Les paroles d’Obéron, aussi douces et sincères soient-elles, nourrissent chez Mab une culpabilité douloureuse. Ne peut-il pas se contenter d’acquiescer, sans laisser sous-entendre la souffrance qu’elle lui inflige par sa distance ? Ne sait-il donc pas, depuis le temps, que c’est uniquement un choix de raison ? N’a-t-il pas compris que ces instants hors de tout sont autant de déceptions et de regrets qui s’accumulent dans son esprit lorsqu’il se terminent ? Alors pourquoi continue-t-il toujours de le quémander ainsi, sachant qu’elle ne pourra ni ne saura jamais totalement les combler ?!

La triste et coupable colère de la reine s’estompe cependant dès qu’elle sent ses doigts se mêler aux siens, geste qui l’apaise bien plus qu’il ne le devrait, elle qui repousse tacitement tout contact. Évidemment qu’il pourrait. Qu’il sait. Qu’il comprend. Pourtant, il continue, pour une raison qu’elle se refuse à accepter. Parce qu’elle chamboulerait tout, une fois de plus.

Alors, Mab ne fait que soupirer doucement en répondant enfin à la question qu’on lui a retournée.

« Mieux. »

Elle sera celle qui se contente d’acquiescer, celle qui laisse sa raison les guider tous les deux, celle qui a compris depuis bien longtemps déjà que permettre à déceptions et regrets de s’accumuler n’est jamais la bonne solution. Et pourtant, elle sera également celle qui continuera d’offrir quand elle le peut, à la lueur de ce qui lui est possible de ressentir.

La reine cède à la quiétude de l’instant, fermant insensiblement les yeux en sentant la caresse sur sa joue. Elle les rouvre cependant en sentant la pression qui lui fait lever la tête. Dans le regard noisette de l’Étincelante vibre une multitude d’émotions, trop nombreuses et rapides pour qu’elle ne les ressente pleinement. La Crainte ressort brièvement alors que l’instant se prolonge, sans qu’elle ne sache la suite que son Frère-de-Rire va décider de donner. Puis, ce qu’elle lit dans ses doux yeux lavande la soulage autant que cela l’attriste, laissant percer une Mélancolie qu’elle ne montre presque jamais. Une bien étrange inversion des rôles.

Mab ferme à nouveau les yeux, laissant les lèvres du Sigisbée se poser sur son front sans la moindre lutte. Elle ne se défera pas elle-même de l’étreinte. Aussi cruel cet aparté puisse-t-il lui sembler, aussi rudes puissent lui apparaître les conséquences, elle se promet, à partir de ce jour, de ne plus le repousser si durement.

Elle sent Obéron sortir du lit mais ne bouge pas. Ce n’est que lorsque le drap fait son retour sur ses frêles épaules qu’elle ouvre à nouveau les yeux, pour répondre à son sourire par l’un des siens, tinté d’une nouvelle couche de douceur qui ressemble à s’y méprendre à de l’acceptation.

Mais l’on frappe à la porte et le moment prend fin. Le visage de la reine se tourne vers l’entrée, avec un amusement tout frais garanti autant par les nombreux jours de sommeil que par cette merveilleuse capacité des fées à se laisser envahir par le premier sentiment venu.

Une fois n’est pas coutume, aux yeux de la reine, c’est un don, en cette situation.

« Entrez », annonce donc son Altesse d’une voix calme bien toute guillerette à l’idée de la réaction disproportionnée qui les attend de la part d’une fée qui n’espère certainement pas que la reine réponde d’elle-même au vu des circonstances.