Expédition Médicinale

Il avait fallu que sa désespération soit grande et la pousse dans ses retranchements pour que Marianne en vienne à approcher le pirate. Encore davantage pour qu’elle le poussât à quitter sa tâche pour l’accompagner jusqu’au Bayou. Mais elle avait trop besoin de ses herbes et une nouvelle récolte avec le Givre si proche et si présent était inimaginable.

Du coin de l’œil, elle observait l’homme imposant. Il avait l’air dur de ceux qu’on ne provoque pas mais qui semblent continuellement vous défier de le faire. Toutefois ce qui attirait le plus l’attention c’étaient ses cheveux qui semblaient enflammés en contraste du paysage d’herbes gelées et de plaques de neige. Asher l’impressionnait mais il était vrai qu’elle était facilement impressionnable ; elle se rassurait en se disant que malgré tout il n’était pas aussi effrayant que les frères Barons.

Ils étaient partis depuis peu et pour l’instant le silence rythmait leurs pas. Pas trop lourd, un peu gênant tout de même. L’Ortie serait bien allée puiser confiance et arrogance dans la pierre qui abritait le fantôme qui la hantait et l’aimait mais le médaillon était inerte sur sa poitrine, dénué de sa chaleur habituelle. Elle ne sentait qu’une lointaine présence boudeuse, son ange de malheur ne semblait approuver l’escorte qu’elle s’était choisie. La jeune fille en éprouva une satisfaction mesquine.

Accélérant le pas pour se mettre à hauteur de son compagnon de route, elle baissa légèrement l’écharpe qui protégeait ses lèvres des gerçures.

Merci encore d’avoir accepté elle eut l’impression de se répéter et se sentit idiote. Elle se dépêcha alors d’ajouter Je ne possède pas beaucoup mais je suis sûre que nous trouverons quelque chose chez moi qui fasse office de paye.

Le pirate semblait prendre sa mission très au sérieux, la jeune fille s'en sentit flattée. Hors du Bayou elle n'avait connu que son papà et, malgré sa timidité d'enfant qui prenait parfois le dessus, elle était curieuse de connaître les autres personnalités de l'Île.

Je désespère pas qu'un jour, quelqu'un trouve une bouteille de rhum ou de quoi que ce soit de plus fort que du jus de pamplemousse dans un vieux placard... On est pas à l'abri d'un miracle.

Un peu embêtée, Marianne aurait bien voulu pouvoir lui promettre son rhum mais la denrée était rare en ces temps de Givre.

Le rhum... il y en a surtout chez les Barons, mais si j'étais toi je ne tenterais pas ma chance.

Bien sûr l'Ortie ne doutait aucunement des capacités de son garde du corps mais il fallait tout de même rester réaliste.

Par contre je peux te faire une tisane dont l'effet est comparable à l'alcool si vraiment. dit-elle avec un sourire.

Elle se sentait d'humeur assez légère. Malgré son besoin de s'éloigner quelques temps de berceau, de nouer avec ses racines pirates, le Bayou l'appelait. Le besoin n'était pas trop impérieux puisqu'elle n'était que demi-sang et partie depuis peu mais son être se réjouissait de retrouver durant quelques heures les miasmes du marais.

Tu es déjà allé au Bayou ? demanda la jeune fille, sans prêter attention et couvrant de sa voix un doux chuintement quelques mètres devant eux. Un frottement d'écailles de glace contre la terre gelée.

Spoiler:

Marianne avait bien choisi son escorte, le pirate était d’une redoutable efficacité. Elle l’avait observé avec curiosité bondir entre elle et la menace, presque animal dans l’instinct et faisant rempart de ses larges épaules.
Elle n’avait rien eu à faire sinon rester immobile, ce qui était une situation plutôt agréable. Bien sûr elle avait engagé Asher pour cette tâche mais l’idée qu’un jour on puisse faire de même par simple affection pour sa personne lui plaisait bien.

... C'est le petit d'une couleuvre reine, ça. C'est pas censé avoir cette gueule. C'est un orbleu. Etrange qu'il ait pu s'aventurer si loin... Rapprochons nous de la mer, on est trop proche de la frontière avec la zone non-protégée.         

Le pirate avait transpercé le serpent avec une admirable précision, la pauvre créature agonisait désormais au bout de sa lame. L’ortie le trouvait joli avec ses écailles immaculés et ses yeux d’un bleu flamboyant, elle voulu aller voir de plus près mais le reptile se fit décapiter avant qu’elle n’en ait eu l’occasion.

