Dreamy sur ses lèvres il a un sourire. Ce n'est pas un sourire très beau ou qui mange la moitié de son visage non mais c'est son sourire à lui et il est comme un miroir, reflet de toute sa douceur, de toute sa discrétion et de toutes ses maladresses. Dreamy sur ses lèvres il a un sourire. C'est un sourire un peu étrange, un peu comme lui, mais c'est un sourire rare surtout parce qu'il n'en fait pas souvent. Dreamy sur ses lèvres il a un sourire. Et c'est un sourire que les autres n'aiment pas et qu'ils disent faux, forcé, mensonger, et devant lequel ils ne se retrouvent jamais car le Perdu n'est pas comme eux, il ne sait pas s'obliger. Dreamy sur ses lèvres il a un sourire qui n'est que pour Diego car faut dire qu'il a peur des autres, de leurs coups et des moqueries, des méchancetés d'enfants qui font des hontes de ses différences. Dreamy, Dreamy il est bizarre aussi. Alors il est poussé, bousculé, rejeté et chassé. On veut pas parler quand il est là, on chuchote dès qu'on le voit, et puis on ricane, on se moque, c'est plus simple après tout de s'en prendre à plus faible que soi et puis il l'a mérité, on se venge parce que c'est qu'une sale balance, il dit tout quand Peter passe dans les rangs. Depuis pas longtemps pourtant on le laisse un peu tranquille, on l'envoie toujours au sol parfois quand il s'en va de sa démarche un peu chaotique mais on ne vient plus le chercher quand il est tout seul juste pour le frapper. Dreamy il sait pourquoi. C'est grâce au nouveau, c'est grâce à Mellow.

Mellow il est grimpeur et quand Dreamy a peur il vient et le rassure avec sa présence et ses mots. Mellow il est différent de lui bien sûr, les autres l'apprécient et c'est tout le contraire de lui. Mais Mellow il se fiche des autres justement, et tous les deux ils passent du temps l'un avec l'autre et c'est simple, ça fait du bien. Peu à peu d'ailleurs il semblerait qu'il construise son monde autour de son ami, toujours à le chercher des yeux quand ils ne sont pas ensemble, à s'accrocher sur les détails qui le lui rappellent, à s'inquiéter au moment du coucher quand pas une seule fois il ne l'a croisé. Mellow est le seul qui voit les sourires de Dreamy avec Diego et il est aussi le seul qui le rejoint quand il revient des arbres sur lesquels il monte.

Dreamy ça lui fait peur les arbres et le voir grimper tout là haut. Malheureusement c'est dedans qu'on trouve le miel et lui il aime beaucoup le miel. La preuve, quand les pas de Mellow s'avancent vers lui (il le sait parce que Diego a jappé),  il a des petits tourbillons dans l'estomac et en plus il tient dans sa main quelque chose et il devine.

Il lui a apporté du miel.

"Du miel... Tu sais que j'aime le miel, c'est pour ça que tu m'en apportes, Mellow ?"

Les joues se teintent d'un léger rouge mais c'est trop évanescent pour être réellement remarqué, Dreamy attrape avec hésitation le petit récipient et pose ses yeux très bleus sur le liquide tout vêtu d'or. Il y trempe son doigt, ça le fait sourire encore un peu car il aime vraiment ça le miel, puis aussi la présence de Mellow avec lui, en plus c'est son seul et premier ami. Ou peut-être dans l'autre sens. Ami dont les paroles le font tressaillir, se crisper. Une mission ? Aller où ? Son cœur rate des battements et Diego, sentant l'angoisse arriver, vient presser tendrement sa truffe froide contre ses joues. "U-Une mission ?" qu'il balbutie. Et il glisse les doigts dans le poil brun de son frère chien parce qu'il sent que ça se tord un peu trop fort en lui.

