Elle ne l’a pas lâché.

Elle le traîne, sans savoir où. Sur leur chemin, il y a du monde encore, des silhouettes qui s’évaporent pour ne plus laisser place qu’à un silence surréaliste.
Poisseux.

Elle ne le lâche pas.
Ils passent de passerelle en passerelle, elle le traîne sans réfléchir. Son pas, malgré sa stabilité, semble chargé d’électricité. C’est à peine si elle remarque les Cabanes qui défilent, la distance qu’ils parcourent.
Peut-être que si je marche assez longtemps...
Le sang coule et bat, dans ses veines.
... j’arriverais à me calmer.
Le sang coule, pulse et bouillonne.

Comme une apparition, les contours d’une Cabane familière s’imposent soudain dans son champ de vision. La Réserve et ses éclats de métal, son plancher constellé de taches sombres. Machinalement, elle s'y engouffre.
Et s’arrête enfin.
Elle a dû l’y conduire comme dans un rêve, comme on rentrerait à la maison.

Ce n’est qu’à cet instant qu’elle le lâche - elle finissait toujours par le lâcher.

Ses gestes sont raides, elle les perçoit moins que son sang qui coule, pulse et bouillonne, de la lave dans ses veines. Lacerate s’adosse à un comptoir, s’accroche un peu trop fort au bois souillé. Les lumières sont éteintes, il n’y a qu’eux.

Sa voix résonne, fend l’air poisseux.

- J’espère qu’au moins, tu t’es bien amusé.

Oh, elle parle dans les graves, on dirait un animal qui grogne. Ou le début d’un orage.

La fraîcheur de l’extérieur donnait l'impression qu'à la fête la température était digne d'une fournaise, pourtant, ce n'était pas de froid qu'Apache frissonnait.

Sa cheffe, une fois n'était pas coutume, l'avait brutalement saisi par le poignet, le tirant à sa suite, ne lui laissant qu'à peine le temps de mettre un pied devant l'autre.
Il ne trébucha pas, mais presque, et serra les dents, quelque-chose lui disait que se plaindre n'arrangerait pas ses affaires.
Pourtant, la douleur était difficilement soutenable.
C'était son poignet cassé qu'elle avait saisi de sa poigne de fer.
Et bordel c'que ça faisait mal.
Mais rien à faire.
Il ne dit rien.
Il avait la joue en feu de la torgnole qu'il s'était prise en pleine gueule, la mâchoire douloureuse et le goût du sang qui ne se dissipait pas, le rouge lui peignant les lèvres qu'il gardait scellées.

Et elle marchait.
Le traînait derrière elle.
Si au départ le chasseur pensait qu'elle l’entraînerait simplement un peu plus loin pour être plus tranquille, maintenant, il commençait à se poser des questions.
Les cabanes et les visages défilaient.
Elle continuait sa route. Sans un regard. Sans explication. Et sa prise toujours désespérément et douloureusement serrée, à lui en broyer les os déjà brisés.

Dès qu'il faisait mine de ralentir, peinant simplement à suivre la cadence, la douleur se faisait plus retentissante en même temps qu'elle le tirait, lui imposant son rythme.
Et elle marchait.
Encore.
A grandes enjambées rapides.
Ils s'éloignaient, encore.
Et les questions de l'anarchiste se muaient doucement mais sûrement en inquiétude.

Ou est ce qu'elle l'emmenait comme ça ?
Jusqu’où est ce qu'elle allait le traîner ?
Passerelles après passerelles.
De moins en moins de garçons perdus qui zonaient dans le coin, puisqu'ils s'éloignaient encore et encore de l'agitation.

Finalement, elle termina sa course, conduisant avec fermeté le garçon jusque dans la réserve. Et la, enfin, elle le relâcha.

La réserve, c'était une cabane pas bien grande, toute remplie de bordel et ou jamais personne ne passait jamais.
L'endroit idéal si on voulait ne pas être dérangé.
Il y faisait sombre, puisqu'aucune lumières n'avaient été allumées.
Il n'y avait que celle de la nuit qui coulait par la porte, aspergeant l’intérieur pour les éclairer.

Lacerate s'était appuyée sur un comptoir. Elle semblait raide, nerveuse, et ses yeux brillaient d'une sombre étincelle fiévreuse dans le noir.
Il n'y avait qu'une seule partie de son visage qui était éclaboussé par les lueurs de l’extérieur; celle toute cabossée par sa balafre. la lumière blafarde la faisait ressortir plus fort encore. Comme une crevasse profonde et froide, une brèche qui tranchait sa peau laiteuse.

"J’espère qu’au moins, tu t’es bien amusé."

Apache ravala sa salive avec un peu de mal.
Ce n'était que maintenant qu'ils s'étaient arrêté, se posant enfin, qu'il se rendait compte qu'il avait le souffle court, essoufflé par la course et la bagarre de juste avant.
Il avait un peu froid, aussi.
Après tout il ne portait rien sous son perfecto et ses résilles ne faisaient que difficilement office de collant.
Du coup il tremblait un peu.
Ouais.
Il faisait un peu froid.
C'était pour ça.

Il restait la, immobile. Pas si loin de la sortie. Et il ne disait rien.
Ne sachant pas vraiment quoi répondre, en fait.
S'il s'était amusé ?

Oh
Ça oui !

