"Non."

Les bras croisés sur son torse, la gamine regardait le natif qui lui donnait des ordres avec un air de mécontentement farouche sur son visage enfantin. Ses yeux verts brillaient d'agacement prononcé, et on sentait qu'elle était à deux doigts d'être beaucoup moins aimable. A côté d'elle, un Perdu semblant pourtant bien plus grand n'en menait pas très large.

"Il n'y a aucune raison qu'il vous suive s'il n'en a pas envie. Cela ne fait pas partie de ses attributions en tant qu'Artisan au sein du Grand Arbre. D'ailleurs, il pourrait être plus un poids pour vous qu'autre chose, et nous savons bien qu'en ces temps troublés nous n'avons pas besoin de cela... Par contre, il sera plus que ravi de vous aider à construire un tel objet, si vous lui fournissez les matériaux adéquats." Elle se tourna vers son camarade, ses yeux lançant des éclairs. "N'est-ce pas ?
-Ou...Oui ! Oui, bien sûr."

Satisfaite, Witted hocha la tête et tendit sa main en direction de l'adulte.

"Avons-nous un accord ?"

Bien que réticent, le Natif finit par céder et se ranger aux arguments de la petite. La poignée de mains qu'ils échangèrent fut brève, avant que le Peau-Rouge ne s'éloigne, probablement pour aller chercher l'ingrédient qui lui manquait pour la construction de son objet. La rousse attendit patiemment qu'il soit hors de portée d'oreilles pour se tourner vers son camarade, qui se mettait déjà les mains sur les joues en prévision de la tempête qui allait lui tomber dessus.

"C'est quoi ton problème, 'spèce de fiente de gorille ?! On ne vole pas les Piccanninys, c'est du bon sens ! T'as intérêt à lui faire un truc du feu de Pan si tu veux qu'il te laisse tranquille, c'est clair ?!" Elle ne lui laissa pas le temps de parler avant d'ajouter. "Maintenant, barre-toi et mets-toi au boulot si tu veux pas que je raconte toute cette histoire à Rose et Caroline !"

Elle ne savait pas laquelle des deux lui faisait le plus peur, mais en tous cas le Perdu s'enfuit sans demander son reste. A la réflexion, c'était peut-être elle qui lui donnait envie de déguerpir... Witted haussa les épaules. Peu importe. Une nouvelle crise était évitée et c'était le principal.

Certains Perdus avaient encore du mal à s'adapter à la vie au Canyon. Et à dire vrai, Witted les comprenait. Ici, ils étaient entourés de toute un tas de règles et on leur demandait de faire tout un tas de choses qu'ils n'avaient pas forcément envie de faire (ou qu'ils n'étaient simplement pas capable de faire). Au Grand Arbre, on se contentait de faire ce qu'on savait. Et encore, ce n'était jamais pour très longtemps, parce que les aventures et les jeux prenaient la majeure partie de la journée. Le Givre avait tout changé, et c'était vraiment nul. Parfois, elle aimait passer du temps à l'Ossuaire rien que pour ça. Pas d'adultes, pas de contraintes.

Décidant qu'elle en avait assez fait pour la journée (ses compatriotes Diplomates géreraient le reste, si jamais ce Perdu décidait encore de faire des siennes, Witted décida d'aller se balader. Il y avait encore de petits lieux hors du Camp qui n'étaient pas entourés par le Givre, et elle en avait marre de tous ces gens : besoin d'air.

C'est en se baladant innocemment qu'elle finit par arriver au niveau de l'épave hantée. Ses yeux s'illuminèrent. Elle avait beau détester ceux qu'elle côtoyait sur l'Île (ou dire qu'elle les détestait parce que c'était plus simple, disons), elle adorait les histoires de pirates. Visiter une épave n'était pas quelque chose qu'on pouvait faire facilement en temps normal. C'était l'occasion rêvée.

Il ne lui fallut pas plus de quelques minutes pour descendre et arriver au pied du bateau. Elle leva le nez en faisant la moue. Comment allait-elle bien pouvoir monter là-dedans ? Un gros soupir, poings sur les hanches. Il n'y avait pas trente mille solutions : il fallait trouver un passage.

