Step on the glass, staple your tongue
Bury a friend, try to wake up

Il y a de nombreux monstres dans mon placard. Ils s'entassent dans la promiscuité intime du déni. Obscurité aliénante. J'ai toujours attendu, le silence habité par ma propre respiration. Pulsations brèves, sèches, d'un coeur de petite fille - "T'es là ? T'es là ? T'es là ?"- qui se remplit petit à petit.- "Pourquoi ? Pourquoi , Pourquoi ? " Poumons aux abois, qui se noient et qui cèdent. "....T'es parti." Frissons.

Je grince des dents. Pas au point de les claquer, juste assez pour blanchir les gencives.

T'es là.

Le temps est un connard. Il te fait oublier ce que tu ne veux pas perdre et grave dans le marbre ce qu'il serait préférable d'oublier. Wrath est l'un des monstres. Il continue de buriner son nom, de le pointe de son couteau, dans le bois abîmé de la porte close. Putain de placard. Dans mon enfance tu me paraissais plus hermétique que ça.

T'es là, et je t'observe patiner.

C'est devenu un manège malsain, entre nous. Entre moi et ton illusion. Je ne sais pas vraiment ce que ressent un Orbleu. Rien, probablement. T'es un putain de zombie qui répète ses dernières actions en tant qu'être humain. En boucle. Foutu pantin. Et moi, depuis que j'ai découvert tes petites habitudes, je reviens t'espionner, en catimini, sur les hauteurs d'une branche, ou de derrière un buisson. Juste pour que mes rétines t'impriment et que mon palpitant souffre.
C'est dangereux et con.

T'es une cause perdue.

Ta vision attise toujours cette colère au fond de moi, ce "POURQUOI?!" que j'ai envie de te postillonner en pleine face, à pleine décibel. "POURQUOI T'ES PARTI !?"

T'es une cause perdue que je n'arrive pas à oublier.
Je ne digère pas ta défection.
Je m'étouffe avec ta trahison.

Et pourtant, pourtant....

Je sais que tu ne me devais rien.

Aujourd'hui, le destin a décidé que je devais en finir avec la question. Thérapie au forceps. En voulant rebrousser chemin, ma paume ripe sur le gel recouvrant l'écorce de mon rameau. Mon poids bascule en avant. La branche craque. La culbute m'amène à rouler jusque sur la surface congelé du Bassin. Mes genoux meurtris glissent et souillent la patinoire de Wrath.

Hébétée, je le regarde avec mes grand yeux charbonneux.

C'est ballot, je vais donc crever ici...

Le froid offre—c’est une illusion, tout le monde le sait, un pacte de non-dits, des offrandes pour apaiser l’esprit (vide, pas de connexion, veuillez vérifier si vous avez bien activé internet), pour faire oublier qu’ils ne sont que des pantins, fils gelés contre sa nuque, ou enroulés autour de ses doigts. Wrath s’en contente, cadeaux qu’il savoure sans plaisir, trouvant cela bien suffisant ; une patrie de plus, énième contrôle permanent. La glace sous ses pieds qui n’ira pas céder cette fois—la chute, la cicatrice, Wrath pourrait presque les oublier, anesthésier ses sentiments suffit—lames brillantes créées à partir de rien.

Le don de création, qui ne sert qu’à détruire.
Il y a une certaine beauté là-dedans, une marche insensée dans des terres reculées, dans l’abandon et la cruauté. Une chaleur—le réconfort de l’habitude, de ce qui a toujours été dans son cœur. Il aime tracer des lames sous ses chaussures collées à sa chair, s’élancer au milieu du Givre avant de rattraper l’ennemi, l’empêchant d’aller plus loin. Est-ce la vérité, ou bien un programme que l’on a inséré dans sa tête, qu’il répète sans le comprendre ? Wrath s’en fiche, servir Hook lui va. Contrôler les autres, ceux dont la peau est si brûlante qu’elle pourrait les faire fondre (c’est faux, les mortels ne sont rien) les forcer à choisir entre patrie et âme, c’est mieux que rien.

