Tayysan hochait doucement la tête en écoutant Asher. Elle était surprise que la venue sur l’ile de lui et Eilish - elle présupposait qu’il s’agissait de Witted - soit de son initiative. Ce n’est pas du tout ce qu’elle imaginait, et elle ne peut retenir une expression de surprise en l’écoutant.

- Je suis assez impressionnée que tu aies pu retenir le vrai prénom de ta soeur.

Pour un peu et elle s’en voudrait, de ne pas avoir retenu le nom de son frère. Enfin, il faudrait déjà qu’elle se souvienne qu’elle en avait un. Elle voit bien que parler de ce sujet - de Peter Pan - l’énerve. A nouveau, Tayysan hésite. La tentation est assez grande de lui parler de Witted et de la discussion qu’elle a eu avec lui. Mais ça romprait totalement la promesse qu’elle lui avait faite... Alors elle ne dit rien. Et il faut avouer qu’à quelque part, ça la frustre. La manière dont Asher parle de sa sœur montre quand même qu’il tient à elle : pis encore, il culpabilise d’être ici.

- Je suis peut-être mal placée pour te dire ça, mais il y aura forcément des jours meilleurs... avec Eilish. Elle s’interrompt. C’est un beau prénom. C’est de quelle origine ?

Ça l’intéresse très sincèrement, même si elle n’a plus aucun souvenir de la géographie du Monde Ordinaire. Le but est aussi de dévier en partie le sujet et de moins parler de Pan.

- Je pense qu’il faut essayer de faire des choses constructives, de garder le moral. Voire de renouer avec ses proches, si on a la chance d’en avoir, quand on se trouve dans des situations délicates. C’est ce que j’essaie de faire, même si c’est compliqué... Il y aura bien un moment ou ça finira par aller mieux, ne serait-ce qu’un peu.

C’est qu’elle y croit, et elle s’en convainc souvent. Tayysan ne reprend par la marche, mais elle secoue néanmoins le sac qu’elle porte sur le dos. Malgré sa force, il se fait lourd pour elle, à force de rester immobile.

Tayysan tentait de se caler sur le rythme de marche d’Asher, tout en lui adressant un regard curieux. C’est vrai qu’en soit, lorsqu’on savait écrire et qu’on avait de quoi écrire, l’exercice avait l’air simple.

- Je t’avoue que ça ne me paraissait pas si évident. Je n’ai jamais appris à lire et à écrire. Je ne sais dessiner que depuis peu.

Pas que cela lui manquait, mais il fallait avouer que son intérêt pour l’écriture et la lecture s’éveillait depuis qu’elle avait échangé avec Dive. Heureusement pour elle, il avait été suffisamment aimable pour accepter de l’aider sur les bases. Le reste lui échappait, mais pour le moment, Tayysan s’en sortait très bien sans. Elle quitte ses pensées lorsqu’elle remarque l’air hésitant d’Asher, après sa question. A ce moment-là, elle repense à Witted. Et c’est peut-être pour ça que le Hargneux a l’air aussi hésitant : d’autant qu’il n’est pas au courant que la birmane a discuté avec cette dernière il y a peu. Si elle est une deuxième fois tentée de lui en parler, elle se ravise tout aussi rapidement : elle est loin d’aimer rompre les promesses faites.

- Oh, d’accord.

En vérité, elle ne voyait pas du tout de quel pays il s’agissait. Pour autant, le comportement d’Asher ne lui donnait pas envie de continuer : elle n’aurait fait que le mettre davantage mal à l’aise, pour au final le braquer une nouvelle fois. Au final, elle adresse un sourire presque taquin au Pirate lorsqu’il poursuit sur sa lancée.

- Je t’avoue que je suis plutôt optimiste. Je me dis qu’on ne peut que remonter au bout d’un moment, même si ça doit se faire très lentement.

C’est qu’ils n’avancent plus très vite, au final. Leur marche alterne entre rapidité et lenteur, mais même Tayysan ne le remarque plus.

