Tout était revenu à la normale. Comprenez ici que les petits gamins excités et intenables étaient rentrés au bercail, ainsi que les plus grands gamins tout aussi intenables, et... bref, retour à la case départ.
Bien que, cette fois, le nombre de gamins étant revenus fut inférieur au nombre de gamins partis. Hah ! Eux au moins, les "Résistants" restés à l'Arbre, n'avaient perdu personne.
Cocasse de dire ça, pour quelqu'un qui ne faisait aucun effort pour retenir la tronche de ses petits camarades, même les plus proches.

Il y avait eu de la casse partout, sans exception, aussi bien au niveau humain que matériel.
Et ça, Clover s'en doutait quand même un peu.

- Quand j'pense que le type qui disait "ouais, fais attention et tout" a même pas été foutu de revenir... Tu parles d'un Chef. Il a même pas donné l'exemple. On peut vraiment compter que sur soi-même...

Marmonne l'Artisane en se dirigeant d'un pas lourd mais vif vers le pied du Grand Arbre, chargée comme une mulle. Sa destination ? Le Bois Joli.
Oui, on pourrait trouver mieux comme endroit où se diriger avec une telle cargaison d'outils, mais elle a ses raisons - et l'habitude. Ce n'est pas comme si elle faisait le chemin pratiquement tous les jours, en ce moment.

D'ailleurs, en parlant de Chef...
... Non, rien. Il n'y a rien à dire à ce sujet.
Tout est très bien comme ça, et c'est tout.

Mains aggripées aux lanières de son sac à dos, elle entame son long voyage, le petit contenant en verre lui servant de porte-clé émettant un petit bruit à chacun de ses pas.
À l'intérieur : un petit caillou orné d'un motif d'animal ancien, dont on distingue la coquille.




Clover avait bien fait de prendre une gourde remplie d'eau pour le voyage. C'est qu'en étant chargée comme ça, on a plus tendance à boire... et le poids sur son dos n'était en rien comparable à celui de la veille. C'était bien plus lourd. Il y avait de plus en plus d'outils et machins à l'intérieur de son sac, et au rythme où les choses avançaient, ça n'allait pas s'arrêter de sitôt.
Oui, s'arrêter à l'orée du bois pour s'hydrater un peu fut un peu comme une petite récompense avant le challenge encore plus grand qui allait se présenter à elle.

Se pensant seule (animaux exclus), quelle ne fut pas sa surprise d'entendre son nom derrière elle ! Pivotant juste assez sur elle-même pour voir de qui il s'agissait, l'Artisane remarqua Caroline, qui essayait de la rattraper tant bien que mal.
Elle l'avait suivie depuis le Grand Arbre ? Et pourquoi elle, d'ailleurs ? Qu'elle ne viennen pas lui dire qu'elle lui courait après parce qu'elle n'avait pas fait ceci ou cela.
Elle savait parfaitement ce qu'elle faisait.

– Ah, mais qu'est-ce tu fous là ? Ça y est, ça part une fois en voyage loin du Grand Arbre et ça prend assez la confiance pour voyager seule !

La réprimande la blonde, plus ennuyée que vexée. C'était un peu comme si les rôles s'étaient inversés. Enfin, la Fourmi préférait se dire qu'un rôle aussi ingrat que celui des Mères n'existait pas dans la hiérarchie, raison pour laquelle elle les traitait comme tout autre Perdu - pour leur grand déplaisir.

– Euh, je... je voulais juste te dire merci. J'aurais dû te le dire plus tôt. Désolée.

– Merci ? Pour la remontrance ? T'es une bizarre, toi...

Ricanement, un air goguenard s'affichant brièvement sur son faciès. Seulement après avoir parlé, elle réfléchit enfin à la situation.
Non, elle devait la suivre depuis son départ du Grand Arbre. Les Mères et apprenties ne sortent pas si souvent. Donc, par conséquent, elle devait avoir voulu la remercier pour...

– Mes prototypes ? Tu parles de mes prototypes ? Mah, me remercie pas; c'est les robots qui m'ont convaincue de vous les laisser. Après, bon, si ça vous a été utile... c'le principal.