S'il avait répondu sans contrainte, il aurait même pu lâcher que cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas passé une aussi bonne soirée !
Malgré le bleu qu'il sentait déjà apparaître sur son visage.
Le goût du sang et le poignet pété.
Tout ça... Ça valait largement la gueule de Scar qui craquait ! Voir le chef des sentinelles perdre le contrôle ! Enrager, littéralement !
Et Oh !
Il était sur de lui avoir au moins cassé le nez !
Vu comme ça avait craqué sous son poing, et comment le rouge avait giclé !

Génial.

Une putain d'excellente soirée, ouais.
Des regrets ?
Non.
Pas pour l'instant en tout cas.

Est ce qu'il allait répondre tout ça à Lace ?

Mmm...

"C'est..." Il tenta, après un long silence qui pesait bien lourd dans l'atmosphère de l'étroite cabane. "C'est pas si grave..." Il haussa les épaules. Des bagarres, il y en avaient plein qui éclataient quotidiennement au Grand Arbre, non ?

Bon...
Peut être pas avec Le Rouge.
C'était peut être ce qui faisait une différence.
Mais bon...
Une si grosse différence ?
C'était si grave ?

C'était rien... Allez...

Il ne répond pas.
Les secondes s’écoulent, le temps s’étire, la prise de Lacerate sur le comptoir se raffermit alors qu’Apache ne réagit pas, muet comme une foutue carpe.

Au bout d’un temps interminable, le Chasseur finit par s’exprimer.

- C'est... C'est pas si grave...

Un craquement se fait entendre, dans la pénombre. Peut-être un animal qui joue sur le toit, où le bois qui travaille. Lacerate a l’impression de ne plus sentir ses phalanges, elle entend à peine sa propre voix.

- C’est pas si grave, hein ?

Un début d’éclat de rire, qui naît sur ses lèvres et meurt sur le vif, avalé par la rage. Le trajet vers la Réserve ne l’a pas aidée à décolérer, elle craint que plus rien ne puisse l’aider à ce stade.
Sauf un peu de sang.
Mordre dans quelque chose de chaud.

- C’est jamais grave avec toi, j’aurais dû m’en douter.

Elle expire des éclats de glace, inspire un air vicié.

- Tu sais... je passais une soirée cool. Pas exceptionnelle, mais cool. Normale. J’étais avec les autres, je vous ai écouté chanter, on m’a complimenté sur cette putain de robe... j’avais oublié à quel point tout ça, ça pouvait être chouette.

Avec lenteur, la Cheffe lâche son comptoir et se redresse. Un pas vers Apache, qu’elle toise.

- Et ça aurait pu durer, si t’avais pas fait le con.

Sa voix est redevenue factuelle, presque atone - pas cette fois - en contraste avec le fer qui brûle dans son regard.

- Mais toi, ça, tu t’en fous, non ? C’est pas si grave, de foutre en l’air ma soirée.

Derrière l’apathie, la rage se débat.
Presque malgré elle, elle lutte pour ne pas la laisser déborder - pas cette fois.

Un craquement dans le silence lourd et le noir de la cabane.
Un son bref qui ne s'envolait pas, comme piégé dans l'atmosphère pesante, saturée d'on ne savait quoi.
Comme de la poussière dans l'air qui asséchait la gorge et rendait la respiration moins limpide.
Et toujours ce froid sec.

"C’est pas si grave, hein ?" Elle avait répété, ne goûtant visiblement pas à l'envie de dédramatiser, le tout suivit d'un éclat de rire mort né.
Apache ravala sa salive, ne bougeant pas de la ou il était.

"C’est jamais grave avec toi, j’aurais dû m’en douter." Il la regardait mais ne captait pas vraiment son regard dans le noir. Juste deux reflets dans les ténèbres, témoins de ses prunelles de fer qui le fixait.
Comme un lien à sens unique qu'on le pouvait plus remonter.
Barricadé.
Une porte vers ailleurs qui s'était refermée.

"Tu sais... je passais une soirée cool." Elle commença. "Pas exceptionnelle, mais cool. Normale. J’étais avec les autres, je vous ai écouté chanter, on m’a complimenté sur cette putain de robe..." C'était vrai qu'elle lui allait bien cette robe. Le punk se mordit la lèvre inférieure. "J’avais oublié à quel point tout ça, ça pouvait être chouette."

Lentement, elle se redressa de toute sa hauteur pour mieux se rapprocher de l'anarchiste d'un pas.
De nouveaux craquements, l'angoisse montait dans l'atmosphère qui se faisait plus épaisse à mesure que les mots s'enfonçaient dans l'air lourd.
Mais Apache ne bougeait toujours pas.
Derrière lui, la sortie.
Il ne lui aurait suffit que de lui tourner le dos et se barrer, et pourtant...
Il ne bougeait pas.
Peut être par ce qu'il avait trop peur ?
Lui dirait par ce qu'il n'avait aucune raison d'avoir peur.

"Et ça aurait pu durer, si t’avais pas fait le con."
Le punk se permit une longue inspiration, presque comme pour marquer une exaspération.

"Mais toi, ça, tu t’en fous, non ? C’est pas si grave, de foutre en l’air ma soirée.
- J'm'en fous pas." Il finit par lâcher. Et le pire c'était que c'était vrai. "C'est pas moi qu'ai cherché la merde en premier !" Ça par contre, ça l'était moins. "Mais bordel c'est lui qu'a essayé de me foutre une beigne ! Fallait juste que j'attende de me la prendre dans la gueule ? Que je tende la joue peut être ? Tout ça pourquoi ?" Ouais pourquoi ? "Par ce que c'est Scar et que c'est le chef des sentinelles ?" C'était son tour de s’énerver ! Mais sa colère à lui n'avait rien de glaçant. Elle avait l'odeur de l'impatience et de l'injustice.
"Tout ça par ce qu'il est pas foutu de prendre du recul et qu'il a pas aimé une chanson ?"

