Sindri observa Dude vider son “super sac à dos” avec un intérêt certain, toujours curieux de voir ce qui paraissait indispensable aux jeunes humains. Le morceau de pain et la gourde étaient relativement attendus. Les pierres un peu moins, mais le centaure se dit que cela devait être une astuce quasiment constructive pour transporter plus de poids et se rendre plus fort et endurant (un peu comme cette drôle d’idée que certains appelaient “sport”, là).

Le seul véritable mystère demeura le caleçon : Sindri connaissait le principe de cet atour et il savait que la plupart des humains le considéraient comme un accessoire crucial, mais de là à comprendre pourquoi...

Intrigué, le Baron Forêt envisagea de céder à sa curiosité naturelle (qui commençait enfin à ré-émerger, à présent que la tristesse n’était plus la seule émotion à habiter ses deux coeurs) et de demander à Dude ce qu’il en était. Mais le garçon s’était déjà relevé, sac en main, pour examiner les roses des sables les plus proches :

“Euh… Vous devriez les prendre et les mettre dans mon sac… Je… J'ai peur de les abîmer ou de les casser…”

Le Perdu leva vers Sindri deux grands yeux intimidés, qui firent apparaitre un délicat sourire sur les lèvres du centaure :

“Nous pouvons nous y atteler à deux, Messire Dude. Je suis convaincu que tu sauras faire preuve de délicatesse. Tu l’as déjà prouvé.”

Il leva sa patte arrière, soigneusement pansée par les soins du Chevalier. Puis il encouragea ce dernier d’un autre sourire et d’un petit signe de tête (“Allez, tu vas y arriver!”), avant de commencer à ramasser les fleurs de sables qui lui paraissaient les plus délicates, les plus complexes. Les amasser dans un sac à dos n’était clairement pas la meilleure solution pour les transporter sans risque, mais ils n’avaient pas vraiment d’autre option. Ne restait plus qu’à faire attention, et à espérer que la majorité survivrait au voyage.

Toujours un peu soucieux pour ses standards, Sindri levait les bras pour cueillir ce qui ressemblait à une somptueuse rose de silice blanche, quand un mouvement brusque derrière les fleurs lui arracha un petit cri surpris. Par pur réflexe, il fit un bond en arrière, évitant de justesse de percuter une statue de sable juste derrière-lui :

“Mais que...”

L’instant d’après, une tête triangulaire et cornue aux formes menaçantes émergeait entre deux roses des sables, pour émettre un sifflement hostile vers les deux compères. Ses yeux d’un bleu profond étaient de toute évidence faits de saphir. Ses écailles en sable iridescent couvraient un corps longiligne, qu’on ne distinguait qu’à peine derrière le lacis de fleurs, mais qui semblait pourvu de pattes griffues et d’une paire d’ailes membraneuses.

Dude avait raison : le trésor du Marchand de Sable était bien gardé par un dragon.

Sauf que ce dernier faisait la taille d’un chiot. Et que si en croyait ses écailles ternies et ses formes émoussées, il n’avait pas l’air beaucoup plus en forme que le reste du château. Ce qui, feulements menaçants ou pas, sembla suffire pour que Sindri penchât la tête sur le côté et se mît à roucouler avec douceur :

“Oh, coucou toi... Ils t’ont laissé là tout seul?..”

Sindri ne s’attendait pas au changement d’attitude de Dude : en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le Garçon Perdu était passé d’un preux chevalier en armes à un secouriste attentif, pour ne pas dire expérimenté. Car indéniablement, il y avait de l’expérience dans la manière dont le gamin avait protégé ses avant-bras pour s’approcher du petit dragon mal en point ; quand la créature mordit le Chevalier, le Baron Forêt grimaça plus fort que ce dernier.

“Sindri, Sire, est-ce que vous pouvez attraper mon sac et remettre mon caleçon dedans pour faire un petit matelas pour little one ?”

Le centaure fit la moue :

“Mais... les roses...”

Le dragonneau émit un sifflement effrayé, qui tira au Baron Forêt un soupir de reddition :

“Oui, oui, bien sûr.”

Les roses étaient importantes, bien entendu, mais Dude avait raison : toute la tour menaçait de s’effondrer, ils ne pouvaient pas laisser ce bébé là tout seul. Et le petit dragon étant fait de verre et de sable, il était exclu de le transporter en l’exposant à la pluie qui s’abattait sur l’Île. Triste mais résolu, le Baron Forêt s’empara donc du barda de Dude pour en retirer les fleurs de silice et y arranger un nid de fortune.

Puis, au dernier moment, le centaure eut l’impulsion d’y remettre une rose des sables, avant de tenir le sac bien ouvert devant le garçon :

“Après tout, tu dis vrai Messire Dude, cet endroit est sa maison. Peut-être que cela le rassurera qu’on en emporte une partie avec lui?...”

Ses yeux couleur or dérivèrent vers le tas de fleurs : si le dragon acceptait la première, le centaure comptait bien en rajouter autant que possible. Qui sait, peut-être même que la petite créature trouverait cela encore plus réconfortant ?