Le revers patriarcal lui chatouillait le bout des doigts mais au fond ce n’était que justice, Tool avait bien le droit de se moquer un peu. Et puis, après tout, c’était lui, Scar, qui était venu aborder le sujet de la potion de confiance avec l’Artisan, c’était même la raison initiale de toute cette foutue expédition.

« C’est bon, je suis peut-être vieux mais pas sénile. » répondit-il finalement, les lèvres pincées.

« Alors ? Oui des potions, j’en ai, plein. Des toutes fraîches du Bayou, des décoctions de vieilles bicques véreuses, des stimulants en tout genre, du musc de faune, des- »
« Ça va, ça va, on a compris. Ce qu’on cherche c’est quelque chose qui donne confiance en soi…et pas trop cher. »

La chimère montra les crocs – des crocs dans un bec de hibou était une vision déconcertante et un peu effrayante – d’avoir été interrompue mais reprit presque aussitôt son air de charlatan face à de potentiels clients.

Du coin de l’œil, le Rouge avisa la chienne qui reniflait le chariot trop rempli. Il la vit saisir quelque chose qu’il ne parvint pas identifier avant qu’elle ne file avec un peu plus loin dans les fourrés. Il pria pour que le marchand ne le remarque pas.

« Confiance, mmh ? De la confiance pour partir au combat ? » la créature observa son visage qu’il essayait de garder impassible « Pour séduire une petite chouette peut-être ? »

La créature hulula soudain, probablement sa forme de rire et Scar sentit son visage chauffer malgré lui. Il allait lui les faire bouffer ses babioles.

« Si sérieux. » elle regarda Tool « Il faut apprendre à ton ami à se détendre, beau jeune homme. »

Se retournant pour trifouiller à travers l’amoncèlement d’objets, multiples coffres et tiroirs de sa charrette, la chimère en sorti enfin une longue bouteille sans inscription au liquide transparent et fermée d’un bouchon de liège. Le Rouge avisa finalement une petite étiquette pendue au goulot où était inscrits les mots Hoo-Hooch.

« Hoo-Hooch ? »
« C’est du strigide, le langage des hiboux, si on traduit littéralement ça serait Toi mais mieux. C’est un ami d’enfance alchimiste qui le fabrique. Cette potion te rendra suffisamment sûr de toi pour refaire le monde. »

Le Chef avait l’impression que la chimère se payait plus ou moins sa tête mais il était suspicieux de nature. Il tourna la tête vers le russe, attendant son avis.

L'oiseau avait ramené quelque chose. Tout était allé très vite, la chimère acceptant le paiement trop rapidement pour être honnête puis l'échange fait. Scar n'avait même pas eu le temps de voir clairement leur monnaie tombée du ciel. Il avait essayé pourtant, plissé les yeux mais aucune image ne lui était venue. Un mince brouillard recouvrait l'objet et il se dit qu'il devait s'agir de quelque chose de magique, sans doute un bien plus précieux que la bouteille à l'air louche qu'ils avaient achetée avec. Il demanderait à Tool plus tard.

Marché conclu, l'oiseau-chat s'éloigna sans demander son reste. Haussant les épaules, le Rouge prit la potion des mains du russe et la cala dans son sac de voyage.

Était-ce vraiment tout ? La quête ultime de ce voyage mouvementé ? Cela lui parut bien mince compte-tenu de ce qu'ils avaient vécu ces derniers jours.

Une touche humide sur sa main lui fit baisser la tête et la chienne lui déposa ce qu'elle avait volé dans la paume. Le Sentinelle avait déjà oublié ce détail et songea qu'un tel manque d'attention était assez honteux. Il examina rapidement la chose.

Il s'agissait d'un serpent taillé dans une pierre vert pâle et veinée de jaune. Il avait comme une collerette de plumes autour du cou, ou d'écailles dressées, c'était difficile à définir par rapport au matériau utilisé.

Scar haussa un sourcil mais gratta tout de même les oreilles de la chienne.

« Eh. Merci, je suppose. Mais il va falloir t'apprendre à ne pas voler. »

Il se tourna vers Tool.

« Je garde ça. Ça pourra peut-être me servir si je dois faire des négociations. »  

Le but réel de leur escapade dans l'Île avait refait surface avec plus d'intensité qu'auparavant, l'emplissant d'une sérieuse détermination.


« Bien. » il serra l'épaule du russe dans un acte de camaraderie, sans vraiment y penser, comme il aurait pu le faire avec Justice. Mais ensuite, le geste lui parut étrange. « Maintenant je dois aller au Port, chercher la petite. »

Il s'éloigna d'un pas et croisa les bras, pensif.

« Je vais avoir besoin d'un minimum de déguisement. Et un moyen de communiquer avec toi. »