Le sourire aux lèvres et le visage tranquille, Eileen termina son geste, étendant le vêtement qui lui était resté entre les mains. Elle ne répondit pas immédiatement à Carne, sa réplique tenant plus de l’affirmation que de la question, à son sens. Et puis… il y avait là quelque chose de l’ordre de l’intime, qui ne la touchaient que son frère et elle. Elle ne souhaitait pas particulièrement le partager.

Évidemment que tout n’était pas rose. Au début, il lui arrivait certains soirs d’aller le chercher à la taverne et qu’il la reconnaisse à peine, vu l’état dans lequel il était. D’autres fois, le manque était puissant et c’était à elle de le consoler et de l’aider à lutter contre la tristesse dépressive par laquelle il se laissait submerger. C’était parfois difficile à vivre, même pour elle.

Mais elle voulait être là pour lui. Être ce soutien infaillible, c’était sa façon à elle de lui rendre tout ce qu’il avait pu faire pour elle, pendant tout ce temps. Il avait longtemps été son héros, sa bouée de sauvetage. Elle était son ancrage, ses racines dans un monde d’imaginaire où on ne pouvait se fier à rien. Aussi se contenta-t-elle de sourire à nouveau en haussant les épaules à la remarque du Prêcheur.

« C’est moi qui ai beaucoup de chance de l’avoir. »

Eileen se doutait bien que la plupart des gens -qu’il s’agisse d’autres habitants du Port ou de ses proches- n’étaient pas d’accord avec cette affirmation. Mais pour elle, il s’agissait d’une vérité inébranlable.

Même si, par instants, cela revenait à se mentir à elle-même.

Ce fut peut-être pour cela qu’elle prit autant la mouche à l’entente de ce qui pouvait passer pour un conseil amical mais avait tout de l’insulte à peine cachée. D’un mouvement sec, la rouquine se détourna de son interlocuteur, laissant la distance faire glisser la mèche de cheveux des doigts de Carne. Dans son regard vert brûlait un feu qui montrait qu’il valait mieux changer de sujet. Autant que la froideur dans son ton quand elle répondit.

« Ne parle pas de lui comme ça. »

Tendue, les épaules crispées, la Diligente reprit son travail. Ce ne fut que quelques instants plus tard qu’elle compléta, avec un mécontentement qui aurait pu paraître enfantin s’il n’y avait pas eu l’éclat précédent.

« Je sais ce que je fais. »