La gamine se mit donc à faire le tour de l'épave (des morceaux qui lui permettaient de rester au sec, du moins) afin de trouver une entrée.

Claudia poussa un grognement de frustration. Des cris l’avaient réveillée. Il y avait trop de bruit dans ce foutu lieu. Trop de personnes qui s’entassaient dans un si petit endroit, sans savoir combien de temps cela allait durer encore. L’attente lui montait à la tête. En fait, tout lui monter à la tête.
Ne pas savoir, vivre dans l’attente incessante avec cette fichue neige qui ne s’arrêtait de tomber, ne pas avoir le droit de se plaindre, ne plus avoir un endroit, un moment d’intimité… Elle commençait à craquer.
Elle se releva du morceau de grange où elle avait tenté de faire sa sieste. De l’herbe était coincé dans ses cheveux. Pfft… Elle les enleva en grimaçant. Même ainsi, ils étaient en mauvais état. Encore une chose à se plaindre. Sa robe était froissée, son maquillage arrivait en fin de vie. Elle s’était sentie davantage présentable… Ah, que la maison close lui manquait. Sa chambre, l’ambiance, l’odeur… Même la chasse aux filles perdues lui manquait. Une fois de plus, elle soupira.

A côté d’elle, un Anatole broutait joyeusement dans les réserves de foin. Aah, peut-être que les gens devraient tous être comme ces moutons arc-en-ciel : leur vie était si simple. Ils se contentaient juste d’être gay, d’avoir un toit au-dessus de leur tête et de quoi boire et manger. Un quotidien simple et prospère. Ce qui rendait Claudia d’autant plus jalouse et mal à l’aise et si Claudia commençait à être jalouse d’un putain de mouton arc-en-ciel, c’est qu’elle était réellement en train de perdre la tête et qu’il fallait vraiment qu’elle sorte d’ici. Même elle s’en rendait compte.

— Viens Anatole, lui murmura-t-elle en s’accrochant à son cou. On sort, on part en balade.

La bête ne se le fit pas dire deux fois et se laissa mener dehors avec son air toujours aussi satisfait. Une fois en dehors de la grange, elle se hissa sur son dos, se cala bien et donna un coup de pied pour signaler le départ.

« Emmène-moi où tu veux », songea la petite bergère « Où tu veux, tant que ce n’est pas ici ».

Et le mouton sembla comprendre son message car il se mit à galoper – si tant est que ces bêtes-là puissent galoper – à travers l’endroit, sauta par-dessus une barrière et partit dans l’inconnu. Claudia songea alors qu’ils prenaient des risques. Peut-être allaient-ils croiser un soldat de Hook ou une bête sauvage ou tout autre type d’ennemis. C’était dangereux. Elle s’en foutait. Elle ne s’était jamais sentie aussi vivante depuis un long moment – même pas pendant ses coups d’un soir. Elle sentait l’air froid lui fouetter le visage, faisant rosir ses joues sous l’effet du givre. Elle n’était peut-être pas bien habillée pour cette sortie, mais de cela aussi, elle s’en moquait.
Finalement, le mouton ralentit jusqu’à s’arrêter complètement. Claudia ouvrit les yeux et eut un hoquet de peur. Un bateau ? Etaient-ils arrivés jusqu’à… ? Non, en y regardant mieux, ce n’était qu’une vieille épave. Probablement celle qui était hantée. La rabbateuse voyait grosso modo où ils étaient désormais. Elle descendit d’Anatole et le mena par la bride jusqu’en bas. Elle ne savait pas trop ce qu’elle faisait mais une partie d’elle, en manque de sensation forte, avait envie d’explorer ce lieu inédit. Qui sait, peut-être y trouverait-elle des trésors ? Comme des bijous ou de l’or ou des pierres précieuses pour sa maitresse ? Ou du maquillage, songea-t-elle en pouffant. Ouais, nan, probablement pas du maquillage.

