"Que t'allais finir par foutre ta lame contre ma gorge ?"
La force de la voix de sa cheffe face à la sienne qui mourrait marqua un sursaut chez le punk qui ravala sa salive, les lèvres pincées et la mine déconfite alors que l'autre se rapprochait, intimidante, se faisant plus grande et le rendant plus nerveux.
Et plus elle se rapprochait, plus lui tentait de s'éloigner sans vraiment le faire.
Mais quoi, ou pouvait-il se planquer de toute manière, hein ?
Son lit plaqué dans un angle de deux murs, il était acculé.
Tout ce qu'il pouvait faire, c'était se coller un peu plus au bois lisse, mais ça ne changeait rien.
Ca ne changerait rien.
Il avait peur.
Pourquoi est ce qu'il avait si peur ?
Depuis la foret, il avait beau brailler qu'il n'avait pas changé, la réalité était tout autre. Il n'était plus le même, tenaillé par l'angoisse. Et face à Lace, celle qui était venu le chercher, il n'était plus qu'un semblant de révolté.
Face à Lace et l'ombre de BigJack qui pesait.
Il n'en avait pas la sincère impression, sur le coup, mais les mots que lui assenait la Gueule Cassé lui brisait toujours un peu plus l'esprit.
Chaque mots.
Chaque coups.
Faisaient trembler un peu plus les murs de sa psyché.
Et le mirage du pirate qui l'avait détruit en une longue nuit se faisait de plus en plus net derrière le dos de la Balafrée.

"Je t'ai déçu, alors ?"
Cette fois la colère était de retour, froide et brulante à la fois dans ces yeux qui avaient fini par réussir à retrouver les noirs de l'iroquois.

"C'est pour ça que t'as voulu me buter ?"

Figé, Apache ne savait pas quoi faire ni quoi dire mis à part la fixer autant qu'elle le faisait elle même.
Elle allait le massacrer.

"Réponds-moi."
Un nouveau sursaut et un frisson qui lui parcouru l'échine. L'impression de se faire passer à l'essoreuse rien qu'en un regard.
Une question.
Un ordre.
Et une idée qui se faisait de plus en plus claire.
Elle allait le démolir.
Le fracasser.
Le tabasser.
Lui casser la gueule pour de vrai.
Et comme depuis toujours, Apache usa de ce bon vieux reflex.
Ainsi soit-il. Il prendrait cher.
Aller au devant de la peur pour mieux la dompter ?
Aller jusqu'au bout, sans ciller.
Mais aujourd'hui l'Hérissé tremblait, déjà trop en miette.

Tant pi.

Il avait une dette.
Alors il serra les dents, fixant sa cheffe, une lueur de détermination dans le noir de ses yeux effilés.
"Je voulais que t'arrête de faire semblant."

"Je voulais que t'arrête de mentir."

"Je voulais..."


"Te réveiller."

Plus il parle, et plus elle sent son corps se crisper.
Ses phalanges, sa mâchoire.

- Je voulais que t'arrête de faire semblant.

Prête à mordre.

- Je voulais que t'arrête de mentir.

Ça l'énerve, ça l'énerve, ça l'énerve.
Elle bouillonne, sent la rage qui se débat et électrise chacun de ses nerfs.

- Je voulais... Te réveiller.

Elle se revoit.
Sous la pluie, avec son putain de sabre contre sa gorge, à chialer à cause des parallèles, du traumatisme refoulé. Et sent son orgueil malmené se rebeller, enfler.
De quel droit.

Dire que, le temps de le sauver, elle avait réussi à mettre ça de côté.

- ... ah ouais ?

A cet instant précis, elle a terriblement envie de lui faire mal. D'éclater, de lui en foutre une pour celle qu'elle ne lui a pas balancé, là-bas. Elle sent d'ailleurs son poing se resserrer, son corps prendre un début d'élan. Et ferme les yeux, dans une tentative d'endiguer ce qui se prépare.

C'est passé.
C'est passé.
Il faut qu'elle tourne la page. Qu'elle laisse aller.

Trop tard... C'est déjà la.

Pour le coup, elle aurait bien besoin que ça ne le soit plus.

Je peux pas croire que toute ces années t'ai juste joué la comédie.

Lacerate rouvre les yeux, se fige.
Sa rage est légitime et pourtant, elle ne parvient pas à la libérer.

Apache flippe, ça se voit tellement.
Elle ne trouve plus ça si drôle, tout à coup.

Et comme ça, d'un coup, son corps se détend.
Le coup meurt avant même d'avoir été esquissé.

- ... t'es vraiment trop con.

Contre toute attente, la balance penche du bon côté. Ça la surprend, Lace - surtout que la colère n'est pas partie - mais sa peine et sa compassion sont plus fortes.
Il faut dire qu'elle a pris bien soin de les entretenir, depuis son arrivée au Pays.

