Mon nom aurait du être Panthère Silencieuse.
Il y’a parfois des histoires qui ne s’écrivent pas.

J’étais une enfant de la forêt, des bêtes et de la nuit, une Piccaninny. Malgré ma peau plus noire que les autres, je n’ai jamais trahi les préceptes des miens : force, honneur et vie. J’étais  une fille sèche, sans rondeur ni courbes, pas même celui d’un sourire. J’étais le silence de l’attente parmi les feuillages, avant que la proie ne s’offre fugacement au regard. J'étais la pointe effilée de la flèche se fichant dans les chairs, la fulgurance magnanime du coutelas, abrégeant les souffrances.
J'étais aussi l'aiguille méticuleuse qui perce à cœur, plus à l'aise avec les pigments sur la peau, que la langue et les mots. Je le suis toujours : c'est à présent ma seule arme contre l'Oubli.
Je suis née double.
La vie m'a pris ce frère pour m'en donner un autre : pâle, fou et aimant. Un grand requin blanc incapable de comprendre que sa nature carnivore le destinait à la solitude du sel et des embruns.
Je suis morte, seule et innomée, avant de m'offrir à la Jungle.
C'est Lui qui est venu me quérir pour me rendre mon humanité.

A présent c'est à moi, de lui rapporter la sienne.

Je suis l’improbable, l’impensable, je suis le corps étranger. L’île m’a faite, elle m’a offert une autre histoire là où j’aurais du m’arrêter. Je  dois, pour cela, la remercier. Je dois désormais m'engager.

Je suis le témoin, qui acharné, consigne.
Je suis le regard et la main du conteur.
Je suis le Témoin de vos vies.
Je suis l'Histoire qui ne se répètera pas.
Je suis la Mémoire.

Je ne fus Personne, mais désormais je Suis.

Nadie est mon nom.
Et je te rappellerais le Tien.

¤Avant¤

- Orpheline de père et de mère, tout comme son frère jumeau. Les deux ont été ramassés par les Piccaninny lors d'une chasse. Ils étaient cachés dans le creux d'un arbre.
- A la différence des peaux-rouges, son épiderme est plus sombre, et ses traits semblables à ceux d’une africaine.
- Papouse exemplaire, appliquée, talentueuse parce que besogneuse. Elève de Grizzly Funeste au même titre que Ska (Carne) et Nunca (son frère).
- Peu loquace, plutôt renfermée voir carrément taciturne, elle est peu à l'aise avec les autres et maitrise mal le langage et ses artifices. Elle offre un contraste saisissant avec ses deux frères, l'un de part sa peau, l'autre de part son tempérament. Par trois, pourtant, toujours ils allaient.
- Plus que guerrière ou chasseuse, la jeune fille aurait aimé être tatoueuse. Elle exprime par l'art tout ce qu'elle est incapable de formuler avec des mots : douceur, délicatesse, poésie et fragilité.
- N'a jamais su nager correctement. L'eau reste une grande hantise.

¤A la croisée¤

Lors de la chasse visant à trouver son animal totem, après un combat furieux avec une panthère noire, Nadie et sa proie sont tombées dans un ravin. Gravement blessée, la jeune fille est parvenue à rapporter sa panthère pour le rituel d’échange d'essence. Son état terrible pousse le Chaman à s'exécuter de manière précipité sans se rendre compte que la panthère n'est pas tout à fait morte. La bête meurt néanmoins à l'issu du rite laissant l'indienne complétement paralysée. Son nom véritable lui est alors refusé. On lui offre une issue honorable : mourir comme une vraie Piccaninny, machette en main dans la forêt, plutôt que d'être un poids toute sa vie pour le clan. Elle accepte. Ce sera la dernière fois qu'elle verra les siens.

¤Après¤

Nadie telle qu'elle est à présent:

