Flicker

C'est fou ce qu'en peu de temps, tout a changé.

Ils étaient rentrés de l'expédition et la pluie avait fait place au froid. Pendant quelques temps, tout avait semblé aller bien - si on faisait exception de Pan, coincé dans une apathie dont elle avait fait le choix de ne pas s'inquiéter.

Puis, du jour au lendemain, tout était parti en couilles.

Parce que l'Île est l'Île et que la vie - ici comme là-bas - peut-être bien chienne, tout s'est fait beaucoup trop vite : le paint-ball, la mort de Mirka, le départ et ce froid qui n'avait cessé de se faire plus glacial, plus pressant.

Ils s'étaient séparés, s'étaient regroupés à divers endroits. Comme de juste, les Chasseurs avaient fait pareil : certains avaient rejoint le Camp de Réfugiés, d'autres - comme Apache, Blood ou Timber - avaient préféré la relative indépendance de l'Ossuaire. Et Twice - cet abruti - avait décidé de rester à l'Arbre.
Lace n'avait rien dit, c'était son choix et il était assez grand pour le faire.
(Mais tout de même, quel con.)

Etonnement, s'habituer à la vie de Réfugiée avait été moins difficile que prévu : au final, elle chassait comme avant, déconnait avec Freckles comme avant - Dieu merci, ils s'étaient réconciliés - et côtoyaient, à peu de choses près, les mêmes personnes qu'avant. Certes, elle devait désormais composer avec des Peaux-Rouges plus ou moins ravis de les accueillir, mais... elle faisait avec, pas le choix.
La Meute, d'un coup, s'était drôlement agrandie.

Ça fait plusieurs jours, qu'ils sont là. Plusieurs nuits où Lacerate dort plus ou moins bien, nichée dans la tente qu'elle partage avec le Lionceau. Cette nuit-là, elle fait un cauchemar, pourtant : pas le plus terrible, mais assez dérangeant pour que, quand elle se réveille, elle ne se sente pas super bien.

Avec une discrétion qui contraste avec son caractère, la Gueule Cassée prend la décision de se glisser hors de la tente - non sans avoir enfilé une veste auparavant - foutu froid. Et alors qu'elle marche vers ce qu'elle croit être le tipi de celle qu'elle veut voir - juste pour être sûre que son cauchemar n'est pas prémonitoire - Lacerate se sent de plus en plus conne. C'est vraiment une raison débile de débarquer chez quelqu'un au milieu de la nuit, mais...

... l'Île est l'Île. On ne sait jamais.

Elle est arrivée, du moins elle l'espère. Maintenant, il lui reste à savoir quoi faire. Rentrer ? Non, ce serait carrément trop intrusif et puis, avec sa gueule, elle pourrait la faire flipper. Du coup, Lacerate attend bêtement quelques secondes et finit par appeler, à mi-voix :

- ... Bambi ?

C'est débile, c'est débile, c'est fou ce que c'est débile. Alors qu'elle trépigne un peu - de froid ou de nervosité, difficile à savoir - la Gueule Cassée se surprend à espérer qu'elle ne l'ait pas entendue ou alors qu'elle soit déjà réveillée. Parce que maintenant qu'elle l'a appelée, elle va avoir l'air sacrément stupide mais bon ? De toute façon, c'est trop tard maintenant.

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Des trucs en vrac:

Il y a un bruit.
Ça suffit pour la réveiller, parce qu'elle dort mal. Elle dort mal depuis qu'ils sont arrivés au Canyon, parce qu'il fait froid, parce qu'ils sont beaucoup, qu'il y a du bruit, et parce qu'elle a un peu peur de pas se réveiller, de givrer dans son sommeil et de se transformer en statue elle-aussi, une statue de glace qu'on retrouvera le matin dans son lit.
Bambi pense beaucoup à Mirka.
C'est difficile.

Enfin bref, elle dort mal.

- ... Bambi ?

Elle plisse un peu les yeux ; elle peint à apercevoir la silhouette dans la pénombre. Mais elle reconnaît la voix. Et ça la pousse à abandonner le confort et la chaleur de sa couverture, à se glisser hors de son lit, ramasser un manteau et le glisser sur ses épaules, et s'approcher de l'entrée, mortellement inquiète.