Il termina par un soupire plus fort.

"Désolé si ça t'as gâché la soirée." Et ça n'avait rien d'ironique. Ça s'entendait. "J'ai fait que me défendre."

Et maintenant ?

Il répond très vite. Défiant, sans peur apparente. Le son de sa voix lui gratte les tympans, provoque des éclats d’électricité métallique, qui écorche et brûle tout sur son passage.

- J'm'en fous pas. Elle ne le croit pas. C'est pas moi qu'ai cherché la merde en premier ! Un nouvel éclat d’électricité, qui parcourt ses muscles et crispe ses phalanges. Le punk reprend :

- Mais bordel c'est lui qu'a essayé de me foutre une beigne ! Fallait juste que j'attende de me la prendre dans la gueule ? Que je tende la joue peut être ? Tout ça pourquoi ? Par ce que c'est Scar et que c'est le chef des sentinelles ?

Il s’énerve, bien sûr qu’il s’énerve. C’était toujours injuste et jamais de sa faute. A travers la brume, elle doit tendre l’oreille pour percevoir ses mots.

- Tout ça par ce qu'il est pas foutu de prendre du recul et qu'il a pas aimé une chanson ?

- Ferme-la, putain, ferme-la. Qu’elle grogne sans même s’en rendre compte.

Apache soupire.

- Désolé si ça t'as gâché la soirée. J'ai fait que me défendre.

- Tu mens.

Sa voix tonne, charrie des éclats de glace.

- J’étais là, je t’ai vu foncer vers Scar pour lui gueuler dessus. Tu fais les concerts que tu veux et tu te défends si tu veux, mais fais pas comme si tout t’était tombé dessus par miracle.

A intervalles réguliers, des éclats écarlates passent dans sa vision, s’accordent à ses tempes qui pulsent. Sa rage n’est pas calmée ni dormante, elle est prête à mordre, sous une nappe d’apathie trompeuse.

- D’autres y croiront peut-être, mais je ne te laisserai pas jouer au martyr devant moi. Pas cette fois.

Peut-être que s’il accepte de m’écouter...
Pas cette fois.
... on rentrera indemne, tous les deux.

Elle aimerait encore y croire.

"Tu mens."

Les deux mots avaient percé l'atmosphère, se diffusant en elle comme un poison et la rendant un peu plus lourde, un peu plus rance que ce qu'elle n'était déjà.
L'Apache fit une grimace, ravalant sa salive, comme s'il pouvait sentir l'amertume de Lacerate jusqu'au fond de sa gorge, et dans le même temps, il l'avait fusillé de son regard noir acéré, ne se démontant pas..

"J’étais là, je t’ai vu foncer vers Scar pour lui gueuler dessus." Le punk ouvrit la bouche, prenant une inspiration pour répondre quelque chose, mais n'en eut pas le temps. "Tu fais les concerts que tu veux et tu te défends si tu veux." Comme demandé soufflé un peu plus tôt, il la ferma. "Mais fais pas comme si tout t’était tombé dessus par miracle."
Le garçon pinça les lèvres, se les mordillant comme pour s’empêcher de dire quelque chose.
Est ce qu'elle avait tord ?
En tout cas, une chose était sur, elle l'avait mauvaise. Vraiment mauvaise.

"D’autres y croiront peut-être, mais je ne te laisserai pas jouer au martyr devant moi. Pas cette fois." L'hérissé agita doucement la tête à la négative, la lâchant du regard, la mine toujours à la grimace alors qu'il soupirait, exaspéré.

"Ouais je l'ai cherché." Il fit finalement. "Ouais, j'lui ai gueulé dessus." Il était même plus sur de pourquoi, maintenant qu'il y réfléchissait. Tout était allé putain de vite. Volt lui avait dit un truc. Lui avait dit que Yell était blessée... Mais maintenant qu'il y songeait, elle avait pas l'air si mal. "Mais c'est lui qu'a voulu m'en foutre une." Il en démordait pas alors que ses yeux noirs colériques revenaient aux gris de sa cheffe.
Chaud contre froid.
Feu contre métal.
Scar avait voulu le frapper, ouais. Et il l'avait par ailleurs fait.
Apache en avait encore mal à la mâchoire, et sa ptite gueule de propagandiste punk serait bientôt marquée d'une jolie tache bleu sombre.
Certains y verraient le témoignage de la perte de sang froid du chef sentinelle, d'autres une raclée bien méritée.
L'anarchiste avait mal, ouais. Mal à la mâchoire, mal au poignet qui lui lançait atrocement et qu'il sentait s’engourdir. Pas moyen de le bouger sans que ça tire. C'était cassé, mais il ne le savait pas encore.
Il avait mal, et il en avait marre.
Il s'était fait balancer à travers la salle et c'était lui qui se faisait passer un savon !

"Ouais j'le hais. Tu l'savais déjà. Tout l'monde le sait." Difficile de prétendre le contraire. "Mais j'mens pas quand je dis que j'suis désolé que ça t'ai gâché la soirée." A ce moment, son regard se fit moins méchant. Moins dur. Ce fut de courte durée. "Mais j'regrette pas de lui avoir rendu la monnaie d'sa pièce." Oh ça non. Vraiment, il regrettait rien. "Et si c'était à refaire j'le referais."
Et il le refera.

