Le bruit venu d’en haut l’alerte, mais trop tard : alors qu’il repère finalement Wendy, levant les yeux pour identifier le son, Death se rend compte qu’elle se rapproche dangereusement de lui et surtout, qu’il est trop tard pour esquiver. La créature lui tombe dessus et les jambes du Sombre se dérobant sur lui alors que le poids de Wendy l’entraîne vers le sol.

L’impact, diminué par la neige, reste violent : dans un chaos de sensations douloureuses, l’Éclaireur sent sa tête heurter le sol, l’air s’échapper de ses poumons et - dans un même temps - la bile remonter jusqu’à la commissure de ses lèvres.
Jamais être en vie n’aura été si physiquement pénible.

Un temps. Wendy s’est lovée contre lui comme un animal heureux. Et Death tente de reprendre son souffle, ignorer la douleur qui s’est logée sous son crâne. De vieux réflexes remontent à la surface de sa mémoire, le poussant à bouger gentiment chaque articulation, vérifier l’état de la machine.
De ce qu’il puisse dire en ayant une grosse bête sur lui, rien ne semble cassé.

- C'était une bonne cachette.

Il pourrait se dégager, ou du moins essayer, mais l’immense lassitude qui a pris possession de lui le pousse à rester étalé - encore 5 minutes. Le temps de récupérer, laisser la neige anesthésier son corps contusionné.

Tout de même, c’est perturbant ; aucune chaleur ne se dégage de Wendy.
Non pas qu’il compte s’en plaindre.

Wendy est ravie. Vraiment.

Elle a gagné le jeu, a pu te surprendre, et tu ne l'as pas chassé quand elle est restée lovée contre toi. Mieux encore : tu la complimente sur sa cachette. Un couinement ravi -qui n'est pas sans rapeler un balon qui se vide de son air- et la voilà qui remue de sa queue pelée avant de chercher à te lécher le visage. Son haleine de mort te dissuadera peut-être de lui accorder ce plaisir, ceci dit.

- Jouuhhheeer ? Fatihhguééé ?

Vrai que tu es mou au sol. Mais tu bouges encore, c'est bien. Sinon Tick Tock l'aurait grondé encore. Wendy ne comprend pas trop pourquoi c'est pas bien que les gens ne bougent plus, mais elle veut faire plaisir à Tick Tock. Toujours gentille pour lui.

Il est où Tick Tock ?

- Où Tiiiickkhhhhh Tooooooock ?

Tick Tock. Elle veut le voir. Mais elle t'aime bien, peut-être que tu peux l'aider ? Avec un soupire satisfait, Wendy s'installe un peu mieux contre toi et se fourre contre toi, le bout du crâne niché dans le creux de ton cou.

Toi gentil. Elle a déjà oublié ton nom, ça arrive des fois. Tick Tock lui faisait des jeux pour travailler sa mémoire, mais des fois elle a des petits soucis. Ca ne gêne pas Wendy outre-mesure ceci dit. Ce n'est pas grave : si elle veut savoir ton nom, elle peut redemander.

- Vivre où toiahhhr-RHRhhrh ! Khrrh ! Khrhrr !

Une violente toux, et la chimère se redresse soudain. Son corps entier est secoué de spasmes alors qu'elle tousse, encore et encore, avec une respiration sifflante. Elle n'a pas mal en tant que telle, mais quelque chose ne va pas dans son corps. Wendy souffre de sa malfonction, puisque les sensations en elles-mêmes sont faussées et biaisées. Quelque chose de coincé, quelque chose qui gêne. Effrayée, Wendy se redresse soudain et s'agite.. Pour se prendre un arbre de plein fouet que dans sa panique elle n'avait pas vu.

L'impact la fait cracher un.. Truc. Un amas de chairs aux miles couleurs et de gros vers à moité coincés dedans. Pas normal, c'est tout ce qu'elle comprend. Pas normal, mais maintenant elle se sent mieux. Piteuse, l'animal émet quelques gémissement et revient à croupeton vers toi.

Est-ce qu'elle a fait une bétise ? Est-ce que c'est pour ça qu'elle a eu la douleur et la gêne dans sa gorge ?

Wendy gentille, pourtant. Wendy essaie.

Le Sombre ne s’y connaît pas, en langage de Créatures, mais il possède assez d’instinct pour comprendre la joie de Wendy. Cette dernière tente d’ailleurs de lui lécher le visage et Death endure, malgré l’odeur infecte qui émane de la gueule de la Créature. Le processus et certes pénible, mais sa vie l’est, de toute façon, alors pourquoi lutter ? Le Sombre ferait presque le mort en attendant que ça passe.

- Jouuhhheeer ? Fatihhguééé ?

La Créature s’est arrêtée pour le questionner, plus attentive à lui que ce qu’il aurait pensé. Avant d’enchaîner avec une nouvelle question.

- Où Tiiiickkhhhhh Tooooooock ?

Tick Tock ? Le nom sonne familier. Des souvenirs affluent, amènent avec eux l’image d’un enfant qui était revenu changé, presque sauvage.
Traumatisé.
Est-ce qu’il avait tenté de s’en approcher ? Ah, peu importe. Il n’avait de toute façon pas réussi.

