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“La vie est une rose dont chaque pétale est une illusion et chaque épine une réalité.” {Mab & Obéron} Ecfd1a6ccb2efe223c518e9e4ad20c06

Erase darkness 'til the break of day
And I need that fire just to know that I'm awake

Until we go down

Les jours passent. Des éternités d'attente qu'il faut occuper. Le travail ne manque pas. Tant que le Cocon n'aura pas complétement éclos, il faut donner le change, faire croire que tout ira pour le mieux. Les fées ne sont pas faites pour douter. Leurs lueurs éphémères se doivent d'être franches et vives. La vie est courte, si courte.

Nous nous éteignons si vite.
Trop vite.

Le printemps se prépare, Obéron à sa tête. La floraison s'organise tout comme l'espoir à entretenir auprès des Renaissants. C'est ainsi qu'il est venu à les qualifier de lui même en s'occupant d'eux. Ils sont peu nombreux mais totalement perdus. Il faut les instruire, les guides, les initier avant que vienne la cérémonie de leur Nommage. Certains s'acclimatent avec souplesse, d'autres renâclent à la tâche. Il leur faut comprendre leur nouvelle nature. Une fée est habitué au changement : les saisons se succèdent en cycle, les émotions se supplantent les une aux autres, les lumières s'allument et s'éteignent.

Il n'y en a jamais eu qu'une d'immuable.

De tous, Obéron est celui qui discerne le mieux son éclat voilé. Inquiet, il s'est pourtant tenu silencieux, tel une ombre prévenante durant tous ces jours. Doucereuse et terrible torture. La flamme de Mab frôle l'extinction. Il le sait, il le sent dans ses trippes. Le Givre a beau avoir été chassé, une poigne glacé subsiste, persiste à lui étreindre le coeur. Une angoisse sourde l'habite qu'il maquille au mieux derrière des sourires figés.

Si tu tombes,
A quoi tout cela aura-t-il servi ?

Le Sigisbée ravale son anxiété, car il n'est que cela, après tout : un chevalier servant qui doit obéir et veiller à distance. Mab n'écoute pas, elle ne l'a jamais fait, pas quand c'est de son peuple dont il s'agit. "Ta confiance, ta foi inébranlable, ton soutien... C'est tout ce qu'il me faut." avait-elle dit. Alors il lui donne, sans compter, sans rechigner, sans débattre.

Le temps leur est peut-être compté.

La voir s'appuyer sur son sceptre de souveraine pendant la proclamation des nouveaux Noms, affûte les appréhensions du bras droit de la Reine. Il craint à chaque seconde qu'elle ne flanche. Pourtant, elle demeure vaillante, courageux phare dans une Nuit qui laisse enfin place au Jour. Lorsque la cérémonie touche à sa fin et qu'il est temps de se retirer, il insiste pour la raccompagner dans ses appartements à l'abri des regards indiscrets.

Alors, seulement, lorsque la porte se referme enfin sur eux, Mab s'écroule.

- Non !

Son cri fuse, accompagnant sa précipitation. Il s'est littéralement projeté vers elle pour la rattraper avant qu'elle ne heurte le sol. Son aura est si terne, son corps si froid qu'il pense l'avoir perdue.

- Mab.. Ô Mab... Je t'en prie, ne me laisse pas, ne me laisse pas... gémit-il en prenant son beau visage entre ses paumes. Je ne veux pas vivre sans toi. Je ne peux pas! Je suis incomplet...

Les larmes brouillent ses yeux d'or, tombent en pluie chaude sur les joues de la souveraine. Il colle son front contre le sien et presse son buste exsangue contre sa propre poitrine. La musique de son coeur résonne, là, juste au dedans, faible mais bien présent. Obéron redresse la tête, comme envahi d'une bouffée d'espoir brut. Il se lève, soulevant l'Etincelante assoupie comme une jeune épousée. Il la dépose dans son lit. Ses cheveux aux reflets multichromes s'étalent comme un gazon soyeux sur l'oreiller. Obéron la borde avec tendresse puis s'agenouille à son chevet.
Sa main inerte dans la sienne, il murmure :

- Dors, Ma chère soeur-de-rire, dors. Même le soleil doit savoir prendre du repos... Je t'attendrais.

Les jours se suivent sans se ressembler. Dans une immense hâte. Depuis le retour des missions dans l'Ordinaire, Mab n'a pas eu une minute à elle. Il lui semble que même ses nuits se passent en réunions, prises de décisions et rédaction de missives en tous genres. Il lui est difficile d'être ainsi sollicitée en permanence, car elle se sent décliner. Pourtant, elle fait de son mieux pour n'en rien montrer.

Le Givre n'a pas été sans impact pour la Reine des Fées. Seule réserve de magie de l'Île, unique rempart contre la progression des Orbleus après la défaite des Mythes, elle s'est drainée plus que de raison pour permettre de gagner quelques précieuses batailles. Avec l'évolution du Cocon, tout d'abord. Dans les Ruines, ensuite. Et enfin, cette ultime partie de quitte ou double, dans l'Ordinaire.

Au prix d'un effort conséquent, nombre d'habitants du Pays de Jamais, qu'ils soient humains, créatures ou autres, ont reçu une apparence de fée, afin d'aller récolter les rires qui ont permis de donner au Cocon l'énergie qui lui manquait. A l'heure actuelle, la chrysalide de Peter est encore en transition. Mab a demandé à Tison de garder un œil sur sa progression pour elle. Elle ne peut malheureusement pas le faire elle-même. Heureusement, la Gigue est un sujet de confiance, qui s'est aussitôt investi dans sa tâche. Elle sait qu'il lui fera parvenir la nouvelle dès le moindre changement.

