À ce stade, Lundi aurait été bien trop aveugle pour s'attendre à du miel de la part d'un piment ardent. L'étrange fascination pour les tempêtes passionnées se donnait à coeur joie en ce moment. Elle était jolie la graine de colère.

La notion de décor n'engendra pas de réaction particulièrement visible de la part du Baron, si ce ne fut qu'un léger plissement de paupières. Peut-être avait-il bien trop l'habitude de voir depuis ses yeux ? Il ne fallait peut-être pas omettre que tous n'étaient pas arrivés comme la famille de Maman Brigitte. Garçons Perdus ou pirates d'origine, supposait-il trop vite qu'ils avaient un minimum de liens importants ? Peut-être.

Alors qu'il méditait encore sur cette histoire, il croisa finalement le regard de la jeune femme. Pas un regard comme ceux qu'il aurait aimés.

Ces yeux ne faisaient qu'annoncer la cascade de clarté concernant la situation. Klere devait admettre qu'en effet, cette demoiselle ne serait pas du tout réceptive à du charme. Du moins, le sien. Il se contentera d'être au moins "un peu plus décent que les autres déchets" pour sa belle du moment. Il se satisferait donc de ce statut.

L'envie de faire de légères blagues lui passaient avant même d'en avoir l'idée ou l'envie, les émotions dégagées de l'âme face à lui n'appelaient pas à plaisanter. La peine frôlait le coeur en contemplant un genre d'appréhension en Ashley.

C'était bien Ashley ?

Le guédé comptait mettre cet élément au clair cependant, la suite des mots vint. Et elle se trouva être assez surprenante pour que Lundi soit décontenancé. Les sourcils froncés, le regard observant de haut en bas puis de bas en haut.

Tout en continuant de cogiter sur ce "détail", il prenait la peine de répondre au deal.

- Très bien, pour tes conditions...

La phrase s'envolait comme si elle avait été détachée de Lundi qui continuait de scruter. Au final, oui la tenue n'avait rien de logique. Néanmoins, ce n'était plus ce qui perturbait le Céleste.

- Poukisa w ap poze m kesyon sa a ?

Laissa-t-il échapper, plus pour lui que pour son interlocutrice. Avant de se défaire de son espèce de son kimono, maintenant qu'il ne faisait plus autant froid Janvier ne se mettait plus au travers de son chemin afin de le renvoyer chercher une veste plus chaude.

- Pran, tu peux au moins fermer un peu. Sauf si tu n'en veux pas, ça m'évitera de me faire sermonner par mon premier enfant.

Distraitement, il faisait légèrement balancer le vêtement. Toujours en train de chercher au-delà de son amour qui brouillait le raisonnement. Il put tout de même enchainer :

- Tu as raison, mais je n'ai aucune idée de ce qui a pu t'arriver avant. Peut-être que tu as été volée, peut-être que tu n'avais plus que ça... À en juger par l'émeute qui s'est jetée sur toi.

Il essayait, vraiment. Lundi n'avait en tête que l'envie d'être utile pour son nouveau coup de foudre, alors... revenir sur terre afin de mettre de l'ordre... ça pouvait lui être plus difficile. Faisable, mais lentement.

- Sinon... où est-ce que tu devrais te rendre ?

L'important ne se formait que de la certitude que la jeune femme soit sortie d'affaire, à terme.

Aussitôt l'aide vestimentaire refusée, le guédé ne se fit pas prier pour replacer l'habit sur ses épaules. Il ne pourrait pas forcer, pas besoin de lire dans l'avenir. Juste dans les émotions tourbillonnantes, et les traits négatifs appelaient à imaginer une créature sur la défensive. Quoi qu'il puisse advenir, il ne prendrait des morsures que s'il n'avait pas le choix. Et à ce moment, offrir de quoi faire plaisir à la décence ne portait pas de galons de haut rang.

