Plusieurs mois, une année ? Ou deux ? Une plutôt. Difficile pour le futur Capricorne d’être sûr. Mais cela faisait longtemps qu’il n’avait pas vu les siens. Il n’avait plus parlé non plus.
Pourquoi cette âme se retrouvait là ? Dans la jungle ? L’esprit avait pensé juste de suivre les cours d’eau afin de trouver l’animal qui sera l’Essence et le nom de ce jeune Piccanninny. Les Capricornes légendaires, ceux qui ont leur image parmi les étoiles. Ceux qui appartiennent à l’océan et à la terre.

Le papoose ne savait cependant pas où se trouvaient ces êtres. Alors, il avait pensé bon de les guetter partout où il tomberait sur de l’eau.

Il était épuisé, jamais sans doute la chasse d’une Essence avait pris autant de temps. Cela devait faire un an.
Boa lui avait déjà parlé de ce que le Capricieux allait encourir. Et plus d’un du clan n’avaient pas l’air ravi. Le capricorne n’est pas un être de la jungle, c’est un être marin.

Couvert de diverses entailles, ses vêtements salis par l’environnement. Mais la détermination était encore là dans ces iris presque jaunes lorsque les rayons du soleil les éclairaient.
Il ne voulait que cette Essence.

Têtu, il le resterait.
Toujours le long de l’eau, mais, il s’éloigna. Bientôt, les ruines se montraient. Un regard en arrière, il pensait qu’il était trop loin de l’océan. Mais la faim se fit sentir, il lui faudrait chasser autre chose, pour se nourrir. Il avait déjà pris l’habitude, heureusement qu’il était Piccaninny, qu’il savait un peu de débrouiller.
Il était heureux de pouvoir aller dans les eaux autant qu’il le souhaitait, mais l’heure n’était pas au jeu.

Il marchait dans la jungle, puis les ruines, cherchant les traces d’un animal, les mains prises par l’arc et la flèches prêts. La besace en bandoulière, il finit par grimper sur un muret, qui prenait en hauteur au fil des pas du jeune Peau-Rouge. Un regard en arrière, il ne pouvait déjà plus voir l’eau. Et s’il manquait un capricorne ? Il secoua la tête, pour chasser l’idée désagréable d’en laisser filer un. Peut-être le seul qu’il pourrait jamais avoir.

Pas par pas, quelques fissures semblaient menacer de faire tomber la construction. Mais le papoose, à cette époque peint plus sobrement mais déjà de marques plus stylisées que ce que les Piccaninny avaient dans leur coutume. Déjà exubérant, uniquement trois grigris avec lui. Un jour il s’en parera de bien plus.

Pas par pas. Une pierre tomba, l’enfant avec.

Contre le sol de pierre.

Un guerrier mort dans l’eau ne trouve pas le repos, peut-être. Mais le future Capricorne Silencieux la trouvait plus accueillante pour les chutes. Et plus agréables aux tympans. Les siens étaient plus sensibles depuis le jour où cet élément aquatique avait failli le dévorer.

Il aurait tant voulu qu’on le laisse. Qu’on le laisse tomber dans ce monde silencieux, et fascinant.

Le voilà au sol dur, un acouphène dans l’oreille droite, celle qui rencontrait la pierre froide au sol.
Celle de la terre. Il préférait l’eau.

Il eut de la peine à se relever, il resta sur les genoux, encore souffrant de la chute. Encore sonné.
Il ne put même pas trouver son arc, mais le reste était encore dans sa besace. Il aurait besoin de tout pour attraper un capricorne.

Il pensa distinguer une silhouette, mais sa vue était encore un peu trouble, le souffle un peu court. Il avait eu peur de mourir sans avoir jamais pu ne serait-ce que voir un capricorne.

Intrus.
Intrus.

La panthère avait senti le fumet de l'humain à des kilomètres à la ronde. Elle avait perçu elle, la montée d'un mélange de colère et d'inquiétude mêlées.

Intrus.
Humain.
Tuer.
Tuer ?
Territoire à moi : Tuer !

L'instinct dictait sa conduite sans équivoque. Pourtant quelque chose en elle la poussait à faire preuve de retenue. Tout cela, depuis l'incident, quelques semaines auparavant.