De nombreuses tâches sont menées en très peu de temps : accueillir les retardataires, leur annoncer leur changement immuable (certains ont bien plus de mal à l'accepter que d'autres), les aider dans l'approche de leur nouvelle vie. Là-dessus, Mab peut compter sur le soutien d'Obéron. Infaillible, comme toujours. Elle sait que sa bienveillance et sa douceur seront des plus utiles auprès de ces -parfois doublement- déracinés. Elle lui en est profondément reconnaissante : elle n'a ni le temps ni l'énergie d'accorder à ces nouvelles ouailles l'attention qu'elles méritent. Evidemment, elle s'entretient du mieux qu'elle peut avec celles qui le demandent. C'est d'autant plus difficile de supporter la détresse de certains maintenant qu'ils sont devenus membres de son peuple à part entière, mais une Reine ne se défile jamais.

La gestion des affaires internes s'accumule, puis vient le temps de la Cérémonie de Nommage. Il s'est probablement passé quelques jours depuis leur retour, pourtant Mab a l'impression que tous les événements n'ont eu lieu que lors d'une longue et interminable journée. Elle sent le moindre de ses muscles la tirailler, de ses pieds au bout de ses ailes, qui battent bien moins rapidement que d'ordinaire. Si son regard ne reflète pas l'éreintement qu'elle ressent, la migraine ne la quitte plus depuis son entrevue avec Clarté. Elle parvient presque à l'ignorer, tant elle semble devenue habituelle.

Assise dans son trône, elle a prononcé son discours sans laisser traîner la moindre trace de fatigue dans sa voix. Elle a eu une discussion avec chacune des fées qu'elle a nommées, a tâché de répondre de la manière la plus simple qui soit à leurs sollicitations. Elle s'est excusée plusieurs fois, également. Si elle ne regrette pas le moins du monde d'avoir de nouveaux sujets, elle sait que l'adaptation est difficile pour beaucoup. Elle aurait tellement aimé leur éviter cette épreuve.

La Cérémonie n'est terminée que depuis peu quand Sa Majesté décide de se rendre dans ses appartements. Obéron tient à l'accompagner, et elle ne cherche pas à le dissuader : elle sait que ce ne serait pas raisonnable. De plus, son Bras Droit est certainement le seul capable de voir sa fatigue pour ce qu'elle est réellement : un épuisement considérable, qui l'amène à lutter à chaque pas.

Ses ailes ne la portent plus, depuis un moment déjà. Mab marche doucement, toujours avec un port droit et fier qui respire la noblesse. Ses pas s'accompagnent d'un sceptre, symbole qu'elle n'apprécie que peu mais qui lui est devenu essentiel : il lui permet d'assurer sa prise, de ne pas s'effondrer au milieu d'un couloir.

Au fond, elle n'est pas certaine de réussir à masquer sa défaillance aussi bien qu'elle le souhaite.

Le trajet jusqu'aux appartements royaux se fait dans un silence étrange. Mab n'a pas la force de faire la conversation, et elle sent une sirène d'alarme parcourir l'ensemble de son corps : ce n'est pas ainsi qu'elle doit être. Une Reine ne flanche pas.

Mais, parfois, derrière des portes closes, une Reine peut se permettre d'être une simple fée.

Il lui semble avoir tiré jusqu'au bout de la corde de son endurance pour atteindre sa chambre. La porte est à peine fermée derrière eux qu'elle s'effondre, incapable de faire un pas de plus. Ce n'est pourtant pas le sol qui la réceptionne, mais une étreinte qu'elle reconnaîtrait n'importe où.

Sa dernière pensée avant l'inconscience est pour Obéron, qui doit se faire un sang d'encre.

-

Le noir. C'est une couleur qu'elle n'a jamais particulièrement affectionnée. Comme tant d'autres choses, cependant, elle la sait nécessaire. L'équilibre du monde est ainsi fait. Plongée dans cette absence de lumière, l'Étincelante tente de reprendre la conscience d'elle-même. Peu à peu, elle distingue la sensation de ses ailes, de son corps allongé. L'un de ses bras repose sur sa poitrine. L'autre est tendu vers l'extérieur, elle sent une source de chaleur entourer sa main. Une lumière chaude et apaisante vers laquelle elle a envie de se diriger.

Ses paupières papillonnent. Elle n'est pas certaine d'avoir la force d'ouvrir les yeux. Sa tête tambourine comme un essaim d'abeillicieuses, elle se sent fiévreuse et elle est presque certaine de sentir l'ensemble de son corps tanguer. Pourtant, elle essaie.

Son regard flou se dirige aussitôt vers la source de lumière. Cette lumière pourpre qu'elle reconnaît bien vite. Elle ne lui semble pas aussi forte que d'ordinaire... Est-il endormi ? Prisonniers de sa main, ses doigts bougent légèrement. Enfin, elle s'entend murmurer d'une voix faible.

"Obéron..."

Ses yeux noisettes se referment contre son gré. Elle ne sait pas ce qu'il s'est passé exactement, ni combien de temps s'est écoulé, mais visiblement pas assez. Elle lutte cependant pour ne pas retomber directement dans le sommeil.

Sa main continue de chercher à serrer la sienne.