La réponse concernant la suite, où aller pour que cette charmante âme épineuse soit entièrement sortie du pétrin, avait un quelque chose de vague qui ennuya le Céleste dans sa flemme. Bien qu'il puisse faire tous les efforts du monde, mais uniquement pour les dames qu'il aimait.

Si seulement elle avait pu lui donner l'adresse d'une personne en qui elle avait confiance.

- Un peu à l'extérieur du Port, vers le Ranch peut-être...

Il imaginait que les plus dangereux pour la demoiselle se regroupaient autour des bâtiments de loisirs, l'ancien QG rebelle paraissait assez désaxé sans quitter le territoire pirate. Les habitants n'étaient pas de mauvais bougres. Du moins, il le supposait. Mais peut-être trop proche du Bayou, puisqu'Ashley paraissait si inquiète de devoir le recroiser.

Ses fringues ?

Les pensées s'arrêtèrent de voleter pour se concentrer sur la jeune femme. Une histoire de boisson, et de vêtements trop grands mais qui lui convenaient avant.

- Oh. Tu étais bien plus grande et large, hein ?

Il s'approcha ensuite, un sentiment étrange essayait d'alerter sa tête encore aveuglée. Il prit la mâchoire d'Ashley d'une main, comme pour mieux l'ausculter en libérant évidemment un petit coup d'électricité statique. Presqu'immédiatement, il avait redonné l'espace vitale à son interlocutrice particulière. Il essayait de ne pas trop lui donner d'émotions explosives, mais là, l'appel magique l'avait comme exigé. Ce contact. L'air s'en était fait plus dense alors que le Baron observait sa main, celle qui avait pénétré l'aura.

L'émotion principale était celle qui affichait un air dubitatif sur le visage de Klere, il avait l'impression de reconnaître quelque chose. Mais, très vite, il écarta ces éclaircis pour revenir dans sa brume.

- Ils ont tenté de te rendre plus accessible pour eux avec une boisson ? Tu les frappais déjà avant ?

La dernière question ouvrit le sourire aux dents du bonheur, ça l'amusait toujours quand des pirates se tapaient dessus. Surtout si c'était fort.

Pourtant, il la connaissait un peu cette boisson.

Encore un peu du restant de la sensation vibrait dans la pulpe des doigts plus noirs que l'onyx, les cicatrices de foudre auraient pu vibrer d'une lueur plus scintillante... mais non. Elles étaient restées dans une lueur calme, même elles semblaient vouloir ignorer.

Pourtant, c'était là.

Bien au centre.

Le guédé laissait son amour dicter la loi de l'autruche, sûrement. Sa propre magie demeurait bien présente, de son côté. Elle lui soufflait même le tourbillon qui s'était formé dans l'esprit d'Ashley, elle ne lui faisait pas même ignorer le cocktail qui avait débuté une explosion. Avant de redescendre en calme. Dommage, le Baron aimait plutôt les sentiments explosifs du genre de la colère. Ou forts comme celui de l'amour. Tant que c'était relevé.

Docilement, le Céleste suivit la direction donnée par la demoiselle.

En revanche, la suite ramena instantanément le regarde du Baron sur la jeune femme qui disait ne pas en être une.

Lundi ne réagit pas dans un premier temps sauf un premier air interrogateur vite effacé par de la réflexion, observant simplement Ashley aller vers le rocher désigné. Le pas fut tout de même emboité, avisant en même temps la tenue effectivement masculine et grande.

- Tu... me dis que tu es un homme ?

C'était qu'il avait revêtu son sérieux depuis. Il la connaissait un petit peu cette boisson.

- Sous l'influence d'une potion...

Le ton avait fait un genre de baisse de ton, plus discret. Comme si le guédé percutait enfin quelque chose qu'il aurait dû comprendre avant. Au loin, quelque chose gronda. Rien de bien violent, juste un grognement tandis que Klere se passait une main sur le visage. Un geste qui n'avait pas le pouvoir de le réveiller, le troisième fils ne dormait pas.