Plus bas, elle reprend :

- T'aurais détesté, si je t'avais tabassé.

L'affirmation n'appelle pas à la discussion, elle est nette et catégorique, bien que prononcée doucement. Et à nouveau vulnérable, relativement calme, Lacerate poursuit :

- Même là, j'y arrive pas. Elle hausse les épaules, lui adresse un sourire pathétique. J'imagine... qu'on est peut-être toujours potes. Quelque part.

Aussi, y'a la pitié.
Mais elle n'a pas envie de le lui dire.

Le regard de la Gueule Cassée se fait plus acéré, soudain. Elle fixe le punk et, en cessant de sourire, le prévient beaucoup plus sérieusement :

- Mais recommence pas.

Un ah ouais qui voulait tout dire, et qui augmentait la tension déjà bien présente, comme la corde d'un arc sur laquelle on tirait avec lenteur, encore, encore et encore, jusqu'à ce que le bois grince, que la flèche tremble sous la pression.
Apache était dans l'attente.
L'attente d'un coup porté, d'une violence déversé. Il s'était fait à l'idée, du moins, le pensait-il.
Il appréhendait, les dents serrés, les yeux rivés sur sa cheffe dont tout le corps se crispait, ses muscles roulant sous sa peau blanche.
Flèche tendue.
Prête à partir.
A bout portant.

Et pourtant.

- ... t'es vraiment trop con.
Hein ?
La mine de l'iroquois s'illumina d'incompréhension.
Il se passait quoi ?

- T'aurais détesté, si je t'avais tabassé.
Non...
Non non non.
- Même là, j'y arrive pas. Et avec un sourire pas des plus convaincu. "J'imagine... qu'on est peut-être toujours potes. Quelque part."

Elle y arrivait pas ? Elle pouvait pas ?
Et l'arc et la flèche avaient disparu. La tension envolée ? Non. Pas vraiment. Ou plutôt d'une manière factice. Le genre dégueulasse qui donnait la nausée. Le mensonge. Encore ce putain de mensonge. Et comme avec des vases communiquant, la colère sembla se déverser de Lacerate à Apache avec une aisance étrange, sans soubresaut.
"Mais recommence pas."

Le punk avait le souffle court et la bouche pâteuse.
"Non."

Juste une négation, comme ça, dans le vide.
Non quoi ?
Il se mit à secouer la tête à la négative comme pour appuyer son propos qui n'avait pourtant rien de clair. Il poursuivit cependant.
"Non non... On fera pas comme si de rien était. Non."
Il était crispé, le garçon, avec une mine ahurie qui changeait de l'angoisse qu'il arborait depuis un peu trop longtemps. "Ca recommencera. Je recommencerais si tu veux pas comprendre."
L'affirmation de la Gueule Cassée n'avait pas appelé à la discussion, mais en l'occurence, l'iroquois semblait s'en foutre.
En apparence seulement.
Car il savait qu'il allait maintenant aux devants d'ennuis.

"Tu peux pas continuer de faire comme si de rien. Je te laisserai pas faire."

Si jusqu'ici il avait attendu la violence sans pourtant la demander, désormais il allait vers elle, comme s'il la cherchait.

"Je le sais maintenant." Il savais quoi ? "Je suis toujours ton pote." Elle, ce qu'elle en pensait, c'était son choix. "Et c'est pour ca que j'te laisserai pas rester comme ça." Il ravala sa salive, un peu tremblant, un peu fiévreux, un peu paumé.
"La dernière fois, j'ai manqué de te tuer... Pas par ce que je voulais le faire. Mais par ce que tu m'y as poussé. Tu m'as laissé faire. Alors que t'avais dis... T'avais dis que tu serais la, qu'on pouvait même te tester ! Mais toi tu t'es putain de laissé FAIRE !"

Ca, c'était ce qu'elle avait dit pendant son discours de cheffe.

Au final.
Les choses étaient simple.
Apache ne voulait pas se faire tabasser comme il semblait pourtant si fort.
Ce qu'il voulait ?
Que Lace redevienne elle même.
Qu'elle redevienne entière.

"J'veux plus que tu sois qu'une version castrée de toi même."

Et ce ne serait qu'à partir de ce moment la, qu'ils seraient quitte.

Non.

C'est balancé comme ça de façon si catégorique que Lacerate reste bouche bée, trop surprise pour s'énerver. Et Apache poursuit :

- Non non... On fera pas comme si de rien était. Non.

C'est à son tour de se crisper, elle le sent avec perplexité : c'est à elle, d'être contrariée. Non ? Alors pourquoi c'est Apache qui se tend ?

- Ca recommencera. Je recommencerais si tu veux pas comprendre.

Pour qui il se prend ?
Pour son prof ?