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Lâcher cette main pâle et nacrée lui est impossible. Il s'y refuse et le fait ardemment savoir. Le fae veille sans relâche, espérant un réveil qui tarde à venir. Personne n'ose alors déloger le cerbère aux ailes zinzolin qui veille avec la quiétude d'une statue sur sa souveraine bien-aimée. Il ne quitte son chevet que par necessité, lorsqu'il lui faut tenir un conseil improvisé dans l'anti-chambre de la reine afin de gérer les conséquences immédiates de son évanouissement. Boréal est d'un appui sans faille et prend le relais du Bras-droit Royal pour lui permettre de se dévouer à sa tâche tout entière de Sigisbée. Verglas le remplace à l'éducation des nouveaux-faes, ce qui le soulage momentanément de cette responsabilité.

Il n'a d'yeux que pour Mab.

Les domestiques lui ont installé un fauteuil en moelleux de rhododendron et d'hortensia, et une couverture de propolis tissé, afin qu'il puisse demeurer sans inconfort aux côtés de sa moitié. Parfois, Ciel s'invite timidement à l'embrasure de la porte. Alors seulement, Obéron consent à lui laisser sa place. Le plus souvent, le jeune prince se glisse dans le lit royal pour se blottir contre le corps inerte de Mab, comme un tout petit bourgeon, et Obéron veille à leur sommeil à tous deux. Bien qu'il nourrisse des sentiments ambivalents pour le Lorialet, il ne peut s'empêcher d'éprouver la même peine que lui. Leur Belle-aux-Bois-Dormant leur manque infiniment.

Près d'une semaine s'écoule ainsi, dans une attente qui s'étire et se meurt à chaque course du soleil et de l'Esprit-Nuit. La patience du Haut-Conseiller est infinie, mais elle est sertie d'une constellation d'inquiétudes comme la voute étoilée de ces nuitées de printemps revenu. Il n'a pas encore pris le temps de danser pour fleurir clairières et champs de milles coroles multicolores.
Les respirations paisibles de Mab sont son unique ballet.
Obéron parle à Mab, bien qu'il sache qu'elle ne peut l'entendre et encore moins lui répondre. Il lui confie tous ces petit riens qui attestent que la vie a repris ses droits sur l'Île. Il lui évoque les progrès des nouveaux faes, les sempiternelles querelles de Prisme et d'Ether, le dernier trait d'humour inattendu et désopilant de Boréal, les jeux de sa chère Absinthe et de son fat -mais complice- Opium, les trivialités de son Conseil que la flamboyante Flammèche ne cesse d'animer de sa pétillance. Il lui explique que Ciel règne par intérim avec un dignité dont elle pourrait s'enorgueillir, qu'il se montre courageux.
Et puis, parfois, lorsque la lune est haute, que la Nuit étouffe les confessions de songes bien trop doux, il lui susurre qu'il l'aime, comme un fou à la dérive.

- Qu'est-ce que le printemps, sans soleil... Repose-toi , mon amour, mais ne demeure pas trop longtemps assoupie, le peuple a besoin de tes rayons, lui souffle-t-il un matin en baisant son front, alors que l'aube perce à peine au travers des voiles d'araignée, baignant la chevelure de Mab de notes d'or rose.
- Obéron...

Son palpitant manque un battement, ce qui pour une fée est terriblement dangereux. Il pense avoir rêvé mais les phalanges menues qui s'agitent faiblement contre sa paume le démente. Il s'approche au plus près d'elle pour confirmer que la souveraine s'éveille.

- Mab, ma douce amie... Je suis là... M'entends tu ?

Et si tout cela n'était que le fruit de son espérance sans faille ?

Il lui est si difficile de garder conscience. Mab lutte, cherchant désespérément à montrer qu'elle n'erre plus dans les limbes. Peu importe le temps que cela va durer, elle ressent un besoin vital, une sorte d'urgence. Il lui faut rester encore un peu. Assez pour se faire entendre. Assez pour rassurer. Assez pour s'excuser.

Si le noir est tout ce qu'elle peut percevoir, elle sait que l'obscurité n'est pas sa seule compagnie. La Reine des Fées est un être de Magie et elle ressent, quel que soit son état. Les vagues d'inquiétude, d'affection, de tendresse ; les messages au creux de l'oreille, les petits bras qui l'enserrent timidement, la tête d'enfant qui se pose contre sa poitrine... Autant d'émotions qui s'infiltrent au creux de son pouls et qui l'invite à battre, à se battre, encore et toujours. Pour les siens.

Pour elle, aussi.

Mab n'est pas certaine qu'il l'ait entendue. Toutefois, elle le sent s'approcher, superposant sa douce lumière à la lueur du soleil perçant par la fenêtre. Sa main cesse ses mouvements, simplement pour concentrer l'énergie qu'elle tarde tant à récupérer sur les tintements délicats. Un faible sourire se dessine sur le visage de la souveraine.

"Je t'entends..."

Sa voix est légèrement plus assurée que précédemment. Les paupières pâles papillonnent à nouveau, le regard noisette tente de se fixer dans celui de son Frère-de-Rire, dont l'inquiétude et l'espoir sont si palpables pour la magie de la reine.

"...Pardonne-moi. Je ne te rends pas la vie facile..."

Sa main libre se lève doucement pour se poser sur la joue du Sigisbée, qu'elle caresse du bout des doigts avant de retomber sur le lit. L'effort paraît moindre et pourtant Son Altesse laisse échapper un soupir.

"Obéron, je suis si fatiguée..."

Elle ne veut pas l'inquiéter plus que de raison, mais elle ne peut pas se permettre de ne rien dire. Déjà, elle sent qu'elle ne va pas pouvoir tenir beaucoup plus longtemps.

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- Je t'entends...

Obéron est secoué d'un rire étranglé. Ses grand yeux d'or se gorgent de pluie. Sa lumière se fait plus vive et colorée, tirant le violet terne et froid de ses ailes vers un lavande tout en splendeur parsemé de quelques notes de pourpre. Ravissement et soulagement se disputent l'hégémonie de son coeur. Mais c'est l'Espoir qui l'emporte finalement et la Joie incommensurable de retrouver l'être aimé.

