Le Givre avait laissé place au Printemps. Pas que cela changeait grand chose au Bayou, qui avait été largement protégé grâce à la magie de Maman Brigitte. Encore moins pour la troisième épouse du Baron Lundi, qui profitait du balcon de sa chambre privée pour observer les alentours. Gwo Kay Won avait cet avantage d’offrir un point de vue sur une bonne partie du Bayou. Suivant l’endroit où l’on se trouvait, on pouvait même apercevoir les fumées du Ranch ou les mats des navires arrimés au Port. Ainhoa aimait regarder la vie s’éveiller du haut de la Tour. Parfois, elle repérait l’un ou l’autre des frères de son époux et s’intéressait à leur manigances. D’autres fois encore, son regard olive suivait l’une des prétendantes de son époux pour tenter de se faire une idée sur cette nouvelle arrivante. A quelques occasions, elle avait pu voir l’aîné.e des enfants grimper dans sa chambre avec l’aisance d’un écureuil, lui retirant un sourire attendri.

Ce n’était qu’une fois ce petit rituel terminé qu’elle prenait le temps d’enfiler l’une de ses éternelles robes à volants, d’attacher rapidement ses cheveux avec son foulard et qu’elle descendait dans l’une des salles commune saluer ses consœurs et le reste de la famille. Il arrivait qu’elle se dévoue à la cuisine quand elle était d’humeur, mais pas aujourd’hui. Aujourd’hui, elle avait pris avec elle une besace contenant pinceaux, poudres et bols de mélange et songeait à offrir quelques dessins de peau à qui le souhaitait. Moyennant service, évidemment. Hormis pour la famille, rien n’était gratuit chez la Bohémienne.

Ce ne fut donc qu’après avoir déambulé un moment dans les allées du Bayou, discutant avec certains de ses habitant.es, ayant œuvré sur un cou, deux épaules et trois poignets, qu’elle se décida à sortir du Bayou pour s’approcher de la plage. Généralement, c’était le trajet de Noah. Mais cette sortie n’avait rien à voir avec ses habituelles recherches d’ingrédients. Cette fois, elle avait simplement entendu les chiens.

Elle n’a fait que quelques pas sur la lagune, observant la silhouette immobile et les quatre autres -beaucoup plus petites- s’agitant dans tous les sens quand le ciel s’assombrit brusquement. Pour autant, elle ne s’inquiète pas. Pas parce qu’elle habite sur une Île magique dont le temps toujours changeant est partiellement géré par un être enfantastique, non, mais parce qu’elle reconnaît cet air d’orage. Son regard se tourne vers l’arrière, en direction de la tour qu’elle a quitté plus tôt : qui a déclenché les humeurs de son cher époux, cette fois ?

Espérant sans un mot qu’il ne s’agisse pas de Janvier, la femme continue néanmoins de s’avancer vers celle qui semble être la propriétaire des chiens. Elle ne distingue pas bien ses traits puisqu’elle lui fait dos, mais tout dans sa posture indique qu’elle est terriblement tendue. Ce qui n’était pas le cas quand le ciel était encore clair. S’arrêtant à quelques pas, elle susurre d’un ton tranquille.

« Il n’est pas là pour toi, querida. Pas aujourd’hui, du moins. »

Avec un sourire, elle tend la main, faisant tinter les bracelets dorés qui s’accumulent sur son poignet alors qu’elle montre l’entrée du Bayou d’un geste ample.

« Mais s’il t’affole ainsi, je ne peux que trop te conseiller d’éviter de trop errer par ici. Les humeurs du Baron sont aussi terribles qu’imprévisibles. »