- Tu vas MOURIR.

Zélia écrase sa main sur la table, ponctuant davantage la fatalité exagérée de la phrase qu’elle vient de lâcher à son client. Le pirate tressaille et jette un coup d’oeil aux cartes de tarot, que seule cette femme semble comprendre. Il faut dire que l’environnement ne le met déjà pas à l’aise : il s’était après tout rendu au Bayou afin d’avoir ce genre... d’informations. S’attendait-il seulement à voir, à la frontière entre le Bayou et le Port, cette table perdue au milieu de nulle part, où se tenait une femme à l’allure peu conventionnelle - du moins pour sa perception du monde ? Sans doute pas. Le voilà piégé avec cette folle, et il n’osait pas partir sans rien dire. Le pouvoir des gens du Bayou n’était pas à sous-estimer. Celle-là en tout cas, ne lui inspirait pas confiance : la couleur des cheveux et des yeux de cette femme n’était pas naturelle, oscillant entre le noir et le violet profond. Son corps et une partie de son visage sont parcourus d’étranges cicatrices dorées, lui donnant une allure encore plus inquiétante... mais que le pirate trouve presque propre à une divinatrice du Bayou.

- Je... quand ? Comment ?

L’Oracle esquisse une ombre de sourire, qu’elle cache derrière les cartes qu’elle tient encore dans sa main. Rien ne l’amuse plus que de prédire n’importe quoi, surtout lorsqu’elle tombe sur des benêts qui se laissent prendre au jeu. Et elle en met du temps, à lui répondre : dans des gestes lents, sans doute agaçant pour le pirate, Zélia rejette ses longs et épais cheveux au dessus de son épaule, arrange le talisman qui brille d’une étrange lueur violette qu’elle porte autour de son cou, écarquille les yeux... et se penche doucement vers l’homme. Pas trop, cependant : Zélia garde toujours une distance de sécurité avec les Diurnes.

- J’en sais rien. On meurt tous, un jour. Dans ton cas moun sal, ce sera peut-être bientôt... ou dans quelques instants. Qui sait ?
- C’est vous qui êtes censés savoir, rétorque l’homme, piqué au vif.
- Silence enbesil. Les astres refuseront de me parler si tu te montres aussi aigri.

Fière de raconter n’importe quoi, elle recommence à tirer les cartes, en adressant un sourire amusé à on ne sait qui. En vérité, elle se doute que Lundi, et peut-être Ailin et Ainhoa, l’observe depuis le bassin d’eau de la Gwo Kay Won qui se dresse bien plus loin, dans le Bayou. Elle n’est pas la seule à s’amuser de ce genre d’événements, et elle le sait : autant en faire profiter les êtres chers à son cœur. Celui-là est un cas particulièrement gratiné, d’ailleurs. Il a l’air encore plus stupide que ne le pensait Zélia, et semble ne pas remarquer - ou ne pas relever - les insultes créoles que lui adresse l’Oracle à chacune de ses phrases.

- Oh.

Elle stoppe ses pensées, esquisse un geste étrange dans le vide. Là, elle vient d’avoir une vraie prédiction, un vrai flash. Zélia en est tout à fait capable et est très douée en la matière, sans évidemment arriver à la cheville des Guédés et de Maman Brigitte. L’Oracle plonge ses prunelles dans celles du pirate.

- Profite de ton nez, nèg lèd. Bientôt il te fera mal.
- Pardon ? Mais t’es pas capable de faire des prédictions plus correctes ? Finit par s’emporter l’homme. Je rêve ! Je savais que j’aurais pas dû faire confiance à une bonne femme !

Zélia s’étire, trop fatiguée pour s’outrer de ses paroles. Etonnemment, le nom du pirate lui revient à ce moment-là. La femme reprend de son entrain, et se penche une nouvelle fois vers le malvenu. Seul le bruit de ses innombrables bracelets et colliers s’entrechoquant l’un contre l’autre vient rompre le lourd silence qui s’est posé... Et qu'elle maintient. C'est qu'elle adore les mettre mal à l'aise, ces pirates du dehors.

- Wap kon Joj. Tu veux que la foudre s’abatte sur toi ? Je te conseille de me parler correctement si tu ne veux pas aller avant l’heure au peyi san chapo. Ici, c’est le Bayou.