- Tu es réveillée ! L'Île et ses Esprits soient loués ! J'ai eu si peur...
-...Pardonne-moi. Je ne te rends pas la vie facile...

La caresse sur sa joue fait étinceler de lumière les sillons marbrant ses joues brunes. ses prunelle pétille d'un miroitement aqueux et très doux. Il rattrape cette main fragile qui s'égare sur les draps pour la garder pour lui. Egoïstement. En cet instant de profonde intimité, il oublie le protocole, il met de côté sa retenue habituelle. Il dépose un baiser léger dans cette paume si fine, si pâle. Sa poitrine se gonfle d'un profond soupir et il lui offre un tendre sourire.

- Tu ne te la facilites guère plus...
- Obéron, je suis si fatiguée...

Sa main dans la sienne, il déglutit. Il la tient contre son torse, tel un oisillon aux ailes fragiles. Elle a l'air si faible, si prompte à se noyer à nouveau dans le sommeil.

- Je sais, ma chère soeur-de-rire...Je sais... Repose-toi, ne t'occupe de rien d'autre.

Porté par le bonheur de la voir éveillée, même pour quelques secondes, il ose ce qu'il ne se serait jamais permis en d'autres temps. Il lui rend sa caresse, ses phalanges dansant sur le velours de sa peau, et laisse ses lèvres abandonner sur son front un autre baiser.

- Je veille sur toi et Ciel sur le Royaume, ne t'inquiète de rien.

Quand bien même il ne se serait pas exprimé par la parole, Mab aurait ressenti le soulagement de son Frère-de-Rire, car il imprègne tout son être. Toute sa magie, qu'il lui diffuse sans forcément s'en rendre compte. Elle ressent, au plus profond de son être, la peur par laquelle il est passé. Elle n'a pas de notion du temps qui s'est écoulé, mais elle sait, au travers de ce soulagement qui pulse, de cette joie si forte, que cela doit faire plusieurs levers et couchers de soleil que le Sigisbée veille sur elle et son coma réparateur. Mab s'en veut, l'espace d'un instant. Peut-être aurait-elle du le préserver mieux que cela.

Elle s'excuse tendrement, et la main glissée sur la joue parcourue de sillons n'est perdue pour personne. Un très léger sourire se peint sur les traits de la Reine, avant qu'elle ne se rende à l'évidence : le moindre effort lui coûte beaucoup trop d'énergie pour qu'elle reste éveillée. Sa Magie, tout comme celle de l'Île entière, a besoin de se régénérer. Sans l'arrivée de nouvelles fées, tout est plus compliqué. Mais le cercle devrait se rompre bientôt, et avec lui la fatigue de Mab.

En attendant que cela arrive, Sa Majesté fait ce qu'elle ne ferait jamais face à quiconque d'autre que son âme sœur : elle admet sa faiblesse et se montre vulnérable. Il n'y a bien qu'avec lui qu'elle peut se le permettre, ses sujets seraient bien trop dépassés de la voir ainsi. Obéron n'a jamais été un sujet comme les autres. Il n'est pas même un sujet à proprement parler. Mais de cela, on ne parle pas. C'est bien trop dangereux.

Cela fait bien trop peur.

Dans les bras du Sigisbée, la Reine ne bouge pas d'un pouce. Pas même un infime battement de ses ailes de papillon. Elle se laisse porter, se laisse enlacer et embrasser sans rien montrer d'autre qu'un vague sourire attendri. Elle qui, en temps normal, rechigne au contact lorsqu'elle n'en est pas l'instigatrice, s'abandonne pour une fois sans chercher à se battre. Elle l'a bien trop fait.

- Je veille sur toi et Ciel sur le Royaume, ne t'inquiète de rien.

Un très bref éclat de rire, à peine soupiré, alors que ses yeux se ferment contre sa volonté et qu'elle rétorque dans un murmure.

"Et qui veille sur toi, mon cher ami ? Ne t'oublie pas..."

Elle le sait bien, que son sens du devoir est plus fort que tout. Y compris ses propres sentiments et ressentis. Mais elle n'a ni la force ni le courage de s'engager plus avant sur ce terrain : déjà, le noir l'emporte à nouveau.

-

Le réveil suivant arrive bien plus tôt que le premier. Aux lueurs crépusculaires qui envahissent la chambre, Mab en déduit que la journée se termine. Est-ce la même que celle qui l'a vue s'éveiller, la suivante, ou une autre ? Elle n'en a aucune idée. Ce qu'elle perçoit, néanmoins, c'est cette présence, toujours aussi réconfortante. Un nouveau sourire se peint sur les lèvres fines de la Reine, qui a un peu moins de mal à ne pas papillonner des paupières.

"T'es-tu seulement dégourdi les ailes, Obéron ?"

Le ton n'est pas à la réprimande, plutôt à l'amicale taquinerie. Pourtant, l'inquiétude est réelle.

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Mab ne le repousse pas et semble même apprécier ce contact. Elle en vient même à l'initier. L'un contre l'autre, comme au jour de leur naissance, ils forment plus que jamais le tout d'un même rire silencieux. Obéron déborde d'Amour et laisse sa chaleur infuser le corps fatigué de sa souveraine.

- Et qui veille sur toi, mon cher ami ? Ne t'oublie pas...

Elle n'aura jamais l'occasion d'entendre la réponse donnée par le Sigisbée. Déjà, le sommeil la rattrape et l'enveloppe, l'arrachant aux bras de sa moitié.

