Le Givre n’a pas été tendre avec eux.

Parmi les plus vieux résidents du Grand Arbre, certains n’y ont vu qu’une calamité parmi d’autres. Ils ont vu pire. Glitter peine à y croire mais tout est affaire de perspectives.  Il y en a qui préfèrent le froid hivernal aux incendies estivaux, la neige à perte de vue à la montée des eaux, la maladie aux cauchemars et les armées orbleus au seul croquemitaine. Glitter peine à se rappeler en détails ces épisodes mais elle a le sentiment – non, la certitude – qu’elle n’a rien connu de pire que le Givre.

Quitter le Grand Arbre – peut-être pour toujours – lui a pesé plus lourd que n’importe quelle valise. Les adieux, aussi. Découvrir qu’un tel choisit de garder la maison, qu’une autre préfère s’exiler à l’Ossuaire, ne pas être certaine de les revoir.
Ils avaient fait face à de plus lourdes menaces certes, mais ils l'avaient fait unis (Enfin, aussi unis qu’une bande de gosses peut l’être) et sous un seul toit, leur toit.

Le Canyon n’était pas si mal, en soi. Glitter aurait pu s’y sentir chez elle, si elle avait renoncé à son intimité. Ils étaient trop entassés pour se sentir seul. Mais ceux qui comptaient, c’étaient toujours ceux qui vivaient à l’autre bout du camp et qu’on ne croisait qu’en coup de vent.
Quant aux Peaux Rouges, ils n’étaient pas méchants. Au contraire, ils étaient… présents. Peut-être trop ? Avec leurs habitudes si radicalement différentes des leurs, ils se gênaient les uns les autres. Combien de fois sa tente s’était retrouvée enfumée par les Delaware ? Combien de fois leurs chants l’avaient empêchée de trouver le sommeil ? Combien de fois les adultes leurs avaient donné des injonctions avant de se rappeler qu’ils n’étaient pas sous leurs ordres ? Beaucoup trop.
Il faut ajouter à cela les malades, placés sous quarantaine – tant qu’ils pouvaient se le permettre – et les morts qui s’entassaient.

Dans l’attente de nouvelles (de bonnes), Glitter s’est noyée dans le travail. Les arrivées de nouveaux réfugiés nécessitaient toujours plus d’abris ou de structures. Leurs défenses pouvaient toujours être renforcées.
Le soir, elle tombait d’épuisement et quand elle dormait, c’était d’un sommeil profond et ininterrompu, et ce malgré les aléas de la cohabitation.

Le retour du printemps a été doux amer. L’enchaînement de bonnes et de mauvaises nouvelles, des retrouvailles et des déconvenues. Glitter s’est vite perdue, n’osant se permettre trop d’optimisme. De toute façon, au Grand Arbre, du travail l’attendait.
Encore et toujours.
Ça l’aide à pas trop y penser.

Alors cette Boum, c’est une parenthèse dans le quotidien et un point final à ce Cauchemar. Glitter est venue avec la volonté féroce de passer un bon moment.

Elle ne porte qu’un simple t-shirt de coton noir, sans manches, avec quelques boutons le long du col. Une ceinture à boucle resserre sur sa taille le grand jupon coloré et fleuris qu’elle a dégoté. Le tissu retombe sur ses jambes, accompagne ses mouvements dans un froufrou délicieux. Ce qui l’a convaincue, c’est la longueur qui lui permet de cacher sa paire de baskets (faute de plus confortable). Les créoles à ses oreilles et les bracelets à ses poignets cliquettent joyeusement à chacun de ses gestes.
A défaut de jolie, Glitter se sent festive.

Elle aura passé une grande partie de sa soirée à rire, même si les larmes lui sont tantôt montées aux yeux en retrouvant des amis qu’elle croyait perdus. Ils ont parlé, grignoté. Et ils ont dansé aussi, et elle a dansé longtemps – comme quoi elle avait bien fait de mettre ses baskets.

Et puis les fauteurs de troubles sont arrivés. Glitter a ouvert des yeux ronds les voyant s’installer. Avec leurs costumes, leurs regards lourds de menace, ils sentaient les ennuis.
Elle a noté la présence d’Apache, l’ex de Sinner, fidèle à lui-même. Elle a failli manquer Tool, derrière son masque. Elle n’a pas identifié le grand cowboy. Mais elle a reconnu Nasty.
Les joues brulantes, la Sainte a détourné le regard. Mais c’est quoi son problème ? Il y a des gosses, ici ! Mais un rapide coup d’œil vers les petits lui a vite donné le ton : certains ont l’air de s’en foutre, d’autres rigolent comme toujours lorsqu’ils font face à quelque chose d’inattendu. Bon, apparemment ce n’est pas ça qui va les traumatiser. Mais quand même… C’est pas très moral.