I'll only say this once
Life is cruel, and time heals nothing
And everyone you love will leave you
But not me

Il soupire une fois de plus et répond quelque chose qu’elle n’entend pas. Il lui faut quelques secondes pour se concentrer, percevoir ses mots à travers les battements de ses tempes, le bruit du sang qui pulse dans tout son corps.

- ... lui qu'a voulu m'en foutre une.

Il croche son regard au sien, heurte sa colère à la sienne. Comme ce jour-là, où il avait failli l’engloutir.
C’était stupide de penser qu’elle oublierait la sensation de sa lame contre sa gorge.

Apache reprend :

- Ouais j'le hais. Tu l'savais déjà. Tout l'monde le sait. Il est honnête, elle préfère qu’il le soit. L’espace d’une seconde, le regard de la Cheffe s’adoucit.

- Mais j'mens pas quand je dis que j'suis désolé que ça t'ai gâché la soirée.

Il fait de même, dans l’oeil du cyclone. Un instant d’accalmie, une trêve factice. Derrière la colère, quelque chose se débat encore un peu. L’espoir que tout ce qu’ils aient vécu n’ait pas servi à rien, qu’ils aient encore une chance de se comprendre.
Une chance d’oublier.
Qu’il sorte de là indemne.

L’espoir se débat, comme avant une exécution.
Apache ouvre la bouche, ses mots résonnent avant qu’elle les comprenne.

- Mais j'regrette pas de lui avoir rendu la monnaie d'sa pièce. Et si c'était à refaire j'le referais.

Les mots font leur chemin, brûlent tout sur leur passage. Ce qui criait, auparavant, s’est tu, remplacé par une sérénité horrible.
Elle ne s’attendait pas à ce qu’il s’excuse, elle ne sait pas à quoi elle s’attendait.
Les choses seront plus facile ainsi - enfin.

Comme d’autres fois encore, elle fait un pas en arrière.
Elle fait un pas en arrière, et rit. D’un rire chaleureux, solaire, brûlant. Un rire qui lui tord les entrailles et lui brûle les poumons. Un rire hypocrite et franc.

Puis Lacerate reprend son souffle. Entre deux mèches désordonnées, qu’elle ne pense pas à remettre de côté, elle adresse à Apache un regard mouvant.

- ... c’est bien ce que je pensais. Peu importe les conséquences, tu t’en fous et tu t’en foutras toujours.

A nouveau, ça lui donne envie de rire. Ses épaules se secouent, elle réfrène avec peine cette hilarité qui lui fait mal comme de gros sanglots.

- Je comprends pas pourquoi... pourquoi je me suis acharnée à te parler, tout ce temps. À croire que si je suis gentille et patiente, tu finiras par comprendre.

Un regard vers la porte, derrière lui, avant de revenir à Apache.
Son Chasseur, sa recrue.
Quelles putain de conneries.

Sa voix, oh, sa voix tremble.

- Peut-être parce que... parce que même si tu as essayé de me descendre, je te faisais encore confiance. C’est ce que je fais, ce que j’ai toujours fait... je fais confiance et je me laisse marcher dessus. Par d’autres ou par toi. J’ai toujours été comme ça.

Pas cette fois.

Un temps. La Cheffe s’éloigne, se retourne pour faire face à une fenêtre et inspirer un grand coup. Ses pensées sont saturées, obscurcies par la boue.
Connasse, victime, connasse, victime.

Ça fait mal, de se l’avouer. Lentement, la Cheffe se retourne, fait un pas, puis deux vers Apache.
Ma recrue, mon Chasseur.

Dans l’obscurité, un filet de voix.

- Tout ce temps, j’ai employé un langage que tu ne pouvais pas comprendre.

Une dernière inspiration, puis tout s’enchaîne avec rapidité. Ses muscles s’activent alors qu’elle lève la main et saisit la tête d’Apache par le côté - les tempes, les cheveux, la mâchoire. La prise pourrait laisser une marque, mais ça ne suffira pas. Avec force, sa prise se raffermit et son bras s’active, entraînant la tête du Chasseur pour la plaquer violemment contre l'un des murs de la Réserve. Le Cabane tremble, le bois craque. Accroché à un clou mal planté, un hachoir tombe et disparaît entre les planches du sol. S’il y a du sang, il fait trop sombre pour le voir.

Elle ne le lâche pas, elle ne le lâchera plus.
Elle a appris, elle n’oubliera plus.

En réaction à ce qui aurait pu facilement être considéré comme une pure provocation, et qui était en fait l'expression d'une honnêteté qu'Apache pensait devoir à Lace, ne serait ce que par respect pour qui elle était; un pas en arrière.

Qui elle était.
Qui elle avait été.

Cette amitié trop durement malmenée et qui désormais partait en miettes, s'effritant dans l’atmosphère lourde, la chargeant d'une tristesse en fond qui se mêlait mal à la rancune, la haine qui suintait dans l'air.
Mélange instable qui donnait la nausée.
Un pas en arrière oui.
Et puis un éclat de rire qui tranchait affreusement.
Lacerate riait.
Apache non.

" ... C’est bien ce que je pensais. Peu importe les conséquences, tu t’en fous et tu t’en foutras toujours." Le punk fronça les sourcils, l'écoutant, la regardant aussi, refréner un rire qui n'avait aucune place ici. Aucun sens.