Elle en avait oublié toute règles de prudence, cherchant une entrée à ce navire quand elle tomba soudainement nez-à-nez sur quelqu’un. Juste en face d’elle, impossible qu’il ne l’ait pas remarqué avec sa tenue voyante ou son mouton arc-en-ciel. Et ce n’était pas un orbleu, nan, c’était bien pire que cela.
C’était une diplomate.
Une personne aux cheveux aussi roux que les siens l’avaient été par le passé, dont elle avait été autrefois la coéquipière. Une personne qu’elle aurait reconnu entre milles – et qui potentiellement pouvait en dire de même.

— Witted…

Elle avait lâché le nom à voix haute. Cette fois-ci, elle était dans la merde. Aucune chance que tout ceci ne se finisse bien.

Comment un truc qui était considéré comme une épave pouvait ne pas avoir d'entrée secrète ?! Il y en avait forcément une, sinon ce bateau ne se serait pas écrasé contre les rochers... C'était bien comme ça qu'il était arrivé ici, non ?

Et pourtant, Witted avait beau étudier consciencieusement les planches qui constituaient l'épave, s'approchant parfois pour tirer un peu sur le bois en espérant qu'il cède, rien. Rien d'autre que des grincements désagréables et des soupirs de frustration de la part de la gamine, dont la patience n'était pas le forte. Pas dans ces conditions, toujours.

Elle n'avait cependant pas encore dit son dernier mot. Hors de question de chercher un accès sous l'eau (elle ne savait pas si l'eau était contaminée ou non de ce côté de l'île mais n'avait aucune intention de tenter le Diable) mais elle n'avait pas encore parcouru la totalité de la coque. Peut-être qu'en levant les yeux elle pourrait trouver...

Witted se figea. Elle venait d'entendre un craquement. Bruit tout ce qu'il y avait de plus normal si elle ne se trouvait pas sur un lieu connu pour être hanté. Bien sûr, les Perdus racontaient tout et n'importe quoi, Peter lui-même appréciait les histoires de fantômes au coin d'un feu de Camp avec des Marshmallows improvisés, mais quiconque vivant sur l'Île savait que l'impossible était toujours possible ici. Et la rousse n'avait croisé personne jusqu'à présent. Soit il y avait quelqu'un d'autre, de chairs et d'os, qui était arrivé après elle, soit...

Elle secoua la tête. Mais non, c'était impossible. Ou, si cela ne l'était pas, il fallait qu'elle continue pour en avoir le cœur net.

Son frère lui avait toujours dit qu'elle était beaucoup trop tête brûlée. L'Astucieuse ne l'avait jamais vraiment écouté, car elle estimait qu'il l'était tout autant, voire plus. Depuis, elle avait entendu cet argument de la part d'autres mais n'y avait jamais réellement prêté attention -les autres ne la connaissait pas suffisamment pour la juger, de toute façon. Et pourtant, alors qu'elle tournait le long de l'épave et tombait nez à nez avec une figure qui lui disait atrocement quelque chose, la rouquine se demandait s'ils n’avaient pas vu juste.

Les yeux verts de la Diplomate s'agrandirent. Elle s'arrêta brusquement, fixant la silhouette qui lui faisait face. Elle était mal coiffée, pâlichonne, tristement vêtue et semblait la regarder aussi intensément qu'elle le faisait elle-même. Une partie de son esprit tentait de rationaliser la chose -c'était une rencontre comme une autre, probablement une autre enfant du camp de réfugiés qui avait pris le même chemin qu'elle- tandis que l'autre se tournait vers la solution la plus directe. Elle ne se rendait même pas compte que la main qu'elle avait posée sur la coque du bateau tremblait légèrement.

Alors que Witted pensait que cela ne pouvait pas être plus flippant, l'inconnue prononça son nom. Un sursaut incontrôlé plus tard, les yeux de la Perdue se plissèrent. Elle ne devait pas être si inconnue que cela, pour connaître son nom. D'ailleurs, elle s'était fait la réflexion un peu plus tôt qu'elle lui disait quelque chose. ...Et c'était quoi, ce truc super coloré derrière elle ?