« Lacerate ? »

Elle demande, mais elle sait très bien qui c'est.
La vraie question c'est ce qu'elle fait là.

« Tu … Tu vas bien ? T'as besoin de quelque chose ? »

Parce que Lacerate elle vient jamais voir Bambi. C'est son rôle, d'accord, d'être là pour les chasseurs, elle est mère et tout, mais c'est juste pas le genre de la cheffe de venir réclamer un câlin ou une histoire du soir. Bambi sent son sang qui se glace dans ses veines, et elle doit pâlir, en s'imaginant le pire ; quelqu'un est blessé, quelqu'un est mort, le Givre a atteint le Canyon. Elle reprend, d'une voix un peu aiguë :

« Il s'est passé quelque chose de grave ? »

Si voir Bambi soulage Lacerate, le sentiment dure très exactement 2 secondes avant de laisser place à une honte qui lui donne l'impression que ses joues sont brûlantes même dans le froid du Canyon. Et voilà que la Cascade - fidèle - elle-même - commence à s'inquiéter.

- Il s'est passé quelque chose de grave ?

Ah, bordel. Quelle idée géniale d'être venue l'emmerder au milieu de la nuit, maintenant elle panique et la Cheffe a envie de disparaître. Ravalant sa honte du mieux qu'elle peut, elle inspire un coup et murmure :

- Non, non, t'inquiète. On est pas attaqués, tout va bien, t'en fais pas. C'est juste que...

Une pause, qui ne dure pas très longtemps ; elle bloque. Mais bon, c'est un peu tard pour reculer : Bambi est réveillée, de toute façon.
Son ton se raffermit. Alors qu'elle adresse un regard très sérieux à la Mère - du genre préventif, si tu te marres je te casse la gueule - Lace finit par énoncer :

- ... j'ai fait un cauchemar.

Parler ne l'aide pas. Au contraire le fait d'énoncer la raison de sa visite la mortifie un peu plus. Incapable de soutenir le regard de la Cascade plus longtemps, elle poursuit :

- Dedans, tu disparaissais. Et du coup... bah, j'ai voulu vérifier que t'allais bien.

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- Non, non, t'inquiète. On est pas attaqués, tout va bien, t'en fais pas. C'est juste que...

Bambi laisse échapper la respiration qu'elle retenait, peut-être un peu trop soulagée. Mais il y a quelque chose, quand même, sinon la cheffe ne serait pas là à sa porte, l'air mortellement embarrassée. Patiemment, elle attend. Elle lui sourit, même, même si elle n'est pas sûre que Lacerate le voie.

- ... j'ai fait un cauchemar. Dedans, tu disparaissais. Et du coup... bah, j'ai voulu vérifier que t'allais bien.
- Oh !

Ça la prend de court. C'est qu'un rêve, ça veut rien dire, ça veut pas dire que Lacerate a peur qu'elle disparaisse, mais ça lui fait quelque chose quand même, de chaud.
Et elle sait pas quoi répondre. Elle reste silencieuse pendant dix bonnes secondes, avant de se dire que c'est horriblement impoli d'ignorer quelqu'un qui se montre vulnérable comme ça. Surtout quand c'est si rare.

« Je. Je suis là. J'ai pas disparu. Tu vois ? »

Elle tend la main et attrape le poignet de Lacerate avec la plus grande des douceurs. Elle sait pas si ça va la rassurer, ou si c'est débile, mais elle le fait.

« Moi non plus je dors pas très bien en ce moment », avoue-t-elle. « C'est pas hont- c'est pas grave. C'est normal. »

Un peu embarrassée, elle se balance sur ses pieds.

« Tu veux, hm … Tu veux que je te fasse quelque chose de chaud à boire ? »

Bambi a l'air surprise et, pour être honnête, Lacerate ne peut pas lui en vouloir : ça ne fait pas longtemps qu'elles peuvent se tenir dans la même pièce sans chercher à s'entretuer. Un instant, son esprit s'égare du côté de leur dernière engueulade : ça avait été moche, avec du recul elle n'en est pas du tout fière. Mais depuis, les choses se sont améliorées entre elles, non ?

- Je. Je suis là. J'ai pas disparu. Tu vois ?

Et elle lui prend la main.