À nouveau, l'intérêt retombait sur "Ashley".

Avant de rouler des yeux et de regarder les cieux.

- Fwa, e kounye a, gason ? Papa...

Il s'adressait à son père, la foudre tombait parfois sur des personnes improbables. Aveuglant le Baron de toute sa raison. En soit, ce n'était en rien les choix du loa, mais Klere s'adressait parfois à lui en parlant à la voûte céleste. Les mains trouvèrent refuge dans les poches du pantalon, avant que le sourire jaune offert au ciel ne tombe sur "Ashley".

Un soupir.

- Et par quel nom on t'appelle normalement ?

Petit détail, comme pour concrétiser la raison. Sur ce point. Le reste... il verra. Pour le moment, Klere digérait ce coup de foudre qui ne révélait pas la vérité au premier abord.

Le nom faisait plutôt bon écho à la version féminine entendue préalablement. Quant au commentaire qui avait suivi... Lundi esquissa un sourire en coin un brin forcé tout en observant un coin aléatoire.

- Ça... c'est pas le vrai souci.

Puis la demande ramena le regard sur la demoiselle qui n'en était pas une. Un temps bref, et le Baron acquiesça en faisant un demi-tour plutôt bruyant de par les tresses qui voletèrent et entrechoquèrent leurs anneaux d'ornement.

- Bien sûr.

Il s'attela à la contemplation de l'une de ces nattes, l'une faite par Zélia. Il adorait que ses femmes le coiffent, surtout pour toujours penser à chacune d'elle à tout instant de la journée.

- Ça m'énervait juste d'être passé bien au-dessus de la magie qui te tourne autour. Avec quelque chose d'aussi peu discret... Néanmoins, je suis content de t'être un peu utile.

Il se remettait sur pied. Une fois l'agacement de se faire avoir par lui-même passé. Il devrait trouver un moyen de travailler ça. Un troisième oeil qui pourrait atteindre plus facilement la raison. Mais d'un côté, ça pouvait entraver le sublime des émotions brutes.

Il repensait à la fois où il avait vu une belle femme se promener et qu'il avait eu un nouveau coup de foudre, il lui avait parlé mais très vite elle lui avait démontré qu'elle était une fée. Il n'avait pas insisté plus, cependant il a toujours gardé de l'affection pour elle. Elle revenait même de temps en temps à la Tour et le coiffait. Lorsqu'il la croisait et qu'ils échangeaient des mots, il retrouvait par après une natte modifiée par les soins de la fée. Voilà pourquoi on pouvait de temps en temps croiser le Baron Lundi portant un peu de poussière de fée dans les cheveux.

Une pensée douce pour Bardane, qui fit naître un sourire plus détendu.

- C'est bon, l'ensorcelé ?

Tandis qu'il observait l'horizon de la rue, quelques âmes qui se promenaient mais elles semblaient chercher des restes de bouteilles à boire. Un décor peu surprenant, et tristement pas exotique.

Il rejeta sa natte en arrière avant de se déposer au sol. Il en avait assez de léviter. Ainsi, il serait peut-être un peu plus sur terre et moins dans son humeur rosée.

Le pur altruisme ? En effet, Lundi n'agissait pas vraiment de la sorte. Il n'y avait qu'une partie des âmes humaines qui bénéficiaient de gestes désintéressés. À commencer par sa famille, ses femmes, ou encore ses fameux coups de foudre. Réciproques ou non, Klere restait simplement attaché au moins un peu. La passion disparaissait, mais le lien restait bien que plus faible que pour les autres.

Quant à la remarque, le Baron laissa parler un sourire amusé.

Le malheureux pirate enfermé dans le corps d'une jeune femme avait un quelque chose de susceptible, apparemment. Est-ce que ce serait plus drôle sous ses vrais atours ?

- Le ranch ce sera.

Un regard au ciel, heureusement que ça ne prendrait pas sept lunes de marcher rapidement jusqu'au point final de la promenade.