- Tu peux pas continuer de faire comme si de rien. Je te laisserai pas faire.

Décidément, le punk sait déclencher en elle des montagnes russes d'émotions par lesquelles elle aurait préféré ne pas passer. En l'occurence, c'est le retour à une colère que Lacerate accueille sans joie.
Et le Chasseur continue :

- Je le sais maintenant. Je suis toujours ton pote. Et c'est pour ca que j'te laisserai pas rester comme ça.

La Cheffe se crispe, irritée. Mais quelque part, le raisonnement d'Apache fait son chemin, éclaircit ce que, sur le moment, elle n'avait pas saisi.

- La dernière fois, j'ai manqué de te tuer... Pas par ce que je voulais le faire. Mais par ce que tu m'y as poussé. Tu m'as laissé faire. Alors que t'avais dis... T'avais dis que tu serais la, qu'on pouvait même te tester ! Mais toi tu t'es putain de laissé FAIRE !

C'est vrai, qu'elle leur avait dit ça. Qu'elle avait anticipé ceux qui voudraient vérifier qu'elle aurait la trempe d'être Cheffe.
Mais ce qui s'était passé avec Apache était différent, non ?
Lace porte à nouveau la main à sa gorge, mal à l'aise. Et toujours énervée, malgré tout, qu'il ose la considérer comme responsable.
C'était lui qui tenait la lame. Pas elle.
Mais d'un autre côté... il y a cet orgueil, qui lui dit qu'elle aurait dû réagir.
Ne pas laisser une telle lavette la menacer.

Elle a raison, elle a tort. Elle a raison, elle a tort. Elle a raison, elle a-

- J'veux plus que tu sois qu'une version castrée de toi même.

Et cette fois, elle se met d'accord.

Lace s'avance encore et, brutalement, vient saisir le menton du punk, qu'elle rapproche d'elle. Assez pour qu'ils soient vraiment face à face, assez pour qu'aucun ne puisse se défiler. Fini de jouer.

- Ok.

Sourire tordu, asymétrique.
Qui tire sur la cicatrice.

- Tu veux que je sois complète, mais tu sais pas tout.

Et tu vas le regretter.
Pourtant et étonnement, à cet instant, elle ne lui veut que très peu de mal.

Ce qu'elle veut vraiment, c'est qu'il comprenne ce qu'il provoque. Et si possible, sans lui faire la démo.

- Regarde ma gueule. Regarde-la bien.

Elle resserre sa prise, nerveuse malgré le contrôle apparent qu'elle semble avoir de la situation. Et poursuit :

- A ton avis, ça vient d'où ?

Qu'il sache dans quoi il s'embarque.
Qu'elle sache si, comme Freckles, il allait se foutre de ce dont elle pourrait être capable.

Sa dernière réplique, au punk, elle était brutale et étrangement choisie. Pas les termes qu'il avait l'habitude d'utiliser. Cependant, cela sembla faire mouche car tout à coup, Lace s'était rapprochée, saisissant la mâchoire du garçon avec une certaine violence pour l'arrimer avec force à son regard, lui coupant la respiration sur le coup.
Son visage, ses yeux, sa cicatrice.
Apache n'avait plus que ça à voir.
Trop proche pour se défiler.
Trop proche pour détourner le regard ou baisser les yeux.
Il ne pouvait que voir.
Que regarder.
Cette balafre qui se déformait sous un sourire étrange.

- Tu veux que je sois complète, mais tu sais pas tout.

Sous la prise de sa cheffe, l'iroquois ravala sa salive, se tenant prêt.
A quoi, ça, il ne savait pas vraiment. Mais quelque chose lui disait qu'il y avait du mieux.
Elle ne fuyait plus.
Elle faisait face, littéralement.
Il ne savait pas tout ?
Il ne savait rien, surtout.

- Regarde ma gueule. Regarde-la bien.

Et il obéissait, silencieusement. La fixant sans rien dire alors qu'il sentait la prise se resserrer sur sa mâchoire.
Pas agréable.
Rien d'insurmontable.
C'était l'après qu'il fallait calculer.

- A ton avis, ça vient d'où ?

L'histoire de sa cicatrice, Apache ne la connaissait pas. Peut être l'avait-il su, un jour, mais la mémoire s'étiolait si vite.
Il y avait des rumeurs à ce sujet qui couraient au Grand Arbre. On racontait parfois qu'elle était née comme ça. D'autres parlaient de vengeance ou même encore d'histoire d'Amour qui tournait mal.
Certains encore racontait qu'elle se l'était faites elle même, qu'il fut un temps elle avait été si belle qu'elle avait attiré le regard de tout les pirates, et qu'afin d'y échapper s'était auto mutilé la face.
Ca, l'Hérissé n'y croyait pas.
Il n'imaginait pas Lacerate dans ce genre de Conte la.