Est-ce qu'il doit accepter ? Refuser ? Demander au moins ce qu'il en est ? Ah, Dreamy n'a jamais été confronté à ça, il n'a jamais vraiment eu le choix, de toute façon ce n'est pas quelque chose qu'il affectionne choisir, il n'arrive jamais à dire s'il fera le bon ou non. Ça lui fait encore plus peur ça, parce qu'il sait pas, il a peur ou quelque chose dans le genre, ça lui mord les tripes et il tremble un peu assis par terre dans la poussière. "Pourquoi tu veux m'emmener moi dis ? Y a plein plein de garçons qui sont comme moi mais en mieux." Alors pourquoi il se lève et qu'il cache sa peur dans le fond de son estomac ? Parce qu'en fait Dreamy il est content que Mellow vienne le chercher lui et pas un autre, mais il a du mal à se dire qu'il est important comme ça à ses yeux.

"Tu veux bien que Diego vienne aussi hm ? Il a le droit ? Peter Pan ne dira pas que c'est mal ?"

Hors de question qu'il parte sans lui. D'ailleurs ses jambes maigres sont plantées dans le sol et ses céruléennes percutent les prunelles du grimpeur puis se tournent vers ses mains. Dreamy n'arrive pas à regarder trop longtemps dans les yeux.

L'esprit de Dreamy c'est souvent qu'il est loin, parti ailleurs dans un autre endroit, un autre monde même parfois. L'esprit de Dreamy il est dans les nuages ou dans les étoiles comme on dit, quelque part où il est seul et sans ennemi et sans personne qui frappe ou se moque de lui. L'esprit de Dreamy il est solitaire et ne s'embarrasse que de deux exceptions, un chien et un homme, un homme et un chien, Diego et Mellow, parce que les autres refusent de passer du temps avec lui et que lui a peur des autres et que là où il s'enfouit il est au moins à l'abri de leurs mots. À chaque fois, quand il fait ça, il ressemble à une coquille vide, une écorce voguant sur des flots déchaînés. Il y a tous les enfants autour de lui qui s'agitent et qui crient et il est là, plein de silence, à se laisser porter par toutes les forces de tous les Perdus sans même lever le regard, sans faire entendre sa voix, petit bonhomme qui suit jusqu'à n'en plus pouvoir, jusqu'à ne plus supporter, jusqu'à ce que dans sa tête ça se révolte, qu'il crie et pleure roulé en boule dans un coin loin du monde. Ça lui arrive un peu trop rapidement à chaque coup, un peu trop souvent. Il est sans doute un peu trop sensible, s'effraie au moindre changement, sous un bruit un peu trop violent, un contact inopiné, soudain, non désiré. S'écorche, se brise... Pauvre enfant trop différent perdu loin en lui même pendant que Mellow raconte aux autres tout ce qu'ils vont faire, il a le regard posé sur le sol et les oreilles fermées à tout ce qu'il pourrait entendre parce que c'est mieux ainsi. Pour lui et pour tout le monde.

Et puis finalement il hoche la tête parce que la voix de Mellow un peu lointaine lui demande de ne pas s'en faire. Et il se met en route aussi parce que la voix de Mellow un peu lointaine le dit.

Ses pas sont cahotants mais il avance tout droit, ni trop rapide ni trop lent, à sa vitesse à lui et en suivant l'Ami. Diego est là aussi, il est dans son sillon et puis juste après il court devant. Dreamy aime bien quand Diego court, il le regarde et il trouve ça beau toute cette puissance mais lui il ne court jamais parce qu'il est maladroit, quand il court il a les pieds qui s'emmêlent et il tombe. Mais de toute façon il n'a pas besoin de ça pour s'emmêler les pieds et ce n'est en aucun cas la question maintenant parce qu'il est sur ses deux pieds et il marche. Petits pas à petits pas, tranquille. Il regarde autour de lui les feuilles des arbres brûlées et se rend compte qu'il a chaud, il y a même une goutte qui glisse le long de sa joue et il l'essuie d'un revers de sa main.