Zélia s’arrête et adresse un regard circonspect au fameux Georges, avant de tourner la tête derrière elle, là où le Bayou s’étend.

- Enfin. Là-bas, c’est le Bayou. Mais c’est du pareil au même.

Elle ne laisse pas le temps à l’homme de rétorquer qu’elle s’est déjà reculée, tapotant du doigt la table tout en le fixant d’un air attentif. Il n’a pas intérêt à filer sans payer... sauf s'il tient à être frappé par la foudre. Au sens littéral du terme, évidemment.

- J’en ai fini, les astres ne me diront rien de plus.

Elle sourit. Qu’est-ce qu’elle est douée pour raconter n’importe quoi, des fois.

- N’oublie pas mon ajan. Profite de ton nez Joj. De mauvais esprits viendront te le prendre. Tu n’auras plus que tes yeux pour pleurer.

Zélia mentait à moitié : elle ne mentait pas pour son nez, mais elle mentait pour les mauvais esprits. Mais c’est tout de même plus amusant de raconter n’importe quoi et de faire peur au premier andouille venu. L’homme s’énerve et grommelle, mais la divinatrice est trop occupée à bailler pour le voir. Ah, qu’est-ce qu’ils sont fatigants, à tous se plaindre. Quand elle rouvre les yeux, l’homme a filé et n’a laissé qu’une maigre bourse sur sa table. Effarée, Zélia l’attrape, la secoue et se décompose en entendant le peu de pièces s’entrechoquer.

- Get manman ou Joj ! Tu ne perds rien pour attendre !

Elle ne plaisantait pas. Elle allait le retrouver, celui là !
Et s’il ne voulait pas payer, il y aurait toujours les foudres de son cher et tendre pour l’y contraindre.

✹ Métisse, née dans le courant du XVIIIème siècle d’une mère devenue esclave, venue d’Afrique de l’Ouest, emmenée à Saint-Domingue* puis en Louisiane, et d’un blanc. Elle est arrivée sur l’île en même temps que le Bayou (lors de la Pluie Salée), en compagnie de sa mère. Celle-ci est morte peu après leur arrivée. Elle n’aime que très peu qu’on lui demande des informations sur son passé, et détournera toujours la conversation.

☾ Elle a le teint mat, les cheveux épais et ondulés. A son grand désarroi, elle les aurait préféré crépus.

✹ Zélia est chronologiquement la première épouse du Baron Lundi, et s’est mariée à ce dernier dans le Monde Ordinaire. Ils ont eu une relation fusionnelle à leurs débuts. Elle s’entend particulièrement bien avec les autres femmes et enfants et s’est fait très vite à l’arrivée des suivantes, sans jamais éprouver d’animosité particulière ou de sentiment de supériorité envers elles. Tant qu’on ne la cherche pas, de toute façon...

☾  Stérile dans le Monde Ordinaire, l’arrivée au Pays de Jamais et l’utilisation des diverses plantes que l’on y trouve lui ont permis d’être enceinte et de donner naissance, juste avant que le Givre ne s'aggrave, à des jumelles : Juillet et Août. Ce fut tout un travail pour que Zélia apprenne à être câline et tactile avec ses filles. Elle est en bonne voie, bien qu’elle ait encore quelques progrès à faire.

✹ Son corps est marbré de cicatrices dorées. La faute (et un peu la sienne) à Lundi, qui l’a demandé en mariage lorsqu’il était enfant, et à qui elle a ri ouvertement au nez. Évidemment, le Céleste l’a mal pris et l’a foudroyé sur place. Dû au jeune âge du guédé, qui devait avoir environ dix ans à l’époque, l’expérience  ne fut pas mortelle, « simplement » douloureuse. Zélia ne lui en tient aucunement rigueur - la preuve, elle est mariée à ce dernier. Il faut dire qu’elle l’a un peu cherché, on ne se moque pas aussi impunément et ouvertement d’un fils de Maman Brigitte. Et désormais, elle apprécie presque l’esthétique de ses cicatrices...

☾ D’apparence, elle donne l’air d’une femme assurée, calme et sage : ses gestes sont souvent lents, presque gracieux. Elle porte très souvent des tenues légères, de couleur violettes, noires ou dorées et se pare toujours de bijoux principalement ornés de pierres semi-précieuses. Avec l’accord de son époux, il est très courant qu’elle lui emprunte l’un de ses nombreux bijoux voyants pour les porter avec un panache totalement assumé.

