La vie au camp avait nécessité un temps d’adaptation. Alive s’adapta très rapidement, accueillant ces changements comme une sorte d’amélioration de ses conditions de vie. C’était peut-être la vie dans une communauté plus élargie, la cohabitation avec des peaux-rouges ou plutôt la présence d’adultes qui lui donnait un sentiment de sécurité. La Souris aimait ce noyer dans cette communauté, s’effacer dans la masse, il lui semblait qu’elle n’avait plus à craindre d’être fichée pour la moindre petite erreur.

La présence des clans indiens fit naître un autre espoir : celui de retrouver un vieil ami. Dès qu’elle baissait les yeux sur l’amulette qui pendait à son cou, elle revoyait ce visage grimé inquiétant mais bienveillant. Capricorne quelque chose. Pourquoi ne se souvenait-elle pas de son nom complet ? A vrai dire, elle ne rappelait pas non plus des mots exacts de leur conversation, seulement la gentillesse dont il avait fait preuve. C’était bien suffisant pour vouloir le revoir.

Le trouver ne fut pas une partie de plaisir. Il lui fallut aborder des peaux-rouges plus intimidants les uns que les autres. La plupart ignorait de qui elle parlait. Plus d’une fois, croyant avoir trouvé son tipi, elle fit irruption pour ne trouver que des guerriers hirsutes à l’air pas bien sympathiques.

Un matin cependant, une silhouette familière passa dans son champ de vision. C’était lui. Sur le moment, elle n’osa pas l’interpeller mais elle le vit s’engouffrer dans un tipi. Le sien.
Ne perdant plus une seconde, Alive se fraya un chemin jusqu’à sa cible. Les mains tremblantes, elle glissa son petit paquet dans la poche de son anorak. Plantée devant l’entrée qu’il avait refermée derrière lui, elle se retrouva face à un problème de taille : impossible de toquer. Elle n’osait pourtant pas entrer sans s’annoncer, craignant d’être intrusive.
La Souris se résolut finalement à entrouvrir le tipi, sans oser jeter un œil vers l’intérieur. Elle appela d’un ton hésitant :

— Capricorne ?

Et s’il l’avait oubliée ? Mince, elle n’avait pas envisagé cette possibilité…

Il aidait, il surveillait, il faisait de son mieux afin de mettre de côté l'égoïsme qui avait tant de mal à le quitter. Mais il faisait tout cela car l'Île souffrait. Car ils étaient menacés. Une fois encore. Et encore la mort flirtait avec eux. La douce étreinte d'un calme mortel.

Parfois, il veillait sur le Feu sacré. Enfin, à son échelle d'apprenti. Il travaillait aux côtés de personnalités diverses et fascinantes. Il surveillait les étoiles cachées sous les nuages de froid. Il craignait. Il regardait le ciel lorsque les yeux observaient sur terre l'avancée du Givre.

Capricorne Silencieux, il était encore plus calme. Triste de ne plus voir les Sirène. Triste de ne plus nager. Loin du calme de l'air aquatique.

Les peintures ne le quittaient pas, il les portait encore. Mais il dû revêtir du cuir sur le dos, impossible de vivre sans couches supplémentaires.

Trop froid.

Capricieux, il voulait aller vers l'Océan. Il voulait tracer par de-là le virus, nager. Fuir les étoiles qui le surveillaient encore et toujours. Les cauchemars demeuraient, le mal de crâne se faisait insistant. Il entendait le coeur battre dans la base des cornes qu'il avait volé par l'essence à un être légendaire.

Il payait encore et toujours le prix.

Capricorne Silencieux, il avançait dans le camps. Il revenait de d'une simple balade. Les pas rythmés par ses nombreuses breloques. Encore et toujours beaucoup trop décoré pour un Piccaninny.

Enfin voilà son nid. Il avait déménagé le plus de choses possible. Les fourrures, les grigris, les chasseurs de rêves. Tout ce qu'il avait pu charger sur sa monture et lui-même.

Il alluma un feu au centre, les cendres étaient encore chaudes.

Soupir, difficile de survivre dans ce temps.

Puis une interpellation. Il se figea, sursautant presque en tournant la tête vers l'entrée entravée d'une "porte d'entrée" de tipi.

Un instant, il avança à quatre pattes vers le visiteur. Jetant un oeil dehors il vit une Garçonne Perdue portant quelque chose qu'il reconnu instantanément. Une amulette. Il la reconnaissait très bien. Tout comme il reconnaissait la fillette. Après un instant, tout de même, il avait bel et bien dû se concentrer un peu.

Fin sourire parmi les peintures trop complexes sur son visage.