Jusqu’alors, Elle n'était pas d'avantage qu'une bête sauvage.
Elle s'était éveillée, un matin, les naseaux frémissants, la peau grêlée, les idées floues. Tout son corps la tiraillait. Elle se sentait plus lourde, moins équilibrée et pourtant étrangement plus souple. Son cerveau n'avait alors produit aucune observation cohérente, rien de logique, et, cependant, il affluait toute sorte de sensations neuves, exacerbées et crues. Le pépiement de cette oiseau là, sur sa branche. Le grattement de l'humus par de petites pattes de rongeur à quelques mètres. Le souffle tiède de la jungle sur son épiderme. Les parfums multiples et explosifs de la flore autour d'elle. Les couleurs étaient plus vibrantes, les sons plus intenses, les odeurs plus riches.
Elle en fut étourdie.
Elle ne savait plus vraiment qui elle était auparavant. Sa mémoire, comme son humanité s'étaient hybridée. Pourtant il fallut attendre une rencontre spécifique pour que les souvenirs enfermés dans un ballotin et immergés au fond de son puits intime ne ressurgissent.

Le frère blanc.
Il était revenu.
Elle n'était guère devenue plus qu'une bête sauvage, aussi l'accueillit-elle comme telle. Elle avait grogné, rugi, griffé. Le sang s'était répandu sur la poussière des Ruines Abandonnées. Rouge poignant sur vert de gris. Le blafard n'avait eut cesse de sourire, l'ambre de ses prunelles pétillant avec lui. Il lui avait parlé, longuement. Il lui avait fait un cadeau. Il répétait sans cesse le même mot.

Nadie... Nadie... Nadie...
Ma petite soeur.

Son coeur avait manqué  un battement. Son geste s'était suspendu. L'albinos avait détalé pour sauver sa vie, mais sa présence la hantait comme ses paroles.

Nadie... Nadie... Nadie...
Ma petite soeur, mon onyx....
Vois comme t'es belle aujourd'hui ! T'es en vie, putain, c'est beau , Hey !
Tes aiguilles, pour toi, pour tatouer.
J'reviendrais. J'reviendrais ma petite grenade, promis !

Alors son ancienne vie s'était réinvitée dans sa nouvelle, télescopant tout. Nature humaine et féline étaient en conflits constants.

Frère blanc revenu ?
Nan. Nan ! Autre ! AUTRE !
INTRUS !

Abandonnant son promontoire, Nadie rua sur sa proie qui se retrouva plaquée dos au sol. Elle l'immobilisait, ses deux pattes avant sur la poitrine de l'homme. Elle ploya le buste, en contre-jour, offrant une vision surnaturelle au malheureux. Ses tresses emmêlées caressèrent le visage de l'humain, elle se pencha pour mieux le renifler, puis découvrit les dents. Ses canines étaient plus pointues malgré sa dentition humanoïde.

Elle lui rugit en pleine face.
Un rugissement de panthère.

Le choc du retour au sol avait été rude. Le futur Capricorne Silencieux, se massait doucement la tempe alors qu’il ne parvenait toujours pas à comprendre ce qu’était la silhouette.
Il n’eut pas longtemps à réfléchir.
Il était déjà plaqué au sol. Encore.

La tête reprit un autre coup, il ressentit le choc jusque dans le cartilage du nez. Et lorsqu’enfin les yeux ne furent plus troublés par les chocs et par les le contrejour. Il fut surpris de plus bel. Les yeux s’écarquillèrent. Qu’est-ce que c’était ? Un centaure ? Un être mystique ? Comme les capricornes légendaires ?

Le Piccaninny restait sans voix, incapable de dire quoique ce soit.

Il passa une main sur son propre visage afin d’écarter une tresse qui malmenait un de ses yeux.
Le rugissement qui vint n’avait rien de rassurant, ça ressemblait au plus haut point à celui d’une panthère. Légitime, il avait en face un centaure panthère, c’était possible ? Autant que l’existence de beaucoup d’êtres mystiques sur l’île.

Le jeune papoose essayait de distinguer les traits de visage de la créature qui pourrait bien le tuer.
Il avait une sensation de déjà vu, mais impossible de dire de qui il s’agissait. Il avait quitté le village depuis déjà un moment. Il ne saurait dire combien de temps.

Le papoose tenta de reprendre son souffle, il ne s’attendait pas à tomber sur pareille créature, lui cherchait surtout celles des océans et des rivières.
Il prit une inspiration, et tenta d’aligner des mots.
Détournant le regard, il ne voulait pas prendre le risque de provoquer la Créature. Ce n’était pas un centaure qu’il devait chasser. Et ce n’était pas non plus une cible de chasse pour simplement se nourrir et survivre loin de son clan.