La Chasseuse baisse les yeux, perplexe devant le geste et sans doute aussi le fait que ça l'interloque autant. C'est du contact, ça va aller, elle gère.
(N'empêche, Bambi a la peau douce.)

- Moi non plus je dors pas très bien en ce moment. C'est pas hont- c'est pas grave. C'est normal.

L'ancienne elle aurait ri de cette tentative de la rassurer, mais voilà : alors qu'elle se tient dans le froid, Lacerate trouve ça quand même un peu réconfortant, de se dire qu'elle n'est pas la seule.
(Ceci dit, c'est pas cool, quand même : après avoir cauchemardé sur Apache, Big Jack et certains souvenirs qu'il avait réveillé, elle cauchemarde sur le froid. A croire que son cerveau ne veut pas la laisser tranquille.)

- Tu veux, hm … Tu veux que je te fasse quelque chose de chaud à boire ?

C'est tellement gentil, la Gueule Cassée ne peut s'empêcher de rouler des yeux (mais avec, cette fois, un sourire). Toujours à voix basse - elles sont quand même entourées de monde et c'est le milieu de la nuit - elle répond :

- Si ça te dérange pas.

Et qu'est-ce qu'elles se diront, après, hein ? Lacerate est un peu trop fébrile pour y réfléchir. L'idée de se retrouver à l'intérieur, avec quelque chose de chaud à boire, est pour le moment la seule perspective qui lui importe.

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- Si ça te dérange pas.

Ça la dérange pas.
Elle suppose.

Elle fait un rapide geste de la main pour indiquer à Lacerate qu'elles sortent. Elle enfile une paire de bottes par dessus ses deux paires de chaussettes, et même enroulée dans une immense fourrure, quitter la chaleur de la tente lui arrache un frisson.

« Il y a de quoi faire du thé, enfin, des infusions, je crois ... »

Pas dans sa tente. Dans les tentes communes, celles qu'on utilise pour faire à manger, et qui en journée fourmillent de peau-rouges et de mères de perdues. A cette heure, le camp est désert à l'exception de quelques sentinelles qui leur adressent pas plus que des signes de tête, et les gardiens du feu. Bambi détourne le regard quand elles passent à côté. Elle ne veut pas voir Peter dedans.

« Enfin, peut-être que t'aimes même pas le thé, je – je sais pas. »

Elles sont arrivées dans la tente des réserves. Bambi fouille dans des grands pots en terre au hasard, dans l'espoir de trouver quelque chose. Tout est froid et solide. Il y a du miel qui a cristallisé entièrement et qu'on ne pourrait manger qu'en en brisant des morceaux.
Elle sait pas si Lace est déjà venue dans la tente alors elle se tourne vers elle et lui fait un petit signe en direction de braseros qui sont plus grand chose à cette heure que des tas de cendre et de braises froides.

« Faudrait allumer euh, ces trucs, si on veut faire bouillir de l'eau », indique-t-elle.

Elles se mettent en route.

- Il y a de quoi faire du thé, enfin, des infusions, je crois ..

Lacerate acquiesce : elle ne s'est rendue dans les tentes communes que pour y déposer le fruit de ses chasses mais ne s'y est jamais vraiment attardée. Alors qu'elles passent près du feu, la Gueule Cassée ne peut pas s'empêcher de jeter un oeil à Peter, toujours immobile au milieu des flammes. Une idée radicale, pour le réchauffer, et qui n'a pas trop l'air de marcher.

- Enfin, peut-être que t'aimes même pas le thé, je – je sais pas.

- J'aime bien. Qu'elle réplique presque aussitôt, d'un ton assuré. Pourtant, elle ignore d'où lui vient cette affirmation, la plupart de ses souvenirs restent flous. Elle parvient pourtant à déduire que, aussi étrange que cela puisse paraître, ça avait rapport avec son gang.

Elle n'en saura pas plus.

Dès qu'elles arrivent, Bambi se met à fouiller. Observant l'intérieur de la tente déserte, Lacerate déambule et prend - pour une fois - le temps de regarder ce qui l'entoure. L'endroit est plein de bordel, ça doit être encore pire quand c'est la journée. Et Bambi lance :

- Faudrait allumer euh, ces trucs, si on veut faire bouillir de l'eau.

- Ok.