"Il fait chaud..." Ils viennent juste de partir et il a un peu la bouche sèche. "Le Géant éternue alors qu'il fait très chaud..." Et ce n'est pas logique, ça le perturbe et il fronce un petit instant ses sourcils. "On va s'envoler nous aussi Mellow." Ça ça lui semble logique. Ils sont tout petits eux deux à côté, pas autant que les fées mais il n'est pas sûr de pouvoir rester debout s'il est pris dans l'éternuement du Géant. Après tout il a déjà du mal à tenir sur ses jambes déjà en conditions normales alors là... "Toi tu vas rester debout parce que tu es fort mais pas moi." Le ton est monotone, Dreamy constate et ne fait pas l'effort de moduler le son de sa voix. C'est Mellow avec lui, il n'a pas besoin de ça, de faire des efforts pour être tout à fait normal et comme les autres.

Dreamy s'essuie encore une fois le front. Il n'aime pas l'humidité que ça fait sur sa main mais il n'aime pas non plus la sentir sur son front. Il frotte sa main contre son pantalon.

"Il fait trop chaud Mellow, j'aime pas."

Ça fait longtemps que ça dure ça, le chaud, mais c'est devenu de pire en pire et aujourd'hui même un tout petit trajet lui donne envie de rentrer se cacher dans un coin d'ombre. Oh, mais ne sont-ils pas à l'ombre ? Si, et Dreamy se demande si le Géant dort au soleil ou non – il espère très fort que non. Diego il tire la langue d'ailleurs et il n'aime pas du tout le chaud lui non plus avec tout son poil.

"Diego non plus n'aime pas. Il a soif. J'ai soif moi aussi." Dire qu'ils viennent de partir. Il est courageux Mellow d'avoir choisi Dreamy mais Dreamy ne peut pas cacher qu'il voudrait boire. Il y a peut-être un point d'eau pas loin ? "On aurait dû emmener un livreur."

Lui il aurait apporté de l'eau.

Ils avancent mais Dreamy est ailleurs. Parti. Plus loin dans son esprit alors que ses billes bleues fixent le sol ; enfui. Enfoui à l’intérieur de lui, et dans ses pensées aussi, loin du monde et de la jungle, loin de ses dangers. Qu’ils côtoient à chaque pas qu’ils font, tranquillement vers l’avant. Car le Rêveur est ainsi ; lent. Paisible même, pour quelqu’un qui ne le connaît pas, ne sait pas que c’est tous les jours que c’est comme ça. Difficile. Comme des montagnes à franchir quand il doit faire un geste ou dire quelques mots, être un peu plus comme tous les autres qui crient et qui chantent, et courent dans tous les sens. Brisent sa tête et ses oreilles ; pauvre petit père qui progresse malgré tout et s’en sort. Effort après effort, sans jamais trop se plaindre, en serrant les dents très très fort. En s’accrochant comme il le fait là pour ne pas faire demi-tour et abandonner Mellow à cette mission qui lui semble compliquée. Au géant qui s’essuie le nez. Pour ne pas penser qu’à lui, encore une fois, et ne pas être comme les autres disent ; égoïste. Ce qu’il n’est pas pourtant, pas vraiment. C’est juste qu’il oublie les autres comme il s’oublie lui-même et le monde qui l’entoure, enfermé dans sa tête et ses pensées, dans toutes ces choses qui rassurent pour pouvoir avancer.

Même quand il oublie. Pourquoi il le fait. Même quand il oublie. Que c’est pour Mellow. Son ami. Son allié. Son frère et plus encore. Qu’il Aime même s’il ne sait pas ce que c’est d’aimer. En qui il a Confiance même s’il a du mal à l’accorder. Pour qui il veut bien continuer même sous le Chaud. Pour lui et puis aussi pour Diego. Qui tire sa langue rose et halète, ses yeux dans ceux de Dreamy. Qui supplient. Et quémandent. Juste un peu d’eau. Ou du repos. Le font murmurer des mots.