- Je… je ne veux rien à toi ou ton territoire, je me suis juste égaré de ma… de ma quête.

Au fond, il était content de voir de près un être légendaire. Mais pas tellement de risquer de mourir sans même avoir pu avoir son nom.

- Je… je suis encore qu’un papoose, mais… un jour je m’appellerai Capricorne.

Il essayait de se faire respectueux. Au moins se présenter un peu, bien que cela puisse sonner étrange, de se présenter avec le nom qu’il ferait tout pour obtenir. Et qu’il n’avait pas encore.

- … et… et toi ? Tu as un… un nom ?

Le monde aquatique commençait déjà à lui manquer, il avait un peu l’impression d’étouffer. Il se faisait presque écraser après tout.

Renâcle, souffle, gronde.
Son nez inspire et expire fort. Elle renifle le garçon, car il c'est un fait, il est de trop petit gabarit pour être un mâle adulte. Elle sent confusément que, sous ses grosses pattes, les os de l'enfant peuvent craquer.
Elle hésite.


Tuer.
Tuer ?

Le petit d'homme baragouine. Trop vite. Trop pressé. Elle goutte l’étrange humeur qui perle à son front. Sa langue se déroule et lape sa joue sans crier gare. La sueur est acide d'excitation. Elle a une drôle de grimace, comme si le fruit était trop vert ou citronné.


Tuer.
Tuer ?

Les mots du chaton s'emberlificotent à ses tympans. Ils ont moins d'impact que le sang qu'elle entend battre aux tempes du papoose, que sa respiration sifflante et l'odeur pestilentielle de son humanité.

Pouah !

-...un jour je m’appellerai Capricorne.

Non.
T'auras pas de nom.
Pas de nom.
Jamais.
Jamais.
Tu va crever. Tout seul.
Personne.

Nadie.

"Toi tu t'appelleras Nadie et ton frère Nunca. Ça sonne non ? Chais plus ce que ça veut dire, mais hey, c'était la langue de mon ordinaire, ça fait presque comme une formule magique."

La légendaire secoue la tête troublée. Les paroles de Frère Blanc lui sont revenues en mémoire et désarçonnent l'humaine accrochée au pelage.

Nadie.

- … et… et toi ? Tu as un… un nom ?

Nadie.

Elle s'est redressée, soudain plus calme, mais pas pour autant moins menaçante. Elle semble mobiliser quelque chose de lointain, un écho, enfoui. L'effort pour le déterrer est colossal. Elle entrouvre les lèvres. Le son peine à se former, il rechigne, s'ébroue, résiste.

-....N... A..DIE...

La résonnance de sa propre voix la surprend. Elle est grave, rendue rauque par le manque d'utilisation, mais indubitablement profonde et femelle.
Elle déglutit, sous le choc.

- Na...Die, répète-t-elle à l'adolescent.

Comme une sorte de victoire intime.

Il avait cru mourir, mais un Piccaninny ne devait pas avoir peur de mourir. La mort était une amie. La plus fidèle que l’on ne trouverait jamais. D’ailleurs, le crâne dessiné sur le Chaman du village avait quelque chose de rassurant. La mort apportée par les Sirènes semblait mystique.

Le papoose reprenait un peu de souffle, lorsque la créature semblait se calmer. Un peu. Le futur apprenti chaman observait, maintenant que ça allait mieux. Même si la menace persistait, il laissait aller sa fascination pour les être mystiques. Il avait devant lui un centaure, moitié… panthère apparemment.

Il eut l’honneur de pouvoir entendre une voix étrange, et un nom.

C’était une grande chance, découvrir un nouvel être. Il ne s’agissait pas d’une créature aquatique, mais il y avait tout autant de mystique, de légendaire. Et le futur Capricorne Silencieux les aimait, ces êtres. C’était pour cela qu’il courrait après les capricornes légendaires. Il serait châtié de son caprice, à ce moment il n’avait eu que des mises en garde de la part de tous. Mais le Capricieux n’en avait écouté aucun. Pas même Boa.

Il fallait continuer de parlementer, de survivre. Et de pouvoir en savoir plus, peut-être. S’il trouvait le moyen. Enfin, il imaginait bien que ce serait difficile. Impossible d’avoir une totale confiance, tout ne se faisait pas en claquant des doigts. Il l’avait compris déjà durant sa chasse. Sans doute, les membres du clan l’imaginaient peut-être mort.

