La soirée filait à toute allure, ou plutôt s’était figée dans le temps, je n’en savais trop rien. Mais même pour Neverland, il y avait dans la chronologie chaotique de la fête quelque chose d’étrange et incohérent. Les chants étaient parfois lointains, parfois assourdissant, et une légère ivresse flottait dans la musique des Delaware. La danse, la danse était belle, tous tournaient encore, encore, comme si ça avait un sens, comme si c’était ça la joie et l’allégresse, de tourner.

Personnellement, j’avais arrêté les conneries en dégobillant le contenu de ma coupe en bois entre deux buissons.

J’étais donc appuyé sur mes deux coudes, la tête en arrière, les yeux sur les étoiles, l’air probablement un peu perdu, mais j’étais bien. Je souriais aux nuages, pour le peu que ça importait, je souriais à personne et à tout le monde, et surtout à moi-même.
Mon estomac avait cessé de tanguer, mais mon cerveau donnait l’impression de clignoter, entre extrême conscience et délire onirique pur. Tiens, il y avait une silhouette à côté de moi. Je me tournais, un sourire d’imbécile heureux scotché sur le visage.

- Je regarde les étoiles.

Mon approche me parut soudain hilarante, et je m’abandonnais à un fou rire non contrôlé, saluant de la main le scarabée vert luisant qui fumait la pipe en face de nous.

Je n’avais pas pu comprendre la raison précise de la fête, mais les Delaware ne semblaient pas avoir besoin de prétextes pour danser autour du Grand Feu. Pour une fois, j’étais au bon endroit au bon moment, comme quelques autres de mes camarades, et nous étions les bienvenus pour participer aux danses. L’air était frais, mais le brasier nous enveloppait d’un air doux et enivrant. Certains tournaient, doucement, mais pour l’heure, la plupart des indiens présents étaient occupés à manger et à finir leurs peintures cérémoniales. On m’avait proposé de m’aider pour le maquillage et je m’étais volontiers prêté au jeu, j’arborais donc avec fierté un motif rouge et bleu digne de Bowie sur tout le visage.

Comme j’avais l’air enthousiaste, on partageait à boire, et bien que je trouvais la boisson fermentée répugnante, j’en pris deux coupes pour faire bonne figure. Les discussions allaient bon train, mais je restais surtout silencieux, m’emplissant la tête de rêves et de contes indiens. Je me détendais petit à petit, suivant le rythme des tambours en tapotant sur mon genou. On se passait de longues pipes en bois, dont émanait une fumée colorée et odorante. D’abord hésitant, je finis par suivre le mouvement et en respirer quelques bouffées.
Ça ne me faisait pas grand-chose, j’étais peut-être un peu plus heureux et un peu plus détendu, mais je me sentais serein et en total maîtrise de moi-même.

Je me laissais porter par l’ambiance magique de la nuit, telle une petite luciole qui espionne le Grand Feu, et j’enchainais avec joie fumée et lait fermenté, sans penser aux conséquences, sans penser à rien qu’au vide réconfortant et au parfum d’encens…

Précisions:

Les sons de mélangent jusqu'à ne rien laisser de concret. Tout n'est que bruit et explosions de joies qui disparaissent à peint après leur naissance. Ibijau n'a pas l'impression que ce soit positif, encore moins agréable, d'être ainsi écrasé par cette fête qui gronde et qui anime tout le camp. Pourtant, il ne s'est pas réfugié dans un coin. Peut-être est-ce une forme de défi, un besoin de s'intégrer, de ne pas être ennuyeux et renfermé comme d'habitude. Il a du mal pourtant, à exister au sein du groupe alors que ses mains doivent se faire violence pour ne pas recouvrir ses oreilles.