"J.. J'en sais rien" Finit-il par admettre, mal à l'aise de leur position, mais la laissant cependant faire. Il sentait bien qu'elle allait lui raconter, qu'il y allait avoir une suite.
Elle ne faisait pas ça pour rien. C'était le moment de laisser de la place à la Gueule Cassée, de la laisser lui dire ce qu'elle avait à dire.

Raconte moi; disaient les yeux du chasseur.

C'est drôle, comme il la fixe.
(En même temps, elle ne lui a pas laissé le choix.)

- J.. J'en sais rien

Comme un enfant qui attend son histoire.
Avec le même genre de regard que quand elle l'avait ramené, après l'avoir sauvé.
Moins hagard et moins hanté, mais avec cette même attention, cette curiosité.
Bien entendu, elle va le satisfaire.

- ... ok.

Elle lui lâche la gueule mais, dans un même geste, repose sa main sur la jambe de l'Hérissé. Histoire de garder un contact - même invasif, elle s'en fout.
Ça lui semble important.

- Ce qui m'est arrivé, c'est une putain de tragédie.

Elle le dit très froidement, très clairement. Et sent que cette fois, elle ne pleurera pas.
C'est un vieux reste de connaissances historiques qui la fait rajouter :

- Et comme pour les tragédies grecques, tout le monde savait comment ça allait se finir, sauf que personne s'est arrêté à temps.

Plus que jamais, elle est consciente de la marque qui lui crevasse le visage. C'est chaud en-dessous, le sang coule plus vite. Plus fort, sous la peau.
Lacerate poursuit :

- Quand j'étais plus jeune, dans le Monde Ordinaire, mon grand frère a rejoint un gang des rues. Je l'y ai suivi.

Certains détails, évidemment, ont disparu puisqu'elle ne les a pas consigné dans son journal. Elle s'en fout e toute façon, elle ne compte pas noyer Apache dedans. Juste dire l'essentiel - et sans cacher le plus moche - c'est déjà beaucoup.

- J'ai été admise au bout de quelques mois à suivre les mecs de la Meute - c'était comme ça qu'on s'appelait. Et bien vite, c'est devenus mes meilleurs potes.

Machinalement, elle cherche une clope et se rappelle qu'elle n'en a plus. Soupir discret : elle aurait préféré s'en griller une, là, tout de suite.

- J'aurais tout fait pour eux. Une pause, le temps d'ordonner son récit. Y'avait des filles, aussi. Des putes et des danseuses, qui avaient mon âge ou celui de mon frère. Quand je dealais pas où que j'allais pas casser des gueules, je m'occupais d'elles. Et j'étais... pas toujours sympa. Loin de là.

Pas trop de détails, elle ne s'appesantit donc pas sur le sujet. Et poursuit :

- On a passé de belles années, le gang s'est agrandi. Puis on s'est heurté à un autre gang, dans un autre quartier. Le boss voulait pas reculer, donc ça a été la guerre.

Au départ des petites rixes, puis des trucs vraiment moches, par lesquels elle avait eu la chance de ne pas passer tout de suite. Sans cesser de fixer le punk, elle poursuit :

- Je vais te passer les détails, sache juste que c'est devenu très moche très vite.

Un temps. Les souvenirs sont flous, c'est ce qui la calme. Elle se rassemble et, presque absente, platement, continue :

- Le chef du gang avait un fils. Un gosse d'école primaire, qui avait rien demandé à personne. Haussement d'épaules, elle ne peut pas s'empêcher de détourner le regard : On l'a chopé à la sortie des cours et je l'ai défiguré.

Il avait tellement flippé, il s'était totalement laissé faire.

Elle parle vite de la suite, comme pour l'expédier :

- Peu après, le gang rival a demandé une trêve. On s'y est rendus, c'était un piège. Ils étaient trop nombreux, ils nous ont coincés et nous ont massacrés. Elle continue, d'un ton aussi automatique, aussi mort que son regard : C'est là que j'ai été défigurée et que Leï... l'amour de ma vie a été tuée.

Elle se souvient encore du bruit de l'impact et cette pluie dégueulasse qui battait son visage en feu. Un temps, un silence lourd de sens. Machinalement, elle porte la main à sa face, se rend compte qu'elle tremble toujours un peu. Mais c'est supportable.

- A cette époque, j'étais loin d'être aussi gentille qu'aujourd'hui. Et je l'ai payé cher.

Est-ce qu'elle a peur que ça recommence ? Peut-être.
Est-ce qu'elle s'en veut toujours ? Sans l'ombre d'un doute.

Son regard passe du punk à la fenêtre, qu'elle fixe avec obstination.

Dehors, il pleut.
Toujours la pluie, bien sûr.