- A.. aowh Nadie.

Il recommençait, de manière juste, la « rencontre » en quelque sorte. Même s’il avait failli y laisser sa peau, et qu’il la risquait toujours. Les caprices valaient tous les risques du monde. Tous.

- Nadie, as-tu déjà vu des capricornes ?

Même dans cette situation, il pensait à son but. Ses caprices multiples, au même nombre que les grigris dont il se décorait le cou et les bras.

Les capricornes légendaires. Ceux qui donneraient leur essence, et transperceraient le crâne du Capricieux.

Il l’aura mérité. Mais le supportera, sans se plaindre.

Pensées de moi. Compliquées.
Pensées effilochées. Lacérées par griffes pointues. Mémoire... Fendillées.
Mon nom ?
Nadie. Mon nom donné.
Nadie. Nadie. Nadie. Dans gueule de moi, résonne bizarre. Dans esprit moi, songe de frère blanc.
Autre mot, Nunca. Main dans la main.
Mains ?
Elle soulève les deux choses qui s'étirent en étoile au bout de cette paire de pattes surnuméraire accrochées à son torse. Elle fait danser les étranges appendice au bout, devant ses yeux. Ce n'est pas des griffes, même pas de coussinets.
Mains. Doigts.
Autre mot encore...Siempre.
La chose qui tambourine sous sa poitrine fait un petit saut. Un entre-chat, comme pour éviter le sinueux du serpent tapis dans l'herbe. C'était comme un picotement, agréable et douloureux à la fois. Nadie baisse la tête vers le creux de ses seins, sans comprendre.
Ska.
L'humain tout blanc, des pieds aux cheveux, se tenant le flanc, rouge saignant, c’est cette image qui s'impose à elle.
Ska...
Frère blanc s'appeler Ska. Ska. Carne. Viande. Carne. Ska.
Je concentration sur cet être nouveau, ce deux pieds. Moi, pas lui faire peur ?

- Moi, Nad..ie. Toi... CaPi... Elle lutte sur le ronronnement du "r", qui lui arrache un petit feulement agacé. CapppRrRrRrRRrrico...CoRrRrRRn...

La femme-panthère fronce les sourcils, mobilisant toute cette cervelle déconstruite qui est la sienne. Elle inspire, expire. Recommence.

- CapRrricoRrrne.

La diction appuyée a quelque chose de comique, mais ce serait méjuger l'effort monumentale qu'elle effectue pour tenter de recoller la faïence éclatée de son humanité.

- Quoi ça être ?

Elle patauge dans le marais de ses souvenirs. Il y'a des images, des voix, des odeurs, des impressions. Des empruntes de vie d'avant.

- Être.... proie de toi ?

Il y a un trio de jeunes adolescents qui gambadent dans sa cervelle : deux noir, un blanc, un drôle de damier. Et il y'a cette réminiscence de chasse, de course-poursuite de son autre elle. De cette panthère aux corps de velours et au regard d'ambre fendue. Il y'a ce miroir d'une autre vie.
Et des mots.
Des mots qui assouplissent sa langue.

- Essence... murmure-t-elle.

Elle se penche à nouveau sur l'indien égaré, mais toute violence s'en est allée. Ne subsiste que cette curiosité aiguë de l'Observatrice qu'elle deviendra plus tard Du Témoin.

- Essence pour toi. Autre toi. Chasser ou...

Elle s’ébroue, tout son corps se crispe. On dirait un chat dont le poil se hérisse. C'est le cas, en réalité. Elle se revoie , mourante, une machette à la main. Une machette qui pendouille à présent à son flanc.
Étrange subside de son "elle" de l'avant. Réflexe de moignon et de membre fantôme, surement.

-... mourir.

Le souvenir s’évanouit telle un mirage de contrées désertiques. Elle attrape capricorne de ses deux "mains", donc, et le soulève par les aisselles pour le remettre sur pied.

- Piccaninny....

Autre mot.
Autre vie.

Elle semblait être en grande réflexion, la dame étrange. Celui qui serait plus tard Capricorne observait, analysant cet être. Il était encore partagé avec un peu d’inquiétude, mais ce sentiment se calmait au fil des secondes. Des essais du Centaure pour dire ce nom, capricorne. Un petit sourire se peignit doucement sur le visage du papoose. Elle avait compris, Nadie. Et le jeune Piccaninny était fier d’avoir pu parler, d’avoir pu entrer en dialogue avec un être mystique. Lui qui aimait tant ce monde magique.