La musique lui a fait l’effet d’un grondement sous les côtes et la batterie a tambouriné à ses tempes. C’était puissant, comme un shot de vinaigre. Ce n’était pas son style mais ça remuait bien. Glitter aurait pu apprécier… si elle avait pu faire abstraction du reste. Alors après quelques minutes d’euphorie collective, d’un commun accord, elle s’est éclipsée avec ses potes.

*   *   *

Dehors, il fait frais. Il y a comme un petit fond d’Hiver resté dans l’air. Glitter regrette de ne pas avoir sa veste mais elle ne veut pas planter ses amis pour aller la chercher. Alors elle prend sur elle, remue un peu sur place, essaye de ne pas trop y penser.

Les événements à l’intérieur leurs parviennent par vagues, des murmures échangés et des sorties en trombe. Une amie commère surveille ses réactions alors Glitter n’émet aucun commentaire et se contente de réactions brèves qui en disent peu.
Mieux vaut ne pas accorder trop d’importance à cette histoire. Les drames ne l’intéresse pas. Elle, elle veut passer une bonne soirée.  

Et c’est alors que la conversation lui échappe qu’elle capte le regard perdu mais familier de Sinner. Et très vite, une connexion se fait dans sa tête entre Apache et lui. Elle se demande ce qu’il en pense, lui. Il a dû apprécier le concert, c’est bien son style. Mais la fin ? La Sainte lui trouve un air sombre, de mauvais augure.

Tout le monde devrait passer un bon moment. Même ce casse-couille de Sinner. C’est peut-être l’euphorie d’une bonne soirée ou la fatigue d’une veillée inhabituelle mais Glitter se sent soudainement pleine d’amour pour le monde qui l’entoure, à commencé pour ce frère dont elle regrette la distance.
A l’Hiver, il a choisi de la suivre au Canyon, plutôt que d’opter pour l’Ossuaire qui lui aurait pourtant davantage correspondu. Ses efforts ne lui ont pas échappé. Mais elle ne l’a jamais remercié.
Elle n’a jamais su lui dire ses choses-là.
Trop peur qu’il se moque d’elle.
Trop peur qu’il l’envoie bouler.

« Tu passes pas une bonne soirée ? », elle demande, un peu compatissante.

ref fringues:

Même animée des plus nobles sentiments, Glitter a conscience de lui faire une faveur. Bien sûr, elle aimerait mieux faire preuve d’une générosité désintéressée et spontanée, être quelqu’un de bien parce que c’est normal. Mais elle a toujours cette pointe de satisfaction dont elle a un peu honte, qui lui dit qu’elle a bien agi et qu’elle peut être fière.

Alors quand elle sent le regard de Sinner la jauger, la balayer de haut en bas, la bouffée de tendresse laisse place à une légère crispation. Il n’a rien dit encore mais elle SAIT ce qu’il pense.
Si elle anticipe sa pique, il jouera les indignés. Mais si elle laisse faire, et qu’il le dit, alors qu’elle l’a vu venir… elle va vriller.

« Toi en revanche, t'avais l'air de plutôt bien t'éclater avant de venir ici, quelle mouche te pique ? »

S’il y a pensé, il s’est ravisé. Sinner a le regard fuyant et la répartie faible. C’est pas bon signe, ça.
Pour la commodité de la conversation, elle choisit pourtant de se concentrer sur la partie où il insinue qu’elle est pas du genre à s’éclater.

« Comment ça ? Je m’amuse… C’est… une boum, quoi. Tu sais… » Elle lève les bras, les balance en se dandinant ridiculement. « C’est ce que font les gens à une boum. »

Enfin. Pas lui, apparemment.

« … La soirée est finie pour moi je pense. J'y retournerai pas.
— Hein ? Pourquoi ?
— J'ai pas aimé ce que j'ai vu là-dedans. »

Glitter arrête de danser, elle se sent un peu stupide maintenant. Toute à sa bonne humeur, elle n’a pas fait le lien – pourtant évident – entre Sinner et les récents événements.
Certes, Apache l’avait cherché, et il les avait sans doute trop habitués à ce genre de scènes pour qu’elle verse une larme. Mais quand même. L’altercation avec Scar avait été d’une rare violence, au point qu’elle n’aurait pas su qui défendre. Une fois les deux coqs séparés, elle était vite passée à autre chose.

Mais pour Sinner, c’est un peu plus personnel. Trop pour supporter une opinion aussi nuancée que la sienne. Il tient encore à lui.

La Sainte risque un regard vers ses amis qui n’ont pas l’air de l’attendre. Elle peut bien rester, qui s’en soucierai ? Glitter se laisse tomber aux côtés de son frère, arrange ses jupons sur ses genoux pour ne pas risquer de montrer sa culotte.

Quand elle lève le nez, il lui tend une clope.

