note:

Absinthe avait été très occupée à choisir ses vêtements, ainsi que ses parures. Durant longtemps, elle avait soigné ses cheveux, avant d'enfin s'être installée dans son salon. Elle y avait déjà bu un cocktail aux couleurs de l'aurore. Il était toujours l'heure de boire un peu de feu, et il était encore plus temps lorsqu'il n'y en avait justement pas.

Cependant, elle attendait la venue de son cher Opium, et non celle de l'envie de reprendre une délicieuse coupe. Distraitement, elle dessinait les nervures des gravures au plafond. Lorsque des clochettes retentirent et ainsi sortirent la Fée Verte de son repos.

Quelle surprise de constater qu'Opium ne s'était pas présenté seul, une fée soignée l'accompagnait. Et celle-ci n'avait pas perdu de temps hypothétique, tout s'était éclairci. En partie. Ils, le Narcisse et la Fée Verte, devaient rencontrer la Reine Mab. L'aristocrate de vert et de roux ou de rouge avait cherché dans le regard de son comparse une lueur de savoir qu'elle n'avait pas. Rien de plus précis.

Et donc, sans faire attendre Sa Majesté, Absinthe avait répondu à l'appel.

Heureusement qu'elle était toujours parfaite, que son allure n'offusquerait pas les yeux de leur si grande monarque.

- Opium, as-tu eu vent d'un dessein venant de notre Reine ?

La curiosité fut prononcée à voix basse sans se défaire d'une bonne diction. En revanche, Absinthe triturait avec élégance une mèche de ses cheveux.

L'air lui semblait si tragique.

Une scène qui la ravissait, tout en l'inquiétant.

Une journée parfaite en perspective. Opium s’était réveillé au chant du Pan, déterminé à fait de cette matinée un enchantement pour tous ceux qu’il gracierait de sa présence. Il avait quitté ses draps de satins, brodés par les milles mains expertes de fées couturières. La fraîcheur du palais sur sa peau (il dormait nu) le fit frissonner, il enfila un peignoir de satin noir comme la nuit. Comme chaque matin, un serviteur lui apporta un petit déjeuner sophistiqué mais équilibré. Puis, il s’était plongé dans un bain fumant tout en consultant ses correspondances. Une fois levé, il lui avait fallut deux bonnes heures pour choisir la tenue qu’il porterait pour rendre visite à Absinthe. Ils s’étaient promis de se retrouver pour discuter des derniers potins qui leur avait été rapportés.

Mais sa routine est troublée par trois petits coups à la porte de ses appartements. Le Narcisse écarte les deux pans de la porte d’un geste théâtral, l’air impassible. En temps normal, il ne se donne pas cette peine mais il aime produire ce genre d’effets.
Le serviteur qui se tient devant lui n’est pas de ceux qui entretiennent les aristocrates comme lui, c‘est une fée bien plus distinguée, habilitée à servir la reine en personne.
Cette dernière lui annonce qu’il est convoqué mais esquive toute ses questions lorsqu’il cherche à en apprendre davantage. Résigné, il la suit sans protester. Mais ce n’est pas vers la salle du trône qu’elle l’entraine, ni même vers les appartements royaux. C’est d’abord surpris puis inquiet qu’il constate qu’ils se rendent chez Absinthe.

Un seul serviteur ? Pour convoquer deux personnes aussi illustres ? Allaient-ils faire encore quelques arrêts comme un vulgaire bus ? Les choses doivent être bien graves pour que Mab fasse une telle économie du protocole.

« Opium, as-tu eu vent d'un dessein venant de notre Reine ?, lui demande sa plus chère amie.
— Je crains que non. »

Alors qu’ils traversent de larges galeries richement décorées, Opium sent l’inquiétude monter en lui. Pourquoi tant de mystères ? Pourquoi eux ? La reine aurait-elle eut vent d’un de leur tour ? Sont-ils sur le point d’être grondés ? Ou pire, punis ?

« Crois-tu que cela ait un lien avec l’affaire framboise ? », lui soufflet-il, un peu pâle.

Mais bientôt, ils s’arrêtent devant de larges barrées par deux gardes. Le serviteur les informe de l’arrivée d’Opium et Absinthe. L’un des garde entrouvre la porte et fait passer l’information à un serviteur à l’intérieur qui se chargera probablement de la liaison.

Qu’est-ce qui se prépare ?

Dommage qu'Opium n'en sache pas plus qu'elle... il semblerait que la volonté soit aux airs plus intimistes, filtrant peut-être les témoins. La Fée Verte ne saurait deviner les desseins de leur reine vénérée. La mention de la fameuse affaire fit froncer les sourcils de l'aristocrate en voyant en même temps le teint un peu pâle de son cher Opium.

- Je n'ose l'envisager...

Un souffle faible, qui s'éteignit en même temps que leur voyage.