Il hocha doucement la tête, pour répondre favorablement. Oui, les capricornes étaient sa proie. Oui, il devait chasser.

Surpris, mais il se laissa remettre sur pieds. Il gardait encore quelques douleurs, évidemment. Mais c’était le prix pour ce nouveau caprice de vouloir parler à un être qui aurait pu préférer lui arracher la tête et les tripes. Tout avait un prix. Toujours. Tout comme son essence en aura un gros. Qui lui vaudra la haine des étoiles, encore et encore.

Comme cette étoile, qui plus tard, s’écrasera dans la minuscule clairière secrète du Capricieux, et tuera un Enfant Perdu au passage. Les étoiles n’étaient jamais loin. Et ne le seraient jamais.

Pour avoir l’essence d’un être légendaire, d’un être qui avait même droit à son image dans les étoiles, il faudrait payer un prix élevé.

On avait prévenu le papoose tête de mûle, on lui avait exposé les risques, l’imbécillité de son idée. Qu’il n’en trouverait peut-être pas, qu’il n’en aurait peut-être pas plus qu’une fois.

Mais le Capricieux savait, et n’abandonnerait pas son caprice. Rien que parce qu’il se donnait raison, rien qu’en rencontrant des être comme la Mémoire.

Vacillant un peu, il retrouva finalement l’équilibre. Il releva un regard brillant de fascination sur Nadie, heureux de voir cette Centaure sous ce nouvel angle.

- O… oui ! Je dois chercher mon animal totem, et ainsi trouver mon essence.

Il montra ses trois grigris, comme un enfant fier de son petit trésor.

- Je prie pour que les esprits et la chance soient avec moi, pour au moins les trouver. Tu sais, ils sont grands, ce sont des sortes de chèvres à moitié poisson, ils ont une grande nageoire. Ils ont même droit à leur image dans le ciel étoilé !

La main du jeune Piccaninny se leva avec ses yeux pour désigner le ciel, un grand sourire sur le visage. Toujours heureux de parler à une créature aussi rare que son interlocutrice était, et toujours heureux de parler des capricornes.

- Tu n’en as jamais vu ?

Il s’était un peu calmé, redescendant sur terre, tout comme ses yeux et sa main. À nouveau concentré sur Nadie.

- C’est pas grave… personne ne m’a dit en avoir déjà vu…

Un haussement d’épaule. Même si ça lui prendrait trois ans, il les chercherait. Ça lui prendra trois années… Alors que d’autres ne traquaient pas aussi longtemps, mais lui, il voulait un capricorne.
Il y avait peut-être un peu de peine dans sa voix ou dans le regard, mais il serrait les poings, il préfèrerait mourir que de rentrer au village sans un capricorne.

L'humain gesticule. Il est bien agité, pleins de bras qui gondolent comme des pattes d'araignée. Il gaspille son énergie à bouger inutilement ainsi. Nadie le regarde en penchant un peu la tête de biais. Elle réprime l'envie d'attraper ces bouts de doigts remuant avec ses griffes.
Les grigri à son cou lui évoque quelque chose de familier.
La chevelure blanche d'un crâne blanc tatoué à même un regard de paix bleue. Un serpent qui se mêle tout doucement aux entrelacs de ses souvenirs morcelés.

- Boa... murmure-t-elle tout doucement.

A moins que ce ne soit un python ? Qu'en sait-elle ?

- Quoi ressemble... CaprRRrrRrRicorne ?
-... Tu sais, ils sont grands, ce sont des sortes de chèvres à moitié poisson, ils ont une grande nageoire. Ils ont même droit à leur image dans le ciel étoilé !

Elle lève la truffe vers la voûte céleste, imitant l'humain. Il fait jour et la Grande Mère n'a pas encore emprunté son manteau à l'Esprit Nuit. Elle ne voit donc rien.

- Tu n’en as jamais vu ?

Elle secoue la tête à la négative. Une chèvre d'eau ? Cela ne lui dit rien. Une chèvre-sirène ? Encore moins. Elle a une sainte horreur de l'eau et fuit la côte.

- C’est pas grave… personne ne m’a dit en avoir déjà vu…

Son air dépité, lui communique une certaine déception. Elle fait sienne sa frustration. La chasse ne doit pas se solder par un échec pour le bout'd'homme sans-nom. Chaton a besoin d’être guidé.