- Vivre où toiahhhr-RHRhhrh ! Khrrh ! Khrhrr !

La Créature se plie, s’éloignant de lui et toussant comme un chat qui aurait une boule de poil coincée dans la gorge. Death en profite pour se redresser douloureusement, avant de l’observer et grimacer légèrement lorsqu’elle se cogne contre un tronc. Est-ce qu’une telle chimère peut avoir mal ? Il ne l’espère pas. La souffrance devrait être évitable, dans le meilleur des mondes.
Dommage qu’ils n’y vivent pas.

Au bout d’une quinte de toux particulièrement violente, la Chimère expectore quelque chose qui ne semble pas vivant, malgré les asticots qui en ressortent. Death n’est pas proche et ne compte pas se rapprocher. Il espère, quelque part, que ce truc ne faisait pas à l’origine partie de la Créature, mais même si c’était le cas, il ne pourrait rien y faire.
Il n’est plus Soigneur, après tout.

Wendy est revenue vers lui, timidement. Et visiblement pas en forme.

- Est-ce que tout va bien, Wendy ?

Il parle doucement, le Passeur. Serait-il empathique ou ferait-il semblant ? Peut-être que lui le sait, peut-être que non.

Micro-grimace, gestes douloureux. Son corps le lance comme si c’était lui qui avait chuté, plus tôt. Le Sombre se remémore la remarque de Wendy et articule :

- Je crois... que je suis fatigué. Tu as raison.

Il se souvient qu’elle parlait de Tick Tock aussi, mais ne relève pas. Bien qu’il gravite souvent autour des enfants fragiles, il n’est pas leur baby-sitter.
On le surveille, après tout.

Elle pousse un gémissement à ta question. Tout va bien ? Non pas vraiment. Sans comprendre ce qui se passe, Wendy se sent punie. Quoi faire mal ? Elle reste penaude à coté de toi sans oser réclamer un câlin pour autant. Prudemment, son museau frôle ta main comme pour quémander un caresse sans trop espérer pour autant. Tu es énervé contre elle ?

Quand tu admets être fatigué, Wendy se redresse. Fatigué ? Repos ? Il faut repos, si tu as besoin. Sa queue remue doucement, balayant la neige sur son passage.

- Dooormiirhhhh.

Si tu as besoin de repos, il faut faire semblant de ne plus bouger. Tick Tock lui avait expliqué ça, une fois. Et ça s'appelle dormir. Wendy estr très fier d'avoir compris ça. Des fois, elle aussi, elle dort. Elle se couche quelque part, sans rien faire, et attend. Des fois, elle le fait aussi pour chasser, à rester tapie dans les herbes -quand il y en avait encore- et "dormir" en attendant qu'une proie ne passe à coté.

- Heeendyyyyyy proo.. roooooteeeeghhhhh.

Elle veillera que tu ne te fasses pas attaquer. Comme quand Tick Tock fait semblant de ne plus bouger lui aussi, collé contre elle. Des fois, elle lui sert même de coussin. Dans ces cas là, la charogne dort elle aussi. Elle n'ose plus remuer par peur que déranger Tick Tock.

Wendy ne dort pas vraiment comme les autres, il faut dire. Et quand ça arrive, quand elle perd conscience, elle ne s'en souvient pas. Wendy ne prend pas en considération ce dont elle ne se rappelle pas.

La créature te renifle un peu, et émet un claquement de mâchoir encourageant. Dormir, si fatigué. Wendy veiller. Wendy protéger. Ses deux pattes avant se nichent sur tes jambes comme pour t'inciter à rester au sol et te reposer, sa queue remuant toujours paisiblement.

Tu ne lui en veux plus, hein, dis ? Elle n'est plus punie ?

- Dooormiirhhhh.

Pourquoi se sent-il fier qu’elle connaisse ce mot ? Ça n’a aucun sens.

- Heeendyyyyyy proo.. roooooteeeeghhhhh.

Veut-elle qu’il s’endorme, ici et maintenant ? Dans le froid de cet hiver qui commence à se faire insistant ? La Créature a ses pattes sur ses jambes, posée comme un sphynx et à nouveau Death la trouve belle, dans sa dégradation. Machinalement, sa main se tend et tente une caresse au niveau de sa tête. Il se cale un peu, se recule pour s’adosser à un tronc.

C’est fou ce qu’il est fatigué, tout à coup.
Mourir de froid, si cela devait arriver, serait doux.

- Je ne peux pas rester longtemps.

Il parle doucement, paupières fermées.

- Tu pourras me réveiller... avant qu’il fasse sombre ?

C’est toujours son devoir qui le tire en avant, la conviction maladive d’être indispensable à l’Arbre. Il faudra qu’il y retourne, mais pas pour le moment. Pour le moment, il n’y a plus que son corps qui réclame un peu de sérénité, un oubli mortifère. Dormir, c’est mourir un peu et le Sombre est fatigué depuis si longtemps. Il sent bien, pourtant, que son sommeil sera faible, un peu trop alerte, parasité par l’extérieur.