- La Souris a pris soin du talisman.

Il s'écarta du passage, pour inviter Alive à ne pas rester planter dans le froid.

- J'ai pu avoir quelques fruits séchés, c'est devenu un grand trésor par ce temps.

C'était une manière d'en proposer à la Garçonne Perdue. Il se souvenait qu'elle aussi craignait des choses, alors elle devrait avoir du sucre dans l'estomac afin d'adoucir l'esprit inquiet. Tout comme il le faisait par ces temps.

Quand le tipi s’ouvrit, Alive se figea au garde-à-vous, craignant de se trouver nez à nez avec un parfait inconnu, ou pire : Capricorne Silencieux. Elle s’était préparée à tout mais certainement pas à faire face à un homme adulte à quatre pattes. Il l’observa, elle le dévisagea en silence. Le jugement allait tomber.

— La Souris a pris soin du talisman, fit l’indien en lui souriant.

Soulagée, Alive ne put se retenir de sourire. Il s’était souvenu d’elle malgré le temps passé, il devait avoir bonne mémoire. Ça lui faisait plaisir.

Toujours à quatre pattes, le peau-rouge s’écarta du passage, l’invitant à entrer. La Souris s’exécuta timidement en se retenant de rire. A leur première rencontre aussi, Capricorne s’était abaissé à son niveau pour lui parler mais elle ne pensait pas qu’il pousserait l’entreprise aussi loin.

— J'ai pu avoir quelques fruits séchés, c'est devenu un grand trésor par ce temps.

— C’est… chouette, fit la Souris, ne sachant pas trop quoi lui répondre.

Elle croyait y lire une proposition mais n’osait pas s’avancer jusque-là. Au lieu de cela, elle tourna lentement sur elle-même (pour ne rien casser) afin d’admirer la décoration du tipi. C’était sans aucun doute l’antre d’un shaman.
Très coquet.

Capricorne mangea un des fruits tandis qu'il laissait la Garçonne observer les alentours. Il posa ensuite le petit récipient contenant les confiseries sur un tapis.

- Tu peux en prendre si tu veux. En réalité, j'ai convaincu la sorcière de m'en donner.

Le Capricieux avait donné l'information sur le ton de la confidence, la main sur le côté de la bouche comme pour être sûr que le message ne s'envolerait pas jusqu'aux oreilles d'autres.

Il ponctua d'un clin d'oeil. La Carabosse en donnait aux enfants, et était devenue une alliée dans le camp, mais l'apprenti chaman avait aussi voulu quelques denrées sucrées. Il ne coûtait rien d'essayer. Au point où il en était.

Le sourire bienveillant restait dessiné sur le maquillage extravagant du Piccaninny, avec une légère pointe amer. La situation justement, le froid, et surtout voir l'Île devoir bouleverser les habitats de chacun. Ça sonnait comme un mal plus difficile que les autres.

En tailleur, il invita la Souris à s'assoir. Lui essayait de ne pas décrocher sa propre décoration avec ses cornes, il ne connaissait pas encore par coeur son antre. Il y avait fourré le plus qu'il pouvait. L'idée de perdre ses breloques ne lui plaisait pas.

- Tout va bien ? À part... tout ça... évidemment.

Un temps, il leva les yeux au ciel, le "plafond du tipi".

- Les étoiles se font silencieuses au moins. Comme si elles savaient que quelque chose n'allait pas ici, comme si quelque chose de sacré était atteint pour elles aussi.

Le regard retomba sur Alive, un haussement d'épaules. Capricorne Silencieux était aussi perdu que les étoiles. Un peu triste aussi, il le traduisait par un sourire léger un peu forcé pour ne pas être plaint.

Tandis qu’elle admirait l’intérieur du tipi, Capricorne s’était mis à grignoter un fruit sec. Lorsqu’Alive reporta son attention sur lui, elle ne put s’empêcher de l’observer avec envie. Ayant sûrement perçu son hésitation, l’Assistant Chaman déposa l’écuelle à ses pieds :

— Tu peux en prendre si tu veux. En réalité, j'ai convaincu la sorcière de m'en donner.

Cette information aux airs de confidences ne la rassurait pas. Elle choisit pourtant de lui faire confiance. S’asseyant en tailleur devant lui, elle porta un fruit à ses lèvres. Le sucre lui laissa comme une piqûre sur la langue, un regain d’énergie qui était la bienvenue en ces temps de crise.

— C’est bon, le remercia-t-elle dans un sourire timide.

Alive osa en prendre un deuxième qu’elle goûta cette fois avec plus de gourmandise.

— Tout va bien ? À part... tout ça... évidemment.

La Souris le dévisagea, assez surprise qu’il se fasse si sérieux soudain. Capricorne Silencieux était quelqu’un de si paisible mais cette situation l’inquiétait, lui aussi. Elle hocha la tête, pour lui assurer qu’elle allait bien. Du moins, aussi bien que l’on pouvait se porter en de telles circonstances.

— Les étoiles se font silencieuses au moins, lui fit observer l’indien. Comme si elles savaient que quelque chose n'allait pas ici, comme si quelque chose de sacré était atteint pour elles aussi.

Il lui pointait le bon côté des choses mais Alive percevait l’amertume dans son sourire. Elle déglutit, ne sachant quel réconfort lui apporter. Elle se souvint alors de la raison de sa venue :

— Tu sais, depuis la dernière fois, je fais plus de cauchemars.

Elle tira l’amulette cachée sous son anorak, elle ne quittait jamais le tour de son cou. Elle lui sourit :  

— C’est grâce à ton cadeau ! Ça marche vraiment. Je voulais te dire merci.

La Souris raconta que les cauchemars ne venaient plus la visiter, et que c'était grâce à l'amulette.

Les yeux de l'apprenti chaman tombèrent sur le bijou exposé par Alive, le sourire qui se dessina parmi les peintures se revêtait d'un air joyeux. Capricorne était heureux d'avoir aidé la Garçonne Perdue. Il connaissait les cauchemars, il était de son devoir d'aider pour les maux de l'esprit.

Il lui semblait que cela faisait bien longtemps qu'il avait rencontré la petite en face de lui, mais le temps en ces lieux ne paraissait pas souvent ce qu'il était.

Le vent à l'extérieur faisait chanter les armatures des tipis, malgré les feux on sentait toujours la présence de la glace. Cependant, à cet instant, Capricorne ne s'en occupait pas. Il n'avait fait que se pencher un tout petit peu en avant, pour mieux retrouver un objet offert.

- Je suis content qu'il t'ai aidé.

Il piocha un fruit séché qu'il porta à sa bouche, satisfait de son travail et de son talent de négociateur pour des sucreries. Est-ce qu'il avait prétexté en apporter aux enfants ? Le Capricieux ne se souvenait pas. Peu importait, ce n'était qu'un caprice parmi d'autres.

- Tu as trouvé la voie du courage en même temps que celle de la sérénité des contrées du rêve ?

Une fois que les cauchemars ne faisaient plus peur, Capricorne pensait que la réalité pouvait se montrer plus cruelle et effrayante d'une autre manière. Comme par exemple les catastrophes à répétitions...

Maintenant le sommeil épargné, il se souciait du reste. La mort, quant à elle, n'était qu'une porte de sortie au chaos de la vie probablement.

Croire, c'était bien une essence vitale à Neverland. Et donc, si on y croyait... et bien ça existait. Capricorne Silencieux était ravi de savoir la petite sur le bon chemin. Lui-même n'aimait pas la peur permanente, toujours présente et menaçante au-dessus de ses cornes. Cependant, il n'avait pas la crainte de la mort, seulement de ne pas vraiment la choisir. Il y avait bien des temps, il avait voulu se laisser emporté par les eaux et les sentir envahir ses poumons. Le silence de cette mort, c'était celle-ci qu'il aimait. C'était aussi celle qu'il préférait infliger s'il devait tuer. Ainsi, les cris ne lui font pas mal à la tête.

En repêchant une énième friandise, il remarqua que la Garçonne Perdue avait l'air de vouloir quelque chose. Il n'eut pas le temps de demander que le mystère fut levé.

Le Capricieux permit à la surprise de peindre ses traits sur le maquillage minutieux. Il tendit la main pour prendre le petit présent emballé, doucement comme s'il craignait de le briser sans le vouloir. Le sourire prenait place tandis qu'il remercia la Souris.

Il entreprit d'ouvrir avec soin, et le sourire s'étira en découvrant l'étoile qu'il devinait déjà parfaitement à sa place à un bracelet ou un collier.

- Une étoile bienveillante, c'est un très beau présent. Et sûrement parmi les plus puissants des gris-gris.

L'apprenti était touché, et il voyait en ce petit astre un symbole un peu comme les têtes de morts. Ces dernières rappelaient la mort, les porter était un peu comme l'accepter. Et la peur du Capricieux était les étoiles vengeresses. Le Capricieux pensait aussi que les talismans puisaient leur pouvoir dans l'intention de celui qui l'offrait. Que ce soit le créateur pour lui-même, ou d'un apprenti chaman à une Garçonne, ou d'une Garçonne à un apprenti chaman.

Il défaisait l'un de ses colliers à gris-gris, et y ajouta le petit cadeau au centre avant de le remettre en place.

- Si tu avais été Peau-Rouge, je t'aurais bien surnommée Étoile Bienveillante. Mais ce n'est pas un animal jusqu'à preuve du contraire.

Un rire à sa propre remarque, regardant le nouveau pendentif.

- Tu as des projets ? Quand le froid partira.

Capricorne voulait penser à l'après, il n'aimait pas ce temps chargé de mort lente. Même les étoiles semblaient se lasser de leur Île.

Alive retint son souffle tandis que Capricorne dépliait soigneusement l’emballage. Elle se surprit à trépigner, assez confiante en sa réaction. Elle était certaine d’avoir eu une excellente idée en lui offrant cette petite étoile en bois sculpté qu’il pourra ajouter à ses nombreux gris-gris.  

Une amulette contre une autre.
Sa protection contre la sienne.

— Une étoile bienveillante, c'est un très beau présent. Et sûrement parmi les plus puissants des gris-gris.

La chasseuse ne put s’empêcher de bomber le torse, fière que son ami ait deviné la signification de son cadeau. Pire encore, il l’aimait. Du moins, c’est ce qu’il semblait puisque l’indien rajouta la petite étoile à sa collection de colliers.

— Si tu avais été Peau-Rouge, je t'aurais bien surnommée Étoile Bienveillante. Mais ce n'est pas un animal jusqu'à preuve du contraire.

Capricorne rit de sa plaisanterie mais Alive ne l’imita pas. Le visage cramoisi, elle baissa les yeux. Ce nom lui plaisait mais il la valorisait plus qu’elle ne le méritait. Elle retint à peine son sourire.

— Appelle-moi comme tu veux…

— Tu as des projets ? enchaîna le shaman. Quand le froid partira.

La Souris resta interdite. Bien qu’elle ait l’habitude d’anticiper les pires scénarios, elle ne se projetait jamais aussi loin dans l’avenir. Serait-elle au moins encore en vie pour en profiter ?

— Je sais pas, elle avoua. On sait même pas ce qu’il y aura après le froid.

Son air soucieux trahissait une évidente incertitude sur l’avenir. Il lui semblait que les catastrophes n’avaient cessé de s’enchaîner depuis une éternité. Et à chaque fois, Peter les avait surpris en imaginant de nouvelles manières de les mettre en danger.

La Souris laissait planer un sentiment d'incertitude, du moins, l'apprenti chaman en avait l'impression. Comme si l'aura en portait l'odeur, une senteur aussi unique que celle des champs de bataille. Le sourire parmi les peintures de squelette rapetissait, une version désolée qui comprenait ce qu'Alive voulait dire.

Ils étaient dans l'inconnu.

Même les esprits ne sauraient pas répondre.

Capricorne pensait que les plus forts pouvaient braver les futurs bien trop variables et imprévisibles. Une poignée de plus faibles suivraient, mais parce que les plus forts auront réussi à les préserver.

Dans un concert de cliquetis de bijoux, le Capricieux haussa les épaules avant de répondre calmement mais non sans amertume.

- Tu as raison. Il est difficile d'imaginer quelque chose ensuite.

Il passa une main à la base de ses cornes, il les sentait planter leurs racines dans son crâne, peut-être à cause du froid. Mais il reconnaissait qu'elles demeuraient plus clémentes ces temps glaciales.

- Je pense qu'il faut trouver un moyen d'être plus fort que ce qui change.

Les doigts se plongèrent dans les colliers, dans les talismans et les gris-gris. Ceux-ci s'entrechoquèrent en cascade.

- Quand tu auras trouvé les bonnes armes, tu sauras t'adapter. Comme moi mais avec la peur du ciel sans pouvoir toujours fuir dans les abysses.

Un ton un peu amusé, le Capricieux n'aimait pas le timbre dramatique alors que le monde le démontrait déjà assez.

Alors qu’elle replongeait dans ses souvenirs les plus douloureux, Alive entrevoyait brièvement les camarades qu’elle avait perdu par le passé, même ceux dont les visages avaient été effacés. Parmi eux, il y avait eu de tout : des garçons et des filles, des forts et des faibles. A chaque fois, la mort avait frappé comme le premier coup de tonnerre d’une tempête, les prenant par surprise, les piégeant dans un climat de terreur.

— Tu as raison. Il est difficile d’imaginer quelque chose ensuite, lui concède Capricorne Silencieux.

Le shaman semblait avoir accepté l’incertitude de l’avenir et cette résignation lui avait permis de se libérer des doutes et de la peur. Alive songea qu’il était sage, de la même manière que le sont les vieux arbres qui ne bronchent pas quand on les abat à coups de haches. Malgré tout le respect qu’il lui inspirait, il lui faisait de la peine.

— Je pense qu’il faut trouver un moyen d’être plus fort que ce qui change, reprend la shaman en tripotant les cornes qui surmontaient son genre de coiffe.

Ses paroles la firent froncer les sourcils. Piquée, elle redoubla d’attention alors que l’indien philosophait :

— Quand tu auras trouvé les bonnes armes, tu sauras t’adapter. Comme moi mais avec la peur du ciel sans pouvoir toujours fuir dans les abysses.

La fillette resta silencieuse. Tout cela lui paraissait cryptique, comme une énigme dont elle devait trouver la réponse dans les épreuvees à venir.

— Les bonnes armes… pour s’adapter… répéta finalement la chasseuse, comme pour imprimer ces mots dans son esprit.

Elle songea à Apache et son épée, Teeth et sa lance, Arrow et son arc. Elle pensa à tous ceux qu’elle connaissait, tous ceux qu’elle considérait comme des gens forts et capables de survivre sur cette Île. Puis elle pensa à ceux qui parmi eux s’étaient pourtant égaré, blessés ou n’étaient simplement jamais revenus. Elle songea aux faibles, toujours vivants pourtant. Elle songea à Lacerate, à Max, à Grenouille, à Fail, à tous ceux qu’elles connaissaient, tous ceux qu’elle aimait et ceux qui l’avaient aimé. Le monde se mit chanceler dangereusement alors qu’elle sentait une chaleur monter dans ses tempes.

De l’agitation au-dehors la sortit de ses pensées

— Je dois partir. J’ai une mission… de l’autre côté.

De l’autre côté, là où il fait froid.

L’enfant se redressa, piqua un dernier fruit sec avec un culot qu’elle ne se connaissait pas et le glissa dans sa poche.
Elle se dirigea vers la sortie du tipi mais marqua une hésitation au moment de partir.

Elle se tourna vers Capricorne et une vague de chaleur et de reconnaissance l’envahit. Elle l’aimait bien, cet homme. Elle osait croire qu’il l’appréciait aussi. Peut-être étaient-ils amis.

— Est-ce que… Même si on voyait plus, est-ce que tu te souviendras de moi ?

Alors que Alive semblait réfléchir, Capricorne Silencieux se posa lui-même la question si tous arriveraient à s'en sortir à force de changements et d'épreuves sur l'Île. Du moins, lorsque les choses étaient bousculées par celui qui y faisait la pluie et le beau temps. Des fois, le Capricieux se demandait si l'enfant roi pouvait être capable de simplement vouloir tous les effacer, comme un esprit de l'espace et du temps.

Cette pensée le dérangeait, c'était bien trop grand, bien trop incertain et bien trop inquiétant... ce ne serait pas dans l'ordre des choses sans doute.

L'apprenti chaman appliqua cependant l'avantage de l'oubli afin d'effacer le fil de cette pensée.

Alive sembla être tirée des siennes, il y avait du mouvement à l'extérieur. Mais les yeux noisettes se reposèrent sur la chasseur lorsqu'elle expliqua qu'elle devait s'en aller en mission. De l'autre côté.

Un air un peu surpris se dessina alors parmi les peintures du Piccaninny.

- De l'autre côté ?

Un murmure, une question à laquelle il eut la réponse de lui-même. Le givre. Alors que la Souris se relevait et piquait une ultime gourmandise.

Il la regarda s'en aller, mais quelque chose lui serra le coeur. Et lorsqu'elle se retourna pour poser une dernière question, il sentit qu'il devait écouter avec toute l'attention qu'il avait comme lorsqu'il était aspiré par les abysses.

Est-ce qu'il se souviendrait d'elle s'il ne la revoyait plus ?

Les sirènes, il les oubliait. Il oubliait si facilement, le Capricieux. Il se laissait porter. Mais là...

Les doigts s'enroulèrent autour de son nouveau talisman.

- Oui, c'est promis.

Il visualisa ses mots s'attacher au pendentif pour ne jamais s'en défaire, et cet éclat de souvenir se détacher du temps de l'île pour se garder prisonnier des liens des multiples attrape-rêves qui décoraient le tipi.

Vague sourire, entre un genre d'inquiétude, mais aussi de la résignation. L'ordre des choses, Capricorne appliquait ce dont Boa parlait.