- Ici... Que singes-rires. Et pierres vieille. Moussues. Pas Chèvre-siRrrRRène. Pas CaprrrRrRRrRicorne.

Sa queue fouette l'air.

- Peut-être ...

Près de la mer, tout au bord de l'eau.

- Viens !

Décide-t-elle, brusquement en contournant le papoose pour attraper sa peau du cou entre ses dents et le transporter. Elle peine d'ailleurs à y trouver une prise.

La Centaure confirma qu’il ne demeurait aucun capricorne en ces lieux. S’éloigner des rivières, des lacs, des eaux n’était pas une bonne idée. Mais il fallait être sûr de les trouver, les être mystiques. Le papoose avait bien réussi à rencontrer une créature légendaire ! S’il arrivait à en croiser une, alors il pourrait toutes les voir. Ne serait-ce qu’une silhouette.

Le mouvement net de la queue de panthère fit légèrement sursauter l’enfant, mais la voix étrange reprit parole. Une nouvelle piste, pas certaine, mais une piste tout de même. Il était plus facile de fouiller si l’on avait au moins un endroit où commencer.

Cette zone encore peu connue pour celui qui sera le Capricieux, se trouvait peut-être plus proche de l’océan que le reste de la forêt. Proche ou non, il verrait bien, et peu importait s’il perdait du temps ou non. Peut-être mettrait-il des années à trouver son Essence, il s’en fichait. Il LA voulait, c’était celle-ci qu’il lui fallait et pas une autre. Ce n’était pas pour rien qu’il serait surnommé le Capricieux. On l’avait déjà grandement prévenu avant qu’il ne parte pour cette grande chasse. Et l’enfant n’avait pas daigné écouté, sûr et certain qu’il assumerait le temps que cela prendrait, qu’il supporterait les possibles répercussions.

Le regard s’égara un moment dans le ciel, où demeuraient les étoiles affichant parmi elles l’une des places des capricornes légendaires. Un autre léger sursaut, qui se finit un peu en rire. Le papoose avait reconnu le réflex de Nadie, un geste très félin. Ou commun à bien des animaux ? Il n’en n’était pas sûr, mais certain pour les panthères au moins.

- Tu vas peiner à me porter comme ça, je peux marcher. Je suis un fier Piccaninny ! En quête de son Essence depuis un grand temps, en effet.

Il vérifia qu’il avait ses armes pour chasser, puis il se hâta de suivre Nadie.

- Tu veux m’aider à trouver les capricornes légendaires ?

Être aidé d’un être mystique, qui aurait sa place dans les légendes, était un grand honneur pour celui qui voulait se nommer Capricorne.

Il ne s’attendait pas à ce qu’on le prenne par la main, et qu’on lui mette l’objet de sa quête devant lui, n’ayant plus qu’à cueillir l’opportunité, mais avoir droit aux connaissances d’autres était aussi efficace qu’une lame bien aiguisée.

- Je te remercie, Nadie. Ton aide pourra grandement m’aider, me faire avancer dans ma chasse.

Motivé, toujours, il devait s’entrainer à être un bon apprenti. Et un bon Piccaninny.

- Tu connais bien cette partie de l’Île ?

- Tu vas peiner à me porter comme ça, je peux marcher. Je suis un fier Piccaninny ! En quête de son Essence depuis un grand temps, en effet.
- Picca...ninny... Répète-elle en écho.

Un écho qui se répercute sur les parois d'une mémoire lacérée, encore trop animale.

- Picca...ninny...

C'est familier. Au son. Au gout. Oui, à cette saveur un peu particulière, de tanière, de foyer. De sang et de regrets. Doux. Amer. Son palais ne saurait trancher.

- Es-sang-ce. Comme proie pour nouRRrrRRrrir... ? Couler  RrrrRRrrouge ?

Elle fronce les sourcils
Elle n'est pas sur de comprendre. Et si le vocabulaire assouplit sa langue, la constitution de phrases pour exprimer la complexité de son raisonnement la fait buter. Elle dérape sur le versant d'une montagne. Alors quand il lui pose la question :

- Tu veux m’aider à trouver les capricornes légendaires ?

Elle hoche la tête, simplement, ses prunelles fendues le fixant, avides.

- Je te remercie, Nadie. Ton aide pourra grandement m’aider, me faire avancer dans ma chasse. Tu connais bien cette partie de l’Île ?