Elle le relâcha, et l'ambiance soudain tourna, et pour une fois, pas au vinaigre.
Elle lui raconta une histoire.
Sa main posée sur lui, il n'y fit même pas attention, plus intéressé par ses mots que par ses gestes.
Une histoire.
Son histoire.
Et surtout l'histoire de cette fameuse balafre qui faisait tant parler d'elle.
La Gueule Cassée.
Une tragédie, comme elle lui avait dit, littéralement. Une histoire de gang, de règlement de compte, avec des enlèvements, du sang, des larmes et même des morts.
Une histoire d'Amour.
Très attentif, Apache ne bougea pas, se détendant tout en l'écoutant. Elle aurait fait une bien drôle de maman, Lace, avec ses contes des rues tout pavé de gris, de béton, de ville.

"Et j'étais... pas toujours sympa. Loin de là."
Un vague froncement de sourcils attestant de son attention et des questions qui se posaient une à une dans ta petite tête de punk.
Pas sympa.
Ca voulait dire quoi ?
Mais elle n'allait pas dans les détails et l'iroquois ne poserait pas de questions.
Sa cheffe raconterait uniquement ce qu'elle avait à raconter.
Ce qu'elle voulait bien qu'il sache.
Pour mieux comprendre.

Et puis au bout de l'histoire, une conclusion.

"A cette époque, j'étais loin d'être aussi gentille qu'aujourd'hui. Et je l'ai payé cher."
Et tout devenait plus clair.
Lacerate...
Apache hocha doucement la tête à la positive, baissant les yeux, quelque peu perdu dans ses pensées, réfléchissant à tout ce qu'elle venait de lui raconter.
Il y eut un silence un peu bizarre. Mais rien de lourd, bien au contraire. Plutôt un moment reposant ou les tensions semblaient s'envoler, entrainées par le son de la pluie qui martelait la vitre, au dehors.

"Je comprends..." Sa voix était basse et plutôt douce et ses yeux se relevèrent vers ceux de la jeune fille. "Je comprends mieux, maintenant." Comme quoi, parler était souvent le meilleur moyen de se faire comprendre. "Mais tu sais, ça change rien." Il se passa la main sur la nuque, la caressant distraitement. C'était qu'a force d'être tendu il avait fini par se faire mal. "Je comprends pourquoi tu t'es verrouillé, comme ça. Mais tu sais, on fait tous des erreurs." Lui même n'était pas le dernier. "Faut que.. Que tu te pardonne." Plus facile à dire qu'à faire, il était clair que son histoire pesait lourd. Très lourd. "Tu peux pas juste te laisser crever comme ça. Cette histoire que tu m'as raconté, ton histoire. Elle fait parti de toi." Une légère pause, alors qu'il cherchait un peu ses mots. "Mais pas que." Un soupire.

"Le passé, c'est le passé... J'veux dire..." Il se mordit la lèvre inférieure. "Ce qui compte c'est pas la Lacerate du passé. C'est celle de maintenant qui importe."

Ce qui était fait n'était plus à défaire.
Il fallait faire avec ce qui avait été fait.

C'est drôle, ce silence entre eux. Cet espèce d'apaisement qui suit la confession, avec l'émotion qui ne la submerge pas mais sourd quand même, pulsant en elle.
Elle a sans doute pleuré beaucoup trop, dans les bras de Freckles. Ce qui explique pourquoi il ne lui reste plus de larmes, pourquoi elle se sent si calme à présent.
Elle n'a pas fini de s'en vouloir, oh non.
Mais il y a du progrès, elle le sent.

- Je comprends... Je comprends mieux, maintenant.

La pluie tombe toujours et Lace s'obstine à la fixer, peu fière. Mais Apache ne la juge pas, il répond comme il faut. Et lui répète le même genre de trucs que le Lionceau.

- Mais tu sais, ça change rien. Je comprends pourquoi tu t'es verrouillé, comme ça. Mais tu sais, on fait tous des erreurs.

Vraiment, les réactions se répètent.
Et c'est sans doute pour le mieux - dans son état, la dernière chose dont Lace a besoin, c'est de conseils contradictoires.

- Faut que.. Que tu te pardonne. Tu peux pas juste te laisser crever comme ça. Cette histoire que tu m'as raconté, ton histoire. Elle fait parti de toi. Mais pas que.

La Cheffe sourit, très légèrement : c'est qu'il est doué, Apache, pour faire de jolis discours. Qui sonnent bien, qui sonnent vrai.
La rassérène.

- Le passé, c'est le passé... J'veux dire... Ce qui compte c'est pas la Lacerate du passé. C'est celle de maintenant qui importe.

Mais on s'en fout, de la Lace du monde ordinaire.
La Lace d'ici elle est exactement comme elle devrait être.