✹ Zélia a un caractère très enfantin et est très prompte à faire des blagues, tant qu’elles n’atteignent pas l’intégrité des habitants du Bayou. En revanche, pour les Diurnes... Pas de quartier. Elle leur fait des fausses prédictions, se veut dramatique, en fait des tonnes, interprète volontairement mal les cartes qu’elle tire et s’amuse parfois à détrousser les pirates, même si elle n’a aucunement besoin de leur argent. Elle a tendance à embarquer les épouses et les enfants de Lundi - Juillet et Août compris - dans les lubies ou les idées farfelues qui traversent en permanence sa tête.

☾ Pourtant, Zélia est une bonne divinatrice, bien que cette faculté n’égale pas les guédés ou Maman Brigitte. C’est une pierre translucide aux reflets violets, cadeau de sa mère défunte portée en guise de pendentif autour de son cou, qui accentue sa magie : Zélia tire les cartes de tarot, est capable de ressentir dans une moindre mesure si quelque chose cloche chez quelqu’un, et peut voir des faits à venir. Si elle s’amuse parfois à faire croire qu’elle peut voir le futur de l’île, il n’en est rien. Au contraire ! Zélia voit plutôt des faits insignifiants, qui auront un impact moindre sur leur environnement. Personne ne peut prédire Peter Pan, de toute façon.

✹ L’utilisation de cette pierre a des effets secondaires : Zélia ne peut faire de divination en permanence, cela la fatigue bien trop. D’autre part, l’influence de la pierre vire la couleur de ses cheveux et de ses yeux en un violet profond qui, il faut le dire, lui plait beaucoup. Elle aime bien paraitre plus mystérieuse qu’elle ne l’est réellement...

☾ Très souriante, elle a tendance à faire de grands gestes excessifs quand elle parle. Elle est très curieuse, et est en attente permanente de nouveautés.

✹ L’un de ses passes-temps préférés, en plus d’effrayer les pirates du Port, est de les insulter en créole. Ils ne comprennent rien la plupart du temps.

☾ C’est une partisane du moindre effort : un rien la fait bailler, et elle peut s’endormir n’importe où. En revanche, contrairement à son époux, elle se réveille très vite.

✹ Elle éprouve un amour sincère pour Lundi et tient grandement à sa famille, qu’il s’agisse de Lundi, de ses autres femmes et enfants, mais également des autres guédés - que ceux-ci l'apprécient ou non.

☾ Malgré son assurance apparente, c’est une femme très timide et qui manque cruellement de confiance en elle, bien qu’elle tente de travailler dessus. Mal à l’aise dans sa peau, elle tolère très mal le toucher et Lundi est le seul autorisé dans son espace vital. Elle a malgré tout tendance à sursauter lorsque celui-ci l’approche sans prévenir... voire à le frapper lorsqu'il la touche sans qu'elle n'ait remarqué sa présence. Et c'est déjà arrivé plus d'une fois.

✹ Elle a des problèmes de dos réguliers, qu’elle soigne de mieux en mieux grâce aux plantes de l’île.

☾ Elle n’accorde que peu de confiances aux Diurnes (Ailin est une exception à la règle) : encore moins aux hommes.

✹ Même si elle fait tout pour ne pas le montrer, elle a du mal avec la violence : le ton d’une voix qui monte, les gestes brusques... elle fera toujours son possible pour désarçonner un conflit qui dégénère et préférer une discussion calme.

☾ Zélia n’a pas du tout le sens de l’organisation et du rangement, et ses appartements situés dans la tour du Baron Lundi sont dans un bazar permanent dans lequel elle seule se retrouve. On retrouve au centre de la pièce son matériel de divination et de nombreuses pierres aux propriétés diverses, qu’elle collectionne, récolte et étudie à ses heures perdues. Elle fait de nombreux tests afin de savoir si ces dernières accentuent ou non sa divination.

✹ Elle collectionne des boules de cristal, des planches de ouija, des sphères armillaires, des pierres de toute sorte mais également des cartes de tarot de diverses origines. Ce sont des objets rapportés du Monde Ordinaire, récoltés sur le Rivage... ou volés aux pirates du Port.