“On n’aurait peut-être pas du emmener Diego.”

Mais sans Diego, Dreamy n’est pas complet. Sans Diego, Dreamy c’est comme s’il mourait. Et c’est là que les peurs reviennent, que les craintes hurlent dans sa tête. Qu’il perd le contrôle encore plus fort, encore plus violemment, parce que Diego est son équilibre et que Dreamy il peut pas aller quelque part sans lui. Même si y a Mellow, encore, qui fait du bien dans son esprit, qui le comprend aussi, et qui lui donne du courage quand il commence à perdre la foi. Alors grâce à lui Dreamy retire son haut. Ça fait d’abord bizarre bien sûr les quelques effluves de vent qui se perdent sur sa peau, et il frémit, frissonne, tremblote. Et puis s’habitue. Doucement. En comprenant qu’il a un peu moins chaud, et aussi qu’il s’en fiche de voir des bouts de lui tout nus Mellow, qu’il se moquera pas et dira pas qu’il est pas beau. Alors il laisse s’étirer un sourire sur sa bouche tandis que son cœur se balance.

“Je vais le porter.” Il pourrait rire tout bas, tout doucement, si c’était pas coincé juste au bord de ses lèvres. Puis brutalement l’envie s’enfuit parce que Mellow lui confie quelque chose. Une mission. Qu’il doit réussir. “Sans bouger, d’accord.” Et il se le répète. Sans bouger, sans bouger, sans bouger. Mellow est parti chercher de l’eau. Dans sa tête, en litanie. Sans bouger, sans bouger, sans bouger. Pour ne pas oublier. Sauf qu’il y a trop de choses à regarder autour et Dreamy d’abord pose les yeux sur Diego, couché à ses pieds. Puis sur les arbres pas loin. Et sur les buissons. Fait un pas en avant. Fronce le nez. Sans bouger, Mellow a dit. Mais c’est pas très loin n’est-ce pas, et s’il revient il n'en saura rien. Alors il repart et avance presque vite vers les arbres, désobéit. Semble à peine s’en apercevoir, parce qu’il se souvient pas que le monde tourne pas à son rythme et bouge beaucoup plus vite. Oublie Mellow parti chercher de l’eau. Pour s’enfoncer un peu dans la végétation, chercher, trouver. Quelques baies qu’il ramasse avec toute son attention et qu’il laisse tomber dans un petit sachet de toile. Bien content de sa trouvaille.

Jusqu’à ce qu’il se souvienne. Se rappelle. Mellow. Mellow qu’il a abandonné là-bas, par où ? Quand il regarde tout autour de lui il ne sait pas où il est. Ni par où il est arrivé. A le cœur qui frémit, la peur qui rugit, les jambes qui tremblent. La voix qui surgit, parce qu’il crie, “Mellow !”, et Mellow encore, Mellow, Mellow, Mellow, pour qu’il puisse l’entendre tandis qu’il court. Se précipite. Trébuche et vacille, pas fait pour ça, pour l’urgence et la panique. Pas fait pour lui, le Garçon-Ami qu’il a laissé derrière, qu’il a perdu, comme ses repères.

“MELLOW !”

Diego aboie, sa voix se brise. Dreamy tourne sur lui-même, les yeux grands ouverts, et s’affaisse sur le sol. Des sanglots dans sa gorge. Alors qu’une larme se brise. Et qu’il appelle encore, plus faible. Et la honte au cœur, d’avoir fait une chose horrible. D’être parti en l’oubliant. Encore.