Malgré la douleur, les pics derrière ses yeux d’un bleu inhumain, ceux qui le poussent parfois à hurler, doigts agrippant ses cheveux jusqu’à vouloir mourir, il ne reviendrait pas en arrière.

Moi, un traître ?
Moi, un monstre ?

Tu n’avais qu’à le voir venir, à ne pas être aussi stupide !

Tandis qu’il glisse sur le bassin gelé, élégance qui tranche avec la dureté de ses muscles, le monde s’ouvre devant lui, humanité égarée. Il ne lui vient pas à l’esprit que c’est pour lui, une sorte d’honneur, de funéraille qu’elle ne peut pas accepter. Non, Wrath ne voit, tandis qu’il garde ses distances, que le ridicule des mortels, membres tordus et têtes trop remplies.

Son rire résonne, mauvais et impromptu. Humains, que les autres disent certainement, toujours aussi pathétiques. Et Wrath devrait être coupable, désigné par des lois auxquelles il ne répond pas, ancien soigneur monstrueux qui ne peut pas s’empêcher de se marrer, dents trop pointues, givrées en guise de cadeau suprême.

He’s feelin’ nasty.

Le rire découpe l'air froid, cisaille mes tympans et attise le souffre qui dort.
Regarde toi, putain!
T'es plus qu'une parodie indigne, impropre, lâche.
T'es une déception, un écueil ! DU RIEN !
T'es un déchet ! Tu ne mérites pas ton nom !
T'a choisi la facilité sans même te battre.

La rage monte, lave bouillonnante prête à se déverser sur la banquise. Je me redresse lentement sur mes guibolles à l'aide de mon bâton de souffleur. Droite, fière, debout. Les poings serrés. Le regard mauvais. J'ai les bronches pleine des fumerolles de ma propre fureur.
Ta gueule. Ta gueule. Ta gueule ! TA GUEULE !

-RAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAHHHHH!!!!

Le hurlement enflamme la clairière et recouvre son hilarité. Il me libère la poitrine. Il clarifie mon esprit. Très bien, mec, on va se la jouer "règlement de compte à la OK Corral".

- FERME-LA PAUV' SAC A MERDE ! Je crache au sol. T'as pas eu le cran d'choisir de vivre... et d'être mon ami...Alors autant qu'tu crèves pour de bon.

Je pointe mon bâton vers lui.
Si tu pipe pas un mot de ce que je te beugle, connard, ça tu le comprendras. Je suis une guerrière passable mais j'ai la hargne chevillée aux tripes. Et accessoirement, dans une sacoche, du phosphore blanc d'os de mammouth et un briquet.

The real Wrath is me, motherfucker!

Hurle, si ça te soulage.
Je m’en fous.

La mélodie qui vient de Nasty a toujours ce quelque chose de brisé, colère rampante, insultes aux coins des lèvres ; qu’elle est pénible, à se la jouer, à croire que le monde est sa croisade personnelle où elle peut réparer quoi que ce soit. Wrath se montre patient, presque bien-élevé, illusion qui fait glisser ses épaules vers le bas, et qui serait presque convaincante si son sourire n’était pas un appel à la haine.

Est-ce leurs noms ont été inversés, rôles dénués de sens à ce point de l’intrigue. Quelque soit le sort des Orbleus, il sera grandiose, tel un concert, milliers de spectateurs présents pour assister au morceau final—Encore ! Crieront les fans en délire—c’est exactement ce qu’il désire. Ou bien est-ce autre chose, la pensée commune des siens qui se répand jusqu’à envahir son esprit ?

Dommage que Kaze ne soit pas là, qu’ils ne puissent pas jouer à ‘chasse gardée’ faux contre patins, chacun tentant d’atteindre et de briser la victime en premier. Ah, il sait s’amuser seul, après tout Wrath est un grand garçon.

« Je suis vivant. Plus que toi. »

Son anglais c’est bien amélioré. Comment pourrait-elle le savoir ? Ils ne se sont pas croisés depuis une éternité. A qui la faute ? Aux deux, certainement. Son pied trace un arc de cercle devant lui, projetant une gerbe de givre dans la direction de Nasty. Un simple salut, rien de plus.