Ça la fait rire, tellement il y a de parallèles. Sincèrement, presque doucement - d'un vrai rire presque délicat, comme elle en fait très rarement.

- Franchement, la Lacerate de maintenant est absolument paumée.

Elle adresse un regard à Apache, l'air de dire que c'est pas si grave. Et reprend :

- ... mais elle a de la chance. Elle est bien entourée.

Sourire.
Un temps.
Puis un soupir, léger.

- Je vais bien finir par trouver un équilibre, un jour. Me réhabituer à la violence, un peu. Elle lève la tête, fixe le plafond et hausse les épaules. Je verrai.

Un temps. Quelque chose qui se forme sur ses lèvres, y meurt. Puis elle regarde à gauche, à droite : ils sont isolés.
Et Lacerate se penche vers Apache.

- Je crois qu'elle t'aurait plu. Ma copine.

Déjà que parler du passé, par ici, c'était délicat.
Alors parler d'Amour en plus...

Sourire sous cape.

- Elle était aussi obstinée... aussi chiante que toi.

Pourquoi est-ce qu'elle lui balance ça ? Elle ne réfléchit plus.
Ça vient automatiquement, ça lui change de se confier à un journal figé.

Il y eut un rire.
Doux, léger, clair.
Qui détendait l'atmosphère, qui réchauffait l'air.
Le froid et la tension s'éloignaient, encore et encore, jusqu'à ne plus être qu'un vague malaise déjà presque oublié.
C'était pas passé loin, que ça disait.
Et ce rire, il sonnait étrange sur Lacerate.
Il sonnait rare.

- Franchement, la Lacerate de maintenant est absolument paumée.
Le punk eut un rire soufflé à son tour, sourire plaqué sur la bouille alors qu'il la regardait et que leurs regards s'accrochaient de nouveau.

- ... mais elle a de la chance. Elle est bien entourée.

Un clignement.
Un temps. Une mine étonnée.
Et puis un sourire qui s'agrandissait, qui se fit plus chaud, plus solaire.

- Je vais bien finir par trouver un équilibre, un jour. Me réhabituer à la violence, un peu.
- Mais ouais, faut te laisser de la place à toi même. A son autre elle.
Celle qui semblait faire peur.
Carrément flipper même.
Celle qu'Apache avait voulu rencontrer.
"Je verrai."

Et puis un nouveau moment pendant lequel la Gueule cassée sembla scanner les alentours, comme pour s'assurer que personnes ne faisaient attention à eux, avant de se rapprocher, se penchant vers le garçon qui fit de même, comprenant tout de suite qu'elle passait sur un ton de confidence.

- Je crois qu'elle t'aurait plu. Ma copine.
Les yeux de l'Hérissé se firent un peu plus grand, bien que son sourire ne le quittait toujours pas.

- Elle était aussi obstinée... aussi chiante que toi.
Un rire de bon cœur suivit illico le souvenir partagé.
- Une fille bien, je vois que tu sais les choisir ! Ponctué d'un clin d’œil amusé alors que le sourire se faisait un peu plus joueur.

Alors ça y était ?
C'était terminé ?
Pour de vrai, pour de grand, ils étaient rabibochés ?
Apache avait envi d'y croire.
Malgré le rôle.
Malgré la cheffe.
Lacerate restait sa pote, maintenant il le savait. Maintenant c'était plus clair, même si pas toujours évident.
Elle ne serait pas sa supérieure, de toute manière, pas vrai ?
Non, jamais.
Mais elle l'avait sauvé.

Sa pote, ouais.

Et ils étaient à deux doigts de se mettre à parler meufs, comme ça, l'air de pas y toucher.

- Une fille bien, je vois que tu sais les choisir !

Ça la fait rire, la Gueule Cassée. Un peu amèrement, un peu bizarrement, mais c'est plus fort qu'elle : bien sûr qu'elle avait bon goût, bien sûr qu'elle les choisissait bien, à l'époque - c'était son métier, après tout.
Et le compliment d'Apache, quelque chose qu'elle a déjà bien trop entendu auparavant.

Sauf qu'elle n'avait pas choisi Leïla, que c'était elle qui était rentrée dans sa vie comme une tornade.
Son plus grand regret et son plus beau souvenir.

Le sourire de Lace s'adoucit.

- Je savais, ouais. Pas de fausse modestie.

C'est absurde, qu'ils se retrouvent tous les deux comme ça, à parler filles comme si de rien n'était. Mais ça lui va parfaitement, à la Cheffe : elle n'en peut plus, des conversations qui l'écorchent et la mettent à nu. Et ça lui convient tellement, cette trêve qui s'installe enfin entre l'Hérissé et elle.
(Même si cela doit se révéler éphémère -
Autant en profiter.)

