Heureusement que Mellow est là.

Dreamy le suit, sans broncher, tout comme il n’a rien dit quand les fées ne sont pas venues les aider. Dreamy le suit parce qu’il a confiance et que même s’il lui a pas dit, lui aussi il mourrait pour lui. Mais il veut pas penser à ça. Dreamy ne veut pas mourir. Il veut vivre chaque nouveau jour juste pour voir les étoiles scintiller encore dans le ciel le soir. Juste pour sentir le vent glisser sur ses joues. Ou la fraîcheur de l’eau caresser sa peau nue. Il veut vivre parce qu’avec lui il y a Mellow, et que Mellow est assez fort et courageux pour eux deux. Alors Dreamy serre ses doigts entre les siens un peu plus fort. S’il le perdait, ce serait désastreux. Un grand tremblement dans son âme comme un ouragan qui le briserait en deux, en trois, en un million de morceaux et il s’éparpillerait dans le vent.

Dreamy frissonne et il s’accroche encore un peu plus à la main, les yeux posés sur le sol qui passe alors qu’ils marchent vers les éternuements de plus en plus distinct. Bientôt Mellow devra grimper tout là-haut, sur toute la grandeur du Géant et à lui ça lui fait peur. Il ralentit sûrement un peu, parce qu’il veut gagner du temps. L’avoir avec lui et ne plus lâcher ses doigts jusqu’à ce qu’ils soient rentrés. Lui devra rester là, sans bouger, comme juste avant, est-ce qu’il y arrivera ? La truffe de Diego choisit ce moment là pour se presser contre sa paume avec une douceur réconfortante, le Cueilleur sent une chaleur de plus au fond de son cœur.

“Tu feras attention, là-haut, faut pas te faire mal.”

Dreamy le regardera, il le regardera monter juqu’à ne plus le voir et après ça il le regardera encore jusqu’à ce qu’il redescende de ce géant Géant. Et alors peut-être qu’il pourra courir vers lui et le serrer fort. Ou peut-être qu’il l’attendra juste là, pour montrer qu’il a pas bougé cette fois. Comment il peut savoir, comment il peut s’imaginer, c’est déjà dur de savoir ce qu’il fera une seule seconde plus tard... Il respire lentement, Dreamy, malgré la chaleur. Un long moment, profondément, pour pas avoir ses mains qui tremblent contre celles de Mellow. Il est comme ça, il aurait pu l’attendre là sans penser au danger, ou bien il peut s’angoisser comme maintenant.

“Je t’attends là, Mellow, d’accord ? Juste là.”

Il montre l’arbre le plus proche de l’éternuement du Géant et il espère qu’il l’écrasera pas, d’un coup de semelle impromptu. Ce serait vraiment pas de chance. “Tu veux bien faire comme j’ai dit alors ?” Dreamy demande mais attend pas la réponse, il lâche doucement la main et il déchire déjà un bout de son tee-shirt, et c’est comme si la chaleur venait directement taper sur sa peau. Il le lui tend. Sans le regarder, ses yeux sont braqués sur les doigts qu’il tenait juste avant et sur sa peau, et il y trouve des reflets de miel avec ce soleil qui n’en finit plus de briller.

“Juste là, Mellow, juste là...”

Dreamy se dirige vers l’arbre qu’il lui a montré. Il s’assoit à son pied, parce qu’il sait, lui il peut pas grimper. Lui il peut pas aller en haut, il peut pas toucher le ciel, pas comme Mellow.

“Juste là...”

Il attendra.

“D’accord.”

Il peut faire ça Dreamy, il lui dit pas qu’il avait prévu, il lui dit pas qu’il s’était dit qu’il le regarderait jusqu’à plus le voir et que même là il regarderait encore pour pas oublier, parce qu’il sait que Mellow fait ça pour l’aider. Alors il va s’assoir, juste là où il a montré. Il va s’assoir et il s’oblige à ne plus bouger.

Dreamy le regarde. Il a promis, il doit pas le lâcher des yeux, alors il reste là, au pied de l’arbre qu’il a choisi, et il s’accroche le plus fort possible à la vision de Mellow qui grimpe le long de ce corps long. Ses sourcils se sont un peu fronçés de concentration et il serre très fort son poing droit sur son genou alors que son autre main s’est posée sur le dos de son fidèle compagnon, assis bien droit à ses côtés. “Toi aussi tu regardes Mellow, Diego.” Il lui dit tout bas pour que personne d’autre puisse entendre, parce que Diego (et aussi Mellow), c’est son héros. “Mellow est fort. Tu vas voir, il va soigner le nez du Géant et après tout rentrera dans l’ordre.” Dreamy pose sa joue contre l’épaule de Diego et son visage s’éclaire tranquillement d’un demi sourire, et il ne lâche toujours pas son Garçon-Ami déjà si haut. Est-ce que les Grimpeurs ça sait voler ? Il peut pas s’empêcher de se demander quand il le voit si loin du sol, est-ce que Mellow pourrait étendre ses bras comme des ailes et voguer dans le ciel ?

