Glitter se réveille doucement. Avant que ses yeux ne s’ouvrent, son corps parcouru de picotements commence à remuer. Elle lève les bras, les étire derrière sa tête, fait rouler ses épaules. Les dents serrées, elle laisse échapper un petit bruit, mélange de soupir et de grognement. Puis se sont ses jambes qui se tendent, ses orteils qui s’écartent. Un bâillement venu tout droit du fond de ses entrailles brise le silence de la Maison Sous terre.  
Glitter ouvre les yeux et tandis qu’elle reprend conscience, elle s’étonne encore de ne pas reconnaître les murs de sa chambre ou de retrouver la largeur de son lit.

Il faut croire qu’elle n’a toujours pas digéré le changement de décor.

La Cheffe des Artisans se redresse et le mouvement entraine celui de son hamac qui se balance comme pour la bercer. Elle pourrait se recoucher, c’est même assez tentant. Autour d’elle, il fait encore nuit. Dans la pénombre, elle devine des silhouettes immobiles, et elle peut entendre les respirations plus ou moins lourdes de ses collègues endormis.

Chaque matin, elle fait face à cette tentation et chaque matin, elle choisit de se lever.

A tâtons dans l’obscurité, elle retrouve ses baskets et le sac de sport qu’elle n’a pas fini de déballer. Elle choisit un jean et un débardeur qu’elle identifie vaguement au toucher. Glitter traverse la Maison sous terre jusqu’à un coin fermé par des rideaux épais où on lui a dit qu’elle pouvait se changer.
Ce n’est qu’en s’habillant, qu’elle remarque une grosse égratignure sur son épaule. Il lui faut quelques minutes pour reconstituer le puzzle. Elle a dû se blesser dans son sommeil, encore une fois.

C’est vraiment débile.

Un veste chemise sous le bras, elle passe la porte de la Maison sous Terre. Sur le côté, il y a une sentinelle endormie à son poste qu’elle n’a pas le cœur de réveiller. Au-dessus, le soleil n’est pas levé mais l’obscurité semble moins dense. Le sommeil de Peter se fait léger, il ne devrait pas tarder à se réveiller.

Cela lui laisse un peu de temps pour profiter du calme.
Elle a besoin d’un café.

Les boucles lâches des lacets de ses baskets rebondissent à chacune de ses foulées joyeuses. La truffe au vent, Glitter s’imprègne du silence et de l’humidité avec délice. D’ici, elle capte le parfum léger des feuilles pourrissantes et de l’herbe humide. D’un pas de côté, elle contourne le goutte-à-goutte d’une branche basse. La goutte de rosée qu’elle ne parvient pas esquiver lui arrache un frisson de surprise.

Glitter rassemble ses pensées et se commence à se dicter le programme de la journée. Ayant pris de l’avance sur ses tâches journalières, elle devrait avoir tout le temps de se consacrer à celles en attentes, qu’elle a trop longtemps repoussé. Il y a une maison à oiseau qu’elle n’a toujours pas vernis qui prend la poussière dans un coin de son atelier. Où est-ce qu’elle l’installera ?

L’échos de pas pressés derrière elle la tire de ses pensées. La nouvelle cheffe des artisans tourne la tête. C’est Lacerate.

« Hey.
— Hey ! », répond la Sainte, énergique.

Sans ralentir le pas, Glitter enfile la vieille chemise qu’elle gardait pliée sous le bas. Elle glisse les mains dans les poches.

« Tu montes récupérer un café ?
— Oui ! T’en es ? »

C’est vrai qu’au lever, la Sainte en profite généralement pour s’isoler. Pour autant, elle ne bouderait pas la compagnie. Ce serait l’occasion de faire connaissance avec ses nouveaux colocataires.

« Bien dormi ? », elle demande pour lancer la conversation.

Tout en marchant, Glitter s’autorise quelques regards vers son interlocutrice. Sa collègue la dépasse d’au moins une tête. Avec son crâne rasé, ses épaules carrées et ses nombreuses cicatrices, elle l’impressionne beaucoup. Aimable mais retenue, Lace dégage un mystère lourd de menace. Ça intrigue Glitter, sans plus que ça ne le devrait.

« Pas trop mal, ouais. », répond la Gueule cassée. « Et toi ? Tu t’habitues aux nuits dans la Maison Sous Terre ? »

Depuis peu, Glitter a investi ses quartiers de cheffe. Au début, elle avait tenté d’amortir le coup en restant chez les artisans. Elle n’aurait pas supporté qu’on s’imagine qu’elle ait pris la grosse tête. Mais depuis l’accident, elle n’est pas sereine.
C’était comme dormir dans un nid de serpents.

« Y’a beaucoup trop de place mais je pense que je vais m’y habituer. », elle répond sur le ton de la plaisanterie.

C’est pourtant vrai. Partager son espace avec Sinner ne lui avait pas manqué. La plupart des chefs sont d’illustres inconnus, mais la plupart se sont montrés accueillant. Elle le sent bien.

Arrivées au monte-charge, Lace s’empare d’un cordage et l’invite à passer.

« Après vous, madame. », fait la chasseuse en caricature du parfait gentleman.

C’est beaucoup trop charmant.

En adoptant le même ton, Glitter porte la main à son cœur, d’un air affecté.

« Madame ! »

L’artisane la dépasse, enjambe le rebord de la plateforme et se place de l’autre côté où une deuxième corde est tendue pour soulever l'autre extrémité du monte-charge.

« J’imaginais pas la Maison sous terre comme ça. », elle avoue, se tenant prête à tirer.