Le chat:

Prudemment et avec plus de délicatesse qu'il ne s'en serait cru capable, Scar caressa le museau de la chienne blanche, laissant glisser sous ses doigts la fourrure qui était douce sans être soyeuse, à l'image de cette chasseresse qui vivait dans un monde rigoureux où elle était autant proie que prédateur.

Le Rouge laissa sa main poursuivre le long du corps de l'animal et se rendit compte à quel point elle était maigre, sa peau moulée aux côtes. Elle ne semblait toutefois pas en danger de mort, simplement épuisée, l'oeil gentil mais éteint.

« Tu crois qu'elle est venue ici pour mourir ? »

Pinçant les lèvres, le Sentinelle se rendit compte à quel point sa phrase sonnait factuelle et morbide, il sentit bon de justifier:

« Je veux dire. Tu penses que les animaux peuvent aussi être attirés par la Lande ? Par l'oubli qu'elle représente, l'effacement. »

Il trouvait ça infiniment frustrant, de ne pas posséder les mots justes à placer sur ses pensées, ça lui donnait l'impression d'être un inculte et un idiot.

« Non en fait, laisse tomber. »

Écartant ses égarements philosophiques avant même d'avoir su les formuler, Scar se concentra sur une tache plus terre-à-terre. De sa gourde, il versa une pluie de gouttes d'eau sur la truffe de la chienne puis la laissa laper quelque gorgées au creux de sa main. Remuant doucement de la queue, celle-ci se redressa à moitié et vint pousser du nez la poche où il gardait une réserve de viande séchée et quelques petits pains plats et sans saveur qu'il partageait avec Tool en équivalant de repas sur le chemin. Il lui en offrit une part qu'elle avala sans mâcher, lui arrachant presque la nourriture des mains tant elle semblait affamée.

Une forme de paix semblait s'initier entre eux au contact des animaux. Ils ne possédaient encore rien qu'on puisse appeler complicité mais cet apaisement était déjà un soulagement pour le Sentinelle qui avait de la peine à regarder son compagnon de voyage en face depuis leur violent réveil.

« La Lande, c'est une surcharge. C'est un lieu où le danger vient de partout, pas un endroit où on se couche juste en attendant la mort. »

Le Rouge faillit répliquer que, justement, un lieu de ce genre semblait propice à accorder son vœu à celui qui souhaitait abréger ses souffrances, mais décida de laisser son commentaire s'évaporer avant de l'avoir formuler. Après tout, Tool avait compris ce qu'il avait voulu maladroitement expliquer et, s'il l'avait contredit, l'avait fait sérieusement sans ricaner de ses vagues traits spirituels.

« Tu crois qu'ils-» le russe se tut un instant « nous attendaient ? Enfin, qu'ils nous ont entendu et qu'ils ont espéré qu'on vienne ? »

Délaissant la chienne qui le fixait d'un oeil brillant et demandeur dans l'espoir d'un autre morceau de venaison, Scar tourna la tête vers l'Artisan, l'interrogeant du regard.

« Ils ont l'air d'être là depuis un moment. » le corps de la chienne avait eu le temps de creuser sa forme dans la terre sèche qu'elle semblait avoir au préalable dégagée des petits cailloux pointus qui étaient tassés sur les côtés « Mais peut-être que tu as raison et que le chat nous appelait. »

Il n'avait jamais vraiment aimé les félins. Trop imprévisibles, trop fiers, pas assez loyaux. Mais le Rouge ne pouvait pas non plus ignorer la beauté du chat qui était si excessivement parfait qu'il le mettait mal à l'aise. La chienne était mal en point mais réelle avec son odeur de chien et ses poils crème tandis que le matou - ou était-ce aussi une femelle - ressemblait à un ciel nocturne scintillant.

Croisant les bras, Scar observa la paire improbable.

« Qu'est-ce qu'on fait ? »

Le Rouge commençait presque à s'y habituer. Les longs silences contemplatifs de l'Artisan ne le gênaient plus. Il les considérait maintenant comme intrinsèques à sa personnalité et ne ressentaient pas le besoin de meubler ces moments qui, plutôt que vides, étaient remplis d'intense concentration. Tool paraissait ordonner et mesurer ses paroles, ne délivrant que des phrases précises même si chaotiques au premier abord. Mais peut-être se trompait-il. Après tout, le Sentinelle appréciait l'ordre et la mesure, il était donc possible qu'il ne faisait que justifier sa sympathie naissante pour le russe avec un trait qu'il trouvait plaisant.