En fouillant dans ses poches, elle trouve le briquet dont elle se sert pour allumer ses clopes - celui qu'elle a ramené du Monde Ordinaire. Allumer le brasero ne lui prend pas très longtemps, ça lui rappelle les fourneaux du dirigeable. Une fois qu'un petit feu s'est mis à prendre, la Chasseuse se redresse et se tourne vers la Mère.

- C'est prêt.

Bien que leur relation se soit améliorée, Lacerate a quand même l'impression de manquer de naturel. C'est peut-être une question de circonstances, va savoir.

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- Ok.

Souvent Lacerate est comme ça : pas bavarde. Bambi se dit qu'elle préfère. Quand Lacerate parle beaucoup, c'est qu'elle déborde.
Elle la regarde fouiller dans ses poches pour sortir un briquet, et allumer le feu, avec le geste de quelqu'un qui a l'habitude.

- C'est prêt.
- Très bien.

Ça sonne condescendant. Elle voulait pas que ça sonne condescendant.
Mais elle s'occupe vite avant d'y penser trop. Elle trouve un récipient, de l'eau, commence à la faire bouillir. Elle cherche dans les pots en terre pour trouver des herbes. Il y en a de toutes les couleurs, des trucs de peau-rouges qui lui sont inconnus. Elle espère secrètement qu'elle ne va pas accidentellement faire infuser un hallucinogène dingue, même si l'idée est excitante.

Et puis elle n'a plus rien à faire, et un silence s'installe.

« J'aime bien ici », lâche-t-elle après une poignée de secondes.

Un regard vers Lacerate, puis vers l'eau qui commence à faire de petites bulles.

« Tous ensemble, je veux dire. Avec les peau-rouges. J'aurais préféré que ça soit dans des circonstances différentes bien sûr, et je préférerais qu'on soit tous au même endroit, mais …. » D'un geste elle s'essuie une larme – pas le temps de la laisser givrer. « Je sais pas. J'aime bien. »

Sujet: Re: Flicker Dim 7 Oct 2018 - 23:51

Bambi lui répond une banalité, et Lace laisse faire, presque rassurée, pour une fois, par ce small talk. C'est toujours mieux que les insultes, mieux que les piques qu'elles s'échangeaient, avant. Avisant un meuble couvert de peaux, elle le bouge et s'assied près du feu. Bambi s'affaire, et le silence entre elle, pour une fois encore, ne lui semble pas si terrible. C'est déjà bien qu'elle ne soit pas seule.

Lace n'a jamais aimé être seule.

- J'aime bien ici.

La Gueule Cassée lève le regard et détaille Bambi. Cette dernière développe :

- Tous ensemble, je veux dire. Avec les peau-rouges. J'aurais préféré que ça soit dans des circonstances différentes bien sûr, et je préférerais qu'on soit tous au même endroit, mais … Je sais pas. J'aime bien.

L'eau bout, le feu prend. La Cheffe fixe la Mère, puis le feu. Puis Bambi, encore, qui a pris le temps de l'aider alors qu'elle aurait pu l'envoyer balader.
Un vrai progrès.

- J'aime bien aussi.

Un sourire étire ses lèvres aux commissures asymétriques. A voix basse, elle continue :

- Tu me crois si je te dis que j'aime la paix ? Elle sourit un peu plus, se reprend : Enfin, y'a toujours les Orbleus, mais quand même, j'ai l'impression qu'on a jamais été autant unis que maintenant.

Un temps. Sa mine s'assombrit quand elle reprend :

- J'aurais aussi préféré que ce soit dans d'autres circonstances. Une seconde, un blues soudain qui s'installe et qu'elle chasse - comme les souvenirs de son cauchemar. Mais c'est pas grave, on va s'en sortir. On s'en sort toujours.

Elle se tait, son regard dérive de côté.
Difficile de savoir si elle est réellement convaincue parce ce qu'elle a énoncé.

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Sujet: Re: Flicker Mer 31 Oct 2018 - 19:05

- J'aime bien aussi.

Lacerate sourit comme une personne normale.

- Tu me crois si je te dis que j'aime la paix ? Enfin, y'a toujours les Orbleus, mais quand même, j'ai l'impression qu'on a jamais été autant unis que maintenant.

