Seversky paraissait anxieux. Sautillant et "marchotant" comme il pouvait, il restait au sol, ce qui était plutôt rare pour les rapaces, et scrutait celui-ci de ses yeux jaunes perçants.
Eagle, quant à lui, sentait son coeur lourd de chagrin. Et si jamais le Pygargue à queue blanche prenait mal sa nouvelle transformation ? Il n'aura plus cette viande que le Fauconnier laissait sur le bord de son assiette, puis qu'il allait jeter haut dans les airs pour motiver ses "troupes" à attraper leur repas. Il ne pourrait plus se percher sur son gant et veiller sur lui.
Comment réagirait-il ?

L'ex-Sentinelle se trouvait face à une bien pesante décision à prendre : celle de s'avancer vers son ami à plumes, sans pouvoir éviter Scar, autour duquel Seversky avait choisi de graviter afin de se donner un point de repère. Il connaissait le Chef des Sentinelles, après tout.
Il était tout simplement tétanisé à l'idée d'aller lui parler. C'était une peur comme il n'en avait jamais ressenti en tant qu'humain et qui le clouait au sol, la même peur qui s'était manifestée pendant leur petite excursion dans le Monde Ordinaire, là, tout à l'heure.
C'était la peur qui avait valu à Goner de le trainer, dans les airs, afin de les éloigner de la bataille qui s'était déclarée entre le groupe des Fées de l'Ordinaire et de celles de l'Imaginaire.


Après un temps, qui lui paraîtvêtre une éternité, Eagle finit par secouer vivement la tête, serrant très fort les poings, les bras collés à son corps. Il doit agir sans faire l'autruche. Ça ne se fait pas d'éviter la confrontation, surtout lorsque l'on change de camp.
Il n'est pas un Banni, il n'est pas non plus l'un de ces enfants qui fuient en comprenant qu'ils ont fait quelque chose de mal et que l'on ne leur pardonnera pas. Ce qui lui arrivait, il ne l'avait pas voulu.
Mais étrangement, il l'avait accepté plutôt vite, comme une libération. Restait encore à prouver si ce sera réellement le cas.

Il n'est pas un Banni, il n'est pas en faute. C'est ce qui le décide à s'approcher de Scar et de son augle. Lui qui a toujours eu peur de mal faire, peur des réprimandes alors qu'il faisait comme si ça ne l'atteignait pas, s'était convaincu qu'il n'était pas en faute.
Il avait reçu un coup, et s'était évanoui. Ce n'était pas de sa faute. Scar n'avait rien à dire. Ce n'était pas de sa faute à lui non plus, il n'était pas là quand c'était arrivé, il ne pouvait pas le savoir. Et puis, ça l'aurait probablement mis en danger, lui aussi.


Sur le coup, Seversky arrêta net de faire les cent pas. Il s'était mis à fixer la petite Fée qui s'approchait, la comparant à l'humain à côté duquel il se tenait.
Ses yeux jaunes passaient de la petite silhouette à la plus grande, sans comprendre ce qui se passait.

- Mon grand... je suis désolé...

Fit machinalement Eagle en s'approchant, submergé par des vagues de chagrin. Il se doutait que sa langue n'était plus la même, mais cela ne sembla pas troubler le Pygargue qui alla doucement à sa rencontre, baissant sa tête à la hauteur de la Fée comme il pouvait le faire lorsqu'il réclamait quelques caresses.
À cette vue, Eagle sentit sur ses joues un véritable torrent de larmes. Il avait tant pleuré aujourd'hui qu'il allait probablement s'assécher...

- Tu m'en veux pas ? je suis tellement content ! On pourra toujours se revoir... je m'occuperai toujours bien de toi, c'est promis !

Et alors qu'il se perdait presque dans les plumes de son vieil ami, celui-ci releva brusquement la tête, emportant avec elle la petite Fée, qui s'y retrouva malgré elle perchée.
Des larmes, le Fauconnier passa rapidement aux rires. Quel soulagement que Seversky ne lui en veuille pas pour ne pas être arrivé à temps ! Quelle chance, aussi, que les rapaces soient aussi indépendants... le plus important, c'est qu'ils puissent continuer à se voir, après tout.

- He-hey, atteeends, tu vas où, là ?