- Sans toi, je n'existe pas, ma tendre amie...

Le fae la borde délicatement et s'octroie une dernière caresse dans la soie de ses cheveux.

***

La nuit tombe.
Assis au bord du lit de Mab, tenant la main de sa chère souveraine, Obéron observe les lueurs du couchant inonder de couleurs fauves la chambre royale. Son sourire irradie de même, comme un soir d'été indien. Depuis son premier éveil, quelques jours plus tôt, il ne s'en est plus départi. Il veille, gardien patient, à l'affût du moindre battement de paupières de l'être aimé. On le retrouve parfois, somnolant, genoux à terre au pied du lit de sa Majestée. Il refuse de la quitter pour prendre lui même du repos, de peur de manquer son prochain réveil.

Paupière mi-closes, le Sigisbée se gorge de ce soleil rougeoyant quand il sent un léger soubresaut au creux de sa paume.

- T'es-tu seulement dégourdi les ailes, Obéron ?
- Est-ce que m'étirer les apex au sein de cette pièce compte comme tel ? rétorque-t-il avec un humour qu'elle ne lui a plus vu exprimer depuis bien des saisons. Je vais bien... Fait-il en ployant vers elle, devançant ses pensées. Et je vais encore mieux en te sachant de nouveau consciente. Comment vas-tu ma douce sœur-de-rire ?

Inconsciemment, son pouce danse de manière caressante sur le derme opalescent de sa main.

Le ton joueur et détendu du Sigisbée apaise suffisamment la reine pour qu’elle esquisse un sourire à sa tentative d’humour. Néanmoins, elle voit bien les marques sous ses yeux et le poids qui pèse sur ses épaules. Elle s’apprête à lui demander tout de même comment il se sent quand il la devance, lui annonçant -bien évidemment- que tout va bien. En réponse, elle hausse un sourcil peu convaincu, mais l’effet n’est certainement pas le même que d’ordinaire alors qu’elle est allongée et alitée dans ses propres quartiers.

Lorsqu’il lui retourne la question qu’elle n’a pas eu le temps de poser, Mab laisse échapper un soupir.

« Je vais mieux... Le repos est réparateur. Je sens l’énergie revenir doucement. »

Elle ne pointe pas l’évidence : elle est bien loin de son habituel éclat, de manière littérale comme figurée. Mais il y a du mieux et il lui paraît nécessaire de le dire. Au moins n’a-t-elle plus l’impression de devoir papillonner aussi régulièrement des paupières pour combattre le sommeil.

Sentant les doigts caressants du Sigisbée, son regard glisse sur leurs mains jointes, qu’elle serre doucement avant de s’adresser à son Frère-de-Rire, sans pour autant lever les yeux.

« Je suis navrée, mon cher Obéron, je te cause bien du souci... »

Il ne s’agit pas seulement de veiller sur son sommeil, mais également prendre soin du Royaume, soutenir Ciel, gérer les réunions du Haut-Conseil, s’occuper des nouvelles fées, sans compter la gestion de l’Archefleur... La Reine gère ces sujets depuis bien assez longtemps pour savoir ce que son absence peut coûter.

Elle ne peut malheureusement rien y faire. Elle sent la migraine faire son apparition rien qu’à dresser cette liste interne. Quand bien même parviendrait-elle à laisser son Bras Droit l’autoriser à quoi que ce soit, elle n’est même pas certaine de pouvoir se lever et tenir debout assez longtemps pour se rendre dans la salle du Haut-Conseil. Mab n’aime pas être en état de faiblesse, mais elle sait avoir outrepassé ses limites cette fois-ci. Pour le moment, elle a besoin de calme et de repos.

Pour une rare fois, le Royaume va devoir attendre.

Pour une rare fois, peut-être peut-elle (s’)offrir une parenthèse hors du Temps.

« Je suis certaine que tu ne t’es pas couché depuis des jours... » poursuit la reine d’une voix douce, caressant à son tour la main du Sigisbée. « Je ne doute pas que les gens du Palais t’ont apporté ce qu’il y a de plus confortable, mais... »

Délicatement, la main se détache et le corps se décale. Le moindre mouvement lui cause une intense fatigue et fait pulser sa tête, assez pour que Mab se doute qu’elle ne fera pas long feu cette fois encore. Peu importe.

Avec un sourire pâle, l’Étincelante tapote légèrement la place à présent vide entre elle et le fauteuil attitré de son Bras Droit.

« Viens. »

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- Je vais mieux...
- C'est une bonne nouvelle, s'égaie-t-il d'un tendre sourire.
- Le repos est réparateur. Je sens l’énergie revenir doucement.
- Douceur est synonyme de patience. Le temps a beau être aboli en ce royaume, il est le seul mettre d'œuvre ici. Ne bousculons pas la douceur, ajoute-t-il avec un soupçon de malice.

Obéron sait bien la propension de sa soeur-de-rire à ne pas tenir compte de son propre rythme : elle s'impose toujours un tempo trop exigeant. Il ne connait que trop ce travers qu'ils ont en commun tous deux.

- Je suis navrée, mon cher Obéron, je te cause bien du souci...
- Il n'est de souci que si on le considère comme tel. Te servir n'en a jamais été un.

Du bout du pouce le Haut-Conseiller vient chasser le pli soucieux qui se forme soudain entre les deux sourcils froncés de la reine.

- J'ignore quelles obscures pensées traversent ton royal esprit, mais elles n'ont pas droit de cité dans ce lit, lui intime-t-il gentiment.