Eloignons-nous avant que sa famille nous tombe dessus. Ils sont jamais seuls, ni jamais bien loin de leur mère. Et la mère, c'est pas le même gabarit  

Oui, c’était plus raisonnable de ne pas s’attarder. La jeune fille fit néanmoins signe à son accompagnateur d’attendre et s’approcha du cadavre.

Juste une minute, c’est dommage de le laisser là. Il peut servir pour des potions ou on pourrait le réanimer.

Utilisant un pan de son manteau pour ne pas toucher directement les écailles givrées, Marianne ramassa d’abord le corps puis la tête sectionnée et les rangea tous deux dans une des sacoches de cuir qu’elle avait toujours sur elle pour la récolte. L’idée l’effleura de demander à un des Barons s’il ne pourrait pas faire du serpent un petit zonbi pour l’offrir ensuite à Moriko.

Son ramassage terminé, elle adressa un sourire content à Asher. Ça va il est pas trop lourd, on peut y aller. C’est vrai qu’il vaut mieux ne pas traîner. puis, avant de se mettre définitivement en route, elle sortit quelques feuilles séchées de l’une de ses poches et en proposa une pincée au pirate Tu veux ? C’est de la coca pimentée, ça donne chaud et de l’énergie. Pour quand on traversera la rivière

A contrecœur mais ne souhaitant pas faire d’histoire, l’Ortie avait abandonné son reptile trophée. Elle n’avait pas particulièrement envie de se mettre en danger ; de les mettre en danger, surtout qu’en combat elle n’avait aucune capacité. Et puis le Pirate avait déjà été suffisamment sympathique pour daigner l’accompagner et il semblait s’y connaître alors elle allait essayer de suivre ses conseils, de se montrer conciliante.

Mais il aurait quand même pu lui en laisser prendre un bout. Au moins la tête.

Qu’importe, elle aurait d’autres occasions, la tâche pour ce jour-là était d’arriver sans embûches au Bayou pour qu’elle puisse y récupérer quelques précieuses herbes qui l’aideraient à dormir sans terreur. Si possible avant que la journée ne soit trop avancée afin de croiser le moins de personnes possible.

Se mettant docilement en route elle mâcha un moment sa feuille de coca, pensant soudain à partager quelque savoir avec Asher.

C’est bien pour les dents aussi et ça coupe la faim.

Elle devait presser le pas pour se maintenir à sa hauteur et sans doute avançait-il plus lentement qu’à son habitude. Marianne n’était pas si petite mais à côté elle se sentait un peu ridicule.

Et toi tu es un pirate de base ou tu viens du Grand Arbre ? Mon papà était diplomate il y a longtemps. J’y suis jamais allée, je devrais essayer une fois je suis sûre de pouvoir passer pour l’un d’eux.

La question semblait avoir piqué le pirate. Marianne ne souhaitait pas le mettre mal à l’aise, elle l’aimait bien et il avait eu la gentillesse de l’accompagner. Néanmoins, le voir réagir attisait aussi sa curiosité.

Je ne sais pas si tu pourrais trouver le Grand Arbre... La magie empêche de passer... Plus ou moins tout ce qui déplaît à Peter.

Sous-entendait-il qu’elle déplairait à Peter ? C’était un peu gonflé de sa part, qu’en savait-il ? Elle avait beau être née chez les ennemis, elle n’en était pas un et s’en fichait bien de la guerre entre Hook et Peter Pan. De plus, maintenant qu’elle était orpheline elle avait même beaucoup en commun avec les Perdus. Elle n’en avait jamais rencontré mais sans doute que cela viendrait un jour.

De toute façon pour le moment ça doit pas être jouasse, à l'Arbre. Ils ont majoritairement migré au Canyon. Mais pour aller là-bas, avec le Givre, la route est longue et dangereuse. Rien à voir avec ce qu'on fait aujourd'hui.

La jeune fille roula légèrement des yeux face à l’argument évident mais resta cordiale en répondant.

Je sais bien, je n’ai pas dit que je partirai demain. Mais ce froid ça aura bien une fin.

Du moins elle l’espérait. Sa peau croquée de soleil autant par ses origines sicilienne et créole n’en avait pourtant jamais senti la chaleur. Juste cette lumière pâle qui faisait parfois scintiller le Givre. Elle n’avait connu que la pluie, le froid et les brumes marécageuses.

