"L'été vient et embrasse l'enfant,
l'hiver vient et le tue. "
[Proverbe estonien]

La salle du Concile résonne d'éclat de voix. Sous les hautes voûtes de flores et de rosées solidifiés par le miellat des vers à soie, les timbres s'écharpent, se fichant dans les murs comme autant de carreaux meurtriers. Stoïque, la Reine écoute ses Haut-Conseillers s'écharper sur la marche à suivre. L'île se meurt : Peter Pan gelé, les Enfants se font rares, leur espèce décimée par les rigueur d'un Hiver sans fin. Que faire contre le verglas et les gelées meurtrières ? Que faire pour enrayer la menace Gargouille qui ne cesse de s'étendre ? Pactisons avec les autres habitants de l'Île ! Jamais ! Ne nous impliquons pas dans leurs querelles insensées !
Chacun y va de son idée, les radicalités s'expriment en oubliant parfois le respect qui doit régner en ces lieux. Obéron, silencieux, masque habilement un début de migraine. Sa lumière est plus ténue qu'à l'accoutumée. Mais en ces temps de grise-mine, qui ne perd pas en couleur et en lumière ? Le Sigisbée glisse une oeillade escamotée à sa souveraine. Il est le seul à discerner sur son beau visage les stigmates d'une certaine lassitude. Son sourire figé lui fait aussi mal que si on lui arrachait les ailes fibre par fibre. Il en oublie son propre état de fatigue.

Lentement, dans le tumulte des colères qui s'exacerbent, des couardises qui s'épanchent, des petites craintes égoïstes, Oberon se lève. Le geste, de prime abord, n'est pas remarqué. Puis les têtes se tournent, par bouquet, tel des colibris aux aguets et le mutisme enrobe à nouveau les dalles du Palais.

- Il semble que nous ne soyons pas en mesure de nous entendre aujourd'hui, fait-il d'une voix calme, sans haussement de ton. C’est un spectacle désolant que de vous voir ainsi divisés. Si mon cœur saigne, je n'ose imaginer ce qu'il en est de celui de notre Majesté.

Un silence file, venteux.

- Je vous propose de formuler vos doléances par écrit. Nul ne sera oublié. Les mots se couchent sur les feuilles lorsqu'ils n'ont que trop bataillé. N'est-il pas, Ô ma souveraine ?


Obéron se tourne alors vers Mab et s'incline avec un respect immense, imité bientôt par ses homologues. En se redressant, sans doute un peu trop vivement, un étrange tournis trouble ses perceptions. Obéron s'appuie discrètement sur le rebord de la table du conseil, le visage parfaitement composé. Personne ne semble avoir été témoin de cet instant fugace de faiblesse. Le Sigisbée s'en félicite intérieurement...

.... jusqu'à ce qu'il croise le regard perçant de sa Reine.

Les Haut conseillers prennent congé dans une valse obséquieuse de courbettes, laissant Obéron seul avec Mab. Sa bouche s'ouvre un instant et se referme sur du vide. son palpitant est tiraillé par un sentiment cuisant de honte.

- Votre Majesté, souhaitez-vous également que je me retire ?

Me purger de la déception que, sans le moindre doute, je vous inspire...

- Je n'hésiterais pas à vous renvoyer, mon cher ami, si j'avais la certitude que vous prendriez alors le repos qui vous est nécessaire et bien plus que dû.

Obéron cille et déglutit. S'imprime alors sur ses doux traits, une expression honteuse d’affliger ainsi si égoïstement la Reine de ses turpitudes.

- ..Mais je sais parfaitement que ce ne sera pas le cas. Aussi préféré-je vous garder auprès de moi quelques instants encore. Ainsi je ne doute pas que les prochains moments seront, sinon totalement reposants, au moins exempts de nouvelles prises de responsabilités.
- Je suis navré de vous imposer si triste spectacle. Je pensais être moins transparent que cela.
- Depuis combien de temps ne t'es-tu pas reposé correctement, Obéron ? Ou au moins pris quelques instants pour toi ?
- Mab...