"Je comprends pas pourquoi... pourquoi je me suis acharnée à te parler, tout ce temps. À croire que si je suis gentille et patiente, tu finiras par comprendre."
Et Apache comprenait. Il commençait à comprendre, oui.

"Peut-être parce que... parce que même si tu as essayé de me descendre, je te faisais encore confiance." Il comprenait que le sujet de cette conversation, la raison qu'elle avait eu à le traîner jusqu'ici, loin des autres, loin des regards, loin de la fête, ce n'était pas cette stupide bagarre avec Scar. Ni le concert, ni le nez cassé, non. C'était pas tout ça. "C’est ce que je fais, ce que j’ai toujours fait... Je fais confiance et je me laisse marcher dessus. Par d’autres ou par toi. J’ai toujours été comme ça."
L'anarchiste acquiesça doucement de la tête.

Par ce que c'était vrai.
Elle se laissait marcher dessus.
Elle se laissait malmener.
Elle l'avait laissé manquer de la tuer.
Elle avait pas réagis. Rien fait.
Juste attendu.
Attendu quoi ?
La mort.
Il l'aurait tué.
Il l'aurait tranché.
Et ça ce serait arrêté la. Net. Comme sa lame qui aurait découpé sa gorge, au fin fond de la foret.

Elle se laissait faire...

Plus maintenant.

Pas cette fois.

N'est ce pas ?

Lacerate allait et venait, comme un animal dans une cage.
Elle se sentait à l'étroit dans sa prison. Elle sentait la froideur et la dureté des barreaux de son esprit. Enfin. Elle les sentait.
Le froid du métal. Elle longeait les murs de sa cage mentale, et Apache l'observait. Il ne bougeait pas.
N'avait pas peur.
Il savait ce qui allait venir.
Il était prêt.
En tout cas se sentait prêt.
Il croyait l'être.

La Gueule Cassée revint vers lui, et l'Hérissé se sentit se tendre malgré lui. Il ravala sa salive.
Un frisson le parcouru tout entier, lui donnant la chair de poule.

"Tout ce temps, j’ai employé un langage que tu ne pouvais pas comprendre."

Le punk savait.
Le punk était mort.

Et brutalement, la cheffe l'attrapa par le cheveux, le plaquant avec violence contre un mur. Un bruit de ferraille qui se cassait la gueule quelque part tellement le geste avait été brutal.
Les murs tremblèrent et la douleur irradiait.

Pas un cri, à peine un gémissement mal contenu venant du garçon. Il ne se débattait pas vraiment non plus.
Qu'est ce qu'il aurait pu faire de toute manière ?
Il ne faisait pas le poids face à Lacerate.
Face a son mètre 80
Face à sa rage, son expérience.
Face à sa haine, et sa rancune.

La bouille écrasée contre le bois.
Tout ce qui lui traversait l'esprit à l'instant, c'était l’espérance de pouvoir limiter un minimum la casse.


Sacrée soirée.

Will you join me ?
If you lay your life down, no man can take it
Will you join me ?
Will you join me ?
Will you join me ?
Make worthless your body, so no man can break it

Silence.

Il a à peine réagi, prostré comme elle avait pu l’être, auparavant. La Cheffe ne bouge plus, ses doigts toujours plantés dans la peau du punk. La violence agit comme une onde, qui la traverse, l’embrase et la nourrit. Les années n’ont rien guéri, le temps n’a rien changé. L’illusion était douce, mais elle n’a pas duré.

- Tout ce temps, je me suis trompée. J’ai cru qu’on était pareils, que ce qu’on avait... quoi que ça ait pu être... j’ai cru que ça pourrait être sauvé.

Sa prise se resserre, au même rythme que ses mots psalmodiés, atones et mortifères. Le bois craque lorsqu’elle décolle sa tête de la paroi, la Réserve gémit en réponse. Dans la pénombre, Lacerate cherche le regard d’Apache et, transperçant les ombres, le croche au sien.

La vie est cruelle et le temps ne guérit rien.

- J’ai voulu voir... au-delà de nos statuts. J’ai voulu faire confiance, comme je le fais toujours. J’ai été... stupide.

Un sourire, d’une tendresse mauvaise. Cette fois, son bras l’entraîne dans une autre direction, le projetant en direction d’un comptoir quelconque. L’impact secoue la maison, fait vaciller une carcasse à moitié dépecée. Les gestes de Lacerate sont cérémonieux et calculés.
Et lents, si lents.
Elle finissait toujours par le lâcher, cette fois elle prend son temps avant de le rejoindre.

- Tu vas me laisser faire, dis ? Sa main vient le cueillir au collier, avant qu’elle ne constate, froidement : Il faudra bien que tu te débattes, à un moment ou un autre.

Traduction citation (on essaie !):

La prise était violente et douloureuse, alors qu'elle le maintenait plaqué écrasé contre l'un de murs de la Réserve, et lentement, ses doigts se resserraient, lui faisant plus mal encore, à l'en faire grimacer contre le bois rugueux alors qu'elle lui parlait sur un ton sans vague.

"Tout ce temps, je me suis trompée. J’ai cru qu’on était pareils, que ce qu’on avait... quoi que ça ait pu être... j’ai cru que ça pourrait être sauvé."
Apache se sentit tirer en arrière, son visage lâchant le mur pour mieux être méchamment tourné de force vers sa cheffe, les yeux gris glaçants plongeant dans les noirs de l'iroquois.
Même dans la pénombre, le regard perçant de Lacerate était immanquablement effrayant. La lueur qui y dansait avait quelque chose de pétrifiant, quasi surnaturel.