Demanda l'ex-Sentinelle en gloussant, s'accrochant comme il pouvait à Seversky, qui faisait maintenant marche arrière, retournant dangereusement vers Scar.
Et, sans que le Fauconnier n'ait le temps de lui dire quoi que ce soit, le Pygargue donna un bref coup de bec au mollet du Rouge, sans méchanceté aucune, simplement pour attirer son attention.
Il voulait lui montrer qu'il avait trouvé quelque chose qui pouvait l'intéresser.

Eagle se figea à nouveau, levant timidement des yeux écarquillés vers celui qui fut son Chef, si bien tassé sur lui-même qu'il se fondait presque sur son rapace.
Il n'était clairement pas encore prêt à aller lui parler.

Le Rouge est perdu dans ses pensées face au brasier qui a été sa seule demeure durant le Givre. Les rires récoltés ont été relâchés et, si pour l’instant cela reste peu visible, le changement se fait définitivement sentir. On n’ose pas encore célébrer mais on sait.

Pourtant Scar ne s’en sent pas plus joyeux. Il a retrouvé taille humaine, ce qui est un soulagement, mais il ne peut empêcher son esprit d’en revenir au déroulement chaotique de leur mission. En fée il avait eu soif de violence, s’était même allié l’espace d’un instant au pirate répugnant bien qu’il se soit promis de le tuer ensuite. Quelques rires rapportés, beaucoup de vies perdues ou abîmées. Au moins les autres groupes s’en sont mieux sortis mais il ne se pardonne pas d’avoir participé à l’échec du leur.

Un pincement au dessus de la cheville le fait sursauter mais il s’apaise vite en apercevant  le coupable.

Oh, c’est toi.

Le Sentinelle reconnaît l’oiseau. Jadis, alors qu’il était encore un Chef novice et prompt au dérapage, celui-ci l’avait attaqué cette fameuse fois lorsqu’il s’en était pris à Eagle pour un accident à la con. Pour ça il lui est encore reconnaissant aujourd’hui ; de l’avoir remis à sa place et le cerveau à l’endroit. Il en a gardé quelques cicatrices de bec et de serres qu’il ne regrette pas.

À présent leur entente est plus cordiale sans qu’ils se côtoient assez pour être amicale. Le Rouge a toujours aimé les animaux, il offre généralement au vieil aigle les mêmes petits morceaux de viande qu’il garde en poche pour Corneille.

Désolé j’ai rien sur moi aujourd’hui.

Il se demande s’il est venu le voir à cause d’Eagle. Le garçon n’est pas réapparu depuis qu’ils sont revenus de l’ordinaire, Scar s’inquiète mais ne sait pas quoi faire. Son espoir qu’il l’évite simplement, comme à son habitude, est mince.

Tu n’aurais pas vu-

En baissant les yeux il voit la fée accrochée aux plumes qu’il n’a pas remarqué plus tôt. Ça l’intrigue et puis ces ailes, ça lui rappelle quelque chose.

Le Chef s’accroupit et sa suspicion est confirmée. Il réfléchit quelques secondes et dit Bon. Au moins tu es vivant.

Ça avait quelque chose d'assez inhabituel pour Eagle de voir Seversky ainsi familier avec son Chef. Il faut dire qu'il ne savait pas ce que le Pygargue faisait lorsqu'il n'était pas en sa compagnie. C'est sa vie d'oiseau, il n'y avait pas plus libre que lui !
Et comme il était rare de voir Scar et Eagle au même endroit au même moment, le second ayant tendance à fuir le premier à vue, c'était logique que le Fauconnier ne soit pas au courant que son ami à plumes ait pu se rapprocher du Chef des Sentinelles.
Ça ne lui fait pas peur. Il ne se sent pas trahi, non plus. Même, il trouve ça assez touchant, bien qu'il ne comprenne pas vraiment pourquoi.

- Tu n’aurais pas vu-

À ce moment-là, il y eut un contact visuel avec la Sentinelle liliputienne, qui s'empressa de baisser la tête, en une vaine tentative de protection.
Ça y est, c'est officiel, il est repéré, il ne pouvait plus se cacher. Cette fois, il faudra parler. D'autant plus que voilà le Rouge qui s'abaisse, se mettant plus ou moins à la hauteur du duo à plumes.

- Bon. Au moins tu es vivant.