S'asseoir au milieu des jeunes de son âge est aussi un peu différent des autres jours. Il ne peut pas passer sa vie à se cacher derrière les adultes qui lui ont sauvé la vie, ça serait… Ah, Ibijau n'en sait trop rien. Chiant, est le mot qui devrait venir mais qui en est incapable. Le Rescapé n'est pas familier avec ce vocabulaire trop imagé. Et lorsque les autres insistent pour le décorer, il repousse en arrière ses cheveux détachés, les autorisant à faire ce qu'ils veulent. L'acte le dérange toujours, au niveau du contact même de la peinture. Pourtant, alors que les traits verts s'accumulent sur son visage, telles des plumes entourant son regard et recouvrant ses joues, Ibijau se fait violence pour rester immobile et ne pas grimacer. Lorsque ça devient trop, il s'écarte un peu, et les autres comprennent.

Le Feu Sacré est un lieu de vie et de joie, on ne s'embête pas avec les détails. L'ambiance le berce, le bruit assourdissant se calmant lorsqu'il cesse d'y prêter attention en faveur du reste. Lorsque son regard repère des étrangers, il se sent plus curieux que furieux, pour une fois.

Effectuer un rapprochement n'est cependant pas à l'ordre du jour. Pas au début, alors que l'adolescent est occupé à esquiver les paroles incompréhensibles de ses camarades. C'est qu'il ne le connaît pas encore bien le dialecte des Delaware. Et là, c'est pas l'idéal niveau concentration. Le contenu de la pipe n'aidera sans doute pas, mais Ibijau sent comme une légère aura de moquerie dans sa direction de la part des autres. Il est tout autant capable qu'eux de fumer ce genre de trucs sans souci. Pour le prouver, il participe, son regard fuyant se redressant vers la petite bande.

Qui ne lui prête pas le moins du monde attention.
Bon, d'accord, il a peut être un peu exagéré la situation.

Combien de tours a effectué la pipe dont il tire une nouvelle bouffée ? Pas la moindre idée. Son corps quémande un peu de calme. Pas grand-chose. Quelques pas et l'adolescent se pose de nouveau, sans remarquer la personne à ses côtés. C'est que se concentrer est dur, alors que tout danse et que les couleurs changent et se mélangent. Oh, sa tête tourne un brin quand même. Et ça tire sur ses membres, jusqu'à ce qu'il agite ses mains dans l'air pour évacuer tout ça.

La voix sort de nulle part, suffisante pour lui arracher un sursaut. Il lui faut un moment pour se focaliser et comprendre que c'est un des étrangers de l'Arbre. Hm, Ibijau est trop fatigué là. Et pencher la tête en arrière pour observer le ciel lui arrache le peu de concentration restante. Son corps s'écroule en arrière. Aïe.

« Tout brille, » aucun besoin de s'embêter à regarder les étoiles au vu de ce qui les entoure. Le sourire de l'autre est trop grand pour être celui d'une personne sobre. Pas grave, Ibijau ne sent pas très différent. Il n'exprime juste pas sa joie de la même façon.

Il y a comme un air de déjà vu chez l'étranger, un détail qui l'épuise s'il tente de s'y intéresser. Roulant sur le côté, il tend sa main bandée pour la pointer vers le visage de l'autre.

« Tu brilles ? » La phrase incongrue sorte sans qu'Ibijau ne s'en rende compte. Ce n'est pas ce qu'il comptait dire. L'autre se marre tel un idiot de toute façon, alors ce n'est pas dramatique. Peut-être que ça sera vu comme un compliment au sujet de son maquillage, qui sait. C'est plutôt beau, même s'il a l'impression que c'est vivant, similaire à une papillon posé attendant le bon moment pour s'envoler. Si ça se trouve, c'est le cas. S'appuyant sur son côté gauche, Ibijau se redresse pour s'asseoir, approchant un peu son visage de celui du garçon.

« Salut. »

Tenir une conversation c'est sympathique, mais dans le bon ordre, ça serait encore mieux. Ibijau n'est juste pas fait pour ces machins là.