Witted étant aussi prudente que patiente (c'était-à-dire très peu), elle s'avança de quelques pas, gardant tout de même une distance de sécurité entre elle et l'apparition qui lui faisait face. C'est là qu'elle réalisa, laissant échapper un juron irlandais à voix basse.

"Shite... ...Vixen ?"

Cela faisait bien longtemps qu'elle n'avait pas vu sa camarade diplomate. Tellement longtemps qu'elle avait été oubliée par bien des siens... Pas Witted, cependant, qui -en plus d'avoir une mémoire malheureusement persistante sur certains sujets (c'était de famille)- avait beaucoup travaillé avec elle avant son départ.

"...Qu'est-ce que tu fais ici ?"

On la considérait comme morte, au Grand Arbre -du moins ceux qui avaient encore des souvenirs de sa présence. Se pourrait-il que ce ne soit pas le cas ? Pourtant, elle n'avait pas grandi, ses cheveux étaient plus clairs, sa peau elle-même semblait avoir pâli... Au vu de l'endroit où elles se trouvaient, il y avait une autre solution possible, mais Witted faisait tout pour éviter de la regarder en face pour le moment.

Accepter l'idée qu'il y ait effectivement des fantômes sur cette Île -et qu'elle en connaissait un !- c'était encore trop dur à accepter.

Vixen. Elle avait dit Vixen. Le nom résonna à ses oreilles soudainement, faisant vibrer tout son corps. Il n’y avait plus de doute possible, ni de retour en arrière. Aucun quiproquo ne pourrait sauver cette situation, aucun subterfuge. Il lui semblait entendre sa vie éclater en morceaux. Elle fit un pas en arrière, trébuchant presque, comme l’autre en avait fait un pas en avant. Non, il ne fallait pas qu’elle s’approche, il ne fallait pas qu’elle la voit. Elle aurait voulut disparaitre, à cet instant précis.

— ...Qu'est-ce que tu fais ici ?

Elle aurait voulu trouver quelque chose à répondre mais l’effroi déformait trop ses traits et son esprit pour qu’elle ne puisse articuler la moindre phrase. Sa bouche s’ouvrit et se ferma, comme un poisson sans son, poussant un profond gémissement qu’elle aurait voulu plus éloquent. Des centaines d’explications auraient pu lui venir à l’esprit – même si ce n’était pas certains qu’ils eurent été crédibles. Elle aurait pu juste démentir, rire de cette petite garçonne perdue et dire qu’elle ne connaissait pas ce nom, qu’elle se trompait, qu’elle était Claudia et non cette Vixen dont elle parlait – pour la simple et bonne raison que Vixen était morte. Elle était morte au moment où elle avait poussé ce garçon de la falaise et qu’elle avait fuit. Elle était morte pour donner naissance à Claudia – tout le reste n’était que mensonge. Mais elle était bien conscience que plus elle laissait passer le temps, surtout avec cet air de terreur, moins elle serait crédible. Elle recula encore d’un pas, butta contre Anatole. Elle voulait fuir, mais le mouton ne semblait pas de cet avis. Lui, il vivait sa vie sans se soucier et cherchait juste à manger. C’était pour cette raison que les anatoles ne mouraient jamais – ou alors seulement leur enveloppe corporelle et ailleurs renaissait un autre Anatole. Mais ce n’était clairement pas le cas de Claudia.
Elle recula d’un autre pas, tremblante. Anatole n’était pas heureux d’être poussé : elle s’en moquait. Un mot finit par sortir de ses lèvres, aussi ébranlée qu’elle :

— Pitié.

Ouais, elle devait réellement faire pitié à l’implorer ici. Toutefois, ce fut comme si ce simple mot avait ouvert en elle le robinet qui maintenait le reste fermée car la suite s’échappa, confuse, sans qu’elle ne puisse l’arrêter, couplée de gémissements plaintifs :

—Pitié, pitié, pitié, ne me demande pas. Ne pose pas cette question. Je, je… Je n’ai pas fait exprès, c’était un accident, je, pitié.