Dreamy n'aime pas ça, les bruits tout autour de lui. Il n'aime pas les hurlements de Diego qui cognent dans ses oreilles, ni les sons des pas qui courent et cherchent partout et font craquer les feuilles des arbres ou les branches trop sèches. Il n'aime pas ça alors il pose ses mains en barrage, fixe le vide encore et laisse ses pleurs couler sur ses joues, et ça non plus il aime pas trop parce que c'est froid, ça brûle sur sa peau. Il gémit. À voix basse seulement, ça s'entend pas au milieu des cris de Diego. Essuie ses joues avec force contre ses genoux, qu'il presse contre sa poitrine, et essaye d'oublier tout ça. La forêt où il est perdu, Mellow, la mission, la forêt où il est perdu, perdu, perdu ! Quand les pas se rapprochent encore, Dreamy ferme fort les yeux. Il murmure le prénom de son ami en une litanie agaçante, parce que c'est la seule chose cohérente qui lui passe par l'esprit. Mellow va venir. Mellow va le sauver. Mellow, Mellow, Mellow. Qui d'un coup est juste près de lui. Contre lui. Et Dreamy sursaute fort mais ne se débat pas, et tremble brutalement au creux de ses bras. Sans bouger d'entre ses genoux non plus. Enfoui très fort, le visage entier caché, il frissonne au souffle contre sa tête. N'aime pas ça, ça non plus, ça fait frémir toute sa peau et il a envie de la gratter pour se l'arracher. Sans bouger... Oui, sans bouger... Dreamy se souvient, hoquette, sans parvenir à dire quelque chose.

Sans bouger. Sans bouger. Sans. Bouger.

Il se recroqueville encore plus et frotte de nouveau ses larmes sur son vêtement abîmé, les bras cachés eux aussi contre son corps pour ne pas trop sentir ceux du Grimpeur serrés autour de lui. Sa chaleur, qui fourmille sur lui comme celle d'une salamandre. Sans bouger. Sans bouger. SANS BOUGER. Un sanglot lui tire la gorge et Dreamy devient de plus en plus petit serré contre lui, murmure. "S-Sans bouger..." Il se souvient il se souvient il se souvient. Il a pas oublié. C'est Mellow qui l'a dit, au pied de l'arbre, et Dreamy voulait juste aller chercher les baies plus loin. "Sans bouger oui j-je..." Il renifle. Oublie ce qu'il voulait dire et remue dans les bras, inconfortable. "Lâche-moi Mellow.." Son ton n'est pas méchant. Plutôt comme d'habitude. Juste rendu un peu rauque à cause des pleurs, mais ça passera.

Il ne s'excuse pas non plus. Ne pense même pas à le faire. Même si c'est lui qui a fait la bêtise, et qu'il devrait peut-être. Un jour prochain, futur, lointain. Peut-être, toujours peut-être.

"La mission..."

Il se rappelle du géant. Avant qu'il parte à toutes jambes vers ce qui lui semblait tout d'un coup important. Et son regard se pose sur le bout de ses doigts. Tâché de quelques couleurs étranges, celles de certaines baies qu'il a ramassé. Ça lui arrive tout le temps.

"Le géant, il faut trouver son mouchoir."

C'est devenu quelque chose comme ça. Dreamy essuie encore une fois et c'est la dernière ses deux yeux bleus, puis il passe ses doigts dans le poil de Diego, soulagé qu'il se soit tut. La grande langue rose passe sur sa peau et malgré lui il tressaille. A ce sourire étrange qui colle à sa bouche, une petite seconde, avant de disparaître. Pour redevenir le Dreamy de chaque jour. Celui qui ne sourit pas, perdu dans ces pensées qui ne regardent que lui.

"J'ai trouvé des baies."

Comme une explication. Avant qu'il ne se mette à crier et Diego à aboyer. Qu'il se souvienne de ça. Sans bouger Dreamy, sans bouger.