Lace pourrait sans doute, en cet instant, poser une question conne à Apache, du genre son type de meuf ou autre. Pourtant son cerveau fait un tout autre chemin et, plus gravement, elle relance :

- Comment va Her ?

Sans doute le punk est-il l'un des plus à même de lui répondre - avec la concernée.
Cette dernière n'étant pas présente, c'est à lui que Lace s'adresse.

Apache n'avait bien évidemment pas réalisé le double sens de ses paroles, ne connaissant en rien les tenants et les aboutissants de son histoire, et n'avait en rien vu le trouble un instant passé dans le regard de sa cheffe. Ombre du passé.

- Comment va Her ?
Et la conversation dévia brutalement, sur un sujet cependant qui avait toute l'attention et l’intérêt de l'iroquois.
Plutôt que de parler de filles, ils parleraient donc de la Fille.

"Mieux." Le punk baissa les yeux sur ses mains, une fois n'était pas coutume, la culpabilité transparaissant sur ses traits. "Elle est sortie de l'infirmerie il y a pas si longtemps." Pas si longtemps ? Il avait pourtant l'impression que cela faisait des siècles. A vrai dire, sur cette île il était difficile de se faire une idée sur le temps qui passait, puisqu'il n'existait pas.

Ses yeux noirs se relevèrent, se posant sur le lit sur lequel la balafrée était installée. Ce même lit ou Her s'était trouvée pendant sa convalescence.
"Je sais pas si sa main redeviendra comme avant." Et son regard glissa lentement de nouveau jusqu'au visage de sa cheffe, la mine piteuse. "Elle a pas fait semblant quand elle a attrapé cette putain de lame."
Épée maudite qui décidément lui attirait bien des ennuis. Il y avait peu, et face à l'horrible pirate; l'immonde Big Jack, il avait appris en partie son histoire, à cette lame, forgée des mains de son tortionnaire et qui avait tant attiré son regard.
Sa haine.
Son intérêt.
Peut être que sans elle, il serait tout simplement mort, Apache.
Peut être que sans elle, le monstre aurait passé son chemin.

"Heureusement qu'elle était la."
Conclusion sans fierté alors que l'Hérissé quittait de nouveau Lace des yeux, toujours la tête baissée.
Ouais.
Heureusement que Her était la.

Bien sûr que l'ambiance change. Il faut dire que le sujet qu'ils abordent, mine de rien, en parlant de Her, est grave.
Attentive, Lacerate hoche la tête lorsqu'Apache lui répond.

- Mieux. Elle est sortie de l'infirmerie il y a pas si longtemps.

Soulagement. La Gueule Cassée digère l'information, se promet d'aller voir la Fille à l'occasion.
Elle lui doit au moins un remerciement.

- Je sais pas si sa main redeviendra comme avant. Elle a pas fait semblant quand elle a attrapé cette putain de lame.

La Cheffe acquiesce, une fois encore : avec un peu de concentration, elle parvient sans problème à se rappeler du hurlement de Her alors que la douleur semblait finalement lui être montée au cerveau. Un cri primaire, qui avait mis fin à leur querelle.

- Heureusement qu'elle était la.

- Ouais.

Elle ne peut décemment pas affirmer le contraire.

Un temps, Lace réfléchit : elle ne s'en veut pas, d'avoir amené Apache sur ce terrain-là. Mais la culpabilité qui se ressent dans ses gestes la peine et lui rappelle un peu la sienne.
Avec une certaine maladresse, elle pose la main sur l'épaule du Chasseur.
De son Chasseur ?

- Her est une grande fille, hein. Elle a agi sans que personne la force.

Déjà, remettre les choses en perspective. Lace n'est pas trop sûre de ce qu'elle fait, mais c'est sans doute une idée valable.

- Ce sera pas la première à avoir des blessures de guerre, ici.

La balafrée s'autorise un sourire.

- Mais je m'inquiéterais pas trop, à ta place. Elle a l'air d'une meuf solide, je te parie que d'ici trois jours elle sera comme neuve.

Toi aussi, tu sais les choisir.

Une main qui se posa sur son épaule, chaude, réconfortante.
La main de sa cheffe.

- Her est une grande fille, hein. Elle a agi sans que personne la force.

Rien n'était plus vrai, selon Apache. S'il y avait bien quelqu'un qui agissait de sa propre volonté, c'était bien La Fille.
Tellement caractérielle.
Tellement bornée.
Et tout ça ne sonnait bien sur que comme des qualités à l'esprit Hérissé.

- Ce sera pas la première à avoir des blessures de guerre, ici. Et Lace eut un sourire qui trouva immédiatement écho sur les lèvres du punk.

- Mais je m'inquiéterais pas trop, à ta place. Elle a l'air d'une meuf solide, je te parie que d'ici trois jours elle sera comme neuve.
Un rire soufflé alors que de la tête le garçon acquiesçait.