Les mouvements d'Asher avaient retrouvé la normalité en quelque sorte, les émotions penchaient sur le côté positif de la pente probablement. Une bonne chose en soit. Le Baron Lundi emboita le pas du Hargneux. Essayant de se remémorer s'il avait déjà croisé un pirate relativement grand avec des cheveux ardents et un air à l'égal du surnom.

Il n'avait pas tout à fait d'images correspondant à cette description dans la tête, il n'y avait jamais prêté attention.

- L'altruisme, j'en ai. Je suis juste sélectif. Je ne crois pas que tout le monde en méritent.

Surtout pas ceux de l'extérieur du Bayou.

- Crois-le ou non, je suis les règles. Quand la foudre le demande.

Un temps, avec l'air dépité qui s'y prêtait bien.

- Même lorsqu'elle m'empêche de voir des montagnes...

Ça devenait un peu trop habituel, de passer à côté des évidences. Ça grognait toujours un peu dans un orage au Bayou, le Céleste digérait moyennement. Partagé entre le contentement que... son... coup de foudre allait dans un endroit relativement protégé, et l'agacement.

En soit, même avec cette nouvelle, il allait lui falloir un peu de temps avant de réellement s'en rendre compte.

- Tss... bref, je t'aiderai de toute façon. Sinon... je m'en voudrai. Un peu.

Un peu.

C'était plus facile d'habitude. Et malgré le fait que ce Asher soit amusant sur les bords, le Céleste était encore un peu chamboulé. Il retombera sur ses pattes plus tard, il ne fallait pas s'inquiéter. Le Baron savait exactement ce que composait ses émotions. Il en était certain, malheureusement.

Le Baron était en train de ravaler, encore, son erreur. Il était encore vexé d'avoir manqué les indices évidents pour un Guédé.

Klere acquiesça quand Asher validait le plan final et s'en alla sur un pas bien rapide. Oh Lundi aurait pu souligner la jolie vue possible qui s'offrirait à lui ainsi, mais il ne le fit pas. Il n'y songea pas. L'amour qu'il portait avait besoin de ressentir du respect envers l'autre, et cet autre ne visait qu'à fuir le regard des autres pour l'instant.

En suivant Asher, le chemin se passait sans encombre. Il se laissait remonter calmement.

Plus les pas réduisaient la distance entre le ranch et eux, plus le son léger d'un grondement d'orage se faisait entendre. Lundi, qui faisait tout afin de se montrer conciliant et facile. Par simple amour. Et ce fut une pensée qui méritait de faire rouler les yeux du Céleste alors que celui-ci s'approchait d'un mur en bois. Une petite pensée pour l'escapade qu'il avait faite avec Ainhoa en jouant à visiter les chambres des habitants...

Ils y avaient même dégoté un petit trésor.

Revenant au moment actuel, Lundi fit attention aux âmes alentours. À part quelques loas curieux, il n'y sonda rien de bien dérangeant pour Asher. Du moins. À son humble avis. Il marchait le long des planches avant d'arriver à l'entrée.

- Le ranch est bien silencieux... heh ! C'est une bonne nouvelle pour toi, Asher. Personne n'a l'air d'être ici.

Puis il entra, la porte grinçait un peu mais pas assez pour réveiller d'éventuels dormeurs. Néanmoins, toujours aucune âme.

C'était que Klere en venait à douter de lui-même avec cette histoire.

Le tonnerre grogna à peine au-dessus du Bayou.

Un coup d'oeil à la demoiselle qui n'en était pas une, juste histoire de voir à quel point la colère jubilait en elle. Ou l'agacement. Les deux se mêlaient souvent et engendrait l'autre.

Machinalement, le Baron s'intéressait à un tonneau laissé dans un coin. Il parierait que du rhum y dormait. Un petit oubli du retour à la normale.

- Ça, c'est ce que les loas voulaient me montrer on dirait...

Personne ne voulait gâcher du rhum. Il fallait que quelqu'un le retrouve.