Le Sigisbée la couvre d'un regard à la fois tendre et surpris. S'il s'octroyait l'audace de la toucher, il lui aurait pris les mains sans hésiter. Il ne se prive pas de ce genre de familiarité avec d'autres. Sa souveraine et sœur-de-rire est l'objet d'une pudeur qui freine ses habitudes tactiles.

- T'inquiètes-tu donc pour moi ? Tu ne devrais pas. Tu as bien trop à faire pour te préoccuper du simple serviteur que je suis.

Obéron esquisse un sourire pétri de la chaleur de leurs printemps dérobés. Il a toujours ces étincelles d'été dans les paillettes de ses yeux mordorés. La teinte de sa lumière se réchauffe un peu rappelant un champ de lavande bruissant sous le vent.

- Je ne peux pas me permettre de penser à moi quand notre peuple est en péril. Je dois veiller à maintenir la paix relative parmi les conseillers, veiller sur l'Arche-fleur, trouver des solutions à la pénurie d'enfants...

Il pousse un soupir de lassitude qui fait vaciller son aura telle une flamme de bougie prête à s'éteindre.

- Nous n'avons plus eu de nouvelles naissances depuis la fin des pluies. Les rires se font rares et Peter Pan n'apporte plus assez d'âmes enfantines pour nourrir nos forces. Et le gel n'a fait qu'accentuer l’épidémie de Salimorbus. Je ne peux penser à moi en pareilles circonstances, Mab.... L'Obscurité n'a jamais été si proche...

A ces mots, et ce à son grand damne, le Haut-conseiller des Flores est pris d'un vertige qui lui brouille la vision et les sens. Son équilibre chancelle.

La brise est délicate, une caresse enveloppante, promesse de soutien tout autant que de distance. Obéron couvre Mab d'un sourire doux qui s'ourle de mélancolie.

"Si j'avais été Ciel, m'aurais-tu pris dans tes bras ?"

Il chasse cette pensée égoïste et honteuse. Elle est indigne de l'amitié et de la confiance dont Mab l'honore. Il sait mieux que personne comme tout contact physique est une mécanique complexe à mettre en branle pour la reine. Il connait sa propension paradoxale à ne pas pouvoir être tactile aussi spontanément qu'il ne l'est, tel son reflet inversé. Alors, savoure-t-il comme un assoiffé perdu dans les sables du désert, cette main abandonnée sur son derme.

- Justement, mon cher Obéron. C'est dans des moments comme cela qu'il faut penser à soi. Pour le bien-être des autres. Car si l'on s'effondre, qui va nous relever ? Il est de notre devoir de rester debout quoi qu'il se passe.
- Tes paroles sont d'or, comme toujours, mais.. Mais je n'ai plus ce luxe, Mab. Le repos me rend fou ! Je ne peux m'y adonner alors que notre peuple se meurt.

Il s'assoie, pourtant, soudain trop faible pour que ses jambes puissent le supporter davantage.

- Il n'y a rien de tout cela que tu aies à faire seul, Obéron. Tu dépéris à la tâche. Et je ne te laisserai pas faire. Tu n'es pas un sur-fée. Personne ne l'est. Laisse-moi trouver une solution à cette pénurie enfantine.

Une ombre passe dans le regard de sa Majesté. Un voile ténébreux. Un morceau de Silve Obscure dont les branche grincent et crépitent dans les prunelles royales. Lui cacherait-elle ses desseins ? A-t-il perdu sa confiance à ce point ?

- Qu'as-tu en tête ?

Elle élude superbement la question, persistant sur son laïus bienveillant.

- Reprends et concentre tes forces. N'as-tu pas quelqu'un pour te seconder dans la Gouvernance de l'Arche-fleur ? Tu fais déjà tellement pour nous tous...
- Ce n'est pas assez ! déclare-t-il, le front buté, avec une dureté inaccoutumée. Il en prend conscience presque aussitôt les paroles prononcées. Pardonne mon outrecuidance. Puisque telle est ton ordonnance, je trouverais une âme de confiance pour suppléer à mon rôle de gouverneur. Laisse-moi le temps d'organiser cette transmission en bonne et due forme.