- De ce qu'elle sait, elle est l'unique cas de femme-panthère sur l'île. De ses propres déductions, son essence et celle de la panthère ont bel et bien fusionné allant jusqu'à lui offrir ce nouveau corps. Elle n'est cependant pas dupe : c'est l'Île-Mère qui lui a offert cette opportunité
- Au commencement plus fauve sauvage qu'humaine raisonnée, elle a mis un certain temps à trouver le point d'équilibre entre ses deux natures.
- Habitait dans les Ruines Abandonnées dont elle a repeint les murs de fresques colorées au gré des témoignages du vent, des animaux, des fées et de ses propres observations. C'est une mine d'informations  foisonnante sur les événements passés de l'Île de Jamais.
- Carne fut  pendant longtemps son seul lien avec son humanité passée et avec les humains tout court. Puis Boa Nocturne pris ce rôle. A la survenue du Givre, elle s'est décidée à briser cette retraite pour retourner auprès des humains. Elle a fait un retour remarqué et quelque peu délicat auprès des Piccaninny en tant que compagne  de leur chaman.
- Carne est le seul homme qu'elle ait jamais tatoué jusqu'à présent. C’est lui qui lui a ramené son équipement de tatoueuse. Il ne l'a pistée que pour qu'elle puisse avoir ses aiguilles dans cette autre vie. En retour, elle le blessa gravement, le forçant à trouver refuge sur le Jolly Roger puisqu'il avait été banni de leur tribu. Ainsi les trois enfants prirent des chemins différents : Nunca en tant que Piccaninny, Carne en tant que pirate, Nadie en tant que créature de l'île.
- Fabrique elle même ses pigments et ses encres. Elle est la seule à savoir comment confectionner l'encre turquoise qui donne une vie propre aux dessins (comme les sirènes sur la peau de Carne). Depuis peu, elle a trouvé le moyen d'en faire une arme en maniant par sa seule volonté créative cette encre métamorphe.
- Se peint régulièrement le visage et le corps. Ses bras son souvent recouverts de tache de pigments et de teinture à cause de son "travail".
- A gardé sa machette Piccaninny, celle qu'on lui a laissé pour mourir. Possède cependant des griffes qui supplantent ses ongles et des crocs qui remplacent ses dents, lorsque la panthère domine.
- Ne tue que pour se nourrir.
- Elle continue de parler peau-rouge, anglais avec un fort accent et depuis son changement comprend peu à peu le langage des animaux, surtout ceux des félins.
- Possède un statut particulier auprès du peuple des fées depuis qu'elle a accordé à la reine Mab de faire son portrait.
- Très spirituelle, elle considère l'Île comme une déesse-Mère et Peter Pan comme son premier-né. Les fées sont à ce titre, le sang qui irrigue l'île et lui permet d'exister, l'Energie vive de celle-ci personnifiée.
- A une peur panique de la mer. L'océan la met très mal à l'aise. Elle reste donc le plus souvent au coeur de l'île qu'elle vénère et sillonne sans cesse. Néanmoins, elle tente d'apprivoiser peu à peu cet élément car elle sait que c'est celui de Carne et de cette entité qui a pris possession de lui.
- C'est juré d'être la Fin de Carne quoi que cela implique.

• Trouvée par des chasseurs Piccaninny dans la jungle avec son frère, encore nourrissons quelque part, au commencement de tout.
  
• Elevée dignement comme une guerrière au même titre que son frère et que Ska, un enfant blanc adopté alors qu'ils ont le même âge.
  
• Rite de passage de l'Essence. Nadie revient mourante, tente d'accéder à son nom en apportant quand même sa panthère avec elle. Le rituel échoue sous les yeux horrifiés de Boa Nocturne, alors apprenti chaman, parce que la panthère est toujours vivante. Nadie, condamnée, est abandonnée dans la jungle avec sa seule machette, pour y mourir. Nunca et Ska ne l'apprendront qu'au retour de leurs propres chasses. Nunca plie et renie sa jumelle en acceptant son nouveau nom, Ska est furieux et quitte le clan en les maudissant tous. Il se met en quête de Nadie, persuadé en son fort intérieur qu'elle vit encore.
  
• Ska retrouve Nadie devenue créature, bestiale et sauvage. Il tente plusieurs approches et finit par éveiller sa conscience en lui rappelant son nom "Nadie" et en lui rendant ses aiguilles de tatoueuse. Le processus est long, l'humaine peine à refaire surface. Lorsque Nadie émerge à nouveau, Ska est parti : elle l'a blessé si sauvagement qu'il est parti se refugier au seul endroit qui voulait encore de lui : les pirates. Ska devient Carne Salt.
  
• Ils se reverront, épisodiquement mais toujours régulièrement: Elle tatouera son frère pâle qui aurait du s'appeler "Requin Rieur" en d'autre temps, ou "Sirène Vorace", peut-être. Elle peindra toutes les Intrigues de l'Île sur les murs de ses ruines. Puis, un jour, il ne vint plus.
  
• Canicule : Elle retrouve Boa Nocturne et noue avec lui une relation qui devient très vite d'ordre intime. Ils s'aiment bien qu'ils soient de deux mondes bien distincts.
  Elle rencontre Peter pan pour la première fois, en tant d'années. Cette entrevue la marquera profondément et à tout jamais.
  
• Pluies Salées : Carne ne vient plus. Inquiète, Nadie investigue sur ce qu'il a pu devenir. De curieuses rumeurs lui parviennent : viol d'une perdue ou amour interdit, folie autodestructrice, suicide..... Tout cela ressemble si peu à celui qu'elle connait. Boa lui apprend que Nunca est décédé. Nadie sombre dans un chagrin sans fond. Jamais elle n'aura eu le courage de faire face à son jumeau dans cette nouvelle vie.
  
