Cendre doit bien l'avouer. Les deux autres ont de l'audace.
Il doit bien avouer autre chose. Pour l'instant, en dehors de pester et frapper, il n'avait pas bien aidé.

Il sent bien que Glucose et Brise sont en colère. Contre lui. Il est blessé, furieux (disons, encore plus), mais ces sentiments là ne servent qu'à masquer son embarras. Cendre a toujours géré sa culpabilité, sa honte, par la rage. Là, ça ne marchera pas.
Surtout s'ils finissent écrabouillés contre le museau d'un dinosaure.

— Fais que’que chose ! Tu es toujours à râler qu’on n’est pas bien, ben aide nous si t’es si fort que ça !

Cendre pince des lèvres, entortille ses doigts et son regard jaune se ballade dans tous les sens. La panique le submerge. Un jour, il a entendu le Chaman de ces foutus Delaware parler des éléments... L'eau guérit, l'air transporte, la terre nourrit... Le feu brûle.
Le feu est l'élément d'offensive. Celui qui attaque. Qui fait mal.

Cendre s'élance sans réfléchir juste en face de la créature, lévitant au niveau de ses yeux. Ses ailes de chauve-souris vibrent dans son dos, et il sent la puissance des vents invoqués par Brise. La fée des vents l'impressionne.
Alors Cendre respire à fond et laisse ses organes chauffer. De la fumée grise s'échappe de ses narines, tandis que ses iris se teintent de rouge. Il se met à lancer des petites boules de feu un peu partout, pour distraire le colosse. Le blesser ne servirait qu'à décupler sa fureur. Là, il faut soit l'éloigner, soit l'effrayer. Cendre veut d'abord tenter la première option.
L'entreprise fonctionne un temps, mais comme tout au Pays de Jamais, ça passe vite. Après un instant de confusion, le dinosaure hurle – il a très mauvaise haleine, ça donne quasiment le tournis au Pétard – et s'apprête visiblement à charger de plus belle.

Il faut qu'il explose.
C'est le seul moyen.
Qu'il pète à en éblouir le monstre.

— Mettez-moi en colère ! lance-t-il en tentant de couvrir le bruit du beuglement. ALLEZ ! ÉNERVEZ-MOI !

Il agite ses bras et ses jambes, comme si ça allait inciter les deux fées à le mettre en... pétard.

Ça pour l'énerver... Ça l'énerve.
Brise s'est littéralement jeté sur lui ! Cendre est d'abord surpris, choqué, puis profondément déstabilisé par l'attitude de Brise. Enfin, comme un troupeau de buffles au galop, la colère monte, déployant son grondement sourd, de plus en plus fort, à l'intérieur de sa tête trop grosse. Ses yeux virent au rouge écarlate.

Il voudrait crier, mais Brise est plus rapide que l'éclair. Après tout, c'est une fée des vents. Il a à peine le temps de comprendre qu'un flopée de je ne sais quoi lui est enfournée dans la bouche. Des gerbes d'étincelles rougeâtres jaillissent de toutes parts de lui, tant il gesticule pour se soustraire à la poigne étonnamment puissante de Brise.

— BLRLBBLGR ! éructe-t-il vainement.

Il est si furieux que la poussière qui le compose bat dans ses tempes comme un énorme gong. Il cherche Brise pour l'étrangler, ayant déjà oublié que c'est lui-même qui voulait provoquer cet état de rage.
C'est le moment que Glucose choisit pour fondre sur la fée des vents et plaquer sur son petit visage un dé à coudre – c'est bien comme ça qu'on dit ? – aussi bizarre qu'impromptu.

A nouveau, c'est d'abord le choc qui envahit Cendre, avant d'être remplacé par une nouvelle vague de colère. Pour qui ils se prennent ces deux-là ?? Il a encore toute une brassée de papier dans la gueule et ils se font des mamours ?!
Cendre fonce sur Glucose, mais il voit flou sous l'effet de la fureur et manque son but. C'est vers le dinosaure qu'il file malgré lui. Le destin a toujours un dogme très conséquent sur les terres de Jamais...
Le Pétard pile juste à temps, mais sa colère est montée en ébullition et elle est hors de contrôle. Il explose. Un véritable feu d'artifice. Une explosion jaune, orange, rouge, comme une fusée, suivi d'une fumée dense, âpre, d'un gris très sombre.

Le long-cou est complètement déboussolé. Il cligne ses yeux momentanément aveugles et dans un grand cri de détresse, brasse l'air de son énorme nuque, avant de foncer vers une autre direction. La Rivière. On entend, au loin, ses pleurs.

Cendre est entièrement noir, calciné de la tête au pied. Sa colère a pétée, pour de vrai, et il est exténué par cet effort. Comme à chaque fois. C'est alors qu'un Huron alerté, probablement un Sentinelle, s'approche d'eux d'un air à la fois perplexe et sévère.