Il n'a guère confiance envers les nobles de la cour pour cette tâche. En temps de disette et de maladie, il est parfois nécessaire de se remettre au bon sens de fées de terrain, celle qui n'ont jamais perdu le contact avec la terre. Orge aurait le profil adéquat et cela l'aiderait sans doute mieux vivre la destruction systématique de leurs dernières récoltes.
Un silence passe où se love de nouveau le doute. Le Sigisbée contemple le visage lumineux de sa bien aimée. Toute souveraine qu'elle soit, il lui est impossible de lui cacher la vérité. Aussi cru dans la lumière lui apparaît-il, aussi prompt à déceler l'obscurité qu'elle dissimule est-il capable.

- Que ne me dis-tu pas, Mab ?

Sa main tannée s'est refermée sur celle de sa jumelle-de-rire.
Dans son expression nul jugement, juste la patience de celui qui sait attendre.

"Je suis né comme ton écho,
afin que tu ne sois jamais seule.
Toi non plus."

- As-tu vu le Cocon ?

Obéron prends une inspiration. Son visage se fait grave. Une fois de plus ,sa lumière poudroie d'une couleur différente, un indigo si sombre qu'il en paraîtrait presque nocturne. Comment nier l'existence de pareil phénomène ? Une fois de plus, Le Premier-Né fait peser sur l'île un égoïsme cruel, tant que morbide. L'apanage de l'Enfance. "Gai, Innocent et sans coeur", telle sera toujours la devise du Pan.

- Les Sylvains l'ont créé. Ils ont sacrifié leur entière existence pour laisser une chance aux habitants du Pays de Jamais. Mais ils n'ont pas été les seuls. Afin de construire le Cocon, les Sylvains ont puisé dans l'énergie des rires d'enfant. Un nombre incalculable de fées qui n'auront pas d'occasion d'être, d'enfants qui ne riront jamais. Je l'ai senti, Obéron.

Ses doigts ciselés, si pâles et gracieux, se mêlent à ses phalanges brunes. Lune et Nuit. Ether et écorce. Une peinture magnifique si elle n'en était pas tragique. Le Sigisbée contemple le profil magnifiquement digne de sa souveraine endeuillée. Il sait. Et pourtant qu'y peut-il, lui qui a échoué à protéger la sylve du Croquemitaine? Son impuissance crasse ternit un peu plus son aura. Chaque palabre prononcée désagrège cette foi qui l'animait jusque alors. A-t-il donc également failli à protéger l'intégrité de sa reine ?

- Le fait que Peter ne ramène plus d'enfant sur l'Île n'est pas le problème.

Il aimerait se lever, poser la paume sur ses lèvres, endiguer le flot des mots.
Il aimerait qu'elle ne s'engage pas sur cette voie, dangereuse, qui ne contribuerait qu'à souiller son essence.

- C'est ce Cocon.

Tais-toi, ô mon amour.
Par pitié, ne le dit pas.

-...Qui est à la fois notre salut et notre plus profonde déchéance. Alors... Avais-je vraiment le choix ?

Lentement, Obéron ferme les yeux. Mains jointes autour de celle de son Intouchable, il ploie comme l'herbe fraîchement fauchée. Son front épouse les doigts blancs. Sa lèvre tremble un instant.
Lorsqu'il se redresse pour poser son regard d'or sur elle, c'est avec l'expression d'affliction la plus tendre. Ses teintes sont celles des nuits froides d'hiver, comme s'il venait d'absorber en lui même toute l’opprobre de celle dont il n'est que l'écho.

- Ô Mab... Qu'as-tu donc fait ?

Son coeur de fée, si petit, si contrefait, s'emplit d'un vide abyssale dans lequel il culbute. Au plus profond de lui même, gisant dans les ruines de son Obscurité, le Sigisbée est bien plus heurté par l'abandon de ce contact que par la gravité de l'annonce. Il y a une poignée de secondes, encore, il s’enivrait tel un assoiffé de son essence cristalline. Le manque d'elle se fait puissant, dévorant, et perpétue le poison insidieux de la honte.

Mab se trompe si elle s'imagine qu'il la juge.