"C'est une vraie putain de guerrière." Et toute la tendresse qu'Apache ressentait pour cette sentinelle la transparaissait dans ces mots qui auraient pourtant pu être perçu comme rude. "J'sais pas c'que je ferais sans Elle" Suivit d'une petite mine de travers, sourire oblique et petit haussement d'épaule. Comme une constatation des plus posée.
C'était que la Fille était devenu importante.
Très importante.
Depuis quand est ce qu'Elle était devenu SI importante ?
Difficile à dire.
Difficile à jauger.
Est ce que ça lui déplaisait ?
Un peu oui, un peu non. Par ce qu'il avait bien compris à quel point il pesait lourd sur les épaules de Her. Il n'était pas vu comme une bénédiction à ses yeux, loin de la, et alors que le temps avait passé, s'était étiré, emberlificoté comme il le faisait sur cette île, Apache avait regretté de s'être autant reposé sur elle. D'avoir autant parlé. De lui avoir tant dit.
Il n'y avait plus qu'un espoir maintenant, celui de l'oubli.

Apache rit, Lace sourit : sa technique de réconfort a marché, c'est plutôt bon signe. Et le punk lance :

- C'est une vraie putain de guerrière.

D'un ton qui la fait tiquer.
Ça pue la tendresse, cette affirmation. Un peu trop mais bon, elle se fait peut-être des idées. Qu'est-ce qu'elle peut lui dire, de toute façon ? Elle a certes une responsabilité envers Apache, mais l'Hérissé reste un grand garçon.

- J'sais pas c'que je ferais sans Elle

Un grand garçon qui en rajoute.
Super.

De sa main toujours posée sur son épaule, elle le pousse un peu. Amicalement.

- T'es bien entouré, t'as de la chance.

Elle ne pense pas spécialement à elle, plus à Justice, Her et au reste de ceux qui gravitent autour de l'Hérissé. A croire qu'il a vraiment quelque chose de spécial, ce punk-là, qui pousse les gens à marcher vers sa lumière. Mais c'est bien, qu'il ne soit pas seul : mieux vaut, après ce qui s'est passé.

Un soupir. Léger.

- Tu vas te remettre.

C'est dit doucement mais avec conviction. Le temps allait passer, l'Île allait aider.
Un temps. Lacerate laisse son regard dériver vers l'extérieur.

Dehors, il pleut comme pour tuer.

Lace le poussa doucement, comme pour le taquiner tout en lâchant :
- T'es bien entouré, t'as de la chance.
Et le sourire du punk se fit plus grand, comme pour confirmer.
Ouais, il avait une putain de chance de tout les Diables. Par ce qu'il y avait Lacerate à ses cotés, qu'elle était venu le chercher et l'extirper de son cauchemar, qu'elle l'avait tiré de la alors que lui avait tenté de la crever.
Une putain de chance, ouais. Et puis il y avait Justice, il y avait Trouble, il y avait Nasty. Toujours la les camarades. Il y avait Pretty. Est ce qu'il y avait Pretty ? Ils s'étaient quittés en de mauvais termes la dernière fois, mais au fond, le punk se doutait bien que oui, il y avait Pretty. Il y avait Tool, sage et barge à la fois. Il y avait Freckles. Putain ca faisait deux chefs quand même. Mais ouais, le soleil avait été présent. Et puis il y avait Her.
Her.
Her.
Her.
Que dire à propos de Her ?

Que dire de tout ça ?
Il y avait les camarades.
Et il y avait les autres.
Qu'est ce qu'ils penseraient de tout ça, les autres ? Lace et Freckles. Les chefs. Tout ça quoi ? Hein ?

Révolte.

"Tu vas te remettre."
- Ouais. J'suis déjà comme neuf, tu sais. Dit avec un chouilla de désinvolture. En réalité il était encore bien fracassé, mais ne l'avait-il pas toujours été ?
Des choses avaient changé.
En lui, dans sa manière d’appréhender ce qui l'entourait.
Est ce qu'il avait grandit ?
Alors que la balafrée lorgnait la fenêtre avec une mine semblait-il fatiguée, lui avait regardé ses mains, les retournant comme à la recherche d'une différence.
Aucune de visible au premier coup d’œil.
Non.
Pas de grandissement.
Soulagé ?
Pas vraiment.
Un peu paumé, peut être.
La révolte.
Jusqu'à il y avait si peu, rien ne semblait plus évident que la révolte.
Et la, maintenant, une fraction de seconde.

Une hésitation.

Les yeux noirs remontèrent jusqu'au visage abimé de sa cheffe.
De son amie.
Et le cœur anarchiste fit une embardée, tellement fort, à lui en faire mal. Une accélération brutale et douloureuse qui le fit grimacer.
Merde...