— Qu'avez-vous fait ? dit-il en langage d'homme. J'ai vu vos actes de violence. J'ai entendu la complainte de ce noble animal que vous avez affligé. Mon coeur est lourd de la douleur qui est la sienne. Vous, fées, avez mal agi. Votre honneur vous commande de réconforter cette bête et de soigner ses yeux blessés.

Le Huron semble attendre quelque chose. Cendre cligne ses yeux, redevenus jaunes, qui luisent étrangement sur son corps tout noir. Il ne sait même pas quoi dire.

—Dis quelque chose... souffle-t-il à Brise dans le langage des fées.

Qu'est-ce qu'il raconte ??
C'est ça, la première chose que se dit Cendre. Il lorgne Brise avec circonspection, mais aussi avec perplexité, hochant la tête avec une vigueur qu'il espère pas trop factice. La moitié des mots de Brise s'engouffre dans une de ses oreilles pointues pour ressortir par l'autre aussitôt. Peut-être qu'il connait mal certains mots humains. Après tout, il ne vas pas tant que ça dans le monde ordinaire.
Une rafale glacée lui givre l'intérieur. Il sait que c'est Brise. Mais devant la solennité toute en noblesse de l'Huron, il n'ose même plus se mettre en colère.
Brise est, encore une fois, le plus réactif. Il file vers le dinosaure sanglotant et s'agite devant ses yeux plein de larmes. Cendre veut profiter de cet instant, qu'il ne saurait maitriser, pour se carapater. D'autant qu'il aimerait bien se débarrasser de toute cette suie. C'était sans compter Glucose.

— Mais… Mais… C’est injuste. J’ai rien fait moi. Et Brise non plus mais yel est méchant-e. C’est Cendre. Il a fait mal au dino. Il brûle tout ce qu’il touche. C’est sa faute. En plus, nous on jouait et c’est lui qui est venu nous embêter. Moi et Brise, on a rien fait de mal.

Le Pétard se fige sur place. La crainte de la déception du Huron le paralyse autant que l'indignation face à l'Espiègle. Quelle cafardeuse, celle là !! Il voudrait bien lui tirer si fort les oreilles qu'elles en seraient arrachées !!  

— Quiconque est témoin d'un acte de malveillance sans réagir est aussi coupable que celui qui le commet, déclare le peau-rouge.

Encore un gros dilemme émotionnel qui lui encoche le cœur.
Il devient écarlate de se voir appeler « malveillant » – ça ne l'aurait pas tant gêné si ça avait été autre chose qu'un Huron – mais est aussi un peu soulagé de ne pas être le seul coupable. Surtout que sa première idée, c'était quand même de sauver ce foutu village !

Le long-cou s'est mis à l'eau.
Glucose s'envole. Glucose se niche contre la cuirasse tremblante du dinosaure miséreux. Glucose dépose ses larmes sur cette même cuirasse qui, par un beau mystère, semble guérir. Voilà. Voilà une chose que les fées du feu ne feront jamais. Guérir. Soulager. Améliorer.
Son dépit se mue en dégoût. Ses yeux deviennent oranges.

— Notre ami doit avoir un peu froid dans cette eau. Toi seul est capable de le réchauffer, non ?

Le Huron a un regard dur mais un sourire aux lèvres. Cendre comprend le message. Il fonce rejoindre ses deux comparses et, après un moment d'hésitation maladroite, il se pose sur un caillou près de la berge.

— Le Huron m'a dit que je pourrais vous aider, dit-il d'un air de défi, comme s'ils s'attendaient à une mauvaise réaction. Je vais insuffler de la chaleur dans l'eau. Enfin... je veux dire que je vais essayer. Je l'ai jamais fait. Glucose, tu crois que tu peux m'aider avec ton pouvoir ? Qu'il doit prendre sur lui pour ne pas lui rentrer dedans ! Il faut laisser la rancune de côté, il le sait, il se le répète, oui oui. Brise, tu crois que tu pourras faire monter l'eau tiède sur le haut de son dos ? Je pense... le Huron pense aussi... que ça lui ferait du bien. Ce sera pour nous racheter, quoi.

Il se sent tellement mal à l'aise dans cet habit là.

Spoiler:

Tout était intense. Tout était dans la tension. Tout était dans l'effort, la concentration, la volonté inébranlable. Ce type de scène aurait été déjà incroyable et puissante pour des hommes, mais pour des fées ! Les fées ne sont point accoutumées à de telles prouesses de gravité.