Elle hoche à nouveau la tête, mais avec plus d’empressement, cette fois. Et sa panthère laisse l'humaine éprouver un semblant de trouble. Elle n'est que rarement remerciée, pour ainsi dire, jamais.

- Les chasseurs sont frères tant qu'ils ne chassent pas le même gibier.

Elle s'interrompt, surprise de voir les mots sortir si facilement de sa bouche. Des papillons gracieux. Elle se palpe les lèvres, confuse, comme si elle essayait d'attraper son éloquence au vol. Elle n'a pas réfléchi. L'adage lui est revenu, de loin, avec une voix sifflante mais douce. Une voix paternelle.

- Papa dire ça.

Papa ? J'ai un père.
Serpent... Seeeerpent... Serpent quelque chose.
Écailles noires. Mamba
Dangereux reptile. Corrosif.
Seulement pour ceux qui ne sont pas de la famille meute.
Siempre, Ska, Nunca, Mamba Corrosif, Hyène Ricanante...
Famille ?
Mots. Trop de mots. Trop de noms ?
Puma Sanguinaie, Boa Nocturne, Lys Tigré....

Tribu.
Meute.
Meurtre.

Piccaninny.

- Peau-RrrRrouge. Es-sang-ce couler. Mourir seul.

Elle le regarde avec une intensité pétrifiante. Deux gouttes d'or.

- Ça être Piccaninny.

Le papoose fut surpris de la réponse soudainement bien formulée de la femme-panthère. Mais les paroles résonnaient d’une belle manière. Il eut même une information, celle que la créature possédait un père. Quel genre de père ? Ça, il n’en savait rien. Soit il s’agissait d’un père de sang, ou de cœur.

Le tout jeune adolescent observait l’être mystique, à ses yeux, avec une grande attention. Elle ajoutait quelque chose, une chose importante. Elle savait ce qu’était un Piccaninny. Pas juste « ce sont des Peaux-Rouges », non, c’était beaucoup plus précis. Plus fort.

Il y avait la mort.

Celui qui voulait être appelé Capricorne reconnaissait bel et bien l’importance de ne pas craindre la mort, de l’assimiler comme si elle faisait déjà partie d’eux.

Il avait failli mourir, dans les eaux. Quelques années auparavant, il voulait juste écouter le son sous-marin. Tout s’était enchainé très vite, et l’enfant n’avait pas voulu se débattre. Il était séduit par ce silence, il s’en fichait de ne jamais trouver le repos s’il mourrait noyé.

Mais on l’y avait arraché, le monde terrestre était affreusement bruyant, plus que de coutume.

Le jeune adolescent afficha un sourire à Nadie, il ne savait pas trop pourquoi, mais elle paraissait si familière dans ces paroles sur les Piccaninny.

- Oui !

Le papoose avait répondu avec un grand entrain, comme si tout semblait naturel. Et puis surtout, il était un peu hypnotisé par l’être mystique qui l’accompagnait. Pour une personne comme lui, qui adorait le monde légendaire, c’était absolument magique.

- Allons vers la rive, si c’est possible… ou un endroit assez grand et profond pour les capricornes. Je ne connais pas bien ces terres, c’est ton territoire ou tu as déjà plus exploré que moi.

Un temps, il vérifia qu’il avait tout sur lui. Tout ce qu’il faudrait pour accomplir son rêve entêté.

- Je suis prêt ! Tu peux me guider mais, je sais que je devrai chasser seul ensuite.

Il serra ses grigris dans ses mains.

- Tout le monde pense que c’est absurde, mais moi je m’en fiche, je veux avoir le totem de ceux qui ont même leur place dans les étoiles.

Le jeune adolescent, peut-être encore enfant, pointait le ciel du doigt pour illustrer ses mots. Le monde céleste et le monde aquatique. Il voulait les lier, et pour cela, il fallait être capricorne.

- Les étoiles... murmure la femme panthère.

Le petit Deux-Jambes est décidé à gravir la voute de l'Esprit-Nuit. Soit. Elle se fera guide pour lui, car, elle aussi se trouve curieuse.

Elle n'a jamais vu de Capricorne. De quelle couleur est un être-étoile ?

Les deux compagnons de voyages s'enfoncent dans la mousse et les feuillages, loin du château où résonnent les rires des singes.

En cherchant les êtres mystiques, on forge sa légende.