Bambi hoche la tête. Est-ce qu'elle la croit ?
Peut-être.
Tout le monde n'aime pas la paix elle le sait ; pas ceux en tout cas qui passent leur vie à l'arène pour laver dans le sang la moindre contrariété. Mais Lace ? Ça se discute.

- J'aurais aussi préféré que ce soit dans d'autres circonstances. Mais c'est pas grave, on va s'en sortir. On s'en sort toujours.
- Oui, c'est vrai. Je suppose que c'est vrai. On est toujours là.

Elle n'ose pas dire que c'est le groupe, qui s'en sort. Les Garçons Perdus. L’île. Tout le monde s'en sort collectivement, mais individuellement non, y a des gosses qui meurent, et eux ne s'en sortent pas. Elle le dit pas parce que c'est pas forcément un truc très intéressant à dire, là maintenant.

« Et puis pour l'instant, ils ne viennent pas jusqu'ici. J'aimerais juste bien qu'on trouve une solution, je suppose. »

Pour les Orbleus, et pour Peter. Pour pas avoir peur tout le temps.
Ni froid.
Elle frotte ses mains l'une contre l'autre, forte de la perspective de tenir une tasse brûlante quelques minutes plus tard ; les feuilles de thé infusent sagement et un nuage de vapeur menace de remplir la pièce.

« Tu fais beaucoup de cauchemars ? »

Elle a presque chuchoté.

- Oui, c'est vrai. Je suppose que c'est vrai. On est toujours là.

Ça la rassure, en un sens, que Bambi acquiesce. Pour l'instant, Lacerate ne se sent pas de débattre. Et puis, il faut dire qu'un peu d'optimisme ne peut pas leur faire de mal, dans leur situation.
Est-ce qu'elle a toujours été comme ça, a tenter de rassurer les autres ? Elle n'en est pas sûre. De toute façon, son passé importe peu - c'est ce qu'elle aimerait se dire.

Bambi reprend :

- Et puis pour l'instant, ils ne viennent pas jusqu'ici. J'aimerais juste bien qu'on trouve une solution, je suppose.

La Cheffe comprend. D'une voix basse, elle réplique :

- Pareil.

Elle frissonne encore un peu, et Bambi se frotte les mains. Quelle plaie, ce froid - elle le pense sans le dire. Mais d'un côté, ça a ses avantages, puisque c'est grâce au Givre qu'elle se retrouve à discuter tranquillement avec la Mère Apprentie.
Rester optimiste, toujours.
On essaie.

-Tu fais beaucoup de cauchemars ?

La voix de Bambi résonne faiblement, portant une question dangereuse. Le regard de Lacerate part de côté alors qu'elle se plonge dans des souvenirs flous.

- Ouais.

C'est dangereux, de trop fouiller. Dangereux de se rappeler quand les cauchemars ont commencé, ce qui les a causés. Son coeur se met à battre trop vite alors qu'elle se rapproche de l'une des pires nuits de sa vie.

Une grande inspiration, elle secoue la tête un peu trop fort. C'est passé, ça n'arrivera plus. Elle n'oubliera plus rien, plus jamais, elle note tout, après tout. Ça va aller.

Son regard se fait moins flou alors qu'elle développe, amèrement :

- J'en fais depuis longtemps. Avec la vie que je menais, c'était inévitable.

Son regard s'attarde vers Bambi, évite le sien pourtant, alors qu'elle relance :

- Toi ?

C'est un peu nul, de renvoyer la balle, mais elle ne sait pas quoi faire d'autre.

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Des trucs en vrac:

- Ouais.

C'est une question de mère ça. Tu fais beaucoup de cauchemars ? Une question de personne qui s'inquiète. Mais « ouais » c'est pas une réponse de chef.
Une réponse de Lace, seulement.

- J'en fais depuis longtemps. Avec la vie que je menais, c'était inévitable.

Bambi doit s'empêcher de lever les yeux au ciel parce que Lacerate la regarde.
Elle en pense pas moins.
Pas que la réponse de la cheffe soit over-dramatique. Maintenant que la mère la connait, cette vie passée, ça semble très crédible qu'elle en fasse des cauchemars. C'est le ton amer de Lacerate, sans doute, qu'elle trouve difficile à supporter. Comme si elle était la victime dans l'histoire, pas un acteur, que les choses horribles qu'elle a fait n'étaient pas de sa propre volonté.
Si elle y réfléchissait Bambi admettrait qu'elle n'en sait rien. Mais c'est beaucoup plus confortable de continuer à penser que Lacerate est coupable de tout ça.