Le monde risque de s'effondrer, de devenir quelque chose de totalement différent, s'il cligne trop rapidement les yeux. La sensation est un peu amère, presque dangereuse. Fumer autant était probablement malvenu, pas que l'adolescent ne s'en préoccupe. En un sens, si tout doit devenir différent cette nuit, il s'en fiche un peu. Son esprit n'a plus la faculté de n'exprimer que de la réticence face à ce qui l'entoure.

A la place, il contemple le maquillage sur le visage de l'étranger encore un peu. Ce n'est pas véritablement un papillon finalement, plutôt un éclair ? Ibijau n'est pas certain, et n'a pas la force de s'y arrêter trop longtemps.  Entendre que l'autre vient du Grand Arbre n'est guère une surprise. Du moment qu'il ne s'attarde pas trop longtemps, le Rescapé n'ira pas le chasser.

« Bonsoir. Cette fête est pour le moins.. étrange non ? Tu habites ici ? »

Pause. Bien sûr qu'il habite ici, hmpf. Ibijau profite que l'autre se retourne pour s'étendre totalement dans l'herbe et ne plus bouger. Sa tête tournera moins comme ça.

« Oui, » c'est court, mais avec ses soucis de prononciation et la fumée dans son esprit, il n'a pas envie de fournir d'intenses efforts. « Je brille aussi. » Est-ce qu'il tente de signifier quelque chose d'important ? Ibijau n'en sait rien.

Puis une autre personne en profite pour les rejoindre, ou plutôt pour se prendre les pieds sur eux. Ah bah bien, maintenant ils se retrouvent avec un troisième corps à moitié mort. C'est certainement exagéré, quoique Ibijau n'est pas certain qu'un seul d'entre eux ne parvienne à se relever sans assistance.

« Je ne tombe pas, d'habitude. » On dirait pas.

Abandonnant l'idée de s'asseoir, il roule sur le ventre, main gauche sous son menton pour lancer un regard au nouveau venu. Grand Arbre aussi probablement ? Ah, trop d'étrangers pour la soirée. Avec une grimace, il signifie que la chute n'est pas dramatique.

« Fumée trop forte ? » Ce ne sont pas des Delaware, c'est pour ça qu'ils sont dans un tel état, voilà tout.
Excellente déduction, si ce n'est qu'Ibijau est très occupé à ne pas perdre son appui sur sa main. Se frapper la tête contre le sol serait un brin humiliant.

H-RP:

Fermer les yeux serait une erreur cruciale, pourtant l'idée de s'assoupir en plein milieu de l'herbe ne lui semble pas désagréable. Les deux autres se connaissent peut-être, au vu du nom, quoique ça ne soit pas nécessaire d'y prêter attention. Ils ne sont que des étrangers de l'Arbre qui auront disparu le lendemain. Ibijau ne pourrait pourtant pas dire qu'il s'ennuie en leur compagnie. C'est reposant, d'être là et d'entendre les murmures qui paraissent être une chanson.

« Eh. Vous pensez qu'on est seuls là-dedans ? »

Bien sûr que non, des esprits peuplent le ciel. Ibijau en est convaincu et il répond par un léger hochement de tête, tentant de ne pas perdre l'équilibre. C'est que reposer tout son poids sur un bras est malheureux. Sans réfléchir, l'adolescent décide de procéder à un échange. Son poignet bandé réagit immédiatement, lui arrachant un grognement. D'accord, on va s'étendre sur le dos, moins dangereux.

« Les étoiles qui brillent, » visiblement c'est le mot de la soirée. Sa phrase devrait se poursuivre, déboucher sur une idée quelconque. Un effort trop important pour la fumée qui s'est glissée dans un coin de sa tête.

Il y en a une, égarée au milieu du reste, qui s'éteint brutalement. Une explosion courte et funeste qui n'a pas le moindre sens. Au lieu de se redresser, Ibijau reste un moment immobile, se demandant si les débris pourraient s'écraser sur l'île et tout détruire.