Dreamy, lui, sait pas voler.
Puis il aurait bien trop peur de s’écraser.

- Dreamy ? Tu me vois ? Dis-moi où je suis. Dis-moi si j'arrive bientôt au nez du Géant, mon Dreamy ?

La voix est si lointaine à ses oreilles que le Perdu se dit qu’il rêve pendant un instant. Il cligne des yeux en regardant le Garçon-Ami qui continue sa progression, il n’a même pas tourné la tête vers lui alors ça pourrait aussi bien être le Géant ou une fée qui tintinabule tout près de lui. Mais Dreamy connaît cette voix. Dreamy connaît sa voix mieux qu’une autre à l’Arbre, alors il n’hésite pas quand il répond.

“Je te vois, Mellow, tu es presque tout en haut !” Il doit crier un peu pour se faire entendre, sinon Mellow se dira qu’il a un soucis et il pourrait se faire mal en s’inquiétant. “Faut faire attention Mellow,  il va éternuer !” Dreamy voit le géant se gonfler et se gonfler encore comme un gros ballon plein d’air, et d’un coup le bruit explose dans ses tympans. Ça lui tire un cri étouffé, alors qu’il appuie sur ses oreilles et qu’il sent son Quatre Patte sursauter doucement contre son flanc.

Mais Mellow, lui, il est toujours là haut. Dreamy le voit encore, Mellow n’est pas tombé parce que c’est le plus fort. Maintenant il va devoir s’approcher de l’énorme nez, et mettre dedans le bout du tee-shirt de Dreamy, avec les feuilles du tulipissenlys.

“Tu y es presque Mellow !”

Il va y arriver, parce que pour Dreamy c’est le meilleur du monde son Mellow.

Il croit qu’il va crier, crier de toutes ses forces et de toute sa voix quand il le voit suspendu comme ça avec sa vie qui se balance au dessus du vide, mais il n’y arrive pas. Sa gorge est nouée, serrée aussi fort que les mains de Mellow s’accrochent à la roche, son cœur martèle sa poitrine à grands coups violents, et c’est comme si d’un coup toute la chaleur avait quitté son corps ; Dreamy tremble. Il tremble et retient sa respiration, jusqu’à ce que les jambes du Grimpeur se balancent et trouvent une prise et qu’il se sorte de ce mauvais pas tout aussi vite qu’il s’y est mis. À lui, ça lui paraît pourtant des heures entières durant lesquelles il ne le lâche pas une seule seconde des yeux, et même après il continue à s’y accrocher, osant à peine réaliser. Mellow revient vers lui. Mellow va bien, Mellow redescend de cet énorme corps de Géant et retrouve la terre, et Dreamy le voit qui tombe sur les genoux sans faire un bruit.

D’abord Dreamy n’ose pas bouger. Il a promis, il doit rester là, au pied de l’arbre et le regarder, mais Mellow est en sécurité alors il finit par se lever.

“Mellow.”

Il murmure presque alors que ses yeux bleus explorent le visage du Grimpeur, avant de retrouver comme à leur habitude les irrégularités du sol. Et il s’arrête juste devant lui, à seulement un pas, avant de s’accroupir.

“Le Géant va aller mieux maintenant.” Il penche la tête doucement. Les yeux éclairés d’un sourire. “Tu as reussi.” Dreamy reste sans bouger un instant. Il attend que Mellow se relève, ou qu’il lui dise qu’ils rentrent parce que c’est lui qui dirige leur drôle d’expédition et que lui est plus doué pour le suivre que pour tout le reste. Mais quand même, c’est lui qui les a trouvé les tulipissenlys.

Alors quand Mellow se relève, Dreamy fait pareil.
Il caresse doucement l’oreille de Diego d’une main, et de l’autre il vient glisser ses doigts contre ceux du Garçon-Ami.

Il a eu si peur, quand il l’a vu tomber, il a cru qu’il le perdait. Alors il serre de nouveau sa main, il la serre fort et même s’il a chaud, même si leurs peaux sont moites, parce que c’est bien plus simple que tous les mots qu’il a du mal à dire.