Mellow le guide et c'est réconfortant, c'est l'habituel et Dreamy le suit, et Diego suit Dreamy, et ils ne font pas de bruit. Il y a leurs pas qui frappent au sol, bien sûr, mais c'est pas grave, ils continuent vers le Géant au Mouchoir et Peter Pan sera content quand ils seront à l'arbre. Encore plus. Dreamy se demande si ça serait pas mieux de le rendre un peu triste, y aurait peut être des nuages, puis il se dit qu'il serait peut-être pas juste triste et ça c'est plus embêtant. Il a entendu toutes les histoires des Perdus à propos des punitions, et s'ils ne font pas la mission c'est ce qui se passera, non ? Il n'est sait pas trop mais ça lui semble logique. Quand sa maman se fâchait elle le grondait et Dreamy pleurait beaucoup d'avoir eu si mal aux oreilles. Après ça elle lui donnait toujours sa pâte de fruit préférée - celle à la pomme - et il restait contrarié un peu moins longtemps. Mais ici tout est plus grave, tout est plus fort, et il a pas du tout envie de se retrouver attaché au poteau du Banni, alors il chasse cette idée qu’il a eu de son esprit, il avance encore, sans crainte sur le chemin que Mellow lui ouvre. Avec la promesse de l’eau à ses oreilles ; la voix de cet ami qui rappelle.

Il le connaît. Dreamy le sait. Mellow répète sans cesse où ils vont parce qu’il oubliera sinon, parce que Mellow sait lire dans son esprit, il le fait depuis toujours. Alors il suit, il suit et il écoute l’eau qui fait un peu de bruit, plus loin, pas beaucoup, quelques pas sans doute, “J’entends l’eau, Mellow, j’entends l’eau !” et Diego les dépasse au grand trot.

Dreamy il a le cœur qui bat un peu fort alors. Ils approchent et il pousse sur les buissons pour qu’ils les laissent passer. Ils arrivent à la rivière et sa bouche s’ouvre en o : La rivière est minuscule, loin des grandes eaux de d’habitude. Et le léger bouillon qu’il entendait correspond à ce qu’il voit. L’air sec et trop chaud a rendu le lit trop grand, et le Rêveur s’inquiète, il se dit que bientôt ils manqueront, et son regard se lève et bute une seconde contre celui de Mellow. Il a sûrement l’air un peu inquiet.

“Viens, il fait chaud.”

Il s’assied par terre Dreamy et il enlève ses chaussures fatiguées, approche des quelques centimètres d’eau qui restent pour s’y tremper un peu. Il s’accroupit. Son équilibre et précaire mais il s’acharne et cueille entre ses paumes un peu du liquide de vie qu’il porte à ses lèvres. Dreamy boit longuement. Concentré sur sa tâche. Diego s’amuse et boit autant qu’il peut lui aussi, et la chaleur semble d'un coup un petit peu moins accablante alors qu'il se baigne, ça fait presque froid sur sa peau. Il est bien pourtant ici avec Mellow, il n'y a personne pour les embêter et Dreamy pourrait rester là trop longtemps et oublier le Géant. Le Géant. Il se le répète dans sa tête, au moins cette fois il n'est pas qu'avec Diego. Pas tout seul, il pourra lui dire quand il faudra partir. S'il oublie vraiment. Faut dire qu'il reste un petit instant dans l'eau, Dreamy accroupi, il boit jusqu'à n'en plus pouvoir sans faire attention au reste, le souffle court peut-être après leur marche dans le Chaud suffocant. Mais il a le courage au fond des tripes, alors il se remet debout finalement et il regarde les pieds de Mellow.

“On peut y aller.” Il est prêt mais Mellow l'attendait sûrement, Dreamy s'en rend juste à peine compte. “J'espère que le géant n'aura pas soif. Il n'y a pas assez d'eau pour lui.” Ni pour eux s'il fait encore plus chaud, mais Dreamy n'est pas sûr qu'il puisse faire encore plus chaud que ça. Ça lui semble impossible. Après tout, la joie de Peter finira bien par se tarir.