• Givre : Nadie décide de faire fi de sa passivité. Désormais, elle prendra part à l'Histoire. Elle rejoint le camp des Réfugiés du Canyon Rouge, dévoile sa nouvelle nature aux anciens de son clan et demande sa réintégration. Elle veille sur le Cocon et sur Peter Pan, racontant sans relâche les aventures qu'il a vécu sur son Île.
  Carne reparait enfin lors d'une attaque éclaire qui a pour conséquence, l'agression du Cocon, la libération de Loutre Sage et la mort de bien des natifs. Carne n'est plus lui même et Nadie lui fait la promesse de l'arrêter, coûte que coûte.
  

Tout ce rouge.
Tout ce rouge sali d'encre et d'incompréhension.
Qui es-tu, toi ?
Qui es-tu voleur de corps, pilleur d'âme ?
Usurpateur.
Le rouge a toujours été ta couleur, Carne, mais il était baigné de sel, d'honnêteté farouche et de cette foi inébranlable, presque juvénile en Mère-l'Île. Tu aimais, à ta manière, soit, mais ton coeur n'a jamais été souillé par la duplicité. Cette poix infâme, visqueuse, traitre, ça n'est pas toi, frère. Le mensonge t'avilie.

- Qui es-tu ?

Le guerrier que je tiens dans mes bras exhale son dernier soupir. Piccaninny, Huron ou Delaware, quelle différence cela fait-il ? Que les esprit te guident, tu es mort avec dignité. Je presse sa carcasse sans vie contre ma poitrine encore gorgée d'énergie. Moi aussi j'ai cessé de respirer. La fureur incendie mes veines.

Tu m'a oubliée.

Le hurlement libère la bête. Le Fauve déforme ma dentition, fait craquer mes lèvres gelées, dévoilant des crocs mortifères. La Panthère est là, écumante d'une rage funeste, d'un appétit de justice inégalé.

TU M'AS OUBLIEE !

***

Marcher.
Jusqu’à l'épuisement, jusqu’au but.
Marcher.
Jusqu’à l'écrasement absolu et brut.
Sur ma croupe, sacs et pots dansent en équilibre, à l'aulne de mon rythme. Ma robe noire s'immisce entre les herbes fauves. La prairie bruisse et décampe, à ma venue. Qu'ils fuient, Je marche. Le dos ployé sous la charge qui est la mienne, sous le poids de ces destins égarés. La Mémoire seule, lutte. Seule, elle porte la lumière quand le monde s'éteint. Mes fresques ne seront pas diluées par la pluie. Elles ne s’étioleront aux premières neiges.

Elle te survivront.

Je suis le témoin silencieux.
Je suis le scribe anonyme.
Je ne suis Personne.
Nadie est mon nom.

L'herbe se fait plus courte, plus rase. Le monde perd de son pigment. La terre se fait sable, infécond et terminal, comme ces plages que j'ai toujours craint de fouler. Ils s'élèvent soudain, érigés de rien, carrousel d'os et de ruines. Immaculée conception d'un ventre pour le moins aride.
Les lianes se dénouent. Mon paquetage échoue au sol. Le sol avale leur son. Vague nuage de poussière. Le silence, lui même, meurt. L'Ossuaire m'encercle de toute sa démesure virginale.
Il n’est qu'un début.
Je débouche un à un, pots, bocaux, calebasses et outres. Les couleurs dégorgent en safari. Verts, ocres et bleus. Oranges tangerines et turquoises maritimes. Jaune serpent. Rouge sang. Noir seiche et sereine indigo.

Je plonge mes mains dedans, pour les sortir pleines.
Pleine de paroles.
Les mots coulent, éclaboussent la frondaison des carcasses, aspergent et poinçonnent en éloquences jobelines. Tuent d'un trait, d'un seul ! Sans concession, sans retenu. Griffes au dehors et émotion en exergue ! Je noie ton mutisme de pigments déchaînés.

Je suis le témoin furieux.
Je suis le scribe invariable.
Je ne suis Personne.
Nadie est mon nom.

Et toi, Île traîtresse,
Toi Grande Mère que j'ai tant révérée, je ne te pardonnerais jamais tes manquements.
Toi, folle et méprisable, décadente et censurée, Tu sera ma toile, mon oeuvre, tu ne me feras plus taire.
Je te crierais, fière et sauvage !
Je te hurlerais sans pitié !
Je suis l'orpheline d'une ère révolue.
Je suis la soeur de deux frères perdus.
Je suis le seul pilier contre leur Oubli.
Et leur histoire est mienne.

Le rugissement libérateur fouette les dépouilles, éclate en échos terrible, loin, au delà du temps et des âmes. Au delà des cœurs et des saisons.
Qu'il écoutent, Tous !
Qu'ils entendent, à Jamais !
Essoufflée, vidée, maculée de sueurs bariolées et de larmes, je contemple la puissance de mon deuil. Mes bras s'ouvrent, mon visage se baigne de clarté.
Nunca.
Ska.
Mère Indigne !

Ceci est votre Memento Mori.
Et toi, monde, tremble !

- MON NOM EST NADIE !