Elle reprit son souffle, mais celui-ci était trop court pour valoir quoi que ce soit. Tentant de se calmer – ce qui marchait plus ou moins bien –, elle finit par demander d’une voix qui se voulait assurée mais qui ne l’était qu’à moitié :

— Qu’est ce que tu fais ici, Witted ?

..."L'apparition" (elle ne voulait pas vraiment l'appeler comme ça, mais c'était bien difficile de faire autrement) réagit étrangement à ses paroles. Elle semblait avoir aussi peur que... et bien, qu'elle-même. Bizarrement, cela calmait un peu l'angoisse de l'Astucieuse : si Vixen était bel et bien un fantôme, elle n'avait pas l'air d'être du côté des esprits vengeurs et autres poltergeists. Peut-être même n'était-elle même pas consciente de ne plus faire partie du même monde qu'eux ! Elle ne se rappelait plus si elle avait lu ça quelque part ou si quelqu'un lui en avait parlé, mais il existait des théories à ce sujet, elle en était certaine.

Légèrement rassurée, donc, Witted avança d'un pas alors que son interlocutrice reculait d'autant, fonçant dans la créature qui l'accompagnait. La gamine jeta un coup d'œil intéressé au mouton arc-en-ciel. L'animal paraissait en paix avec le monde, absolument pas concerné par la tragédie qui avait lieu à quelques mètres. Une fois de plus, cette excentricité était rassurante. De fait, quand (le fantôme de ?) Vixen reprit la parole, Witted était moins apeurée qu'intriguée.

Pitié ? Mais de quoi ? Elle n'eut pas le temps de demander. Presque aussitôt, l'apparition continua, parlant d'un accident, d'une question à ne pas poser... Sans qu'elle en connaisse tous les détails, Witted se doutait que cela devait avoir à faire à sa disparition. Après tout, c'était la dernière fois qu'elle avait été aperçue par des Perdus. Ils étaient partis à deux... et aucun n'était revenu.

Un lien commençait à se former dans l'esprit de la gamine, mais elle ne s'aventura pas à le dire à voix haute. D'abord, parce qu'on venait précisément de lui demander le contraire, et qu'il serait bien malvenu de contredire un esprit -si elle en était bien un, la mettre en colère serait une bien piètre idée- ; mais aussi parce que l'Astucieuse n'était pas du genre à lancer des accusations sans fondements. Et, bien que son instinct ne lui fasse que très rarement défaut, elle n'était pas du genre à accuser sans preuves.

Plutôt que parler de tout cela, donc, la rouquine se contenta d'ôter sa main de la coque de l'épave et de la lever, paume ouverte, en direction de Vixen. Geste de paix universel.

"Très bien, je ne te le demanderai pas. Ne t'inquiète pas."

Vu de l'extérieur, elle se fit la réflexion que cela devait paraître absurde, de tenter de calmer un fantôme, mais avait-elle vraiment le choix ? Certes, elle aurait pu faire demi-tour et repartir au Camp de Réfugiés sans demander son reste, mais...

...hé bien, elle n'en avait pas envie, voilà tout. Et elle était bien trop têtue pour faire preuve de raison dans ce type de situation. Après tout, l'apparition ne lui avait pas encore sauté à la gorge, non ? Elle ne devait pas craindre grand chose.

Prudente malgré tout, Witted décida de rester à distance, les mains ouvertes toujours bien en évidence. A la question de la Bergère, elle fronça les sourcils : alors comme ça, elle n'avait pas le droit de recevoir une réponse à sa question, mais son interlocutrice était en droit de lui poser exactement la même ?! C'était un peu fort de café. Elle répondit tout de même, bien que de mauvaise grâce.

"...J'avais besoin d'air. Le Canyon est bruyant, parfois on étouffe."

Elle baissa les mains, rangeant ses bras le long de son corps. Son regard vert délaissa un instant son ancienne camarade pour se reposer sur la coque de l'épave.