Mab se redresse alors pour s'éloigner, du moins est-ce ainsi qu'il l'interprète de prime abord, avant de comprendre qu'elle souhaite au contraire, qu'il foule sa couche. Soudain ému par cette marque d'intimité - qu'elle ne lui a jusqu'alors jamais démontrée - le Sigisbée voit les écailles de ses ailes se parer de teintes d'un lilas lumineux. Il obéit à sa demande, tâchant de museler son trouble de toute la force de son coeur. Peut-être est-ce l'audace de l'instant qui le pousse à enrober maladroitement ses frêles et délicates épaules dans l'alcôve de son bras. Il n'en demeure pas moins que les voila blottis l'un contre l'autre, sans statut, ni titre.

- Crois-tu que c'est ainsi que nous avons éclos...? souffle-t-il après un long silence de tendresse recueillie. Comme deux pois dans une cosse... ajoute-t-il avec un petit rire feutré.

Mab ne peut s’empêcher d’être ambivalente face à l’attitude d’Obéron. Si, de tous temps, elle a toujours approuvé sa douceur, sa compréhension et sa tendresse envers son peuple, elle est bien plus critique lorsqu’il vient à faire preuve des mêmes qualités à son égard.

Elle sait qu’elle ne le traite pas comme il le mériterait. Elle voit sa tristesse résignée et sa suivance aveugle, elle entend les bruits de Cour, de couloirs de vents et de forêts, elle perçoit les regards et les attentes, chez ses sujets comme ailleurs... comme chez lui.

Toute Altesse qu’elle soit, elle ne mérite pas un tel chevalier servant, qui jamais ne s’offusque ou ne ploie sous les méandres de son ingratitude. Elle en est presque en colère pour lui, contre lui, aussi irrationnel que cela puisse paraître.

Mais voilà qu’à nouveau, il semble deviner ses pensées et devancer ses paroles. Pas totalement, sans aucun doute, mais assez pour apaiser son corps éreinté d’un geste et son esprit épuisé d’une phrase.

Non, Mab ne mérite pas la dévotion du Sigisbée. Elle en est parfaitement et douloureusement consciente, bien que jamais elle ne le montre. Pourtant, cette fois, elle n’a pas envie de lutter. Cela ne ferait-il pas du bien de se laisser emporter par la vague, pour une fois, au lieu de naviguer sans cesse à contre-courant ? Elle a mené tant de combats dernièrement, ne peut-elle pas se permettre, rien qu’une fois, de perdre une bataille ?

Elle s’en voudra, plus tard. De faire miroiter, de laisser espérer. Peut-être même qu’elle se détestera, aussi brièvement que ses émotions de fée le lui permettront. Elle qui ne pourra jamais lui donner ce à quoi il aspire si ardemment, elle qui aurait du l’inciter, le forcer, le laisser partir plutôt que de l’enchaîner à ses côtés sans jamais plus pouvoir briller des mille feux qui le caractérisent pourtant si bien. Elle s’excusera, plus tard. Sans qu’il ne comprenne vraiment, certainement.

Mais ce sera plus tard. Pour le moment, elle prend sa décision et l’invite à la rejoindre, sachant très bien qu’il s’agit d’un geste sans équivoque, d’un point de non-retour, d’une main encore jamais tendue. Égoïstement, sans doute, alors qu’elle sent la migraine s’atténuer rien qu’en se lovant contre son bras. Sa tête rejoint le creux de son cou et s’y pose délicatement, comme si là avait toujours été sa place. La chaleur douce de son frère-de-rire, sa respiration apaisée et son odeur printanière restent les meilleurs remèdes qui soient.

Les yeux fermés, Mab profite du calme sans un mot. Elle sait qu’elle risque de replonger dans le sommeil d’un instant à l’autre, bien loin d’être remise sur pieds, mais elle n’en a pas tant envie que cela. Elle a la sensation que ce repos-là, sans inconscience, est tout aussi réparateur. Les paroles d’Obéron, caressant le silence sans réellement le briser, lui arrachent un léger sourire qu’il peut sentir contre sa peau hâlée.

« Peut-être bien... Cette quiétude y ressemble, en tous cas. »

Loin de tout, des ennuis de la Royauté, des apparats de la Cour, des attentes du Peuple et des soucis de l’Île, jamais ils n’auront été aussi proches de leur apparition qu’à ce moment précis.

« Puisse-t-elle durer encore un peu. » murmure la fée à voix si basse qu’il aurait été impossible pour Obéron de l’entendre s’il n’était pas si près. Il s’agit pourtant un vœu sincère, comme elle en laisse échapper peu.

Il faut un moment avant qu’elle ne reprenne, toujours sur le même ton. « Tu devrais en profiter ; te reposer. Mieux que ces derniers jours. » Elle le connaît si bien qu’elle n’a pas besoin d’être éveillée pour savoir qu’il ferait passer la santé de n’importe qui d’autre avant la sienne. Alors, dans un tel contexte... Un nouveau sourire s’étend sur ses lèvres pâles avant qu’elle ne reprenne, mutine malgré le faible volume de sa voix. « Ou alors, je me verrai dans l’obligation de vérifier si certains chants sont toujours aussi efficaces sur ton sommeil. »

$“La vie est une rose dont chaque pétale est une illusion et chaque épine une réalité.” {Mab & Obéron} Meena_14$

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- Peut-être bien... Cette quiétude y ressemble, en tous cas. Puisse-t-elle durer encore un peu.

Oberon soupire d'aise et redresse leur mains jointes pour mieux contempler l'entrelacement de leurs doigts à la complexion si différente : Sa peau est si brune, si gorgée de soleil alors que le derme de Mab est laiteux, presque diaphane. Il pivote son profil vers sa soeur-de-rire.