"J’ai voulu voir... au-delà de nos statuts. J’ai voulu faire confiance, comme je le fais toujours. J’ai été... stupide."
Et elle lui avait offert un sourire, auquel, comme le rire d'un peu plus tôt, l'anarchiste ne répondit pas.
Il restait silencieux. Écoutant. Encaissant. Sans réelle réaction.
Comme si elle s'impatientait, elle le bouscula violemment, le jetant littéralement dans une autre direction, avec une telle force que le chasseur percuta avec douleur un comptoir, ses côtes en souffrant, respiration coupée. Il peina à se réceptionner correctement du fait de son poignet déjà cassé.
La Gueule Brisée n'attendit rien pour le rejoindre à pas tranquille.

"Tu vas me laisser faire, dis ?"
Comme une sale habitude qui s'installait, elle l'avait chopé par le collier, le ramenant à elle, l'étranglant à demi. "Il faudra bien que tu te débattes, à un moment ou un autre."
Et il ne répondit toujours rien.
Ses yeux noirs brillaient dans le noir. Mais ne disaient rien de plus.
Un silence assourdissant. Sans doute difficilement entendable.

Qu'est ce qu'il aurait pu lui dire ?

"Fais ton travail. Cheffe."
"C'est ton taff."
"Fais c'que t'as à faire."

C'était ce qu'elle voulait entendre ?
Et puis quoi ?
A quoi bon ?
Qu'est ce qu'elle voulait entendre ?
Il aurait pu lui dire;

"Moi aussi j'ai cru qu'on était pareil. Moi aussi j'ai cru qu'on se comprenait.
Moi aussi j'ai cru que j'aurais pu partager avec toi ce qui me faisait rester en vie."

La haine de la hiérarchie.
Le besoin de liberté.
La révolte à venir.
Le vent qui soufflait.

"Je peux pas ignorer le statut."

Cheffe.
Sa cheffe.

"C'est pas rien. Ça veut pas rien dire. Ça peut pas rien dire. C'est trop gros. C'est trop grand. C'est infranchissable. Par ce que la nuit de la révolte, ce sera trop tard."

Cheffe.

"J'ai cherché. Et je chercherai, à te libérer de ça. Mais n'attend pas de moi que je l'accepte. C'était stupide de croire que je l'accepterais."

A quoi bon.
A quoi ça servirait ?

Elle était sa cheffe. Elle était au service et liée par la magie au roi, celui la même qu'il voulait voir sombrer, à qui il voulait arracher tout les pouvoirs et l'autorité.
A quoi bon, hein ?

Elle n'avait qu'à le détester, le haïr, le massacrer.

La suite ne serait que plus douce à digérer.

Et il ne disait rien.
Toujours rien.

Silence.

Accroché à sa poigne, reliée à elle par ce putain de collier, Apache respire à moitié. Et le temps s’étire, le silence remplit tout, ne laisse que sa respiration saccadée. Dans ce regard planté dans le sien, elle ignore ce qu’elle cherche et ne voit absolument rien.

- Dis quelque chose.

Sa prise se resserre alors qu’elle ramène le punk vers elle.

- Dis quelque chose, bordel !

Sa voix part dans les aigus et se brise. Un nouveau mouvement de recul, spasme involontaire contre lequel elle se bat et qu’elle parvient à contrôler de justesse.
Elle ne lui donnera pas d’occasions de s’échapper.
Pas cette fois.

Un nouveau éclat de rage, qui poisse et suffoque. Sa main libre se crispe, ses phalanges se plient.
Le coup part, poing dans l’estomac. Un grand classique, violence guidée par la rage. Puis - lentement à nouveau - la Cheffe desserre sa prise, lâchant le Chasseur.

Sa voix résonne, vacillante dans la pénombre.

- Tout ce que j’ai fait pour toi... je suis en train de le détruire.

Un éclat de rire, qui remonte le long de ses vertèbres et qu’elle réprime comme on retiendrait un cri.

- Tu vas me laisser faire ?

Dis-moi que non.
Moi, je ne me retiendrai plus.

Le silence tendait l'atmosphère si fort, comme un élastique étiré au maximum et près à claquer à tout moment, près à gifler et mordre à tout moment.
Comme un serpent aux crochets dégoulinants de poison.

"Dis quelque chose."
La prise au collier se resserrait, et elle ramena le visage du garçon plus près du sien. Si près qu'il pouvait sentir son souffle chaud lui balayer la peau.

"Dis quelque chose, bordel !"
La colère et la frustration suintaient de sa voix qui déraillait.
Elle ne supportait pas la contradiction.
Elle ne supportait pas ses mots.
Mais elle semblait encore moins supporter ses silences.
Pourtant c'était bien en eux qu'Apache se murait, ne lâchant cependant pas les yeux métalliques de sa cheffe des siens.
Il faisait face. Il ne fuirait pas.
Dans sa tête; une idée fixe. Ce qui était en train de se passer devait se passer.
Ce qui se passait aurait du se passer il y avait bien longtemps.
Qu'elle en finisse.

"Fais ton taff, cheffe."
Son travail.
Son rôle.

Et comme si elle l'avait entendu, son poing crispé serré le frappa avec une violence inouïe au ventre.
L'anarchiste n'eut même pas tant la possibilité de crier, son souffle coupé net, la douleur lui explosant à l’intérieur alors qu'il se pliait en deux, ses jambes le lâchant en même temps que Lace le lâchait.
Ses genoux heurtèrent le sol, mais il tacha de se relever rapidement, même si y peinant, s'aidant d'un bras, s'agrippant au comptoir, l'autre plaqué contre son ventre.
Il avait du mal à retrouver son souffle, la gorge serrée, la respiration sifflante.