☾ Elle aime coiffer Lundi chaque matin, adore la cuisine d’Ainhoa, et est totalement et sincèrement fascinée par les connaissances d’Ailin, notamment en botanique. Elle aime beaucoup apprendre auprès d’elle, et n’hésite pas à aller la voir lorsqu’elle a besoin (ou envie) d’une séance de magnétisme.

✹ Elle envie les cheveux ondulés d’Ainhoa...

* Ancien nom d’Haïti, colonie française jusqu’à son indépendance en 1804.  

Plutôt bien. Mieux que dans le Monde Ordinaire, même. En soit, Zélia sort peu du Bayou, et ne s'est jamais aventurée plus loin que sur le Port et sur la plage.

Toute l'animosité dont elle est capable. Le pire, c'est qu'elle traîne encore derrière elle ses traumatismes du Monde Ordinaire. La vie de Zélia est bien mieux maintenant, et elle ne l'échangerait pour rien au monde.

Zélia baille. Elle n’a pas d’avis particulier sur les gens qui gravitent loin de sa sphère. Mais bon, puisqu’il en faut un...

Peter Pan est rigolo, bien qu’il ait failli foutre en l’air toute l’île avec ses histoires de climat. Le seul lien à sens unique qu’elle a avec lui, c’est quand elle fait croire aux Pirates les plus crédules - hélas, il y en a si peu - qu’elle est capable de prédire ce que le petit roi des Perdus va faire.
Son respect est vaguement plus développé pour le capitaine Hook, puisqu’il semblerait que le Bayou se trouve ici grâce à un accord entre lui et Maman Brigitte.

✹ Née au XVIIIème siècle en tant qu'esclave, elle vivra à partir de ses quinze ans dans le Bayou du Monde Ordinaire. Elle est déjà mariée au Baron Lundi lors de la transposition du lieu sur l'île, au courant de la Pluie Salée.
☾ Elle ne fait rien de spécial et reste auprès de sa famille lors de la Pluie Salée et du Givre.

Si Zélia peut s’endormir n’importe où, il y a des soirs ou ça ne va pas. Incapable de dormir, elle se tourne sans cesse, et en vient parfois à tomber de son propre lit.
Ça lui fait toujours ça lorsque les pensées dérivent vers sa mère.
Énervée, Zélia se redresse sans demander son reste, et marche jusqu’à la fenêtre de ses appartements, qu’elle ouvre afin de profiter de la vue sur le Bayou plongé dans l’obscurité de l’Esprit Nuit. Elle s’assied, et admire la vue, la tête posée sur ses avant-bras. Elle baille et pousse un long soupir, laissant ses pensées dériver loin.

Dans une autre époque.



Zélia est une enfant de plus. Nés illégitimement, dans des relations non consenties et voulues. Une créole de plus : c’est ainsi qu’on désigne originellement les enfants nés d’un parent blanc et d’un esclave venu d’Afrique via la traite négrière. Elle se souvient mal de son enfance, probablement parce qu’elle a fait exprès de l’oublier dès son arrivée sur l’île. Toujours est-il qu’elle grandit là. Dans cette riziculture, propriété d’un homme blanc. Et qu’elle travaille comme tous les autres enfants de son âge, aux côtés de sa mère, sous les coups des hommes supérieurs - c’est ce qu’ils disent, en tout cas - qui se croient tous permis face à ces individus qui ne sont pourtant nullement considérés comme tels.

Sa seule utilité est d’être une métisse : ces enfants, plus malléables, apprennent dès le début à se taire. Et c’est ce que fait Zélia. Elle se tait, travaille, encaisse, est sous-nourrie, et rampe lorsqu’il le faut. On lui apprend le français et très vite, elle devient plus utile que d’autres esclaves qui mettent du temps à assimiler le français et se prennent le double de coups.

Il n’empêche que tout lui fait mal.
Absolument tout.
Mais il y a sa maman. Sa maman est belle. Elle ne l’a jamais délaissée, jetée dans un trou, abandonnée. Sa manman est belle et fait de son mieux. Dans cette vie d’avant, il n’y a que son visage qui soit aussi net. Elle est belle, elle lui adresse de rares sourires, et Zélia aime jouer avec les boucles de ses cheveux. Ce ne sont que de rares moments de bonheur. Dans leur vie, il faut savoir se taire et encaisser. Les blancs se croient tout permis et frappent pour n’importe quel prétexte.