- Toi ?

Au moins elle fait un effort pour s'intéresser à elle. C'est rare. C'est nouveau.

« Oh, non, pas du tout. » Pour s'occuper les mains elle commence à verser le liquide qui a fini d'infuser dans des petites tasses en terre cuite. « Je fais pas beaucoup de rêves en fait. C'est peut-être bizarre au pays imaginaire mais bon. »

Elle rit nerveusement. Elle sait toujours pas entièrement comment se comporter sur l’Île. Ce qu'il faut dire. Et les rêves qu'il faut faire.

« Je sais pas, je suis peut-être trop fatiguée. Ou alors c'est que j'ai pas d'imagination. »

Ou peut-être qu'elle vit juste trop de choses incroyables ici pour que ses rêves aient seulement l'espoir de faire mieux ?

« Enfin dans ton cas c'est pas vraiment une histoire d'imagination, vu que c'est des souvenirs, c'est- » elle rougit de sa propre stupidité. « Je sais pas ce que je raconte, laisse tomber. »

Lacerate ignore ce qui se passe dans la tête de Bambi, et c'est sans doute mieux. Toujours un peu dans les vapes, elle regarde la Mère verser l'infusion. Ça fume, c'est chaud, ça leur fera du bien. Tout pour oublier cette vague sensation de malaise, la nausée qui reste en arrière-plan, reste du cauchemar.

- Oh, non, pas du tout. Je fais pas beaucoup de rêves en fait. C'est peut-être bizarre au pays imaginaire mais bon.

Elle rit, d'un rire qui ne respire pas forcément la joie. Lacerate lève les yeux vers elle, l'observe alors que Bambi reprend :

- Je sais pas, je suis peut-être trop fatiguée. Ou alors c'est que j'ai pas d'imagination.

Des excuses, des justifications pour quelque chose qui n'est pas si important - enfin, Lacerate trouve. Avec une précaution étonnante de sa part, elle récupère une tasse. Au milieu de l'air froid, la chaleur ferait presque mal.

- Enfin dans ton cas c'est pas vraiment une histoire d'imagination, vu que c'est des souvenirs, c'est- Je sais pas ce que je raconte, laisse tomber.

Bambi rougit, hésite et Lacerate a la délicatesse de ne pas en rire, même si ça l'amusera toujours un peu. C'est qu'elle a l'air effacée, la Cascade, alors qu'elle est plus que ce qu'il ne paraît. La Cheffe avait été forcée de s'en rendre compte, dans les Marais.
Et ça n'avait vraiment pas été aussi désagréable que ce qu'elle aurait pensé.

- Te bile pas pour ça. Qu'elle dit, avant d'essayer de boire une gorgée qui lui brûle la langue. Grimaçant, elle éloigne sa tasse et développe : Si Peter est venu te chercher, c'est que t'as ta place ici. C'est pas grave que tu rêves pas ou comment tu le fais.

Speech court mais émouvant, suivi d'un léger silence de sa part. Avant qu'elle ne reprenne :

- Et j'avais plutôt l'impression que t'étais du genre à avoir de l'imagination. Un léger sourire. Mais je peux me tromper, je suis pas très douée pour lire les gens.

Et paf, aveu de faiblesse, pas forcément inhabituel pour Lacerate mais un peu plus en compagnie de Bambi. Mais la Mère s'est réveillée pour elle, elle peut bien faire un effort.

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Des trucs en vrac:

Bambi prend une gorgée du thé qu’elle vient de verser dans sa tasse improvisée. C’est pas bon et puis c’est trop chaud. Mais ça va. Ca occupe les mains. Et puis Bambi elle fait plus la difficile - non pas qu’elle le fasse vraiment avant mais les conditions sont de plus en plus rudes, ça pardonne plus à ses vieux goûts de confort.
Très vieux.

- Te bile pas pour ça. Si Peter est venu te chercher, c'est que t'as ta place ici. C'est pas grave que tu rêves pas ou comment tu le fais.