« Je sais pas pour toi mais moi je suis pas sûr que j'aurais le coeur de les laisser là. »

Scar flatta encore une fois le flanc de la chienne, faisant s'élever un petit nuage de poussière du pelage terreux. Lui non plus, se disait-il, ne se voyait pas abandonner ces deux faibles opposés qui avaient chacun trouvé le réconfort dans son contraire.

« Tu penses qu'on pourrait les prendre avec nous ? »

Ce n'était pas une idée raisonnable. S'ils parvenaient à les soigner et les ramener, les animaux resteraient possiblement pour toujours à leurs côtés. Il s'agissait d'un choix majeur et important.

« Ils vont nous ralentir et il va falloir ensuite les faire s'adapter à la vie à l'Arbre. »

En Chef, il avait pris sa décision. Au final, il avait déjà tant d'enfants à éduquer et surveiller qu'un chien ne lui paraissait pas être une tâche bien difficile. Et puis, ça lui mettrait aussi mis un coup au coeur de les abandonner à leur sort.

« Soit on les laisse là, soit on les emmène. Et on les garde. »

Il ne savait pas pourquoi mais ne se voyait pas les sauver pour les jeter ensuite. D'une manière ou d'une autre, il voulait un tout ou rien.

À l’intérieur de sa tête, le soulagement se disputait à l’appréhension. Peut-être que Scar, au fond, aurait préféré que le russe se montre raisonnable et refuse. Et pourtant, d’un autre côté, il pouvait déjà sentir un filet de fierté et une possessivité de propriétaire s’épanouir dans sa poitrine. Les doigts sur le cou de la chienne, il remonta le long du pelage crème et gratta la base des oreilles de cette mère esseulée qui ferma les yeux de plaisir.

Elle ne parlait pas et n’était pas une chimère. À l’exception de sa couleur un peu trop lumineuse, elle était simplement un chien et cette normalité plaisait au Rouge. Elle ferait un compagnon simple et silencieux. Instinctif.

« Il faut qu'on la soigne. Enfin, qu'on essaie. »

La voix de Tool fit revenir à la réalité le Chef qui se sermonna mentalement. Il ne devait pas réjouir autant, ne pas trop s’attacher à cet être qui, éventuellement, ne survivrait pas à sa blessure. La coupure n’était pas bien grande mais datait sans doute de quelques jours. Les bords étaient rouges et un peu enflés, signe qu’un début d’infection était possible.

« Oui. Tu t’y connais un peu ? »

Scar lui-même avait quelques rudiments appris de ses propres mésaventures mais rien qu’il aurait osé appeler connaissance. Malgré tout et parce qu’il fallait bien essayer, il versa un peu d’eau  de sa gourde sur ses mains pour un nettoyage basique puis vint palper délicatement les bords de la plaie. La peau était chaude sous la pulpe de ses doigts mais il vit, en écartant les poils, que la cicatrisation avait déjà commencée.

« Ça m’a l’air d’être assez sain, il n’y a presque pas de pus. Je pense pas qu’on va devoir rouvrir l’entaille. »

À mesure que Scar se concentrait à la tache, il pouvait sentir le fossé entre le russe et lui s”apaiser peu à peu. Ou peut-être n'était-ce que lui, essayant par tous les moyens de laisser l'incident du matin derrière eux, pour oublier ou du moins diminuer la honte brûlante qui continuait de ramper à la limite de son esprit. C'était un acte de lâche et, au fond, il savait probablement que rien ne changerait dans le déni et le silence.

Un jour viendrait où ils devraient en parler. Mais l'exposition que cela supposait était suffisante pour faire courir un frisson le long de son échine. Quel foutu bon Chef il faisait! pas même capable de confronter ses propres problèmes.

Mettant de côté son apitoiement, le Sentinelle se mit à genoux derrière la chienne et saisit une poignée de poils à la base de son cou tout en la maintenant par terre, appuyant de sa paume sur la partie charnue de sa patte arrière. Elle était encore passive pour le moment mais il pouvait voir l”angoisse dans son oeil.

« Vas-y.» dit-il à Tool « Elle devrait pas être capable de te mordre. Mais fait quand même gaffe. »

Elle avait beau paraître calme et gentille, le Rouge ne faisait pas confiance à l'instinct animal face à la douleur.

