Mécontente, Aphrodite contemple le dernier rouge à lèvre qu'elle entame. Elle n'aura plus de réserve après celui-ci.

Un coup d'oeil au reste de son maquillage et elle constate que sa réserve de noir aussi s'épuise... ces pigments viennent tous deux de la même plante. Une plante délicate afin de garder un parfait rouge ainsi qu'un noir profond, il est nécessaire de la prendre entière en respectant la terre vaseuse qui l'entoure à l'origine. La Belle a coutume de la garder dans sa chambre et de s'en occuper. Jusqu'à ce que le spécimen ne meurt. Là, une nouvelle excursion s'impose.

Terminant son maquillage, la Mère des Raccommodeurs se tourne et avise le pot qu'elle a vidé il y a peu. À la mort de la plante précédente. Elles ne durent pas si longtemps en dehors du marais, mais assez pour ne faire de ces "aventures" que des épisodes rarissimes.

Elle entoure le pot de ses mains délicates, et soulève l'argile solide. Malgré le diamètre encombrant, l'objet est relativement léger.

Il va lui falloir une aide.

Et une Mère a bien le droit de demander à ses enfants de lui apporter des mains en plus.

Surtout aux garçons. Qu'ils se rendent utiles bon sang.

À la Mercerie, elle a balayé du regard chacun des siens... et après le repas qu'elle a soigneusement préparé, Aphrodite s'est approchée d'un Raccommodeur exemplaire dans le calme.

- Loner, mon petit, j'ai besoin de toi aujourd'hui.

Une main sur l'épaule, elle a donné ces mots d'une grande douceur mais le regard trahit une sévérité incomparable. C'est un ordre.

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Ils ont marché un moment, et doucement, en suivant la rivière, le paysage change enfin. Aphrodite affiche un sourire satisfait, veillant à ce que sa robe reste bien propre. À ce que ses cheveux restent bien coiffés...

Un regard à Loner :

- Bien, nous arrivons enfin. Tu vas devoir prendre ce pot dorénavant.

Et elle lui tend le récipient d'argile.

- Nous ne voulons pas que ma robe soit salie ou abîmée, n'est-ce pas ? Que dirait Pit sinon ? Il a eu du mal à se procurer la soie que je voulais.

La douceur demeure dans ses mots, comme si elle se soucie de faire de la peine. Alors qu'il n'en est rien.

La fleur rougeoyante est bien plus loin dans le marais, mais ici... Aphrodite doit déjà prendre garde à la boue et aux racines.

Docil, docil, Loner. Sourire satisfait lorsque le brave petit raccommodeur exécute les ordres de velours.

Aphrodite marche glissant entre les obstacles, rien n'a eu raison de sa sublime robe. Aucune autre mère n'a droit à cette qualité, aucune autre. La Belle rayonnera entre toutes les mamans du Grand Arbre et bien entendu le roi finira par trouver toutes les autres beaucoup trop fades pour son monde.

Les yeux ne se retournent sur le Planqué que lorsque celui-ci fait entendre un bruit étrange, comprenant que quelque chose se passe. Mais rien de bien grave. Juste de la boue. Les pauvres garçons fragiles, pliés de douleur pour une piqûre d'aiguille. Alors qu'une femme saura affronter la chair pourrissante en elle, elle saura continuer de faire son devoir. La Nature même semble entrainer les dames dans des cycles visant peut-être à les préparer à rire des pauvres faibles du véritable sexe faible. Si faibles qu'ils ont cherché à étouffer les déesses.

Ils ont eu raison. Après tout. Elles sauraient si bien empoisonner ces plats qu'ils ne savent même pas cuir.

Allons, allons... La Belle est une bonne mère. Elle veille sur son petit, malgré le rude devoir qu'elle vient de lui poser sur les bras. Un petit sourire amusé naît enfin, alors que le chemin reprend.

Elle chantonne, en avançant.

Doucement, elle sent ses souliers s'enfoncer un peu plus.

- Oh, nous arrivons enfin sur le sol que ma plante préfère.

Petit rire distingué, alors qu'elle remonte les pans de sa robe. Elle noue un noeud sur le côté afin de raccourcir la jupe. La pointe du poignard brille d'un éclat rassurant de propreté.

- Je connais le chemin, ne t'éloigne pas trop mon petit.

Le regard posé sur Loner, comme celui d'une mère donnant un ordre féroce mais vêtu de douceur.

Puis, la boue dévore la chair aussi blanche que la neige gourmande jusqu'aux mollets. La progression est un peu difficile, cependant des îlots de terre plus rigide permet de souffler. Aphrodite ne prête pas attention aux ombres, aux mouvements dans les branchages. Elle continue son parcours, aussi sereine qu'une reine dans son jardin indomptable.

Le pas ralentit, et la Belle se retourne afin de surveiller l'avancée de son raccommodeur.

Devrait-elle un jour ennuyer des sentinelles plutôt que ses enfants ?

Pourquoi ne pas piocher dans les réserves d'Angelina ? Une autre fois peut-être échangerait-elle quelque chose contre un de ces imbéciles ?

À voir.

Elle le note dans un coin de sa tête couronnée de fleurs rouges pour l'occasion.

Délicatement, elle écarte une plante plongeante et dévoile un genre d'île entourée d'eau brune et épaisse. C'est un peu loin, mais la mère peut distinguer le rouge vif de la fleur qu'elle convoite.

- Loner, regarde. Tu y es presque.

Un sourire au Planqué alors qu'elle pousse doucement le pot de côté afin de voir le visage de son petit.

- Tu vas y aller. Sauras-tu m'empoter cette belle plante ?

Elle y veillera. Après tout, qui risquerait de blesser les attentes d'Aphrodite ? Car, tant qu'elle ne sera pas satisfaite... ce ne sera jamais fini.

Bien, son petit s'en va cueillir la fleur aux délicieux pigments. Aphrodite, joint les mains dans une attitude enrobée de contentement. L'humeur se régale de l'obéissance, même celle de ses plus délicats enfants.

Les garçons voient toujours la vie plus difficile à cause d'elle, mais c'est nécessaire. Même les plus doux doivent resté en laisse.

N'est-elle pas une mère parfaite, tous ses enfants sont si obéissants.

Elle contemple la progression, mais quelque chose la dérange dans les remous. D'abord, ce sont des lézards-canards qui sortent de l'eau boueuse. Rien de bien méchant, juste des créatures venues constater le parcourt du garçon perdu.

Le sourire de la Belle s'en est allé durant ce bref moment d'inquiétude, avant de vite revenir en faisant signe à Loner de poursuivre.

Elle lui lance en haussant assez la voix pour être entendue :

- Courage, même quelques animaux sont venus t'encourager !

Un délicat rire amusé s'ajoute aux mots, comme attendri par ces petites bêtes sagement en train de se reposer non-loin.

Le regard de la Mère scrute ensuite le reste de la tourbe, quelques bulles, quelques mouvements communs aux marais, mais néanmoins un peu trop fréquents à ce moment selon elle. Aphrodite, se méfie, elle porte la main à son poignard.

Sans oublier de crier à son petit grand Raccommodeur tout sur le ton maternelle qui se volait doux :

- Ne tarde pas trop~ Mais évite ma droite, l'eau semble capricieuse.

Ne sait-on jamais. Et puis... les marais brumeux ont leur réputation...