dû crever après avoir subi le supplice de la planche, et comment il avait miraculeusement survécu alors qu'il aurait préféré éviter.

"Mais vas-y là... Pourquoi tu demandes pas aux autres ? J'étais maître d'armes sur le Jolly Roger ils ont vu les mêmes trucs que moi." tenta t-il avec dans la voix ce qui ressemblait déjà à du désespoir suintant.

Si ça se trouve, ça aurait marché. Mais Asher était persuadé que ça allait pas marcher, alors il enchaîna immédiatement sur autre chose. Le premier truc qui lui était venu.

"... Avant, je chassais tous les jours avec un louveteau estival. Si je te raconte ça tu me fous la paix ?"

Les yeux d'Asher se perdaient dans le vide. Son cœur se serrait. Ca faisait mal de penser à Alsyd, même si toujours moins que de penser à Eilish. Quelle idée de merde il avait eue... Mais c'était trop tard, il avait commencé.

"Tu l'avais presque oublié, hein ? Que même pour le Grand Arbre et tout ce que tu détestais là-bas, t'étais capable d'éprouver de la nostalgie."

"Oh pitié ta gueule... Y a pas un seul sujet sur lequel tu vas me lâcher les basques ?" qu'il grogna/meumonna inintelligiblement pour le leprechaun alors qu'il passait une main sur son visage. De toute façon le truc vert, il était dans sa tête. Il aurait tout aussi bien pu lui parler télépathiquement que ça aurait probablement été la même. Pas con d'ailleurs, comme idée. Il aurait dû y penser avant. Il aurait eu l'air moins cloche qu'à parler dans le vide comme il le faisait depuis le début de cette mésaventure où il était coincé entre Chlorophylle et Boucle d'or.

– Mais vas-y là... Pourquoi tu demandes pas aux autres ? J'étais maître d'armes sur le Jolly Roger ils ont vu les mêmes trucs que moi.

Les yeux de Jack se firent larges comme des soucoupes (ou comme ses oreilles auraient dit les mauvaises langues). L'ancien maître d'armes du Jolly Roger ? Mais mazette, il avait eu raison depuis le début ! (Non pas qu'il en ait douté un seul instant, cela dit.) Ce type... non, cet homme, parce que là il méritait un niveau de respect supplémentaire même mentalement, et ben il avait en effet traversé des aventures époustouflantes ! C'était juste impossible autrement ! C'était un (ex) pirate du Jolly Roger, quoi ! Et en plus il avait eu un poste prestigieux ! Et en plus il devait y avoir également un récit épique derrière le fait qu'il n'occupait plus le poste en question ! Et–

– ... Avant, je chassais tous les jours avec un louveteau estival. Si je te raconte ça tu me fous la paix ?

Crévinbleu, mais ça aussi c'était trop la classe ! Ah ça, Jack avait bien fait d'insister ! (Son cerveau noyé dans l'auto-congratulation et l'excitation face à tout ce potentiel d'histoires passionnantes laissa complètement de côté le fait qu'il avait quand même fallu qu'il accepte de changer de sujet pour en arriver là, mais bon que voulez-vous, on ne peut pas tout avoir.)

– Cela serait un grand honneur d'entendre ce récit, mon ami ! s'exclama donc Jack, les yeux brillant de hype et d'un début de fanboyisme.

Oui, vous ne rêvez pas : Jack était en train d'établir un nouveau record de potentiel malaise chez ses interlocuteurs.