Zélia grandit, subit les mêmes choses que sa mère, que les autres femmes réduites en esclavage vivant sur cette plantation. Des relations non-consenties, nullement voulues, qui la mènent à une fausse-couche. Elle est stérile, et elle ne le sait pas encore.
Avec le temps qui passe, à chaque événement de ce genre, elle dissocie.
Encore et encore.

Sa mère est toujours là, et il y a une fois de trop, qui déclenche quelque chose. C’est le soir, Zélia a quinze ans, et sa manman vient la chercher, la réveille. Doucement.

- Leve, ti zanj.

Zélia sursaute, panique, se calme lorsqu’elle reconnait le visage de sa mère.

- Nou prale.
- Où ? Qu’est-ce que...

Elle tourne la tête. Il n’y a plus aucun esclave autour d’elle. Ne reste qu’elle, et sa mère. Voyant la panique monter, la manman presse les épaules de sa fille.

- Vivre une vie meilleure. Tout ça, c’est fini. Personne ne nous empêchera de partir. Tu me fais confiance, non ?
- Nan kou, lâche naturellement Zélia, avant de se redresser difficilement. C’est qu’elle a affreusement mal aux dos et aux jambes, et que cette douleur ne part pas.

Finalement, elle ne pose aucune question, trop fatiguée qu’elle est. Elle saisit la main de sa mère, en qui elle a pleinement confiance, sortent de la maison miteuse qui leur sert de dortoir, et elles partent.

Après plusieurs jours de silence, la Compagnie française des Indes occidentales découvrira les corps sans vie des propriétaires blancs et la disparition de la quasi-totalité des esclaves qui travaillaient sur la plantation. Même Zélia ne saura jamais ce qu’il s’est réellement passé. Ni ce que sa mère a fait.


C’est une vie plus rayonnante qui commence doucement.
Zélia et sa mère ont rejoint ce qu’on appellera plus tard le Bayou. L’adolescente d’alors ne sait ni d’où il sort, ni d’où sortent tous ces gens qui s’agglomèrent et commencent à y vivre. A côté de sa nouvelle vie, elle y découvre de nouvelles personnes, de nouveaux rites auxquels elle s’initie, tout en tentant de se reconstruire lentement, mais sûrement. Elle découvre un nouveau pan de sa mère, d’ailleurs, qui s’adonne aux côtés d'autres personnes à des rites qui seront d'abord étranges pour elle, puis normaux.  

Tout lui parait plus facile, d’ailleurs, aidée de sa mère. Sa manman est peut-être devenue mystérieuse, parfois sombre, mais reste taquine ; elle lui apprend à vivre, à s’intégrer, à reconstruire à quelque part l’enfant qui n’a pas eu d’enfance. Elle lui offre cette drôle de pierre transparente dont elle ne se séparera plus. Zélia découvre aussi l’étrange famille de Maman Brigitte... et déjà le futur Baron Lundi qui lui déclare sa flamme, et qu’elle repousse en se moquant de lui. A ses risques et périls, mais ça, tout le monde le sait déjà.

Et pourtant. Le temps passe vite, encore une fois, et la voilà mariée au Baron Lundi. Si ça paraissait totalement inattendu, il faut dire que Zélia a fini par craquer en le voyant aussi déterminé... Pourquoi pas, après tout ? Elle ne se doutait pas qu’elle en viendrait à l’aimer à ce point, plus tard.
C’était il y a longtemps, comme tant d’autres choses, mais Zélia s’en souvient très bien et n’a pas non plus oublié le visage ravi de sa mère. Sa mère adorée qui, hélas, décède peu de temps après la transposition du Bayou au Pays de Jamais.
Les choses sont parfois ainsi.

Mwen sonje ou manman.


Zélia ne quitte ses pensées que lorsqu’elle remarque que l’Esprit Nuit se détache lentement du ciel. Elle adresse un sourire au ciel, puis au Bayou. S’adressant à on ne sait qui, on ne sait quoi.

Koman ou ye manman ?
Moi, je vais bien. Mieux que jamais, même.

Et elle gardera toujours sa joie parfois enfantine et son sourire éternel pour que tu puisses rester en paix, manman.