Bien sage, bien à cheval sur l'étiquette et sur les manières, Absinthe suivit les instructions données par les gens de la reine. Elle prit place en veillant à ses pans de robe délicate lorsqu'elle s'assit en patientant. Le regard flânait sur le décor, toujours d'un goût exquis. Poétique. Artistique. Cependant...

- Opium, ces murs ne te semblent-ils pas plus... sourds ?

Murmurant un peu dans la lune, elle était envahie de curiosité. La crainte d'une réprimande était déjà abandonnée, au profit d'un genre de défi. Pourquoi recevoir ces deux inséparables sans prévenir, et dans un salon se prêtant aux confidences ?

Et si la Reine Mab allait leur demander des conseils pour une surprise ?

Un bel événement afin de marquer le printemps ?

Doucement, Absinthe regagnait un sourire distingué mais trahissant une petite impatience presque enfantine en se pinçant les lèvres rouges lorsque les yeux cherchèrent le contact de ceux de son adoré de Narcisse.

- Parierions-nous sur une demande ou une réprimande ?

Puis, l'arrivée tant attendue.

Comme toujours, la monarque demeurait splendide. La Fée Verte ne se fit pas prier pour se lever et saluer d'une délicate révérence la plus noble des présences.

Suivant ensuite des yeux les places désignées, Absinthe s'installa sans faillir à ses manières.

Enfin, bientôt ils sauraient ce qui demandait autant de rapidité dans une telle audience. On ne s'improvisait jamais un thé dans l'un des salons de la reine comme cela sur un coup de tête...

Un regard discret à Opium à ses côtés, puis elle reporta l'attention sur le sourire de l'Etincelante. Il y avait quelque chose qui plaisait beaucoup à la Fée Verte dans cette expression précise. Une affaire à accomplir rapidement... puis sans doute l'un des plus beaux compliments qui pouvaient être fait, qui plus était de la part de leur tant aimée Reine... Absinthe se prit à porter une main au coeur. C'était que cela la touchait toujours.

Puis le ballet de nourriture et boissons s'activa avant que les petites mains ne reçurent l'ordre de ne pas déranger cette entrevue.

La proposition de thé, fut accepter d'un acquiescement délicat et très ravi.

- Votre Altesse, vous nous choyez de si bons mots et mets.

Ils étaient seuls avec leur très chère reine.

Absinthe se sentait, aux côtés d'Opium, particulièrement privilégiée.

Le thé servi, elle veilla à ce que chacun eut de quoi remplir leur tasse avant d'oser.

- Pardonnez mon audace, ma Reine, mais je dois avouer mourir de curiosité...

Sa chère Absinthe ne semble pas plus au fait que lui. Pire, elle ne parait pas plus assurée. Cela ne fait que nourrir sa propre angoisse, ne pouvant compter sur son amie la plus proche pour taire ses inquiétudes. Le Narcisse se crispe légèrement sur ses appuis, maintenant une posture droite – presque à l’excès.
Bientôt les gardes ouvrent le passage et un majordome s’incline, les invite à les suivre dans l’aile royale. Opium répond à ce salut comme le veut l’étiquette puis se laisse entrainer au cœur du palais royal. Ce n’est certes pas la première fois qu’il est convoqué mais ce décor qui auparavant le fascinait ne lui inspire à présent qu’une certaine froideur, presque hostile.

« Opium, ces murs ne te semblent-ils pas plus... sourds ?
— Si, fait. Ils sont plein de secrets. »

Leurs pas les entraine vers ce qu’il devine être le petit salon. Il n’y a sûrement aucune autre pièce qui soit adaptée à une telle entrevue. Dans ses souvenirs, c’est souvent là que la Reine et lui s’entretenaient sur l’organisation des événements.

« Parierions-nous sur une demande ou une réprimande ?
— En tout cas, si la faute était ordinaire, la Reine ne s’embarrasserait pas d’autant de précautions. Je préfère miser sur une demande. »

Ce n’est pas tant qu’il s’agisse de l’option la plus logique que celle qui l’arrangerait le plus.

Une fois arrivés, ils découvrent sa Majesté, vêtue de pied en cape d’une robe sombre, chaude quoique légèrement austère comparée aux toilettes auxquelles ils ont été habitués. Assise dans son fauteuil, elle les accueille.

« Absinthe, Opium, je suis ravie de voir que vous avez répondu favorablement à mon invitation. Installez-vous, je vous en prie. »

Ils s’exécutent.

« Je suis navrée de vous convoquer ainsi au saut du lit, mais j’ai à m’entretenir avec vous d’une affaire... particulière, que je souhaite voir accomplie le plus tôt possible. »

Subrepticement, Opium glisse un regard à sa compagne qui trahit tant son soulagement qu’un sentiment de victoire. J’avais raison, semble dire son regard, qu’il reporte aussitôt à la Reine. Cela semble important.