« Oh ! C’est gentil, je fume pas. Et y’a ta salive dessus. »

Dans un monde où il y a moins de clopes que de fumeurs, Glitter a conscience qu’il lui fait une faveur. C’est un beau geste, sûrement lourd de sens, mais ce n’est pas pour elle. Alors comment pour se rattraper, elle décide d’en faire un aussi.

Se penchant vers lui, elle lui glisse petit coup d’épaule amical :

« Tu es très élégant. »

Mais comme elle ne peut pas s’empêcher de saborder :

« Enfin, c’est pas mon style mais c’est très chouette… pour toi… »

Y’a pas à dire, elle est nulle.

Habitué à ces compliment, semi-flatteur et sous-conditions, Sinner n’est pas vexé. Au contraire, il a tendance à prendre ce genre de piques pour une invitation :

« Je me disais plus ou moins la même chose de ton look tout à l'heure... Mais, eh... merci. T'es pas mal du tout non plus... à ta façon. »

Glitter plisse les yeux, ses lèvres s’étirent en une moue qui semble dire : fair. A ce stade, elle ne peut pas le prendre personnellement. En plus, il n’y est pas allé fort.
… Ce qui est assez suspect pour qu’elle soit intriguée.

Assise à côté de lui, Glitter se surprend à l’observer. Elle lui trouve un air mélancolique, surtout quand son regard se perd dans le vague tandis qu’il exhale un nuage de fumée nauséabonde. La Sainte se demande bien ce qui peut le déprimer à ce point. Bien sûr, les raisons ne manquent jamais. Sinner est un rabat-joie, souvent isolé, ou mal accompagné. C’est aussi parce qu’il lui fait un peu pitié qu’elle regrette de ne pas s’entendre avec lui.
Ça serait tellement mieux pour eux. Mais il est trop chiant.

« … Il a dû se faire mal vu comme il s'est vautré. Nan ?
— ¿ Quién ? »

Comme elle suit la direction de son regard, le sien tombe sur les dernières traces d’une bagarre toute récente. Très vite, le puzzle se reconstitue dans sa tête. Très vite, elle sait. Et elle n’aime pas du tout.

« Oh noooon… », elle soupire, roule des yeux, tourne vers lui une face réprobatrice. « Très très mauvaise idée. »

Il ne va pas aimer ce qu’elle va dire mais à quoi il s’attendait en lui faisant savoir ses intentions.

« A chaque fois, c’est pareil. Tu y vas, il te traite comme une mierda mais t’y retournes. »

Elle ne comprends pas cette pulsion autodestructrice qui le pousse à s’entourer de parfaits connards.

« Piensa con tu cabeza, hermanito. No necesitas más problemas, lo que necesitas es una buena noche de sueño. »

Pourquoi elle n’a pas anticipé ce revirement brutal mais attendu ? Tout en Sinner transpire l’hostilité tandis qu’elle pointe du doigt toutes ses mauvaises décisions. Peut-être est-elle trop prise par ses explications pour faire attention à ses réactions. Peut-être qu’elle ne le regarde même pas quand elle lui parle, trop sûre d’elle et de son bon jugement pour s’inquiéter des dégâts.

Parce qu’à cet instant, Glitter est persuadée de deux choses : elle dit la vérité et elle lui rend service.
Mais rien n’est jamais aussi simple et la réalité est sur le point de lui faire sa piqure de rappel.

« Lo que no necesito son tus irrelevantes lecciones morales y tus aburridos consejos. Métete en tus propios asuntos, hermanita. »

Hein ? Mais c’est lui qui a mis le sujet sur le tapis ! D’instinct, elle se recule un peu. La Sainte lui lance ce regard médusé qu’elle laisse parfois échapper quand il lui parait dingue. Et là, elle le trouve instable, et franchement désagréable.
Elle avait cru bien faire en le mettant en garde. C’est crève-cœur de le voir faire n’importe quoi et se blesser bêtement. Mais ça ne sert à rien d’aider ceux qui ne s’aident pas eux-mêmes. Franchement, qu’est-ce qu’elle croyait ? Qu’il se remettrait en question ? Qu’il apprécierait sa sollicitude ? Elle se sent ridicule d’y avoir songé.

« Si c'est tout ce que tu as à dire, je pense qu'on peut s'arrêter là. »

Non seulement il l’agresse mais en plus il met fin à la conversation. Pas qu’elle ait envie de s’attarder mais c’est d’un frustrant.

Elle se redresse d’un coup, traits tirés par la colère et un œil humide qu’elle a du mal à cacher :

« Si no quieres escuchar lo que pienso, no me preguntes ! Sentía pena por ti. » Elle jette un regard bref en direction de ses amies qui s’amusent un peu plus loin. Elle aurait dû rester avec elles. « Sigue con tus dramas en tu rincón. Deja de joderme la fiesta y la vida ! »

Elle réprime une envie puérile et mesquine de profiter d’être debout pour lui envoyer un coup de pied dans les côtes.