Il se fustige simplement de ne pas avoir pris cette initiative avant elle. Le poids de la couronne est lourd, aussi Étincelante soit sa souveraine. C'est lui qui aurait du devancer son choix. C'est lui qui aurait du en endosser la crasse responsabilité. Une fois de plus, il a faillit à son rôle de la protéger. Il n'est pas le vaillant gardien de Phare qu'il s'était imaginé.

Quelle prétention...
Mab n'a nul besoin de garant.
Elle est sa propre arme, et sa propre armure en même temps.

Obéron écoute le constat qu'il a lui même exprimé plus tôt. Toutefois, il se montre surpris de la voir partager ses réticences face à Peter Pan, face à la race toute entière qui l'a commis et les représentant qui peuplent leur île. Il déglutit, puis prend une lente inspiration. Il puise ce qu'il lui faut d'énergie pour se lever et la rejoindre à la fenêtre. La neige lui évoque la cendre de l'écorce incendiée et les branches nues de la Sylve qui ne refleurira jamais. Le Haut-Conseiller se tient coi, ne coupant ni ne cueillant jamais son verbe, respectant l'éloquence de chaque phrase et jaugeant le poids de chaque mot.

- J'ai contacté la doyenne suprême des Sirènes et le Ténébreux Seigneur du Domaine d'Halloween. Séparément, nous sommes tous en train de dépérir. Ensemble, nous avons les moyens de trouver une solution.
- As-tu songé également à un rapprochement avec le Bourgmestre des Fabuleux ? Le Roi des Singes ? Peut-être devrions nous également rassembler les Légendaires encore en vie pour un conseil élargi de Crise. J'ai également ouïe dire que les habitants de la contrée des Monstres s'était trouvé une sorte de Leader. Peut-être n'est-ce là qu'un racontar, mais cela mérite peut-être d'être exploré. Plus nous auront d'alliés solidaires, mieux ce sera.

Son ton est égal, ses propositions constructives. Si jamais son bras droit a pu concevoir des doutes quand à ses actions, Mab ne le saura jamais. Les yeux fixés au loin, la beauté de son nez aquilin se découpant sur la lumière lactée de l'Hiver, Obéron projette son regard vers l'avenir.
Un futur qui lui semble possible à présent.

- Mab, je suis ton allié le plus précieux. Si tu veux que je puisse t'aider et te servir au mieux, il ne tient qu'à toi de partager tes plans. Pourtant lorsque son visage souligné d' arabesques lunaires se tourne vers elle, c'est pour en révéler toute la mélancolie. Ne suis-je... plus digne de confiance ? souffle-t-il avec une pudeur douloureuse.

Suis-je à ce point indigne de toi ?

L'éclat de colère surprend Obéron, qui contemple, médusé, sa souveraine s'offusquer. Jamais il ne l'a vue afficher pareil trouble. Le marbre, dont elle est d'ordinaire façonné, est érodé par le doute. Il s'effrite presque sous ses yeux.

- C'est en moi-même, que ma confiance se perd.

La vérité se dévoile avec une clarté aveuglante et crue. Le Sigisbée ne peut qu'être subjugué par un tel courage. Il faut une certaine force de caractère pour affronter ainsi sa propre déconvenue sans ciller.

- Mab... souffle-t-il avec douceur. Son aura violine caresse les scintillements pailletés de la reine.
-...Mais tu es toujours là pour me rassurer, me soutenir et me convaincre du bien-fondé de mes décisions, quand bien même tu n'approuverais pas totalement.

Obéron sourit avec une chaleur qu'il puise du fond de son cœur. Il se contente d'acquiescer sans mot dire. Le verbe royal s'écoute sans obstruction, aucune. Celui de sa plus précieuse amie, d'autant plus. La suite, pourtant le désarçonne.

- Je ne pourrais diriger notre peuple sans toi, Obéron.
- Mab ..!
-...Alors, ne laisse plus jamais un tel doute s'emparer de ton esprit.

L'esprit comme le palpitant bouleversé, il brûle soudain d'un pourpre fiévreux qui se dissipe peu à peu, ramenant la maitrise froide du lilas dans le chatoiement de ses ailes.