Dreamy marche encore. Dreamy marche toujours. Il a moins soif mais il a toujours chaud et Diego tire grand la langue et puis d’un coup il se stoppe. Le nez levé vers un vent brûlant. Dreamy s’arrête aussi, il regarde Diego. Puis soudain il l’entend et il sursaute. Un gros éternuement de méchant, et s’il les avait pas retenues, ses jambes seraient parties en courant.

“Le Géant a vraiment un gros rhume.”

Il n’est pas très loin non plus. Et ils n’ont pas de tulipissenlys ni de mouchoir. Alors Dreamy regarde partout autour et repense aux baies dans le petit sac qui pend à sa ceinture, mais non ! Ce n’est pas le moment de chercher ça.

“Mellow, ça se trouve où les mouchoirs ?”

Peut-être qu’il faudra demander aux fées. Dreamy n’a jamais vu de fées depuis qu’il est là, il ne va jamais assez loin ou alors elles se cachent. Il a le pas si lourd faut dire, c’est pas difficile de l’entendre arriver.

Et la voix de Mellow, Dreamy l’entend même du fond de ses pensées qui l’appelle et ça a toujours été comme ça parce que Mellow a trouvé une place dans son monde. Mellow a percé son absence. Ses silences. Ses moments d’Ailleurs, si souvent. Mellow est devenu un bout de lui, tout petit, et puis un peu plus grand à force de patience. Alors Dreamy entend sa voix, toujours où qu’il soit. Il entend son nom et sur sa bouche c’est comme une mélodie et il aime ça Dreamy, que Mellow chante pour lui. Même si y a juste lui qui perçoit. Les notes de sa symphonie. Juste lui. Que ça fait sourire, un peu, comme un rayon de lune qui berce son visage endormi et ça tire sur ses lèvres, c’est doux et de travers mais c’est bien là et c’est ça uniquement. C’est ça qui compte sur le moment alors que Dreamy suit cette voix qu’il pourrait reconnaître entre toutes celles des enfants de l’Arbre. Cette voix qu’il aime comme il aime le miel et le poil doux de Diego, et les biscuits à la cannelle que faisait sa maman du Monde Ordinaire, et qui l’emmène sur des chemins qu’il regarde à peine.

Et il y a le Géant qui éternue encore une fois pas si loin et c’est presque comme si ça rythmait leurs pas, Dreamy sursaute souvent et a ses jambes qui tremblent et il se cache dans l’ombre de Mellow parce qu’il peut le protéger, Mellow est si fort, Mellow est si grand. Mellow est doué pour plein de choses et c’est pas comme lui, lui il est doué pour pas grand chose à part trouver des baies, des fruits, des champignons et des plantes qui se mangent.

Il connaît bien les tulipissenlys aussi et il en faut plein pour le Géant qui a un gros rhume et surtout un gros nez. Dreamy ne sait même pas s’ils en trouveront assez pour lui. Il ne sait pas non plus où ils pourront avoir un mouchoir. Et encore moins comment on met un gros mouchoir pour Géant dans ses narines. Mais Mellow est fort et grand, il y arrivera sûrement. C’est pas difficile peut-être pour lui, mais pour Dreamy c’est grand comme le monde. Et pourtant il le suit toujours, en fredonnant quelques paroles d’une chanson qui vient d’ailleurs. De très loin, même, et ça vient dans sa tête alors qu’il n’a plus les autres souvenirs. Juste ça. Sans même qu’il s’en rende compte et puis il s’arrête, l’œil attiré par une couleur.

“Mellow, regarde.” Il avance un peu plus vite, auprès d’un gros buisson sombre il y a une fleur tricolore qui manque d’eau comme tout le reste de l’Île. “Un tulipissenlys.” Il s’arrete à un demi pas, il regarde les couleurs des pétales abîmés et puis les feuilles rabougries. “Elles ont besoin d’eau comme nous les fleurs, sinon elles fânent et meurent.” Dreamy s’accroupit et il y a un temps où il regarde la plante encore debout malgré la chaleur, et il s’approche encore un peu jusqu’à être à un seul cheveu. “Il faut prendre juste les feuilles, Mellow, pour le nez du Géant.” Il avance ses doigts juste aussitôt et il décroche une feuille avec douceur.