« Ça… ça explose, les étoiles ? »

Quelle question étrange. L'astronomie n'est pas son domaine, mais c'est vivant non, les astres ? Alors ça peut certainement mourir.

« Peut-être. »

Bras croisés sur son torse, l'adolescent s'interroge sur la fin du monde. Autant ne pas mourir une seconde fois. Pourtant, Ibijau n'est pas plus dérangé que ça, ne parvenant pas à considérer le drame comme tel.

« Boom. »

Les étoiles, est-ce qu'ils pourraient les atteindre ? Leur fonctionnement est spécial. Le terme ne signifie pas grand-chose, pour Ibijau. Il ne s'y est jamais intéressé jusqu'à ce jour, se contentant de les trouver belles de temps en temps. La nuit, il se repose d'habitude, au lieu d'être dehors et drogué à traîner avec une bande de gamins de son âge. Une voix s'élève, inquiète et frêle. Et l'adolescent n'est pas certain de comprendre les raisons d'un tel doute.

Est-ce que c'est lui qui est trop éloigné de la réalité, incapable de déceler le drame qui se joue au-dessus d'eux ? Les étoiles ne peuvent pas disparaître, elles sont immuables depuis que l'univers (ou tout du moins leur île) existe. Si son indifférence provoque la mort, cela serait— un crime ? Ibijau n'en sait trop rien, ce qui ne l'empêche pas de fermer les yeux, juste une seconde.

Celui qui sent la fumée prétend que c'est de sa faute, d'une certaine façon, que c'est en fixant les astres que tout est devenu ainsi. Qui sait. Lorsqu'une main s'approche, Ibijau a un mouvement de recul évident. Pas de contact ! Déjà que l'autre les a utilisés comme un hamac plus tôt. Se mettant en position assise, il tente de ne pas se laisser happer par la crainte qui se répand entre eux.

« On ne regarde plus le ciel. Plus de danger. » C'est que ça sonne presque comme un ordre, quoiqu'un qui demeure incertain.

Qu'importe si c'est de leur faute ou non, autant ne pas jouer avec le destin.
Sa chère Mort n'aimerait pas ça.

H-RP:

Sa paume presse contre son visage, en une tentative de lui faire regagner la réalité. Tout paraît si distant, un mélange de fumée et d'étoiles qui disparaissent. L'adolescent ne parvient pas à relier les points entre eux pour former une quelconque constellation. A la place, il écoute, mollement, les deux autres se raconter leur vie. Qu'est-ce que ça lui semble compliqué d'un coup, de dire des trucs au sujet d'histoires.

D'où est-ce qu'Ibijau pourrait connaître la vie des Delaware ? Il a débarqué dans leur camp à moitié mort y'a pas si longtemps. La suite ne fut qu'une longue sieste entrecoupée de réveils un brin décevants.

« On est là. »

Pas la peine de pleurnicher. Que cette nuit soit réelle ou non, ils existent au moins jusqu'au lever du soleil. Autant en profiter, les conséquences ne sont rien au sein d'un tel monde. Les malédictions non plus. Ibijau grogne, poussant quelques mèches loin de son regard pour tenter de focaliser ce dernier sur quelque chose.

« J'sais pas. Les histoires. Mais j'sais que dormir—peut faire peur. » Lorsqu'on ne peut plus ouvrir les yeux et que le monde est si statique que rien ne paraît réel.

Son corps se lève, embrumé tout autant que son esprit. Il lui faut un court moment, une errance de quelques pas parce que des gens ont laissé ce qu'il cherche à portée. Avec maladresse, Ibijau parvient à soulever l'un des seaux d'eau et à le ramener vers ses compagnons.

Uniquement pour leur balancer le contenu à la gueule.

Comme ça, personne ne va dormir.
Ibijau se sent étrangement fier de son talent à résoudre la situation.