"Tout ce que j’ai fait pour toi... je suis en train de le détruire."
Elle lâcha un rire bref et froid qui claqua dans l'air comme un tonnerre, pendant que les larmes de douleur glissaient sur les joues du punk.
"Tu vas me laisser faire ?"

Le regard noir du révolté se raccrocha à celui de la Gueule Cassée, et puis, doucement, il se retourna vers elle.
Il lui faisait face.
Il ravala sa salive avec un peu de mal, posant ses mains sur le comptoir derrière lui, s’appuyant dessus, à la fois pour s'aider à gérer la douleur qui pulsait encore, à la fois pour se donner une attitude faussement décontractée.
Son poignet hurlait de mal.
Comme ses côtes, son ventre, sa mâchoire...
Il n'avait pas l'air si serein.
Il haletait comme s'il avait piqué un sprint.

Et toujours.


Toujours.


Il ne disait rien.

Ils sont proches, si proches. Sans y avoir réfléchi, elle l’a acculé une fois de plus, le regarde se relever tant bien que mal comme si elle était étrangère à la scène. Dans ses veines, la rage s’est transformée en quelque chose d’infiniment plus froid, infiniment plus sombre.

Derrière le dégoût, la colère sourd encore et se débat avec une force agonisante.

Elle pourrait le tuer, là, maintenant.
Un éclat de lune se reflète sur les larmes du Chasseur.

Elle aurait pu le prendre en pitié, avant.
Elle ne ressent plus que du mépris.

Avec une délicatesse suspecte, sa main vient se poser sur l’épaule du Chasseur. Un instant, leur corps sont à nouveau reliés, elle se rapproche assez pour sentir son souffle, harponner son regard.

Elle pourrait le tuer, lui n’avait pas hésité.
Lui n’avait pas hésité.
Elle n’avait dû son salut qu’à une intervention externe.

Un éclat passe dans son regard, puis sa prise se raffermit. Mais cette fois, ces gestes n’ont plus rien de furieux.
Comme une exécution, un évènement de plus dans la journée d’un bourreau.

Elle avait été victime, ignorant sa véritable nature.
Avec rapidité, sa jambe vient faucher celles du punk et sa main accompagne le mouvement, le poussant au sol.

Un bruit sourd, revenu des enfers, celui d’un corps qui se ramasse sur une surface trop dure. Guidée par une sale habitude, Lacerate n’attend pas avant de lever le pied, poser sa pompe sur le côté du visage du punk.
L’espace d’une seconde qui s’étire, quelque chose hurle. Une impulsion sauvage, qui la déstabilise et la brûle, parcourt ses neurones comme la foudre frapperait un corps.
Elle pourrait en finir, à cet instant précis et pourtant elle appuie juste un peu - juste assez.

Et sa voix résonne, remonte des enfers à son tour.

- Je ne suis pas ce type de monstre, Apache. Elle ne rit pas et ses prunelles sont sèches comme un désert. Je ne t’enlèverai pas à ceux qui t’aiment.

En avait-elle fait partie ?
Restait-il en elle une once d’affection ?

Oh, sa voix est si dure, tout à coup.

- Mais je n’en ai pas fini, pas encore. Tu vas devoir m’écouter jusqu’au bout.

La pression s’accentue, juste encore un peu. Elle ne le menace plus, consciente de sa suprémacie. Certains coups ont été de trop, sa rage s’éteint, balayée par une résolution glaciale.

Elle lui avait menti, auparavant, elle qui avait été si honnête.
Qu’il mérite ou non la vérité, elle doit lui prévenir de ce qui suivra, les conséquences de ce passage à tabac, dès qu’elle sortira de la pièce.

Échange de regard.
Noir contre acier.
Et elle posa une main sur son épaule. Étrangement calme.
Apache ne se leurrait pas, toute les colères ne s’enflammaient pas comme un brasier. Ne hurlaient pas à s'en déchirer la voix.
Certaines étaient froides à en brûler la peau. A consumer la vie rien que dans un souffle de mort.
Elle se rapprocha. Près.
Un instant, l'envie de se reculer. Il pris appuis un peu plus fort sur l'établie derrière lui et son poignet hurla de douleur sans un bruit. Il ne bougea pas. Ou si peu. A peine il leva la tête pour toujours la regarder dans les yeux, elle qui était la plus grande des deux.

Il ravala sa salive. Toujours silencieux. Les côtes et l'estomac encore douloureux, alors qu'il sentait la main de Lacerate se resserrer sur son épaule, faisant crisser le cuir de son blouson.
Sans crier gare, et pourtant sans surprise, le punk sentit ses jambes brutalement balayées, perdant l'équilibre dans la seconde même ! Il se vautra au sol, son épaule frappant durement le bois.
Ça faisait mal, mais bien pire était à venir, alors qu'il sentait la chaussure de sa cheffe se caler contre son visage, l'écrasant contre le sol.
Elle y mettait de la force, mais pas assez pour vraiment blesser.
Juste de quoi maintenir.
Juste de quoi humilier.
Peut être lui rappeler ou était sensé être sa place ?
Il serra les dents, une chaleur brûlante lui montant jusqu'à la gorge.