« Et je pense que vous avez le profil parfait pour cela. Après tout, n’êtes-vous pas les plus grands parieurs de la Cour ? »

Un sourire fanfaron, un peu inélégant étire les lèvres du Narcisse. Eux ? Certainement. Le thé et les biscuits servi, Opium accepte une tasse.

« Votre Altesse, vous nous choyez de si bons mots et mets.
— Et votre invitation bien que mystérieuse nous est une grâce. »

Une fois tous servis et qu’un silence semble s’installer, c’est encore Absinthe qui prend les devants :

« Pardonnez mon audace, ma Reine, mais je dois avouer mourir de curiosité...
— Quel que soit votre vœux, votre Grâce, vos serviteurs feront tout leur possible pour le réaliser. »

Et oui, son précieux Opium avait donc raison. Une demande de la part de la Reine. Une demande enrobée dans bien des soins, et dans l'honneur de partager un thé avec la monarque vénérée. Absinthe pouvait enfin se parer d'un sourire parfaitement distingué, mais qui teinté d'une once d'impatience enfantine.

La Fée Verte se trouvait bien pressée d'offrir ses talents à la Reine Mab.

Le sujet vint, la fameuse histoire de sauvetage au Port.

Absinthe fronça légèrement les sourcils en imaginant l'odeur qui se dégageait du bord de mer et plus particulièrement du domaine pirate. Cela mêlé aux jeux des hommes sans cervelles qu'a bien pu endurer la fée rescapée.

La suite offrit un petit quelque chose dans le coeur de l'aristocrate, elle se demandait même si cela était malvenu d'apprécier contempler la colère qui semblait se dégager de la puissante aura de l'Etincelante. C'était qu'elle aimait voir à quel point leur Reine était si loin au-dessus du reste des bipèdes.

La mention de conséquence fit briller les yeux de la Fée Verte qui trempa ses lèvres rouges dans sa tasse afin de se donner contenance.

Un regard en coin à Opium, celui-ci devinerait sans mal à quel point elle était déjà à 100% partante.

Sans même savoir quelles serait exactement la demande royale.

Reposant le récipient dans une grande douceur, Absinthe offrit un sourire débordant d'assurance.

- J'imagine que je peux parler pour Opium et moi-même en disant que nous sommes tout ouïes à votre demande.

Elle faisait de son mieux afin de ne pas laisser trop entrevoir à quel point elle trépignait.

- Nous saurons peindre la sentence que vous voulez~

Le noble visage de Mab s’épanouit, visiblement satisfaite par les serments de ses loyaux sujets. Elle les gratifie tous deux. Opium reconnait cette façon toute personnelle qu’elle a de leur rappeler son affection sincère – presque intime – sans se départir d’une distance nécessaire, royale.

Mais alors qu’elle entre dans vif du sujet, la vieille amie s’efface au profit de la cheffe d’état. Mab ne s’embarrasse que de peu de détour.
Lorsqu’elle évoque son mécontentement, Opium devine une colère bouillonnante qu’elle sait réprimer. C’est la conduite d’une véritable souveraine. Mais bien loin d’admirer ses qualités, l’aristocrate frémie. Quel effroyable crime a-t-il été commis pour susciter un tel trouble ? L’affaire ne leur a pas été encore dévoilée mais il sent déjà son poids peser au-dessus de leurs têtes.

L’heure est grave.

Les pirates ont failli causer la perte de l’un d’entre eux. Sans les efforts conjugués de Flammèche et des chevaliers, l’irréparable faute aurait été commise. Aux yeux d’Opium, des guerres ont été déclarées pour moins que cela.

« Comprenez-moi bien : il est hors de question que, sous mon règne, de vulgaires Pirates pensent pouvoir torturer les miens ou même ne serait-ce que voler leur poussière sans la moindre crainte des conséquences. »

Son courroux bien qu’il ne leur soit pas adressé glace le sang d’Opium qui ne peut qu’opiner en silence. Il est encore une fois, soulagé de ne pas être convoqué en raison de l’affaire framboise.

Enfin, la fureur dans le regard de Mab s’évanouit au profit d’une lueur malicieuse.

« C’est là que vous, cher Narcisse et chère Fée Verte, entrez en scène… »

Elle marque un temps, voulant certainement connaître leur résolution après ces terribles révélations. Le Narcisse se contente d’échanger un regard en coin avec sa complice.
Ils n’ont pas besoin de mots pour connaître leurs sentiments.

« J'imagine que je peux parler pour Opium et moi-même en disant que nous sommes tout ouïes à votre demande. Nous saurons peindre la sentence que vous voulez~
—Nous n’avons besoin que d’une cible., renchérit Opium qui n’a pas l’intention de se faire piquer une occasion de l’ouvrir. Et notre vengeance s’abattra sur ces tristes sires, aussi sûrement que la lame du bourreau. »

La peur laisse place à une excitation fiévreuse. Pour une fois qu’on l’encourage à se montrer malveillant, il ne va pas se faire prier.