Au fond, elle espérait que Caroline lui dise "ça a fonctionné du tonnerre et ça chauffait super bien", mais elle n'en attendait pas tant. Elle n'ira jamais se vanter de ses créations, sauf pour ennuyer son monde.
Elle fait juste son boulot. Si c'est bien fait, c'est normal. Si c'est mal fait, là elle s'en voudra. C'est qu'elle ne ne s'est jamais donné - et ne se donnera jamais - le droit à l'erreur.

– En parlant de robots, je vais en voir un, là. Reste à l'écart, il est pas beau et il fait peur.

Jugea bon d'ajouter la blonde, tout en se mettant en route. C'est que son patient n'attendait pas.
Puis, elle fit, un peu plus bas :

– C'est c'que disent les autres à son sujet.

Clover s'était souvent sentie différente des autres pour son adoration des animatroniques. Dans le Monde Ordinaire, elle avait toujours été la petite gamine qui s'approchait des robots de chez Showbiz Pizza Place sans les craindre.
Plus grande, elle avait voulu les étudier, comprendre comment il était possible de le faire fonctionner. Elle aurait même voulu faire son propre animatronique... mais on ne lui laissa ni le temps, ni l'occasion.
Et maintenant, elle était condamnée à ne jamais en programmer un et devait se contenter de les rafistoler comme elle le pouvait.

Comme elle le pouvait.

Ses pas l'avaient conduite à une partie du Bois Joli où il était facile de confondre un arbre avec un autre, tout aussi similaire. Pourtant, Clover, par la force de l'habitude, savait parfaitement se repérer dans ce coin précis.
C'est là qu'Il se trouvait.
Là bas, au pied de l'un des arbres, caché sous une bâche protectrice.
Rounard.

Des fois, il y a des petits gamins qui décident sur un coup de tête que se mêler des affaires des plus grands, c'est quand même vachement drôle. Alors ces fois-là, les petits gamins en question avaient eu la merveilleuse idée de suivre Clover, qui leur avait justement ordonné de faire le contraire.
Et là, ça recommençait avec Caroline. Elle lui a demandé de ne pas la suivre, et la voilà maintenant en train de trotter à ses côtés. Ce fut donc avec un soupir plus ennuyé que réellement énervé - une nouvelle fois - que la Fourmi avait continué son chemin.

– Ça nous a été bien utile, oui.

– Mmmh.

L'approbation sonne un peu désintéressée, mais au fond, l'Artisane jubile : ses créations ont donc bien servi ! Les poêles avaient donc de beaux jours devant eux.
Qui sait, peut-être pourrait-elle en faire des versions miniatures, à moins qu'ils n'installent carrément un brasero au pied de l'Arbre, pour les fêtards qui voudraient rester le soir au coin d'un feu à se raconter des histoires nulles de fantômes, ou un truc du genre.

– Pour être honnête au début ça m'a un peu mis en colère que tu aies apporté ça, mais c'était parce que... parce que j'étais inquiète pour les gens restés à l'Arbre, dont toi, et j'avais peur qu'en faisant quelque chose pour le Camp ça prenne sur des ressources dont vous aviez besoin.

La blonde lève les yeux au ciel avec une exclamation de protestation. De quoi la Fouineuse se mêlait-elle ? Elle connaissait ses stocks par cœur, et c'est bien ça qui lui a permis d'en faire autant, des poêles !
Il y en avait combien d'ailleurs, en tout ? Trois, quatre ? Est-ce qu'un amateur qui ne sait pas gérer ses stocks pourrait en faire autant, hein ? Elle en doutait.
Et elle s'apprêtait à le faire remarquer à la Mère apprentie quand...

– Mais là tu me parles de robot qui fait peur, tu veux dire pire que Rounard ?

Le brusque arrêt de Clover fit danser le contenu de son sac en un tintamarre métallique. Accrochée à la fermeture, la breloque tinta.
Les yeux un peu plissés par la méfiance, l'Artisane regarde, pour la première fois aujourd'hui, la brunette dans les yeux :

– Tu connais le vieux Rourou ? demanda-t-elle d'un ton méfiant. Comment ça se fait ? Depuis quand ?

Le vieux robot avait beau être du genre ronchon, il avait beau avoir fait des erreurs qu'il regrettait amèrement, mais il n'en restait pas moins bavard et étrangement chaleureux. Probablement que le temps où il amusait la galerie lui manquait.
Oh, pourvu que Caro n'ait pas fait copain-copain avec lui. Elles n'étaient plus qu'à quelques pas de lui maintenant, mais vu son état, elle allait être déçue...