"Je cherchais un moyen d'entrer." Les émeraudes se tournèrent à nouveau vers l'autre. "Tu en connais un ?"

Ma foi, si elle faisait réellement partie de ceux qui hantaient ce bateau, elle devait savoir comment y pénétrer, non ?

**"Très bien, je ne te le demanderai pas. Ne t'inquiète pas."**

Ces mots auraient dû la rassurer — Ils auraient dû, oui. Mais ils n’y arrivaient pas parce qu’un tas de scénario tournaient dans la tête de l’ancienne diplomate et qu’elle se rappelait — oh oui, elle ne s’en rappelait que trop bien — combien les êtres de son groupes étaient prompt à la manipulation, au mensonge et à l’art d’extraire les informations à leur pauvre victime.

Elle s’en rappelait bien, elle en avait été une.

Et surtout, elle les utilisait encore.

**"...J'avais besoin d'air. Le Canyon est bruyant, parfois on étouffe."**

Claudia la fixa, à la recherche d’un indice mais non, la garçonne perdue semblait sincère. Peut-être était-elle réellement ici sans arrière pensées et que la bergère se faisait du soucis pour rien. Bien que toujours inquiète, elle tenta de reprendre une respiration normale et d’analyser la situation. L’enfant était seule, personne ne savait où elle était… Et plus que tout, elle la prenait pour une apparition. Oui, il y avait peut-être moyen de tirer quelque moyen de la situation. Oui, elle allait faire ainsi…

**"Je cherchais un moyen d'entrer. Tu en connais un ?"**

La pirate jeta un coup d’oeil à l’épave. Avec tout ceci, elle en avait presque oublié son existence, tiens. Elle hocha la tête d’un air songeur. C’était peut être un bon plan d’aller là dedans — en plus, c’était pour cette raison qu’elle s’en était rapprochée, elle aussi. Une once de curiosité la reprit, même si ta tête lui tournait. Elle avait l’impression de changer aussi souvent d’émotions qu’une fée. Elle pouvait faire d’une pierre deux coups : visiter cette épave avec la perdue et s’en débarasser — ou non, peut-être pas, mais s’assurer qu’elle ne puisse pas parler de ce qu’elle avait vu. Et puis… peut-être aussi récolter quelques informations, elle aussi. Elle ne s’était jamais préoccupée de savoir ce qui se passait au grand arbre depuis son départ mais le fait de voir un visage connu, cela faisait naitre en elle certaines envies. Elle n’avait jamais su les versions officielles, jamais su ce qu’on pensait d’elle. Et si maintenant, c’était l’heure attendue ? Et si maintenant….

— Peut-être bien, lâcha-t-elle d’un ton songeur.

Elle se retourna vers le navire et siffla. Un anatole heureux — car tous les anatoles sont heureux — revint vers elle, sa nourriture entre les dents. Elle lui désigna d’un geste le doigt le bateau.

— Va chercher ! ordonna-t-elle.

Le mouton pencha la tête — et pour la millionième fois, elle se demanda si cet être comprenait vraiment ce qu’il disait — avant de partir tranquillement vers le bâteau, donnant des coups de pattes contre les planches. Au bout de quelques bong bong et quelques poc, une planche fit crac et un passage, minuscule, apparut.

— Et bien maintenant, annonça-t-elle, nous en avons un.

Elle jeta une fois de plus un regard suspicieux à la diplomate et lui lança :

— Après toi.

Le trou devait être assez petit pour qu’un enfant puisse y passer. Une chance qu’elles soient toutes les deux de la bonne taille.

Witted observait attentivement les réactions de Vixen (ou de son fantôme ?). Apparition ou non, elle n’avait pas l’air en très bon état, et il n’était pas impossible qu’elle ait une réaction imprévisible. La fillette en avait vu d’autres, ce pourquoi elle avait décidé de répondre à ses questions avec autant d’honnêteté qu’elle en était capable -même si la moue brièvement présente sur son visage laissait clairement entendre qu’elle n’avait pas apprécié de devoir donner une explication à l’exacte question à laquelle on lui avait refusé une réponse. Elle se faisait une raison : l’essentiel était que le fantôme ne craque pas pour faire quelque chose d’imprévisible.