- Tu as ma promesse..., déclare-t-il avec le sourire composé mais le regard miroitant de l'or que l'on fait fondre.
- Parfois, je souhaite simplement te protéger à mon tour.
- Tu l'ignores sans doute, mais tu t'acquittes de cette tâche, chaque jour que les Esprits nous accordent, chaque instant que l'île nous permet de vivre l'un à côté de l'autre.... Ta lumière me sauve encore et toujours de l'Obscurité.

Mon amour pour toi me consume,
comme il me maintient debout.

- Tu n'as pas besoin de moi, Mab, néanmoins.... Je suis infiniment touché que tu le penses. Infiniment touché..., répète-t-il très ému.

Il aimerait avoir l'audace d'initier un nouveau contact, de frôler cette joue pâle et veloutée, peut-être même d'oser l'impudence d'une étreinte affectueuse. Il n'en fera rien : sa courtoisie et son respect l'en préserve. Ses habitudes tactiles se meuvent en réserve pondérée lorsqu'il côtoie l’Étincelante.

- Parle-moi en détail de ce que tu projettes d'accomplir. Je ne sais que penser de la doyenne des Sirènes, mais je me défie du Ténébreux. C'est une engeance du domaine d'Halloween et du Croque-mitaine. Cependant, j'ai foi en ton jugement : Si tu décrètes cette alliance fructueuse alors, à moi d'en servir les intérêts au mieux.

Est-ce les mots réconfortants de sa Soeur-en-Rire ou la perspective d'une issue à cette hiver sans fin qui revigore le Haut-conseiller ? Il parait ravigoté, et bien loin de son épuisement d'alors.

- Je serais toujours là pour toi, Mab. Nous avons éclot ensemble et je ne m'éteindrais qu'à ta suite. Ainsi est notre destinée.

Tu ne seras jamais seule,
Ô mon aimée,
Ne l'oublie pas.

- Océane est une vieille amie. Et rien ne lui importe plus que le bien-être de ses sœurs. Quant au Comte Dracula, je l'ai trouvé tout à fait charmant. Il possède une verve et un sens des convenances qui manque même à certaines fées de la Cour.
- Le Capitaine Crochet avait la réputation d'être un gentleman raffiné, il n'en demeurait pas moins fourbe et parfaitement cruel, objecte Obéron avant de la laisser poursuivre son exposé.
- Les enfants de l'Île nous permettent de continuer d'être, mais depuis le Cocon les fées n'ont plus le moyen de venir au monde... Je voyais difficilement comment régler cela depuis l'Ordinaire, alors j'ai tenté de réfléchir à une solution ici, au Pays de Jamais.Les Sirènes ont le même problème. Leur accès à l'Ordinaire étant coupé par le Givre, leurs moyens de subsistance s’amenuisent à grande vitesse. J'ai donc pensé qu'Océane serait prompte à accepter un accord qui leur permettrait de retrouver une source de nourriture plus pérenne...Je suis navrée, d'ailleurs. Ta correspondance avec Titania doit également pâtir de cette situation...J'espère qu'elle va bien.
- Ne le sois pas, tu ne portes pas la responsabilité du Givre. Je n'ai plus reçu de nouvelles de sa part depuis longtemps. Je ne peux que le supputer...

Le Sigisbée laisse son regard courir vers les affres de l'au-dehors. De cette fenêtre minuscule, ils n'ont presque aucune visibilité : un brouillard glacé brouille toutes les perspectives.

- Je comprends parfaitement bien ce que tu me dis. Nous sommes isolés et de fait, par la force des choses, notre peuple est frappé d'infécondité. Il nous faut des nouveaux-nés humains : que la fraîcheur de leur premier rire se répercute à nouveau dans le domaines des Esprits. Je m'y entends assez mal en biologie humaine, toutes ces considérations sont bien éloignées de nos modes de vies, cependant j'ai cru comprendre que pour créer un nourrisson, il faut le concours de deux adultes de genres opposés. Comptes-tu négocier avec les pirates restant ou les indiens pour se faire? Par ailleurs, il se tourne lentement vers l’Étincelante : Tu ne m'as pas évoqué les gains du Comte et des siens dans cette affaire....

Croyais-tu que je ne le verrais point ?