"T'aurais préféré le contraire peut-être ?" avait envie de lui dire Eagle, qui n'a malheureusement pas -et n'a jamais eu- assez de tact pour se décider à parler et ainsi dire ce genre de chose.
Étrangement, l'ex-Sentinelle pensait qu'il aurait plus peur que ça face à son Chef. Mais il semblait plus las, un peu grognon, pour une raison qu'il ne s'expliquait pas vraiment.
Il aurait peut-être préféré que Scar soit un peu plus démonstratif à son égard... mais bon, ça ne fait qu'appuyer le fait qu'il ne s'était jamais trop senti à sa place dans ce groupe, même en faisant de son mieux.

- Ouais. Et j'ai même fait un bon boulot. J'ai récolté des rires quand vous, vous vous bastonniez avec les autres Fées. J'ai pas été inutile, pour une fois.

Fit enfin Eagle avec une moue boudeuse, sans pour autant réussir à regarder son interlocuteur dans les yeux.
Il laissa passer un temps avant de reprendre, serrant les plumes de Seversky avec une petite poigne que le rapace ne devait même pas sentir :

- ... désolé de revenir comme ça, mais... j'pense que c'est pas plus mal. Chuis vivant et t'auras plus une "Sentinulle" comme moi sur le dos, donc c'est tout bénef' pour l'Arbre et pour toi, hein ?

À ce moment, le Fauconnier trouva le courage de relever les yeux vers son Chef qui ne l'était plus vraiment. C'était probablement la première fois qu'il avait le cran de le regarder en face.
Et, tout en parlant, il se sentait terriblement nul, repensant à ses echecs passés. Il voyait même Scar flou. Ah, c'est pas vrai... il avait encore envie de se remettre à pleurer.

Ouais. Et j'ai même fait un bon boulot. J'ai récolté des rires quand vous, vous vous bastonniez avec les autres Fées. J'ai pas été inutile, pour une fois.

Scar cligne des yeux et ne trouve rien à dire, pris de court par la pique et la virulence de la petite fée. Il n'avait pas tort, il avait merdé sur cette mission mais il était trop surpris pour s'en sentir blessé.

C'est vrai, tu t'en es bien sorti. répond-t-il finalement histoire de dire quelque chose.

Il se souvient qu'on les avait prévenu de risque de rester ''bloqués'' s'ils ne rentraient pas à temps et s'en veut un peu de ne pas avoir mieux veillé sur le gamin. Une culpabilité de plus pour lui qui les collectionne. Mais le Rouge est quand même content de le voir en forme à défaut d'être sous sa forme originelle.

... désolé de revenir comme ça, mais... j'pense que c'est pas plus mal. Chuis vivant et t'auras plus une "Sentinelle" comme moi sur le dos, donc c'est tout bénef' pour l'Arbre et pour toi, hein ?

Qu'il en tire un bénéfice, le Chef n'est pas sûr. Mais comme il le dit lui-même, peut-être que ce n'est pas plus mal pour Eagle. Se faisant la réflexion que la discussion risque de durer, il s'assied en tailleur et observe un instant la fée qui le défie presque du regard avant de sembler perdre de son assurance.

C'est pas réversible ? On aurait pu te changer de groupe aussi, tu sais.

Scar sait que le garçon était resté méfiant envers lui depuis cette terrible fois où il l'avait frappé ; tabassé presque. Sans véritable raison, juste à cause d'une connerie qui l'avait mis en colère. Alors il avait essayé de le laisser tranquille le plus possible, de lui donner des tâches qui ne nécessitaient pas d'être avec lui puisque de toute façon il l'évitait. Mais de le garder au coin de l'oeil pour se rappeler toujours de ne jamais plus perdre le contrôle de la sorte envers les siens.

Je pensais que ça allait mieux pour toi. J'ai essayé d'adapter ta routine pour que tu puisses être assez libre. Et pas trop me voir je suppose. il rit, un peu jaune, se sentant comme le dernier des abrutis Mais le mal était fait, hein ? Je suis désolé, t'as raison c'est peut-être mieux comme ça.

Au final, fée c'est toujours mieux qu'un pirate. Au moins comme ça ils ne risquent pas de se retrouver un jour ennemis. Et puis lui-même, d'en avoir été un l'espace d'une nuit, a gagné un respect nouveau pour le peuple de Mab.

Alors là, s'il s'attendait à ce que Scar prenne aussi bien sa remarque... et mieux encore, qu'il lui fasse un compliment !
Encore surpris de la situation, Eagle ne put s'empêcher de le fixer avec des yeux ronds comme des soucoupes, piquant automatiquement un fard.

"Tu t'en es bien sorti."