C’est qu’il n’est pas dehors si souvent, le Passeur. Il n’a pas trop l’habitude d’autres dangers que ceux qui proviennent de ses propres tentations.

Wendy te regarde, toute son attention t'es dédiée. Ta caresse, loin de lui déplaire, lui arrache un petit couinement satisfait alors qu'elle fourre sa tête un peu plus contre ta main. Elle attrape même délicatement ton col en se mussant contre toi, et se met à le mâchouiller doucement avec une joie évidente. Wendy se sent bien, en ta présence. Death gentil, voilà sa conclusion. Alors quand tu lui demandes de veiller son sommeil, de te réveiller plus tard ? Oh, bien sûr qu'elle accepte.

- Hhheeeendyyyyyyy aaimmrrhhhh Deathhhhhh.

C'est dit avec la simplicité d'un amour d'enfant.

La seule question qui se pose maintenant, c'est ce que tu entends par trop sombre. C'est quoi, trop sombre, pour toi ? Sombre comme tes habits ? Sombre comme la poussière grise de l'Ossuaire ? Sombre comme le ciel d'orage ? Silencieuse et immobile pour ne pas te déranger, Wendy réfléchit. C'est compliqué, de trouver le bon sombre. Tu es fatigué alors la chimère ne veut pas t'empêcher de te reposer avec ses questions. Tick Tock lui avait expliqué, un jour. Des fois, les gens ont besoin de moins bouger, de faire semblant de ne plus bouger. Et pour une raison ou une autre, ça les fait se sentir mieux. Wendy n'avait pas tout compris, parce qu'elle n'a pas conscience du monde autour d'elle, quand c'est à son tour de dormir. Mais ne pas gêner quand on ferme les yeux et fait semblant de pas bouger, ça avait finit par rentrer.

C'est quoi le bon sombre ?

Elle en est là, encore, à tourner cette question en boucle quand un bruit à votre gauche attire son attention. Wendy se fait flaque sur toi, comme pour te cacher, et son pelage (ce qu'il en reste) gonfle gonfle pour se faire imposant. Un grognement sourd et Wendy se lève doucement. Le buisson, lui, ne bouge plus. Mais Wendy sent. Wendy entend.

D'un bond, la voilà qui soudainement se rue sur sa proie. Ca pialle, ca se débat, et ça grogne. Finalement triomphante, Wendy revient vers toi avec un iguarat tacheté de bleu et vert sur son pelage gris. Fière, elle te rejoint. Et si tout ce raffut ne t'a pas réveillé, peut-être que le petit corps de la chimère morte qui atterit sur toi te secouera.

De toute façon, Wendy elle te secoue de la patte.

- Caaaaaaarhhh... Caa... Caaadeauuuhhhrhrhh.

Wendy est si contente d'elle.

Ses paupières se ferment, entraînées par la douleur et le sommeil. Et très vite - ou très lentement ? Difficile à dire - sa sieste s’emplit d’images et de sensations. Elles proviennent d’abord de l’extérieur - le bruit de la neige qui tombe d’une branche, les chants des oiseaux d’hiver, le râle de Wendy contre lui - avant de s’atténuer, laisser place à un paysage interne.

Il est dans une chambre à coucher, avec un lit, une coiffeuse et une armoire. Plus bas, on entend la répétition d’une chanson qu’il croit reconnaître - un classique du jazz. Il se tient debout, il n’y a personne d’autre que lui et la fenêtre qui bat, poussée par le vent. L’extérieur est trop lumineux, il l’attire. Alors il se rapproche, d’un pas hésitant, veut jeter un oeil au dehors et...

VLAN. Une nuée de corbeaux s’engouffrent, envahissent l’espace. Et Death se réveille en sursaut, baisse les yeux.

- Caaaaaaarhhh... Caa... Caaadeauuuhhhrhrhh.

Un petit cadavre est déposé sur ses jambes. Le Sombre lève les yeux vers Wendy, finit par comprendre. Et parce qu’il a le vague souvenir d’avoir déjà vu, dans une autre vie, des chats faire ainsi, il se saisit doucement du corps encore un peu chaud.
La mort ne l’a jamais répugné.

- Merci, Wendy. C’est un beau cadeau.

Il l’enterrera après, lorsqu’il sera rentré.

Un regard vers le ciel, qui - lui semble-t-il - s’est légèrement assombrie. Avec une grimace, Death se redresse.

- Il faudrait que je rentre à l’Arbre. Même si personne ne s’inquiétera de son absences. Son regard se fait inquisiteur alors qu’il contemple Wendy. Il se demande si elle-même à un endroit où revenir, ou si elle est créature solitaire même parmi les autres - un peu comme lui.

- Est-ce que tu voudrais qu’on se revoie ? Pour jouer une autre fois ?

Ah, il ignore ce qu’il lui prend, à être sentimental comme ça.
Peut-être que même dans sa vie d’avant, il préférait les bêtes aux hommes.