« Tu sais rien de moi, yankee. »

Bien sûr, cracher sur leur amitié est une façon d’enfoncer le clou, d’être certain de bien la blesser. Qu’est-ce qu’elle va te faire, outre se sacrifier pour une cause personnelle et inutile ? Elle le fait chier.

Je tremble. Mes genoux en castagnettes vont me lâcher, je le sens. J'ai pourtant l'aplomb des mots qui clouent et celui du palpitant qui agit en marteau. Wrath, t'es vraiment con. Vraiment, vraiment con.

- Je suis vivant. Plus que toi.

Arc de cercle.
Pics à Glace.
Le syndrome du hérisson qui prend corps.

Je l'évite d'un mouvement de recul beaucoup trop ample, qui trahit ma peur.

- Tu sais rien de moi, yankee.
- Parc'que t'as rien voulu qu'je sache ! Tu t'es barré comme un faux-j'ton! Que je beugle, la voix se cassant sur un désespoir plus  pénible à encaisser que le reste. Moi.. Moi j'avais envie d'te connaitre, Wrath.... D'rigoler connement en t'apprenant à causer anglais, en fumant des clopes, en buvant nos restes de gnôle. On s's'raient pt'êt bagarrés, cassés encore des bouteilles dessus mais on se s'raient amusés à s'recoller les bouts d'crâne ensembles en foutant à sac l'infir'm'rie. Les larmes me montent aux yeux. "Toi et moi : pareil".. C’est toi qui l'a dit !

Le sel mouillé est chaud sur mes joues, provoquant un semblant de buée.

- T'étais mon camarade, Wrath... Mon camarade! T'étais important pour moi. Je renifle piteusement. Tu l'es encore...

Mon bâton est toujours tendu, mes jambes fléchies. Je ne parviens pourtant pas à lancer le premier assaut.

- J'peux pas t'faire du mal.... J'ai jamais voulu t'en faire..... Ma lèvre frémit. Le gémissement est plaintif. Pourquoi t'es parti, Wrath.... ?!

Pourquoi tu ne m'as laissée aucune chance
de te montrer que je suis ton amie ?

Que l’amitié est étrange, que ces monstres au cœur qui bat trop fort l’agacent. Ignorer les paroles, non faire bien pire, les traiter comme des mensonges qui s’empilent jusqu’à former une tour dans laquelle Nasty s’enferme elle-même, sans personne pour venir la secourir, c’est bien plus drôle. Être le dernier des connards ne dérange pas spécialement Wrath, qui a abandonné chaque demeure qu’il a possédé et tout ce qui s’y trouvait, même les gens. On ne peut pas s’attacher, pas construire, parce que la société s’y refuse, parce que le monde ne rêve que de nous détruire, de laminer chacun de nos rêves. Lui, musicien qui se mutile les mains, le sait mieux que personne.

Il écoute.

Par pitié—non, parce qu’il n’a rien d’autre à faire, que c’est un minimum amusant de laisser Nasty déverser des paroles qui ne lui font rien. Qu’il l’a trouvé égoïste, à beugler n’importe quoi, à faire l’éloge d’une amitié qui semble si lointaine, si insignifiante.

« Oh ? » Sourire plein de cruauté, de cette rage qui brûle encore sous la glace, tandis qu’il s’approche, glissant sur la glace. Il maintient une distance également, juste comme ça, pour voir si elle aura le courage de se bouger ou si ça aussi, c’est juste des paroles en l’air. On ne prétend pas ne pas vouloir attaquer quelqu’un alors qu’on a déjà l’arme levée pour le faire.

« Je suis trop arrogant pour mourir, » pour me suicider, pour tout achever d’un coup, il ne dit pas, mot tabou plus qu’inconnu, « tes paroles égoïstes être plus mauvaises que moi. J’ai une famille, plus de douleur. Plus rien du tout. »

Sur ses patins, il maintient son équilibre, sachant très bien que les lames pourraient finir dans le crâne recouvert de blond. Est-ce que ça devrait le déranger, est-ce qu’il a égaré quelque chose d’important ? Un soupçon de rire ? D’amitié ou qu’est-ce que soit ce concept dont elle parle. Kitty. Kaze. Eux sont des camarades, des monstres comme lui.