C'est qu'il faisait en sorte d'avoir si peu d'interactions avec son Chef - ou du moins, son ex-Chef ? - qu'une simple remarque qui ne soit pas un reproche lui faisait tout drôle.
C'est qu'il s'attendait toujours au pire, mais qu'il le cachait bien sous une attitude solaire et enjouée la plupart du temps.

- C'est pas réversible ? On aurait pu te changer de groupe aussi, tu sais.

Lui propose le Rouge, s'asseyant en tailleur comme s'il avait compris qu'ils ne s'agirait pas que d'une petite conversation rapide en guise d'adieux.
C'est une question pleine de bonne volonté qu'il pose là, mais il faut se le dire quand même : c'est un peu tard... et, au fond de lui, Eagle pensait avoir fait du bon boulot, jusque là.
Son problème, c'est, et ça a toujours été le relationnel.

- Pas à ma connaissance, non...

Souffla le petit Fé. Sous ses pieds, Seversky trépignait; l'inactivité à long terme lui pesait. Jugeant qu'il n'avait pas à l'importuner plus longtemps, le minuscule petit être sur sa tête décolla, lui donnant implicitement l'autorisation de s'en aller.
Le Pygargue à queue blanche regarda son ami à taille réduite s'envoler, puis venir se poser sur le genou de son ancien Chef. Surveillant quelques secondes comme s'il s'assurait qu'il ne se passera rien de plus, il s'en alla finalement, disparaissant entre les arbres.

- Après, j'aime bien mon taff, tu vois ? On est dehors, c'est agréable, et tout... et me dire qu'il risque peut-être d'y avoir d'autres soucis même si je change de groupe, ça me terrifie !

Repris Eagle, profitant d'un soudain regain de confiance pour s'expliquer au mieux. Pourvu que ça dure !
Enfin, c'était un peu vite dit, au vu des révélations que Scar lui fit ensuite. "Adapter ta routine"... "être assez libre"... "pas trop me voir"... "le mal était fait"... "c'est peut-être mieux comme ça"...
Le petit homme n'avait rien vu venir. Aussi vite qu'il retrouva un peu d'assurance, il se décomposa.

- Non... c'est moi qui suis désolé de pas avoir compris.

Laissa-t-il échapper dans un souffle, sa voix coupée par un sanglot difficilement réprimé.
Il aurait donc merdé jusqu'au bout, sans même comprendre qu'on cherchait à l'aider, à lui donner de meilleures conditions de vie ?

- Je suis trop con... j'aurais jamais rien fait de bon, au final...

Sur ces mots, le petit Fé se laissa tomber. Repliant ses genoux contre son torse, il y posa ses bras et y enfoui sont visage...
Sa honte avait laissé place à un grand élan de peine qu'il ,'arrivait pas réprimer. Encore une fois, il se sentait vraiment nul...

Comme d'habitude.

Je suis trop con... j'aurais jamais rien fait de bon, au final...

Quand la fée se met à pleurer, Scar est un peu gêné et ne sait pas trop comment réagir. Il n'a jamais été particulièrement doué ou à l'aise pour consoler les autres, laisse ça aux Mères en général. De toute façon il ne voit pas vraiment ce qu'il pourrait faire pour lui...à part lui tapoter l'épaule du bout de l'index mais ça risquerait de faire l'effet inverse et l'effrayer.

A la place il tente de le rassurer du mieux qu'il peut.

Faut pas dire ça. T'as toujours bien traité tes oiseaux et fais ton boulot sans discuter. C'est déjà pas mal.

Le Rouge sent que ça manque de quelque chose, d'un exemple ou d'une anecdote. Mais la vérité c'est qu'il ne connaît pas grand chose de la vie d'Eagle depuis l'incident entre eux. Il se conforte en se disant ,qu'au moins, le peu qu'il a à dire est sincère.

Et puis cette dernière mission, les rires pour sauver Peter, c'était la plus importante de ta vie et tu l'as réussie. Mieux que beaucoup d'entre nous.

Dommage qu'il ne soit pas revenu à temps mais au final ça n'a pas l'air de trop désespérer le garçon nouvellement fée. Peut-être que c'est le mieux pour lui, que ça lui offrira une autre forme de liberté.

Fée c'est un bon destin. Je préfère te savoir avec elles que chez les Pirates. Et puis ça doit te plaire de voler.

Il n'a pas grand chose d'autre à dire. Si ce n'est pas réversible alors ça ne sert à rien de trop revenir sur le passé, de toute manière c'est probablement la dernière fois qu'ils se voient.