Et Glucose a du le sentir, yel aussi. Sinon, yel aurait ri, yel aurait soupiré, yel se serait envolé vers des horizons plus sereines et plus frivoles, où les réjouissances étaient plus assurées. Au lieu de cela, Glucose se tord les doigts et ses ailes vibrent d'angoisse dans son dos. Cendre ne pense pas à li gronder. Les bras encore tendus en direction de Brise qu'il venait de s'acharner à aider, il fixe la fée des eaux avec une expression mi-choquée, mi-peinée.
Le dinosaure, lui, semble avoir apprécié le spectacle et, sans comprendre que l'entreprise a échoué, il adresse une révérence étrange aux êtres qui l'entourent, avant de faire la brasse pour barboter un peu plus loin. Le Huron le regarde s'éloigner, un sourire serein au bord des lèvres. Il 'a pas l'air de se formaliser d'être ainsi arrosé.

Ce n'est qu'alors que Cendre réalise.
Parce que pendant un super court instant, Cendre s'est oublié.
Mais Cendre est une fée des feux, et les fées des feux ne s'entendent pas bien avec l'eau. Ses ailes s'affaissent et, sans pouvoir l'expliquer, il sent sa poussière intérieure faiblir. Il est grisâtre. L'eau pénètre sa peau et le refroidit lentement. La réalité peine à le conquérir. Il la refuse, inconsciemment, innocemment. Il avait même oublié comme il craignait l'eau.

— C'est pas grave, souffle-t-il faiblement à l'égard de Glucose, refoulant son mal-être. Mais la prochaine fois, dis toi que tu y arriveras. Si on existe, c'est parce que les enfants croient en nous. Si tu ne crois pas en toi, c'est comme si tu te tuais !

C'est certes un peu cruel, mais c'est ce qui se rapproche le plus d'une parole de réconfort pour le Pétard.

— Dites... Est-ce que vous pouvez m'aider à rentrer chez moi...

Il ne sent plus ses ailes, ni ses pieds. Son teint est devenue crayeux, ses yeux presque blancs. Il fait tout pour dissimuler son mal, afin de ne pas accabler Glucose – il ne veut pas qu'elle se remette à pleurnicher ! – et de ne pas avoir l'air faible, incapable. Mais il s'écroule sur son rocher.

— J'ai froid...

Il a l'air plutôt inoffensif maintenant. Encore faut-il que les deux fées soient en mesure de les ramener au Volcan. Pour cela, il faut qu'elles y croient. Qu'elles y croient pour de vrai.

mot:

Catastrophe et plouf. Brise devient tout-e rouge. Tous ces efforts... pour rien? Rien du tout? Ho ben la prochaine fois yel n'aidera pas puisque les autres fées ont décidé d'être des incapables! Li fée des vents est à deux doigts de s'énerver très très fort en s'égosillant, puis de partir en pleurant et de les planter là mais seul ce mot sort de sa bouche et se brise ensuite en mille morceaux:

─ GLUCOOOOOOOOOO...

Son hurlement s'est interrompu brutalement. Le dinosaure a plutôt l'air content en fait. Il part , et on aurait presque dit qu'il a sourit! Et puis le Huron aussi a l'air content, même très. Toute la colère et la frustration de Brise retombent d'un coup. Yel  est exténué-e. Pour la première fois depuis longtemps, li fée n'a qu'une envie: dormir.

Son souffle se détache toutes les dix secondes, s'envole et disparaît dans les nuages. Ce n'est plus un rire ce n'est plus une bourrasque d'espièglerie qui voudrait embêter tous les gens du monde. Brise prend conscience qu'yel est fatigable. Yel prend conscience qu'on peut venir à bout d'yel... Et yel l'accepte. Tous ces éléments l'auraient-yel fait vieillir, ou du moins mûrir? Peut-être, mais alors très très peu, le voile devant ses yeux persistait encore

Li fée sourit à son nouvel ami, toute rancune s'est évaporé-e, yel l'a oubliée tout simplement.

─ Oui j'viens a'c toi jusqu'à ton endroit! Céto volcan, c'ça? Hm?

Bah oui bien sûr! Les fées des feux ça vit pas dans un lac ou une forêt enfin bon! Ça aime pas l'eau et ça crame les arbres et les champs. Ça a sa place un peu nulle part en fait c'est pas de chances pour eux. Brise se ragaillardit. Les fées des vents, yels, yel peuvent aller PARTOUT, voilà!

─ Allez!

Dans un élan de gentillesse et de compassion, Brise envoie son air le plus tiède qu'yel puisse avoir. Ça servira à le réchauffer sans doute! Puis yel lui prend la main sans ménagement et commence à partir. Avec sa main li fée fait au-re-voir au peau-rouge et sans ménagement crie à Glucose:

─ Toi aussi, tu viens, pas vrai? pas vrai? pas vrai?

Dans toute son innocence, yel lui tend cette petite main gauche. Dans son esprit, ils sont tout trois amis, maintenant, et leur amitié durera toujours. Les choses sont aussi simples que ça chez les fées!

Blabla:

Spoiler: