Le petit chaperon orange avait quitté sa maison un panier sous le bras, rempli de bonnes choses pour mère-grand. Sa cape en fourrure était fouettée par le vent froid et ses longs cheveux s'échappaient du capuchon pour tracer une longue flamme orangée dans l'air glacial de l'après-midi. Le sol était gelé, les arbres gris et froids peu réceptifs aux chansonnettes du petit chaperon orange. Ses couleurs auraient dû détoner dans le décor mais faisait comme un feu d'artifice dans les nuages. Personne ne l'aurait vu arriver, à moins de se trouver à moins de cinq mètres de lui. C'est que le vent froid soulevait de gros flocons. Le petit chaperon orange se dit qu'au moins il échapperait à la vigilance du loup.

C'était avant de réaliser qu'il s'était perdu.

"Oh, man."

La grande perche orange avait une démarche un peu chaloupée. Ses cheveux étaient plus longs que ceux de beaucoup de filles au Grand Arbre. Peut-être que de dos et de très loin on aurait pu le prendre pour une adolescente dégingandée. Mais le petit chaperon orange avait une voix de garçon en pleine mue et comme dit plus tôt il était impossible de le voir venir de très loin. De très près, c'était assurément un visage masculin qui était dissimulé sous l'écharpe et la fourrure et la peau blanche parsemée de taches de rousseurs. Flower se frotta le nez et renifla en levant les yeux. Il devait trouver un abri. Or, il y avait justement de la fumée entre les arbres. Une hutte ? Un village ? Flower s'y dirigea d'un pas décidé quoique rendu maladroit par la neige.

Ce n'est qu'en sortant des bois que le petit chaperon orange réalisa qu'il avait égaré son chemin en même temps que son bon sens.

Flower ne vagabondait pas souvent loin du Grand Arbre, d'ordinaire, parce qu'il avait tendance à, comment disait-il ? Ah oui. "Se laisser porter par la vie." Flower ne suivait pas de chemin c'était les chemins qui amenaient Flower là où bon leur semblait. Et si la technique pouvait semblait déjà peu fiable dans le Monde ordinaire, sur l'île, si changeante, si capricieuse, elle était carrément suicidaire.

Scorch avait donc la gentillesse et la présence d'esprit de ne pas lui coller trop de missions diplomatiques externes. Ce jour faisait exception. Flower avait insisté, peut-être. S'était probablement embrouillé dans l'ordre de mission. Avait définitivement fumé quelque chose avant de partir. Trimballait maintenant un panier en osier made in ArtisansGP qui contenait des cadeaux pour une des sages du clan du Corbeau, quelque chose comme ça, et pesait lourd sur son bras de gringalet apathique. La logique voudrait que Flower ne se trouve pas à la lisière du Port débauché, or c'était exactement là où il se trouvait présentement. Plus précisément, il se trouvait du côté de la Fumerie de madame Yamanaka, mais cela Flower ne le savait pas.

Ce brave petit chaperon orange décida, dans sa candeur, de frapper à la porte pour demander asile le temps que la tempête se calme. Après tout, il avait des offrandes pour le loup. Il ne pouvait pas être si grand et si méchant que ça, non ?

L'hiver durait.

Il s'était installé, insidieusement, et avait perduré jusqu'à ce qu'il soit impossible d'en ignorer les effets. Moriko avait tenté, pourtant, mais en vain : ses serpents ne sortaient plus et les réserves d'opium diminuaient. L'Infectée avait donc été forcée de prendre des mesures : fermer certains de ses salons et... réduire sa propre consommation.

Il allait sans dire que cela ne lui plaisait guère.

Il y avait plusieurs façon d'entrer dans la fumerie de Dame Yamanaka. L'une d'entre elles était de frapper aux portes secondaires qui donnaient, pour la plupart, sur les entrailles de la fumerie. Alors qu'elle était en train de ranger l'une des pièces qu'un client venait de quitter, Moriko entendit un bruit incongru mais néanmoins familier : celui de quelqu'un qui cherchait à entrer par l'une de ces issues.

Ou plutôt, qui attendait qu'elle lui ouvre.

Elle soupira, termina de remettre un coussin en place et se dirigea vers la porte, l'ouvrant sans autre forme de procès. Le serpent perché sur ses épaules siffla, exprimant sa surprise à sa place alors qu'elle haussait les sourcils devant une silhouette qui n'avait rien d'adulte.

Allons bon.

Elle ne mit pas très longtemps à réagir : s'écartant, elle invita d'un geste l'enfant à entrer. Et ajouta, d'un ton las :

- Si tu restes dehors, tu vas te faire tuer.

Ce n'était pas la première fois que ce genre de chose arrivait, elle savait quoi faire. Mais il ne fallait pas oublier qu'elle était un peu trop sobre et - en conséquent - de fort méchante humeur.
Il fallait dire que, par la porte ouverte, le froid de l'hiver rentrait et s'infiltrait sous ses vêtements.
Elle n'était pas assez défoncée pour l'ignorer.
Tristement.

HJ:

Le petit chaperon orange n'avait pas prévu de se retrouver face à une grande dame à l'air sévère mais classieux, avec un serpent sur l'épaule. On aurait dit un personnage de contes. Pas celui dans lequel se trouvait Flower en tout cas. Il plissa un peu les yeux, en détaillant la tenancière de l'Amanite viride, comme pour se rappeler ce qu'il cherchait à la base.

Vieille dame Delaware, peau ridée, offrandes dans le panier.

Il sourit.

"C'est gentil de me laisser entrer, merci man !"

Il passa la porte et des effluves à la fois exotiques et très familières piquèrent ses narines. Impossible de dire s'ils émanaient de la dame ou de l'endroit-même. Flower regarda autour de lui, une lueur d'intérêt sous ses paupières lourdes et son air naturellement endormi. La place semblait en corrélation avec la dame et vice-versa. Difficile de dire qui avait construit quoi. Ça ne ressemblait pas à la tanière d'un loup, en tout cas, ce qui suffisait à le rassurer pour l'instant. Mais avait-il jamais été inquiet ?

"C'est vrai qu'il fait vachement froid..." commenta-t-il en frottant ses mains pour les réchauffer.

Il n'avait absolument pas capté à quoi faisait référence la mise en garde de la dame au serpent, il était juste content de pouvoir se réfugier à l'intérieur quelque temps. Il souleva légèrement son panier. Sous le tissu à carreaux et le couvercle en osier, ça sentait le beurre et le pain. Entre autres choses. Flower était un Diplomate bien élevé, il savait qu'il ne fallait jamais débarquer chez quelqu'un les mains vides.

"J'ai des biscuits si tu veux ?"

Évidemment, il avait oublié sa mission déjà peu claire au départ. C'était peut-être à cause de ces fameux effluves mystérieux.

Ou alors, c'était dans sa tête.

HRP:

- C'est gentil de me laisser entrer, merci man !

Man ? En voilà une drôle de façon de s'exprimer. Toujours stoïque et déconcertée, Moriko laissa l'enfant lui passer devant et referma la porte sur eux rapidement. Elle reporta son regard sur le Garçon Perdu - il lui semblait que c'était un garçon, mais elle n'était pas sûre. Ce dernier se frottait les mains.

- C'est vrai qu'il fait vachement froid...

Elle soupira, déjà agacée. Si c'était pour échanger des banalités, l'enfant aurait mieux fait de rester chez Pan.

- J'ai des biscuits si tu veux ?

Comment lui dire qu'elle ne se nourrissait que d'opium et de venin ? Ce serait compliqué à expliquer. Alors - par défaitiste et politesse, sans doute - l'Infectée finit par capituler.

- ... volontiers.

Elle se nourrissait si peu, d'habitude, et cela lui jouait des tours.

- Suis-moi.

Le but était de conduire son invité impromptu vers l'une des pièces qu'elle avait fermée : ainsi, ils seraient tranquille. Ou du moins, c'était ce qu'elle espérait.