Finalement, elles en vinrent à la raison pour laquelle l’Astucieuse s’était traînée jusqu’ici : trouver une entrée. Si Vixen était vraiment l’une des apparitions de l’épave, elle savait probablement comment entrer, non ?

« Peut-être bien... »

L’excitation enfantine remplaça l’agacement latent dans le regard de la rouquine. Est-ce qu’elles allaient vraiment explorer une véritable épave de bateau pirate ?! Ça allait être trop bien !

Son sourcil se haussa lorsqu’elle vit son ancienne compatriote siffler pour appeler le mouton arc-en-ciel. Qu’est-ce qu’elle allait faire, exactement ? Est-ce que le mouton était la clé pour trouver l’entrée ? C’était pour ça qu’elle se baladait avec, comme les Compagnons des fées ? Intriguée la gamine suivit la recherche de l’anatole des yeux, penchant la tête sur le côté en le voyant taper contre les planches du navire à intervalles irréguliers.

Il y avait quelque chose qui clochait, dans cette histoire. Apparition ou non, Vixen ne vivait probablement pas dans ce coin. Sinon, elle aurait trouvé une entrée, au lieu d’en fabriquer une à coup de sabots de moutons arc-en-ciel. Witted ne dit rien sur le moment, décidant de laisser à l’ancienne Diplomate le bénéfice du doute. Et Anatole ayant fini par leur créer un chemin, la curiosité restait un peu plus forte que la méfiance qui commençait à faire son chemin.

« Après toi. »

La fillette répondit au regard suspicieux de la Bergère par une moue légèrement agacée : il lui semblait tout de même que des deux, pour le moment, c’était bien elle qui faisait preuve du plus grand taux de bonne volonté. Cependant, elle se contenta de soupirer bruyamment avant de s’avancer en direction de l’ouverture.

« ...Ça va être juste. »

A vue d’œil, elle pouvait probablement passer dans le trou, mais un regard en arrière lui indiqua qu’il n’en serait peut-être pas le cas pour sa camarade. A moins que...

« A quel point tu tiens à ta robe ? »

Non, parce qu’elle et son short, ça irait -elle pourrait même certainement passer avec sa besace si elle la tenait bien contre elle- mais les froufrous de la robe de Vixen, ça...

Pourtant, quelques instants à peine après avoir posé la question, la petite rousse se tapa la tête du plat de la main.

« Oh mais je suis bête, tu peux passer à travers la coque. Pff, eejit. »

S’insultant dans sa langue maternelle -celle qui lui venait toujours plus rapidement pour les insultes, allez savoir pourquoi- Witted entreprit de passer la tête par le trou créé par l’anatole. Ses yeux mirent un petit moment à s’habituer à l’obscurité de l’intérieur du navire, et elle n’avança qu’une fois certaine qu’il n’y avait rien de dangereux à première vue. Le bois grinçait de tous les côtés, signe que l’ouverture était à peine assez grande. Heureusement, elle avait bien serré sa sacoche contre son ventre, l’aplatissant au maximum pour passer avec (elle n’avait pas grand chose à l’intérieur, mais le peu qu’elle trimbalait sans arrêt avec elle lui était très précieux).

Après quelques crissements et autre craquements de planches, l’enfant finit par passer entièrement de l’autre côté. Visiblement, elle avait atterri dans une des cales, car il y avait des tonneaux et des coffres un peu partout. Elle s’exclama avec délice, même si sa voix pouvait paraître un peu étouffée de l’extérieur.

« Oh, trop bien, c’est déjà la chasse aux trésors ! Allez Vixen ! »

Après tout, elle ne devrait pas avoir le moindre mal à la rejoindre, non ? Peut-être qu’elle n’était pas un fantôme du bateau, mais juste un fantôme tout court. Et si elle ne l’était pas, eh bien...

...Elles verraient plus tard.