Et c’est comme prévu, c’est chaud et un peu sec contre sa peau mais Dreamy sait que ça peut encore être utilisé et il la roule précautionneusement et la range avec les baies. Elle sera bien à l’abri comme ça dans le petit pochon. Jusqu’à ce qu’ils trouvent le mouchoir pour écraser les feuilles dedans, il en cueille encore deux.

“Tu crois que ce sera assez ? Pour les humains c’est déjà beaucoup, mais pour un Géant peut-être qu’il en faut plus que ça, puis il est vraiment très très malade.”

Dreamy sa bouche se plie avec soucis et il se remet debout tranquillement.

Alors il y a une hésitation.

Dreamy regarde la main de Mellow qui s’est tendue vers lui : il regarde la paume puis les doigts, puis juste comme ça il avance la sienne et l’attrape. Et tout dans le silence la mécanique d’ordinaire si régulière de son cœur s’emballe, se casse, accélère puis se serre tandis que la chaleur de la peau éclate tout contre la sienne. Il voudrait s’y soustraire. Pourtant, en même temps, il y a comme une sensation qui est étrange et qui glisse sur lui, en lui, qui huile les battements dans sa poitrine et les fait aller toujours plus vite. Il a d’un coup un peu chaud dans ses joues aussi. Puis son ventre s’y met, avec son estomac qui frissonne et le Récolteur ne sait plus quoi en faire de tout ça, de toutes ces émotions.

“J’aime bien ta main, Mellow, elle est douce.”

Il voulait pas vraiment dire ça. C’est précipité, un peu bafouillé, il regarde le sol et serre d’un coup ses doigts sur les siens comme s’il allait s’envoler. C’est sûr qu’il va trouver ça bizarre, si ça se trouve il va le laisser là en criant comme tous les autres qu’il est taré. Mais Mellow il est pas comme les autres, il y a ce truc dans son esprit qui lui dit, Mellow il est toujours là près de lui, il vient le chercher et il l’emmène dans ses missions même quand il pourrait prendre quelqu’un de plus doué et il pourrait mourir pour lui. C’est ce qu’il lui a crié, avant de partir.

“J’aime bien aussi quand tu trouves du miel juste pour moi.”

Il aime bien le regarder grimper aux arbres. Des fois il pense que si c’était lui à sa place, il se serait déjà écrasé, mais Mellow est comme un oiseau, il vole d’une branche à l’autre et le Récolteur n’a jamais peur pour lui.

“On restera toujours amis.”

Dreamy affirme parce que c’est pas possible que ça change. Il s’imagine pas que ça puisse etre le cas, non, ils seront là toute la vie, ensemble, avec Mellow qui l’entraîne dans des missions et lui qui les ralentit. Il fait sûrement trop de bruit, d’ailleurs, pour que les fées se montrent et viennent les aider. Puis les fées, elles aident souvent Peter Pan mais pas trop ses Garçons. Dreamy ne sait pas en fait, il ne les a jamais vues mais faut dire qu’il fait toujours trop de boucan, puis il n’a jamais eu à demander leur aide.

Alors après des minutes à marcher avec la sueur qui roule le long de leur peau, Dreamy finit par murmurer.

“Je suis pas sûr que les fées viennent, tu sais.” Il trébuche, il se prend les pieds dans une racine et il se rattrape fort à la main de son ami. “Peut-être qu’on peut prendre mon haut et le déchirer. Ça fera un mouchoir pour le nez du géant.”

Si Mellow veut pas ? Il le suivra n’importe où, tant pis. Tant qu’ils rentrent sain et sauf et qu’ils repassent boire un peu d’eau dans la rivière trop basse.