Au fond c’est très bateau comme réponse. Elle est pas sûre que la cheffe y croie beaucoup, plutôt qu’elle essaie de recoller les morceaux entre eux.

- Merci, elle souffle avec un sourire.
- Et j'avais plutôt l'impression que t'étais du genre à avoir de l'imagination. Mais je peux me tromper, je suis pas très douée pour lire les gens.

Ah, ça.

- En fait pas trop. Tu sais moi j'ai jamais eu de petit frère ou soeur à qui raconter des histoires. Et mon truc à l'école c'était les maths. Pas les matières où on écrit des choses. Les gens avaient du mal à y croire d’ailleurs. Mais j’étais super forte. Et ça demande pas beaucoup d’imagination au fond les maths, c’est juste vrai ou c’est faux.

Elle se tait un moment, parce que ça doit bien faire des années qu’elle en a pas fait, du coup. Personne au Grand Arbre ne va lui demander de calculer des intégrales. Ici il faut qu’elle s’occupe des enfants et qu’elle fasse à manger, il faut qu’elle aide avec les mains, pas la tête.

Soudain elle se prend à penser à Ghost et Reverse. Ils ont vu quelque chose en elle, eux. Quelque chose d’imaginatif, ou de poétique tout au moins. C’est ce qui lui a valu sa place dans leur petit trio d’oiseaux. C’est bien la preuve qu’elle n’est pas si terre à terre que ça, non ?
Bambi pense à eux deux, et curieusement, ne pleure pas.
Elle se contente de fixer Lacerate par dessus les volutes de vapeur de sa tasse.

Susanne Sundfør - Bedtime Story

Dans la pénombre relative du feu qu’elles ont allumé, leurs semi-confidences - vestige d’un passé dont on n’est pas censé parler - ont comme des airs de conspiration. Sa tasse toujours à la main - elle s’y accroche comme à une boussole dont la chaleur heurte les paumes - Lacerate écoute ce que Bambi a à dire.

- Tu sais moi j'ai jamais eu de petit frère ou soeur à qui raconter des histoires. Et mon truc à l'école c'était les maths. Pas les matières où on écrit des choses. Les gens avaient du mal à y croire d’ailleurs. Mais j’étais super forte. Et ça demande pas beaucoup d’imagination au fond les maths, c’est juste vrai ou c’est faux.

Un léger étonnement - vestige d’une époque où elle était persuadée que les filles comme Bambi ne pouvaient physiquement pas être calées en science - la traverse. Comme quoi, la Cascade la surprend encore, même pour de petits détails.
A la surprise succède une forme de honte, très succincte mais très sournoise également : c’est ce qui arrive, quand on juge les autres filles.
Ah, merde.

La moue qui s’est dessinée sur le visage de Lacerate laisse place à une expression plus songeuse. Elle sourit un peu.

- Les maths ? J’aurais pas dit. La Cheffe hausse les épaules. Moi c’était pas ma branche préférée, mais c’était pas la pire non plus.

Nouvelle tentative de boire, plus prudente cette fois : l’essai porte ses fruits et la Gueule Cassée parvient à avaler une gorgée de thé. C’est bon, ça lui rappelle quelque chose de flou : une vague sensation de réconfort,au milieu d’un chaos à l’odeur métallique.

- J’étais plutôt calée en histoire. J’adorais... j’adore toujours ça. Quelque chose s’allume dans son regard. Ce qui est génial, ici, c’est qu’il y a des enfants de toutes les périodes. Ils se souviennent pas toujours de tout, mais quand ils se rappellent de leur époque, c’est génial de les écouter.

Une pensée pour Samuraï et les histoires qu’ils se racontaient. Lacerate n’a jamais été sûre de leur véracité, mais peu importe : ce n’était pas comme si elle pouvait revenir dans le Monde Ordinaire et faire carrière en tant que spécialiste de l’histoire du Japon, après tout.

Il y a un temps. Le brasier craque, le thé fume dans les tasses. La Cheffe semble s’abîmer dans des réflexions autres, assez pour qu’elle lâche Bambi du regard et fixe les ombres à la place.

- Bambi ?

C’est débile, qu’elle l’appelle ainsi, alors qu’elles sont l’une en face de l’autre.

- ... pourquoi tu t’es réveillée pour moi ?

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