- ... Ça m'inquiétait souvent, de la savoir encore là-bas, à la merci des lubies de ce fou furieux. Maintenant il y a le Givre... Pas sûr de savoir qui des deux est le plus dangereux.
- Witted est intelligente, commence-t-elle après que le ricanement cinglant d’Asher soit passé. C’est ce dont je me souviens, en tout cas. Elle est futée et tout à fait capable de s’en sortir par elle-même. Et de faire front à Peter Pan. Mais j’imagine que c’est comme ça que les frères s’inquiètent pour leur sœur.

Et inversement.
C’est quelque chose dont elle ne se souvenait plus.

L’irritation d’Asher envers Peter Pan était, à quelque part, compréhensible pour Tayysan. En plus de son caractère plus orageux que le sien, lui avait été banni - pas elle. Elle ne répond pas tout de suite à Asher, cherchant ses mots, pesant le pour et le contre. Au final, elle tente de chercher son regard.

- Excuse-moi, je n’aurais pas dû insister.

Elle reprend une marche lente. Un silence s’ensuit, qui à quelque part, ne la dérange pas tant que ça. La birmane se perd un instant dans ses pensées, uniquement perturbées par le bruit de ses pas dans la neige. Le caractère d’Asher n’avait pas du tout changé : Tayysan trouvait même qu’il s’était accentué avec le temps. Mais tout cela l’amenait à s’inquiéter pour Witted et Asher plus qu’elle ne le voudrait. Comment allaient-ils faire, à l’avenir ? La réponse lui paraissait presque évidente, mais elle n’osait pas y penser. Si elle pouvait être là pour eux, à l’avenir...

- J’espère que ça ne t’a pas dérangé... de parler avec moi. Là, c’est le moment critique : celui où elle doit formuler le fond de ses sentiments. Malgré les apparences, elle n’a jamais été particulièrement à l’aise avec ça. C’est juste que je suis contente d’avoir retrouvé quelqu’un que j’ai connu au Grand Arbre. Ça donne l’impression d’être... moins seul.

Elle mentait à moitié, omettant volontairement Freckles et Witted. Mais là, la situation était différente. Tayysan remue doucement son bras, qu’elle sent petit à petit endolori à force de porter ce sac rempli d’outils.

- Merci, en tout cas. De quoi ? D’avoir discuté avec elle, sans doute. Si tu as besoin de quelque chose un jour, n’hésite pas à venir me voir.

Tayysan ne peut s’empêcher de retenir un petit sourire amusé lorsqu’Asher finit par s’exprimer. C’est que sa vague maladresse la toucherait presque : il n’avait pas changé, que ce soit au niveau du caractère, ou dans sa façon de s’exprimer avec les autres. Elle n’avait jamais eu de problème avec ça : en général, elle parvenait à interpréter un minimum ce qu’on lui disait, même lorsque c’était maladroit.

- Je vois ce que tu veux dire, dit-elle simplement, tout en posant enfin le sac qu’elle maintenait sur son épaule, qu’elle sent un poil endolorie.

En vérité, elle était sincèrement contente qu’il lui ai dit ça. Tayysan avait au moins pu tenir la promesse qu’elle avait faite à Witted, même si elle trouvait que ce n’était pas grand chose. Un artisan passe par là, et la birmane lui donne par réflexe le sac d’outils qu’elle tenait. Celui-ci s’en va après avoir lâché un vague « merci ». Poliment, elle se permet de faire un signe à Asher afin que celui-ci lui laisse le sac d’outils qu’il portait.

- Non, je n’ai plus besoin de rien. Merci pour ton aide, je vais retourner au travail.

Elle se tourne une nouvelle fois vers lui, sans savoir quoi rajouter de plus. Au final, elle lui adresse un sourire, comme si elle essayait de lui transmettre une chaleur qui avait l’air de lui manquer. Il y avait aussi autre chose, derrière. Witted lui avait peut-être transmis cette drôle d’envie, d’énergie, de faire attention à Asher. Ou du moins de le surveiller de loin. Au vue de la période, ce serait relativement facile. Mais après ?

- J’insiste, mais n’hésite pas à venir me voir si tu as besoin de quelque chose. Même si c’est après le Givre. Tu ne me dérangeras jamais.

Elle a l’impression que c’est important de le préciser.

- Merci encore, en tout cas.

Tout comme ça lui parait important de le remercier plusieurs fois. Elle sait que ce mot peut être fort, plus qu’il n’en donne l’air.