Sinon... Si tu veux savoir ce genre de choses, il suffit de regarder par terre, même si j'admets que c'est pas nécessairement simple à déceler avec ce temps de merde et le manque d'ensoleillement.

Perplexe, l’Ortie regarda par terre mais ne vit rien d’autre que le sol sur lequel ils marchaient. Elle se demandait ce qu’Asher voulait lui montrer, est-ce qu’il se moquait d’elle ?

... Ma sœur est diplomate. Enfin. Elle l'était. Mais je pense qu'elle l'est toujours.

À cette information, la jeune fille cessa de scruter le sol et répondit tout en illustrant ses paroles de ses mains comme elle le faisait souvent lorsqu’elle était enthousiaste ou énervée.

Oh ! Peut-être qu’elle a connu mon papà. Il est arrivé en 1984. C’est lui qui me l’a dit. pour elle qui était née sur l’Île les dates ne signifiaient pas grand-chose mais Dino lui avait tellement parlé de sa vraie famiglia et elle avait tant appris sur le monde ordinaire avec sa fée-tutrice qu’elle en savait presque plus que sur sa terre natale et les peuples de Neverland.

Elle prit le temps d’observer un instant le grand pirate, sa stature impressionnante et son air fermé.

Et toi tu étais dans quel groupe ? Je ne les connais pas tous, je sais qu’il y a les armuriers, les artisans, les chasseurs… elle ajouta d’un ton plus taquin que moqueur Sûrement pas diplomate.

Marianne savait pour ce qui était d’oublier son nom et ses souvenirs mais pour l’ombre elle n’en avait jamais entendu parler. Un instant elle se demanda s’il se moquait d’elle mais ça n’avait pas l’air d’être son genre. Et puis en y regardant bien elle dut se rendre à l’évidence qu’effectivement elle pouvait voir la sienne mais aucune trace de celle d’Asher.

Un peu comme si vous étiez tous des fantômes souffla-t-elle, fascinée et réfléchissant à comment elle avait fait pour ne pas le remarquer. Pour sûr qu’elle s’amuserait désormais à devenir qui était ou n’était pas un Perdu à l’origine.

Quant à sa petite pique sur son groupe d’origine, la jeune fille eu la satisfaction de voir son interlocuteur au moins un peu amusé. Elle n’avait pas voulu le vexer, ils avaient encore un petit bout de chemin à faire ensemble alors autant garder l’ambiance dans une certaine bonne humeur.

C'est l'épée qui te fait dire ça, ou bien tu trouves que je te tire juste trop la gueule pour faire bonne figure dans une délégation ?

La réponse lui arracha un petit rire clair et franc. C’était plus amusant quand l’autre montrait un peu de répartie.

Comme tu préfères. se contenta-t-elle de répondre avec mystère.

... J'ai principalement été chasseur. A la fin j'étais sentinelle. Je sais plus en quelle année on est arrivé, mais d'une façon ou d'une autre c'est pas impossible qu'on ait connu ton père, je suppose... C'était qui ?

Sentinelle ne signifiait pas grand-chose pour l’Ortie, en revanche chasseur ça lui correspondait bien, au grande Pirate. Sans doute qu’il était capable d’étrangler un cerf à mains nues avec cette carrure. Elle lui en aurait fait la remarque si la fin de sa phrase ne l’avait pas ramené à plus de sérieux.

Dino. Fedora au Grand Arbre, je crois qu’on l’a toujours appelé le mafieux aussi.

C’étaient à peu près toutes les informations qu’elle possédait sur cette période de la vie de son père. Il n’avait pas eu le temps de lui transmettre le reste, ou l’avait oublié…

Comme à chaque fois qu’elle y pensait, elle sentit son esprit semblait se couvrir d’un voile sombre. Elle chercha un alors un peu de réconfort au fond d’elle, celui impur mais tangible offert par le médaillon. Il capitula à lui réchauffer un peu le cœur mais à peine, ne semblant définitivement pas apprécier la présence de son gardien du jour. Tant pis pour lui.

Non loin d’eux il y eut un gros craquement qui la fit sursauter et se rapprocher du Pirate qui la rassurait de sa haute silhouette même s'il ne s'agissait sans doute que d'un tronc s’étant fissuré sous le poids du Givre.