- Je ferais en sorte de t'offrir ces intermèdes de paix chaque fois que tu en auras besoin, pour revenir à la source et y puiser de la force.

Il lui offre un sourire éblouissant malgré les signes patents de son propre épuisement. Le Sigisbée souhaite savourer l'instant, il le sait particulier, inhabituel et, malgré sa promesse, exceptionnel. Il n'y aura pas d'autres moments comme celui-ci. Une petite voix maligne, cette part d'Obscurité qui ne l'a jamais tout à fait quitté, lui susurre qu'en pleine santé, Mab ne se serait jamais abaissée à pareille familiarité, qu'il profite de sa faiblesse actuelle. Heureusement pour lui, sa nature de fée ne laisse jamais place longtemps à cette duplicité. L'Amour qu'il éprouve pour sa souveraine est immense, puissant, lumineux. Ecrasant l'Ombre comme il broie son cœur. Un jour, il le sait, il mourra d'amour. Il y est préparé. Y a-t-il manière plus belle de partir ?

- Tu devrais en profiter ; te reposer. Mieux que ces derniers jours.

Ici ?
Dans le lit royal ?
Est-ce bien raisonnable ?
A-t-il seulement envie d'être raisonnable ?

- Ou alors, je me verrai dans l’obligation de vérifier si certains chants sont toujours aussi efficaces sur ton sommeil.
- Je préfères que tu gardes précieusement ta magie pour toi, lui rétorque-t-il tendrement en ramenant leurs mains jointes contre son torse, là où son cœur bat vite et fort. Une musique de grelot. Dors. Je te promets de fermer les yeux dès que tu auras clos les tiens...

Vient-il de donner un ordre à la Reine des Fée ?
Un nouveau précédent pour un moment hors du temps qui n'appartient qu'à leur jardin secret. Du moins le croit-il...

Aux promesses d’Obéron la Reine ne peut offrir qu’un sourire fatigué qui peine à monter jusque ses yeux. Ils savent tous deux que l’instant est aussi unique qu’éphémère, son potentielle renouvellement aussi inquiétant que dangereux. Mais Mab ne sera pas celle qui brisera aussi violemment les illusions de son Frère-de-Rire... Elle le maltraite déjà bien assez comme cela.

Et puis... elle n’en a pas la moindre envie. Quelque part, peut-être qu’elle aimerait simplement prendre ses promesses pour argent comptant et oublier la couronne et le poids qu’elle implique. Mais que serait-elle, sans cette dernière ? Probablement pas grand chose. Mab n’a jamais été conçue pour être une simple fée vivant au gré des sentiments qui l’animent. Parfois, elle a la sensation qu’il lui manque le plus grand.

Mais elle sait donner le change, l’espace d’un instant, d’une étincelle d’éternité. Tant et si bien qu’elle est presque capable de se persuader elle-même. L’inquiétude qu’elle met en mots est sincère, autant que la menace à peine voilée qui suit. Qu’elles viennent de la Reine, de l’amie, ou d’ailleurs n’a que peu d’importance, au fond...

...Non ?

La réponse du Sigisbée lui arrache un éclat de rire fatigué. Poupée de chiffon, Mab se fait malléable entre ses doigts et le laisse faire voyager leurs mains entrelacées. En cet instant, l’apparat n’est pas sa priorité. Il ne l’a jamais été, avec lui. C’est ce que peu comprennent.

Elle veut lui répliquer qu’il ne tient qu’à lui qu’elle n’use pas de sa magie pour son sommeil, mais Obéron enchaîne sur une phrase dont le ton comme le contenu la font sourire doucement. Évidemment, dans cette position, il ne peut pas le voir.

« Mes yeux sont déjà clos. » La fatigue est encore bien trop importante pour lui permettre de se concentrer à la fois sur la conversation et sur le fait d’observer le monde. « Alors, tu as intérêt à tenir parole. »

Mab ne sait pas quelle impulsion la pousse ensuite pour que, les yeux toujours fermés, elle lève suffisamment la tête pour poser, aussi brièvement qu’un battement d’ailes de papillon, ses lèvres sur la joue de la fée des champs.

« Dors, à présent. » murmure-t-elle en se réinstallant, refusant de s’appesantir autant sur son geste que sur le cœur de fée qu’elle sent palpiter brusquement avec force sous ses doigts... et qui contraste de manière écrasante avec le calme qu’elle ressent en sa propre poitrine.

Heureusement, Mab est encore bien trop épuisée pour se laisser submerger par des questionnements attristés et il ne faut pas longtemps pour qu’elle sombre à nouveau, bercée par les battements d’un cœur qui n’est pourtant pas au bout de ses peines.

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Il n'y a rien de plus précieux qu'un baiser de fée.
Mais le baiser de leur Reine est un joyau rare et fabuleux.

Obéron, paupières closes, perçoit la pulpe soyeuse et douce de deux lèvres lui effleurer la peau. Ses ailes tressaillent aussitôt, irriguées d'une vive lumière violette et ce frisson de magie répand poudre luminescente et parfum de printemps dans toute la pièce. Le coeur du fae bat à tout rompre et peut-être le fera-t-il, explosant en pétales sucrés et en étincelles d'amour. N'osant pas ouvrir les yeux de peur de briser le charme, il presse seulement la main de sa soeur-de-rire contre sa poitrine agitée.
Si ses paupières lui rendent la vue, ce rêve merveilleux cessera et la réalité reprendra ses droit, une réalité où sa souveraine est épuisée et exsangue, où leur familiarité tendre n'existe pas, une réalité où il est l'humble Ombre d'une tête couronnée.