Nasty est juste une chose cassée et pénible.

Les mots tranchent, lardent, tuent. Ils répandent du sel sur des plaies déjà meurtries. J'ai le cœur engourdi, la bouche sèche. Le monde est un bruit blanc continu qui éclipse toute mes perceptions.

Les mots résonnent. Echos déformés. Grotesques.

Egoïste

Mauvaise

J’ai une famille,
plus de douleur.
Plus rien du tout.

Alors je réalise que je l'ai perdu. Je ne l'ai surement jamais eu. Un fantasme supplémentaire dans les méandres de ma canicule. Nous n'avons jamais été camarade. Nous ne nous sommes jamais compris. Nous ne somme pas pareil. Nous ne le serons jamais.
Tu es mort avant d'avoir compté.
La douleur ne disparait pas. Elle s'ancre en moi avec son hameçon, elle a ses habitudes, ses poinçons. Je suis une passoire. Ce qu'il y a bien quand on est à ce point troué, c'est que les émotions s'écument vite. Il ne reste que la douleur. Car même si l'Oubli purge de tout, la douleur demeure, gravée dans la chair.

Je me redresse lentement, étrangement calme. Ma colère s'en est allée me laissant avec mon vide ouaté. J'essuie posément mes joues souillées de khôl et de larmes. Je souris. Un sourire vrai. Un morceau de moi que tu emporteras avec toi et dont tu feras bien ce que tu voudras.

- Je vais t'oublier Wrath mais je te ressentirais toujours.

Tu ne comprends probablement pas ce que ça veut dire, mais je m'en fous.

- Adieu, Wrath.

Adieu, camarade.
Je tourne les talons et m'éloigne. La Jungle parviendra tôt ou tard à me gober, et sa silhouette disparaitra à tout jamais.

La rage est l’essence de chacun, c’est ce qui permet aux gens de survivre, de se relever en hurlant. C’est une familiarité qui demeure qu’importe ce qui se produit. Et, c’est un droit que Nasty lui vole sans hésitation, affichant une expression dénuée de colère qui laisse Wrath—ah, les orbleus ont sacrifié leurs sentiments pour un semblant de paix intérieure, donc qu’est-ce qu’il en sait, de ce qu’il reste. Il la fixe, attendant une explosion qui ne viendra visiblement plus.

« Je vais t'oublier Wrath mais je te ressentirais toujours. »

Paroles vides de sens, ou bien c’est lui qui est incapable de comprendre. Pourquoi insinuer qu’ils vont se croiser de nouveau, qu’aucun ne va mourir ici et maintenant ? Est-ce que ça ne serait pas mieux, que tout s’arrête jusqu’à la fin des temps ?

Adieu.

Elle fuit.

Est-ce pour se protéger ou simplement parce qu’elle n’en a pas grand-chose à faire, de la tempête qu’elle a déclenché ? N’est-ce pas lui qui l’a dit plutôt ; Nasty n’est rien qu’un truc cassé qui ne l’amuse pas. Alors, pourquoi est-ce qu’il s’amuserait à la rattraper ? Ah, il y a une faute dans sa logique, un rouage mal-placé qui le laisse planté là.

Ce n’est qu’une fois qu’elle s’est éloignée, qu’elle a disparu dans la verdure gelée, que Wrath se souvient qu’il était là pour sa mission, pour un but unique et rassurant. Lui aussi devrait s’en aller, dans la direction opposée, sans un regard en arrière.

« A jamais, camarade. »

L’impression d’avoir fait une erreur irréparable se niche dans sa poitrine et il l’étrangle en quelques secondes, patins qui glisse sur l’étendue gelée. Il faut tout jeter et recommencer depuis le début, plus de pensées parasites. Plus d’affection.