- Toute alliance ne prévaut que par un apport mutuel des partis impliqués. Nous avons besoin du rire des bébés humains pour nous reproduire, les sirènes ont faim... Que souhaitent les engeances cauchemardesques ? Et, que s'engage chacun à faire pour obtenir ce qu'il souhaite?

Obéron plante ses prunelles d'or sans détour dans celles de sa Majestée. Il espère qu'elle ne ménagera pas la vérité pour lui. La confiance est comme un diamant précieux : chaque arrête est aussi effilée que coupante.

-...Je n'ai pas l'intention de négocier. Les pirates ne négocient pas lorsqu'ils chassent, mutilent, ou assassinent les nôtres.

Obéron se contente d'un hochement de tête. Il sait sa Majestée capable de la fermeté de n'importe quel souverain. En être témoin lui écrase, pourtant, toujours le cœur. Orange amère, pulpe d'orage. Zeste d'écorché qui asphyxie. Il conserve son émotion fugace pour lui, supplantée déjà par une autre.

- Les humains sont nombreux à traîner plus que de raison dans la contrée des Monstres. Des disparitions sur ce terrain ne seraient pas étranges. ...C'est l'endroit idéal pour bâtir une entreprise de cette envergure. Quant aux gains du Comte...Leurs besoins sont similaires à ceux des sirènes. Si ce n'est qu'ils se nourrissent de sang et non de chair. Océane et Dracula sont parvenus à un accord en terme de... partage des ressources. J'ai offert mon aide pour la construction de l'endroit, l'illusion qui la rendra accueillante ainsi que sa protection et l'impassibilité de son entrée aux non-concernés, en échange de l'assurance de la naissance de nos pairs. Un maigre prix à payer pour la pérennité des nôtres.
- Il sera toujours colossale à mes yeux, Mab.

Ses prunelle d'or caressent la silhouette de plus en plus éthérée de sa souveraine. Il aimerait lui prendre les mains, lui infuser le peu d'énergie qu'il lui reste lui même. Il lui donnerait sa vie s'il pouvait. Il n'en fait rien, prisonnier d'une immobilité cérémonieuse, par trop respectueuse de la reine comme de la fée.

Je t'aime.
Je ne peux pas supporter
d'être l'observateur de ton déclin.

- Comme c'est ironique, tu ne trouves pas ? déclare-t-il avec un sourire aussi tendre que triste. Toi, souhaitant me voir appliquer des conseils que tu ne suis pas toi même...

Il s'attarde sur son beau visage au teint crémeux, sur ses joues de pêche constellées de poussière irisée. Elle est sublime, et cela même au comble de l'épuisement. Survivront-il à cet hiver si rigoureux ?
Il chasse la brutale émotion qui l'étreint, l'apnée soudaine du souffle, le sel au bord des yeux. Une rosée qu'il ne veut pas butiner.
Une inspiration, le regard porté de nouveau au loin.

- J'ai ouïe dire que le Conte n'avait pas la pleine maîtrise de ses terres. Il y a des rumeurs qui pépient ça et là qu'une ombre plane sur son domaine : une créature de sel et d'algues, de chair humaine et de noirceur. Un "sauveur" qui se réclame fils de l'eau et de la terre et qui accueille tous les égarés, les parias, les perdus, quelque soit leur race. Ce n'est peut-être qu'une stupide rumeur, mais elle m'inquiète... Elle séduit ceux que les hautes instances de l'île a déçu face à la menace Orbleue :  O, Dracula, Peter Pan.... Toi.

Obéron déglutit et baisse les yeux.

- Es-tu certaine que ce plan va marcher ? Es-tu assurée que les sacrifices encourus ne seront pas vains, que l'endroit de ta future pouponnière est bien gardée ? Si nous échouons, nous n'encourons pas que notre propre perte. Si cela s'apprend, j'ai la certitude que la foi des habitants de l'Île en la magie, notre magie, s’offrira à d'autres croyances.... Sa voix s'étiole pour mourir dans sa gorge. Ce monde d'après me terrifie... Avoue-t-il non sans honte. Il est si sombre, si calciné...

Une Silve Obscure à tout jamais...