Il chasse pour l'heure ces funestes pensées.
Il est, lui aussi, fatigué et son sens aigüe de l'obéissance le pousse à obtempérer à l'ordre donné. Il dort, donc. Il dort et sombre dans les ténèbres d'un sommeil sans rêve et sans salut.
Celui où l'attendra toujours la poix de la Silve Obscure.
Son intime souillure.

Le Sigisbée se repose, néanmoins.

A l'échelle d'un souffle ou d'une éternité, nul ne saurait le dire.
Lorsqu'il s'éveille, un soleil timide mais présent réchauffe le carreaux des fenêtres. Il papillonne des cils, reprenant conscience de son environnement - Le lit royal !- et surtout de sa position. Un bras autour des frêles épaules de Mab, il tient la reine étroitement contre lui au point de lui servir d'oreiller. Horrifié par cet absence de bienséance si on les surprenait, il n'ose pourtant pas bouger de peur de la réveiller. Elle semble si profondément endormie et en paix.

L’épuisement est tel qu’une fois encore Mab ne met que peu de temps à se laisser submerger par le sommeil. Elle commence à connaître ce noir bien mieux que les couleurs de ses appartements privés. Cependant, il y a quelque chose de différent, cette fois. Peut-être est-ce parce qu’elle se repose depuis bien plus longtemps qu’elle n’en a l’impression, mais ce sommeil là est plus sain, plus tranquille.

Mieux vaut ne pas trop se demander pourquoi.

Lorsque l’Étincelante reprend conscience, elle se sent apaisée. Entourée d’une chaleur qui lui est familière, sans qu’elle ne la remette tout à fait. Gardant les yeux fermés, elle profite doucement. Il lui semble qu’elle a même rêvé, cette fois, et elle sentirait presque encore l’infime odeur du champ de violettes sauvages dans lequel elle se prélassait... Sa respiration n’a qu’à peine changé, mais il est possible que son oreiller improvisé s’en rende tout de même compte.

Mab réalise alors qu'elle entend sous son oreille son coussin battre avec mesure. Obéron est toujours là. Il n’a pas profité de son inconscience pour s’enfuir, ce dont il aurait certainement été capable dans d’autres circonstances. Un très léger sourire se dessine sur ses lèvres et, sans bouger plus que nécessaire, elle serre doucement la main qui est à sa portée.

« T’es-tu enfin reposé ? » Son ton est un murmure doux comme un papillon, moins fragile qu’aux précédents réveils. Cette fois, le volume de sa voix est un effet de volonté -et non de faiblesse.

C’est également par volonté qu’elle ne tourne pas le regard en direction du Sigisbée. Il y a un peu de sacré dans la tendresse de ce moment qui, elle le sait -ils le savent tous les deux- ne peut se prolonger indéfiniment. Se mouvoir plus que nécessaire serait tout gâcher avant l’heure.

Même s’il le faudra, un moment ou un autre.

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Les narines d'Obéron inspire le parfum particulier de Mab : le mélange subtile du petrichor d'automne, de la fraicheur d'une bise hivernale, des premiers bourgeons du printemps et des sucs fruités de l'été. Son coeur se trouve transporté par l'intensité de son bonheur. Certes, il s'agit là d'un bonheur bien égoïste, issu de l'abus d'un état de faiblesse : en pleine possession de ses moyens, sa souveraine ne se serait jamais alanguie de la sorte contre lui. Il n'en demeure pas moins qu'il est heureux et ses ailes en témoignent, arborant des tonalités violacées vivides, presque roses.
Fasciné, il observe les long cils multicolores de sa soeur-de-rire s'ébattre tels les ailes d'un papillon avant de révéler la beauté de ses iris. Elle les darde sur un point fixe, lointain, avec un sourire brouillé de sommeil. Une bouffée de tendresse fait pétiller les prunelles dorées du Sigisbée.

- T’es-tu enfin reposé ?
- Il semblerait, en effet. Retrouver ta proximité, comme lors de notre naissance, nourrit ma sérénité. Et toi, comment te sens-tu ?

Il tisse délicatement ses phalanges aux siennes. Il aimerait tant qu'elle plonge ses yeux dans les siens, qu'elle y lise son amour débordant qui poudroie en scintillements chaleureux tout autour d'eux, comme des morceaux de sucre difractant les rayons du soleil. Il sait, pourtant, que ce simple geste trahirait son serment royal d'être la reine de tous et non pas seulement celle de son cœur. Ce serait briser le charme de cet instant merveilleux et pourtant dépourvu de la moindre magie.

Le bras-droit de la reine le sait : il doit rompre le contact, déchirer la paroi de ce cocon d'intimité pour reprendre sa place, à quelque pas de distance. Il s'y refuse, il fait durer l'instant, tel un enfant capricieux qui recule l'échéance imposée. Inéluctable.
Puisque cet instant est unique, Obéron s'octroie le droit d'être indécent, juste pour cette fois. Sa main libre vient caresser la joue velouté de Mab, dessiner l'angle parfait de sa mâchoire jusqu'au menton, qu'il relève vers lui. Son pouce épouse la pulpe douce de sa lèvre. Leurs regards se croisent, se noient l'un dans l'autre.

"Regarde-moi...
Regarde-moi, mon amour.
Conserve en toi cet instant de vérité et chéris-le."

Le Sigisbée dépose un baiser délicat sur le front de l'Etincelante avant de se dégager sans heurts de cette étreinte interdite. Il sort des draps à regret, mais par soucis du devoir, et la borde avec un sourire protecteur. Il se doit de préserver l'image impeccable de sa reine et sa vertu. Nul ne doit douter de cela.

Et il fait bien.
On frappe à la porte.

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