"Je ne suis pas ce type de monstre, Apache."
La respiration de l'anarchiste augmenta de cadence et de force, soulevant la poussière devant lui. "Je ne t’enlèverai pas à ceux qui t’aiment."
Elle n'allait pas le tuer.
Disait-elle.

"Apache. T’en as eu pour ton compte, les autres aussi."

Pouvait-il la croire ?

"Je te donne une chance de me suivre. Aller prendre l’air. On en a tous les deux besoin."

L'avait-il vraiment cru à ce moment la ?

Elle appuya plus fort de sa chaussure, écrasant le visage du révolté au sol.

"Mais je n’en ai pas fini, pas encore. Tu vas devoir m’écouter jusqu’au bout."

La haine et la douleur se mélangeaient dans tout le corps du punk, l’électrisant presque, à l'en faire frissonner. Il avait mal. Il se sentait mal. L'angoisse et la pression le tordait, écrasé physiquement et mentalement par son amie sa cheffe.
C'était fini.
Fini.
Fini.
Qu'est ce qu'elle attendait ?
Pourquoi elle attendait ?
Elle hésitait ?
Lui n'avait pas hésité.
Qu'est ce qu'elle branlait ?
Elle attendait quoi pour l'achever ?
Lui, et leur amitié.
Il y avait mis un grand coup de lame déjà, et l'avait laissé se vider avec le temps. La plaie ne s'était jamais refermée.
Elle avait agonisé.
C'était ça ?
Elle voulait le faire languir.
Le faire agoniser.
Comme leur lien.
Le laisser doucement crever.
Elle s'était pas débattue, elle.
Elle s'était pas défendue.

"Alors parle." Pour la première fois depuis un long moment il avait parlé. Soufflé, plutôt, au ras du sol.

"PAAAAAAAAAARLE !!!"Pour ensuite hurler à s'en écorcher la voix.

Avec des mots, avec des coups.

PARLE.
Frappe.

Le silence, une fois encore.

Un silence lourd, un silence atroce, qui poisse et pèse comme l’air avant un orage. En équilibre, Lacerate surveille sa force plus qu’elle ne surveille sa respiration. Et les restes de sa colère hurlent, hurlent, hurlent en se débattant.

- Alors parle.

Un murmure, un son. Discret et pourtant impossible à ignorer, au milieu de ce silence visqueux comme du sang. Elle n’a pas le temps de répondre, pas le temps de réagir.

Il hurle et sa rage à elle hurle en même temps.

- PAAAAAAAAAARLE !!!

Le cri lui vrille les tympans, l’aspergeant comme une onde. La Cheffe se redresse, lève les yeux au plafond.
Des larmes - traîtresses, inexplicables, portées par mille émotions - lui dévalent le long des joues.

Colère, soulagement, deuil et l’amertume d’une réalisation.

Elle aurait dû achever ce qu’il avait commencé à tuer encore plus tôt, cela leur aurait évité des souffrances. Elle aurait dû lui bondir dessus, ce jour-là, lui prendre sa lame et faire ce qu’elle avait appris à faire toute sa vie - rendre un oeil pour un oeil et une dent pour une dent.

Sans qu’elle s’en rende compte, son poids se reporte sur sa jambe, augmente la pression.

Elle aurait dû achever ce qu’il avait commencé à tuer encore plus tôt, cela leur aurait évité des souffrances. Elle aurait dû fuir la forêt, laisse l’Oubli dévorer ses cris ou peut-être - dans un élan d’humanité - appeler des secours plus efficaces. Et ne plus s'en occuper.

Une soudaine nausée. Lacerate expire, hoquette. À travers ses yeux mouillés, elle ne voit plus rien. Que le noir de la nuit, que le rouge du sang.

A défaut de l’avoir fait plus tôt...

Un pas en arrière, Lacerate ramène son pied vers elle.

Je le sais maintenant. Je suis toujours ton pote. Et c'est pour ca que j'te laisserai pas rester comme ça.

Elle sourit, d’un coup, étouffe un rire salaud. Quel souvenir de merde, beaucoup trop précis.

- Ok. Je parle.

Avec des mots.
Avec des coups.

Se ramassant légèrement en arrière, Lacerate ponctue sa phrase d’une spécialité, souvenir de l’Ordinaire qui ne se perd pas, comme quand on reprend le vélo après des années.
Un coup dans les côtes, guillotine que l'on abat et puis plus rien.
La rage s’est étouffée.

Il y a un temps, quelques secondes de battements, un temps pour que Lacerate reprenne sa respiration. Puis, avec une étrange précaution, la Cheffe met un genou à terre.
À la hauteur de celui qui avait, un jour, été son ami.

- Apache.

Elle l’appelle, presque doucement. Mais son regard est glacial, résolu, présent.

- À partir d’aujourd’hui, ne viens plus me parler. Une expiration, tremblante. Ne viens plus me demander quoi que ce soit, ne viens plus me chercher. Je t’ai menti, tout à l’heure, j’aurais dû en finir plus tôt. À partir d'aujourd'hui, je ne suis plus ta Cheffe et tu n’es plus mon Chasseur.

Ses genoux craquent alors qu’elle se relève.


- Tu voulais de la liberté ? Tu en as. Profites-en. Son corps se détourne, approchant de la sortie. Un regard en arrière, un dernier. Et ne me dérange plus.

Un pas, puis deux, hors de la Réserve et son air vicié.
C’est ainsi que l’on met fin à ce qui, plus tôt, aurait déjà dû être tué.