La vo parce que j'étais d'inspiration angliche à la base:

Scar relâcha la chienne avec précaution, prêt à réagir au cas où, dans sa confusion, elle chercherait à attaquer l'origine de sa douleur renouvelée. Il en doutait, mais on n'était jamais trop prudent.

Dès qu'elle ne fut plus clouée au sol, elle redressa le buste et se mit à lécher la blessure avec frénésie. Le Rouge la laissa faire, sachant le comportement normal. Il allait néanmoins veiller à ce qu'elle n'y touche plus trop pendant quelques jours afin que la cicatrisation poursuive son cours.

Déjà l'idée d'un futur accompagné de l'animal lui paraissait naturel, sans qu'il sache toutefois ce qu'il pensait vraiment de son attachement subite. Laissant la chienne à sa toilette, le Sentinelle se tourna vers Tool, avisant Corneille sur son épaule et le chat fabuleux et étrange près de lui. Ces trois-là s'accordaient d'une façon presque choquante. Le félin en ciel étoilé, l'aspect lunaire du russe et l'ombre du corbeau.

" Il va falloir reprendre la route, on a déjà perdu beaucoup de temps."

***

Leurs deux nouveaux compagnons les avaient suivis sans histoire comme s'ils les avaient eux aussi déjà adoptés. La chienne n'était pas rapide, affamée et épuisée, mais avait fait preuve d'une volonté qui donnait chaud au coeur.

Sur la route, leur groupe avait croisé une petite délégation de fées qui les avaient laissés cueillir quelques fruits sur leurs arbres en échange d'une bande de cuir que Scar avait découpé au bas de son manteau. Apparemment, selon leurs dires, il était de bon goût à la Cour ces jours-ci de se protéger les ailes des averses sous des morceaux de peaux tannées.

Comme la veille, puisqu'il avait fini par se faire tarde, le Rouge avait laissé le soin à Tool de dresser le campement. Les animaux étaient restés dormir près du feu et lui était parti chasser. Il n'était pas très doué mais avait appris à survivre seul, jadis, lorsqu'il avait grandi et forci à l'écart des yeux indiscrets.

Le Bois Joli, fidèle à son nom, était tout scintillant de goutelettes de pluie et baignait dans la lumière rose-orange du crépuscule. Un environnement bien plus agréable que la jungle noyée qu'ils avaient quittés la veille.

À présent Scar revenait, d'un pas souple mais sans se presser, satisfait de lui-même. Il avait attrapé un lièvre bien gras qu'il avait surpris dépassant à peine d'une souche d'arbre pendant une averse particulièrement intense qui avait au départ eu don de l'irriter.

"Regarde si tu trouves une longue branche solide et taille-la en pointe" dit-il à l'Artisan, une fois de retour, lui montrant sa capture à bout de bras.

Il l'avait eu à la chance, sans arc, avec juste la petite fronde qu'il avait emporté en plus de ses couteaux.

"Je l'ai pas encore vidé, comme ça on pourra en tout cas leur donner les entrailles et la tête"

Pour le moment l'atmosphère était presque agréable, chacun à sa tâche, préparant le repas comme s'ils possédaient déjà leur propre routine. Scar pensait leur forme de complicité sincère mais se doutait que celle-ci ne durerait probablement pas.

" Je savais pas que tu savais chasser "

Un sourire joua brièvement sur les lèvres du Rouge qui répondit sans animosité " Je sais, ça surprend la première fois, mais je sais faire autre chose que gueuler des ordres et foncer dans le tas. "

Tout en faisant glisser son couteau sous la fourrure du lièvre d'une main ayant perdu de son habitude, les viscères déjà partagés entre leurs compagnons, il jeta malgré lui un coup d'oeil à leur tente. Le russe avait fait du bon travail étant donné l'état dans lequel avait fini la toile le matin même.

Pourtant, Scar savait pertinement qu'il ne dormirait pas ; il avait trop peur de ses propres réactions. Plutôt tomber d'épuisement, se disait-il, ou passer la nuit sous la pluie que de revivre la même humiliation.

Inspirant longuement à travers sa gorge nouée, le Sentinelle raidit ses muscles et arracha la peau du rongeur d'un seul coup, le laissant soudain les muscles nus. Ce fut presque réussi, mieux qu'il l'avait prévu, un seul petit morceau restant encore attaché. Il le délogea rapidement d'un vif mouvement de lame.